Maya Lauqué reçoit sur le plateau Yasmine Belkaid, la nouvelle directrice générale de l’Institut Pasteur, deuxième femme à occuper ce poste dans l’histoire du célèbre institut. A l’occasion de la journée des droits des femmes, elle est venue s’exprimer sur la place de la femme dans le monde des sciences. Seulement 29% des chercheurs scientifiques sont des femmes, « ce chiffre est encore pire si on pense aux professeurs qui sont à moins de 20% et si on pense à des positions de leadership c’est encore moins », a expliqué notre invitée. Une situation qu’elle explique d’une part, par un monde autrefois dominé par un modèle patriarcal, et d’autre part par un désintéressé encore aujourd’hui des femmes pour les carrières scientifiques. Un chantier qu’elle a décidé de mener à la tête de l’Institut Pasteur. De son côté, Yasmine Belkaid a découvert la science très jeune grâce à ses grands-mères, entre la France et l’Algérie. Plus tard, elle entame des études scientifiques, notamment à l’Institut Pasteur, avant de partir aux Etats-Unis après sa thèse. « Je pense qu’il y a énormément de très bons chercheurs en France, qui sont encore en France et c’est merveilleux, et c’est pour cela que je reviens. Mais il y a aussi beaucoup de gens qui partent, notamment de jeunes, parce qu’il n’y a pas de perspectives », a-t-elle ensuite commenté avant d’expliquer qu’elle souhaitait les faire revenir. Interrogée sur les violences sexistes et sexuelles dans le milieu scientifique, Yasmine Belkaid répond qu’il y a toujours des choses à faire pour améliorer les choses, surtout dans un milieu patriarcal. A son niveau, la scientifique cherche à agir. Elle a d’ailleurs nommé, dès son arrivée à l’Institut Pasteur, une directrice de la diversité et de l’inclusion.
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00:00 Une mentor exceptionnelle, superstar scientifique et leader visionnaire, c'est ainsi que vous présente vos pairs.
00:05 Bonjour Yasmini Belkaï, merci d'être avec nous ce matin.
00:08 Vous êtes seulement la deuxième femme à occuper ce poste dans l'histoire de ce prestigieux laboratoire.
00:14 J'imagine que c'est une grande fierté pour vous.
00:16 Oui, c'est une très grande fierté.
00:18 La SUPASTEUR, en fait, j'ai été formée à la SUPASTEUR en Algérie.
00:22 Et je reviens en fait dans cette maison que j'aime énormément.
00:26 Nous sommes le 8 mars, journée internationale des droits des femmes.
00:30 Il y a un chiffre qui nous a interpellées, 29% des chercheurs scientifiques sont des femmes.
00:35 Ça reste encore un truc de mec les sciences, dans les mentalités en tout cas.
00:39 Dans les mentalités.
00:41 Et en plus ce chiffre est encore pire si on pense maintenant aux professeurs qui sont à moins de 20%.
00:45 Et si on pense vraiment à des positions de leadership, encore moins.
00:49 Comment on l'explique ? Est-ce que c'est dans les familles ?
00:52 Est-ce que l'école peut-être entretient ces clichés finalement que les sciences c'est pour les mecs ?
00:57 Je pense qu'il y a eu des problèmes du passé, il y a eu des problèmes du présent.
01:00 Les problèmes du passé étaient beaucoup plus complexes.
01:02 C'était vraiment un monde très patriarcal.
01:04 Il y avait un modèle de l'homme scientifique.
01:07 Et je pense qu'en fait il y a eu des progrès.
01:09 Mais de façon assez triste, on va vers l'arrière je trouve.
01:13 Ah, on revient en arrière.
01:14 Et on revient en arrière.
01:15 Je me rends compte notamment en France, si on regarde les chiffres justement des jeunes étudiantes,
01:19 même à l'école, qui rentrent dans les carrières scientifiques, il y a une régression.
01:22 Comment vous l'expliquez ?
01:23 Et bien ça j'aimerais bien savoir comment ça se passe.
01:25 Est-ce que c'est des réformes qui ont été faites dans l'école ?
01:27 Est-ce que c'est des modèles de société ?
01:29 Est-ce que c'est l'image de la femme qui est en fait très présente dans les milieux sociaux
01:33 mais qui n'est peut-être plus en fait celle qui devrait être présentée ? Je ne sais pas.
01:37 J'imagine que ça va être un chantier pour vous à la tête de l'Institut Pasteur.
01:41 Vous, vous êtes franco-algérienne américaine.
01:45 Vous êtes née à Alger, mais je crois que c'est en France que vous avez rencontré les sciences.
01:49 Expliquez-nous.
01:50 J'ai rencontré les sciences très petite.
01:52 J'avais 6 ans quand j'avais décidé d'être scientifique très petite.
01:55 Et c'était vraiment parce que ma grand-mère française était pharmacienne.
01:59 Il y avait un laboratoire à l'époque.
02:01 Ma grand-mère algérienne aussi connaissait les plantes.
02:04 Donc en fait j'étais très inspirée par ces femmes qui étaient associées à la médecine, au traitement.
02:09 Donc j'ai vraiment découvert le traitement, la découverte au travers de mes grands-mères.
02:14 Et je crois même que vous aviez entrepris d'écrire une encyclopédie.
02:17 Oui, j'ai commencé à l'âge de 6 ans.
02:19 J'ai fait deux toutes petites entrées à la lettre A et je me suis arrêtée.
02:23 Donc j'avais commencé très tôt.
02:24 Mais la science, je l'ai découverte toute ma vie.
02:26 Je l'ai découverte en Algérie aussi.
02:28 J'ai travaillé à l'Institut Pasteur d'Alger sur les maladies parasitaires.
02:31 Et puis je suis arrivée en France pour faire ma thèse.
02:34 Vous avez fait votre thèse à l'Institut Pasteur.
02:37 Et puis, fin de doctorat, vous partez aux États-Unis.
02:40 Pour quelle raison ?
02:41 Est-ce qu'il y avait un manque de perspective en France ?
02:43 Un manque d'argent, de projet ?
02:45 Oui.
02:46 En fait, il y avait un manque de perspective.
02:48 Moi, quand j'ai terminé ma thèse, il n'y avait pas forcément de direction immédiate.
02:53 C'était très, très difficile d'avoir des positions indépendantes.
02:56 Et donc je suis partie pour explorer d'autres aventures.
02:59 On dit souvent qu'on a de grands chercheurs en France.
03:02 C'est un peu ce qu'on entend.
03:04 Mais qu'ils sont débauchés ailleurs parce qu'on leur offre peut-être plus d'argent, plus de moyens.
03:10 Déjà, est-ce que c'est vrai ? Et est-ce que c'est toujours le cas ?
03:12 Je pense qu'il y a énormément de très bons chercheurs en France, qui sont encore en France,
03:16 ce qui est merveilleux, c'est pour ça que je reviens.
03:17 Mais il y a effectivement beaucoup de gens qui partent,
03:19 et notamment de jeunes qui partent parce qu'il n'y a pas de perspective.
03:22 Et je pense qu'il y a énormément...
03:24 J'ai rencontré des scientifiques extraordinaires français partout dans le monde
03:27 qui ont des carrières absolument impressionnantes.
03:29 Et je pense qu'ils auraient aimé rester dans leur pays.
03:32 Vous allez essayer de les faire revenir ?
03:33 Oui.
03:34 Vous êtes spécialisée, je crois, dans l'immunologie.
03:39 C'est bien ça.
03:40 Est-ce que c'est plus facile de diriger un laboratoire quand on est aux États-Unis
03:44 pour revenir sur cette expérience américaine, et quand on est une femme ?
03:47 Ça a été plus facile pour vous de travailler aux États-Unis ?
03:50 Être une femme en science, aujourd'hui c'est peut-être un petit peu plus simple,
03:54 mais ça n'a jamais été simple.
03:55 Et moi je sais que même aux États-Unis, j'ai rencontré aussi des obstacles.
04:00 Je me rappelle avoir terminé ce qu'on appelle le postdoctoral training.
04:04 Je n'étais pas très sûre de ma carrière après.
04:06 Il n'y avait pas de rôle model, il n'y avait pas de genre à qui je pouvais m'identifier.
04:09 Il n'y avait pas spécialement de mentorat qui était spécialisé.
04:12 Donc même moi j'ai un petit tubé au travers de tout ça.
04:15 Et je pense que ma passion pour la recherche, c'est ce qui m'a vraiment portée.
04:18 Mais ce n'est pas forcément l'environnement.
04:20 On a une nouvelle vague #MeToo qui touche en ce moment le cinéma.
04:25 Est-ce que le domaine des sciences a connu aussi, ou connaît encore,
04:30 ces violences sexistes et sexuelles ?
04:32 Est-ce que vous, vous avez été confrontée à ça ?
04:35 Je pense qu'on peut dire que toute femme a été confrontée à ça.
04:38 Je crois qu'on arrête de dire que c'est sujet d'un tel milieu.
04:41 Toute femme ?
04:42 De tel ou tel milieu, vous avez raison.
04:43 Je pense que c'est la réalité.
04:44 Je pense qu'on le dit en face, toute femme l'a été.
04:46 Et il est temps de changer les choses.
04:48 Il est temps de changer les choses dans tous les mondes,
04:50 notamment les mondes plus patriarcales tels que la science.
04:53 Je pense qu'il y a encore beaucoup de travail à faire.
04:56 Quelle a été votre première décision lorsque vous êtes entrée en fonction
05:00 le 2 janvier à la tête de l'Institut Pasteur ?
05:02 Ma première décision a été de nommer à mon niveau,
05:08 c'est-à-dire au niveau de leadership, une directrice de la diversité et de l'inclusion.
05:13 Nous sommes le premier organisme de recherche en France,
05:16 je crois, qui a nommé quelqu'un dans un poste de direction
05:19 pour travailler avec moi, pour justement réparer certains déficits.
05:24 La concurrence internationale est très forte sur le plan de la recherche.
05:27 Est-ce que la France investit assez dans ce domaine ?
05:30 La France n'investit pas assez.
05:32 La France a fait des choix depuis maintenant 10-20 ans
05:36 d'investir moins dans la recherche que d'autres pays à haut niveau économique.
05:40 La France est à 2,1% de son GDP, par exemple l'Allemagne est à 4%.
05:45 Et il y a des coûts pressants qui vont affecter encore plus la recherche.
05:50 Donc la France, d'une façon très surprenante pour moi, n'investit pas assez.
05:55 Et c'est vraiment catastrophique.
05:57 Parce que de ne pas investir dans la recherche, ça fait une interruption dans un procès de recherche
06:01 qui a des conséquences aujourd'hui, mais des conséquences pour demain.
06:04 Et je pense qu'il y a vraiment un problème grave et d'urgence de se remettre à investir en recherche.
06:09 Et j'imagine que ça va être l'un des objectifs de votre mission.
06:13 C'est un poste éminemment politique, ça veut dire que vous allez abandonner les recherches et le labo ?
06:17 Non. Je ne peux pas abandonner les recherches.
06:20 Je suis vraiment une scientifique dans l'âme.
06:22 Et je vais garder une activité de recherche que je vais protéger,
06:24 notamment une activité de recherche sur la santé de la mère et de l'enfant.
06:27 Ce sont des thèmes qui me tiennent énormément à cœur, des thèmes qui ont été très négligés.
06:31 On revient à nouveau au patriarcat dans la recherche.
06:34 Et justement, je vais garder cette activité de recherche qui me permettra,
06:37 un, de travailler sur des choses qui me passionnent, de garder cet élément,
06:40 mais aussi peut-être aussi d'aider à former des générations de scientifiques dans ce type de direction.
06:45 Leader, visionnaire et une mentor exceptionnelle.
06:48 Je répète ce que disent à propos de vous, vos pères.
06:51 Merci beaucoup.
06:52 d'avoir été avec nous ce matin. - Merci.