Flavie Flament reçoit Mélanie Guénais, enseignante-chercheuse à l'université Paris-Saclay, pour répondre à la question : pourquoi les garçons sont-ils meilleurs en maths que les filles ?
Category
📺
TVTranscription
00:00Bonjour Flavie, merci d'être là ce matin, vous êtes mathématicienne et enseignante chercheuse à Paris, alors vous avez en face de vous la statistique vivante qui alimente la légende, les mathématiques et moi on a signé un pacte de non-agression depuis que je suis à l'âge de compter, est-ce que c'est vrai que les filles ne sont pas faites pour les mathématiques ?
00:20Je suis contente que vous ayez signé un pacte de non-agression, mais oui c'est un premier pas déjà parce que ça veut dire que c'est possible de rétablir un contact.
00:29J'espère, à l'âge que j'ai je crois que c'est un peu foutu, mais est-ce que c'est vrai que les filles sont moins bonnes en maths ?
00:34Alors, non, d'abord je vais répondre non, c'est pas vrai que les filles sont moins bonnes en maths et je dirais qu'il faudrait savoir ce que ça veut dire être moins bon.
00:44Donc ce qu'on voit au travers des évaluations de Tim, c'est d'abord une image au travers de résultats, de performances qui sont finalement le reflet d'une réalité qu'on ne connaît pas.
00:56Alors justement, on va expliquer de quoi il s'agit. L'étude internationale TIMSS apparue donc hier.
01:01Les élèves français de CM1 affichent un score de 484 points en mathématiques et quand on regarde en détail, on s'aperçoit qu'il y a une différence de 23 points entre les filles et les garçons
01:12et c'est en France justement que c'est le plus important. Comment est-ce qu'on peut l'expliquer ça ?
01:16Alors déjà on n'est pas bon, mais en plus de ça, il y a cette différence notoire entre les sexes.
01:22Alors on n'est pas bon dans TIMSS, je vous l'ai dit, parce qu'il y a quelque chose qui est lié au test en lui-même.
01:30Après, il y a une différence fille-garçon qui n'est pas spécifique à la France puisque l'écart dont vous parlez, il est à peu près commun avec nos pays voisins.
01:41En Italie c'est pareil, en Angleterre c'est un peu moins mais c'est aussi important et c'est globalement quelque chose qu'on observe et qui varie en fonction des évaluations au cours de la scolarité.
01:53C'est-à-dire qu'elles sont faibles en CP, elles sont un peu plus grandes en fin de primaire et puis à nouveau elles se réduisent, vous n'avez pas parlé de la quatrième,
02:00mais en quatrième elles sont beaucoup plus faibles et la France n'est plutôt pas la dernière en matière d'inégalité fille-garçon, il y a bien pire.
02:07Vous dites qu'il y a une inégalité aussi ?
02:09Alors attention, j'ai dit qu'il y a une différence de performance et ça ce n'est pas pareil.
02:13C'est-à-dire qu'en fait ce que mesurent les tests ne sont pas un reflet d'une réalité qu'on ne connaît pas.
02:19Et il y a quelque chose qui est très intéressant, c'est que les tests TIMSS en 2015 par exemple évaluent les élèves de terminal S.
02:26Et en terminal S on montre qu'en France il y a une très grande différence entre les filles et les garçons.
02:30Et pourtant quand on regarde les notes du bac de cette même année avec ces mêmes élèves, il n'y a aucune différence.
02:35Comment on explique alors ça, c'est quoi ?
02:37Ça veut dire que dans les tests, il y a des items, c'est-à-dire des exercices qui vont favoriser les garçons.
02:45Ou alors dans les conditions de passation des tests, il va y avoir des choses qui vont favoriser les garçons.
02:50Mais en quoi les garçons seraient-ils favorisés sur un test identique ? Je ne comprends pas.
02:54Alors sur un test identique, les garçons vont être favorisés parce qu'on évalue les choses d'une manière qui n'est pas neutre
03:00du point de vue de la construction sociale associée au genre.
03:04Alors allons-y justement, à qui la faute ces résultats ?
03:07Les enseignants, est-ce que parfois les enseignants sont déjà influencés par cette donnée ?
03:11Alors pas que les enseignants.
03:12Que les filles seraient moins fortes ?
03:13Oui, tout le monde.
03:14Mais les enseignants déjà ?
03:15Alors pas déjà en fait, tout le monde. Depuis qu'on est tout petit, on est influencés.
03:18Donc les enseignants vont reproduire également ces influences qui sont liées à notre construction sociale
03:24et avoir des attentes différentes entre les filles et les garçons.
03:28Ils vont par exemple, ce qu'on connaît très bien, c'est par exemple les commentaires qu'on va avoir
03:32entre les filles et les garçons pour les féliciter.
03:34C'est-à-dire qu'on va plus saquer les filles et on va plus encourager les garçons ?
03:38Ce n'est pas exactement ça, c'est-à-dire qu'on va plus attendre des filles qu'elles se comportent bien
03:42et on va plus attendre des garçons qu'ils soient moteurs pour avoir des idées.
03:46C'est-à-dire qu'on attend du comportement de la part des filles
03:48et donc on va s'en servir pour gérer le climat de classe,
03:51tandis que les garçons vont se gérer pour les apprentissages.
03:53Et du coup, comme on encourage moins les filles, on va les entraîner moins.
03:57Est-ce que c'est un héritage aussi culturel que l'on peut retrouver chez les parents ?
04:01Oui, tout à fait. Puisque je vous ai dit, ça c'est quelque chose qui revient de notre construction sociale,
04:05donc ça vient de notre histoire, et donc ça va impacter tout le monde.
04:09C'est-à-dire les parents, les enseignants, vous, moi, et même sans s'en rendre compte.
04:13Donc on va encourager beaucoup plus un garçon à entrer en compétition.
04:17C'est pour ça que je vous disais que les tests vont être biaisés en faveur des garçons
04:20parce que si on les met en condition de compétition, comme le garçon est entraîné à la compétition,
04:25alors que les filles, on va plus les encourager à faire attention aux autres.
04:29Donc elles vont plutôt être en retrait de la compétition, elles vont être désavantagées par rapport à cet entraînement.
04:35Est-ce-à-dire qu'il y a beaucoup de filles ou de femmes qui nous regardent et qui disent
04:38« moi j'aurais pu embrasser une carrière scientifique, j'aurais pu aller plus loin,
04:42mais quelque part aussi j'ai finalement voulu correspondre aux attentes sociales et j'ai renoncé à ça ? »
04:47Exactement. C'est-à-dire qu'on a des attendues sociales qui sont différentes pour les filles et les garçons,
04:53et comme elles sont moins encouragées, y compris par le milieu familial,
04:56elles peuvent faire des choix de compromis.
05:00Qu'est-ce qu'on peut proposer justement ?
05:02Qu'est-ce qu'on peut proposer concrètement à un moment donné pour rétablir ce déséquilibre ?
05:06Alors pour rétablir le déséquilibre, il faut déjà se rendre compte qu'on ne traite pas les élèves de la même manière,
05:12entre les filles et les garçons.
05:13Par exemple, sur la prise de parole, on sait très bien que dans les classes,
05:16la répartition de la parole n'est pas équilibrée.
05:18Il y a deux tiers de garçons pour un tiers de filles seulement.
05:21Et quand on essaye de rétablir cet équilibre, d'abord il faut le savoir,
05:24et c'est très dur parce qu'en fait c'est l'état stable, mais il est injuste.
05:28Ce qui est injuste aussi, c'est le temps qui file dans cette émission, mais c'était passionnant.
05:32Merci beaucoup en tout cas Mélanie Jeunet de nous avoir sensibilisés,
05:35déjà une prise de conscience, c'est pas mal.
05:36Je rappelle que vous êtes enseignante et vice-présidente de la Société Mathématique de France.
05:40Merci à vous.
05:41Merci à vous.
05:42Merci beaucoup.