Avec Boualem Sansal, écrivain et auteur de "Vivre. Le compte à rebours" (Gallimard - 2024).
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NewsTranscription
00:00 En toute vérité, 11h30 sur Sud Radio, Alexandre Devecchio.
00:05 En toute vérité, chaque dimanche entre 11h et midi sur Sud Radio et Sécurité, Économie numérique, Immigration, Écologie.
00:11 Pendant une heure chaque semaine, nous débattons sans tabou des grands enjeux pour la France d'aujourd'hui et de demain.
00:16 Et ce dimanche, nous avons le plaisir de recevoir l'écrivain algérien, lauréat du prix Constantinople et du Grand Prix du roman de l'Académie française, Boalem Sansal.
00:26 Il nous parlera de son nouveau livre, « Vivre, le compte à rebours », qui vient de paraître aux éditions Galima un roman d'anticipation dans la lignée de George Orwell.
00:35 Il y prophétise la fin du monde et l'extinction de l'humanité et y dénonce toutes les dérives de l'époque, du wokisme à l'écologie punitive,
00:42 en passant par le néo-féminisme et la religion de l'ouverture des frontières.
00:47 La fin du monde est-elle pour demain ? L'homme est-il en train de s'autodétruire ?
00:51 Le totalitarisme est-il réellement derrière nous ? Sous quelle forme est-il en train de renaître ?
00:56 Tout de suite, les réponses de Boalem Sansal, en toute vérité.
00:59 Boalem Sansal, bonjour.
01:06 Bonjour Alexandre.
01:07 Ravi de vous accueillir sur le plateau d'En toute vérité.
01:12 On va discuter pendant une petite heure, notamment de votre nouveau livre, « Vivre, le compte à rebours ».
01:18 C'est aux éditions Gallimard. C'est un roman dystopique où vous imaginez les derniers jours de l'humanité
01:23 et la fuite d'une partie de l'humanité, des quelques élus sur une autre galaxie.
01:31 On en discutera tout à l'heure.
01:34 J'avais envie, pour commencer de l'émission, de parler un peu de vous.
01:39 Parce qu'une partie de vos lecteurs vous connaissent, je vous connais.
01:44 Mais peut-être qu'une partie des auditeurs vous connaissent qu'à travers vos idées, à travers vos romans.
01:50 Vous avez un parcours tout de même singulier dont j'aimerais qu'on parle.
01:55 Vous êtes né en Algérie, rue Darwin.
01:59 Dans le quartier de Belcourt, qui était le quartier d'Albert Camus.
02:04 Oui, Belcourt, c'était un quartier très populaire, très pauvre, qu'il y ait toujours encore plus.
02:12 Et c'est le quartier évidemment archi connu, puisque Camus, la famille Camus,
02:18 habitait ce quartier et que c'était des amis.
02:23 Ma mère était grande amie de la mère de Camus.
02:27 Elle était en fait son infirmière un jour.
02:30 Albert avait demandé à ma mère de faire des piqûres.
02:35 La maman de Camus était malade et donc une infirmière devait passer la piqûre,
02:42 lui administrer ses médicaments.
02:44 Et donc du coup, entre ma mère qui était toute jeune,
02:48 elle avait, quoi, sans âge, elle devait avoir 24-25 ans, et la maman de Camus.
02:55 Quelque chose est né entre elles.
02:58 La maman de Camus était une personne aphasique et qui parlait pas, qui était un peu bizarre, limite, vraiment.
03:07 Et ma mère s'est prise d'amitié, peut-être un peu aussi de pitié et d'amour.
03:15 Quelque chose est né entre elles.
03:17 Elle passait tous les deux-trois jours lui faire sa piqûre,
03:20 puis elle lui faisait un brin de ménage, elle lui faisait à manger, et voilà.
03:25 Et donc, moi j'ai, à cette époque...
03:28 - Et vous avez connu Albert Camus ? Il avait quel âge et vous aviez quel âge ?
03:32 - Non, moi j'étais gamin, j'avais 6 ans, 7 ans, donc...
03:36 Alors à l'époque, Albert Camus était connu pas comme écrivain, on savait pas du tout.
03:42 Dans ce quartier populaire, c'était le grand footballeur et le grand séducteur.
03:46 Vraiment, on le voyait tout le temps avec trois femmes derrière lui.
03:51 C'était un sacré dragueur, il plaisait beaucoup, et toutes les filles du quartier étaient amoureuses de lui.
03:57 Mais pour nous, c'était surtout le footballeur, parce qu'il faisait partie de l'équipe.
04:04 Et puis ensuite il a disparu, on le voyait de moins en moins,
04:08 il s'était installé en France, il venait de moins en moins,
04:13 parce que la guerre avait... - Avait divisé les...
04:17 - Oui, et puis lui-même commençait à être mal perçu des deux côtés.
04:21 - Des deux côtés, oui, effectivement, puisqu'il refusait, on le rappelle, de choisir un camp d'une certaine manière.
04:27 - Son dernier passage, ça je me souviens, c'était quand il était venu avec des personnalités importantes,
04:33 du FLN, de grands intellectuels, Bo Menjiel et compagnie,
04:37 pour lancer son fameux appel à la trêve civile.
04:42 Et il a été caillassé, vraiment, de tous les côtés, d'abord par les pieds noirs,
04:48 donc ils ont empêché le... Il était monté à la tribune pour lancer son appel,
04:54 caillassé de tous les côtés, il s'est carapaté, il a été évacué.
05:00 Et même du côté des gens du FLN, lui avait beaucoup d'amis du FLN,
05:06 mais c'était des intellectuels. La base... Non, on ne négocie pas,
05:10 pas de trêve civile, non, les Français on va tous les tuer,
05:14 et nous aurons machin, etc. La guerre se poursuivra jusqu'au bout.
05:18 Et c'est cette aile radicale qu'il a toujours emportée.
05:22 Les intellectuels n'ont jamais servi que pour l'Occident,
05:28 donner une image du FLN, la favelle moderne, ils n'ont jamais eu le droit,
05:34 ni pendant, ni après la guerre. - Ni après la guerre.
05:36 Et vous, vous êtes gamin au moment de la guerre d'Angérique,
05:40 est-ce que vous y participez d'une manière ou d'une autre ?
05:42 Quels sont vos souvenirs de cette période, et ensuite de l'après ?
05:46 - Moi, quand on est arrivé, on habitait un village,
05:52 et j'étais chez mes grands-parents. - Chez votre grand-mère.
05:56 - Chez ma grand-mère, c'était tout un monde très bizarre, j'en parle.
06:00 - En rue Darwin ? - En rue Darwin.
06:02 - Les gens peuvent aussi lire, il n'y a pas que le nouveau, effectivement,
06:06 en rue Darwin est un genre très joli. Vous arrivez vers l'âge de 8 ans, c'est ça ?
06:10 - Moi, même pas, je pense. - 8-10 ans à Algiers, ça ?
06:14 - Dans le quartier de Brest-Bourg. - Ma mère nous a récupérés
06:18 auprès de cette grand-mère un peu... - Fantasque ?
06:22 - Oui, très étrange, un peu comme la grand-mère dans...
06:28 - La vie de Vincent ? - Non, non, de...
06:32 - De Vipère... - Ah, de Vipère au point, oui !
06:36 - De... - De Radiguet, oui.
06:40 - De Vipère au point, et oui, c'est Radiguet, je ne dis pas des bêtises,
06:44 peut-être que je dis des bêtises, non, c'est de... - Ah, non, de Bazin.
06:48 - Hein ? - De Bazin, voilà. - Hervé Bazin.
06:52 - Je vais chercher le roman, ça, aux électeurs, lisez, lisez ce roman, il est absolument fabuleux.
06:56 Et donc ma mère organise notre kidnapping,
07:02 parce que bon, contre cette femme hyper riche qui recevait les généraux français chez elle,
07:08 qui possédait la moitié de la planète, des biens partout en France,
07:12 enfin, qui peut... Alors ma mère n'avait pas d'autre choix que de nous faire kidnapper, quoi.
07:17 Et donc c'est comme ça que kidnapper, cacher dans une camionnette, ça je me souviens,
07:21 on arrive à Alger, on rencontre avec la ville qui est en pleine guerre,
07:26 des militaires partout, des... Et au fond, quelque chose d'assez sympathique.
07:31 Moi j'ai beaucoup aimé cette période-là, gamin des rues,
07:35 parce que autant on était protégés chez grand-mère et surveillés et tout ça,
07:38 autant, moi j'ai découvert la rue... - C'était la liberté.
07:41 - Ouais, c'est formidable, la rue, et c'était...
07:45 Il n'y avait pas de frontière entre... Parce que c'était que des pauvres.
07:49 - Comme le décrit Camus, en fait. Il n'y avait pas les tensions identitaires,
07:54 finalement, ça ne vous touchait pas ? - Elles n'ont jamais existé.
07:58 Vraiment, elles n'ont jamais existé. C'était, bon... C'est comme les pauvres,
08:01 ils vivent entre eux, un jour ils sont bien, un jour ils ne sont pas bien,
08:05 ce qui peut les diviser, c'est peut-être le résultat d'un match de foot,
08:09 des choses comme ça, quoi. Ils vivent ensemble.
08:13 Et donc c'était formidable, ce qu'on appelait la rue d'Arvin,
08:17 tant que ce n'était pas Darwin, on commençait tout à la française.
08:21 - Et malgré cette ambiance-là, et le fait qu'effectivement les plus humbles,
08:25 finalement, étaient peu concernés par la guerre, si c'est ce que vous me dites,
08:28 vous en avez des souvenirs de cette guerre ?
08:31 Vous faites passer des documents, je crois, quand même, gamin, non ?
08:35 Si les souvenirs de rue Darwin sont... - Qui vivait la guerre, c'était...
08:40 Dans les campagnes, évidemment, parce que là, les gens du FLN
08:44 étaient présents, c'est parmi eux qu'ils recrutaient, évidemment.
08:48 - Dans les campagnes. - Dans les campagnes.
08:51 Et puis c'était un peu leur arrière-base, ils venaient se reposer dans les villages,
08:55 puis ils avaient des renseignements, les gens du village leur disaient, voilà, voilà.
08:59 Et l'armée française, notamment les services de renseignement,
09:04 ont très vite compris que le village c'est important.
09:07 C'est là qu'il faut s'infiltrer, il faut avoir leurs hommes,
09:12 donc ils ont aussi recruté des Algériens qui les renseignaient
09:17 sur l'état d'esprit des choses, et puis aussi ils ont recruté les Harkis.
09:21 Parce qu'ils se sont dit que peut-être que le mieux pour combattre des Algériens,
09:25 c'est des Algériens, ils connaissent... Donc eux ont vécu la guerre...
09:30 À un moment donné, elle était très violente.
09:36 Au début, rien du tout, c'était vraiment des petites...
09:40 L'armée française a traité ça de manière...
09:43 On va dire... Bon, on va reconstruire les villages,
09:47 on va créer des écoles, petits dispensaires...
09:50 Par un peu les grands frères qu'on a fait ici...
09:53 - Ils ont essayé de tempérir... - On dit on va éteindre l'incendie islamiste,
09:57 les grands frères, construire des salles de sport...
10:01 Voilà, re-socialiser ces gens-là...
10:04 Donc au départ c'était ça.
10:06 Et ça, ils avaient créé une institution qui était à l'époque vraiment...
10:10 un instrument formidable, ce qu'on appelait les SAP et les SAS.
10:15 La SAP c'était la Société d'Action Psychologique, on dirait.
10:20 Donc on aidait les paysans...
10:23 On leur donnait du blé quand il y avait de mauvaises récoltes...
10:27 Et la SAS c'était un truc de surveillance.
10:31 On construisait des forts un peu partout, des tours où les gens s'examinent...
10:36 C'était un moyen d'acheter la paix sociale et en même temps de contrôle social.
10:40 On continue à discuter de votre enfance et de votre adolescence
10:44 dans cette période de guerre d'Algérie.
10:47 On parlera aussi de l'après-guerre d'Algérie.
10:50 On parlera aussi de votre livre "Vivre", le compte à rebours aux éditions Gallimard.
10:54 Après une courte pause sur Sud Radio, en toute vérité.
10:57 En toute vérité, 11h30 sur Sud Radio, Alexandre Devecchio.
11:02 Nous sommes de retour en toute vérité sur Sud Radio avec l'écrivain algérien Boalem Sansal
11:07 qui vient nous parler de son nouveau livre "Vivre", le compte à rebours
11:11 qui vient de paraître chez Gallimard, un roman dystopique.
11:14 Mais je voulais aussi parler un peu du parcours de Boalem Sansal.
11:21 En première partie, on a parlé de son enfance dans le quartier de Bellecourt,
11:26 quartier pauvre où vivait Albert Camus.
11:30 Boalem Sansal nous disait qu'il avait bien connu Albert Camus.
11:33 Vous avez vécu à l'âge enfant.
11:38 Vous êtes arrivé à Alger enfant dans ce quartier, en pleine guerre d'Algérie.
11:42 Vous nous expliquiez avant la pause que finalement c'était un quartier pauvre
11:46 et que vous étiez un peu en dehors de cette guerre.
11:50 Que cette guerre avait aussi commencé finalement avec une France
11:54 qui avait réagi en essayant d'éteindre l'incendie.
11:57 Il y a quand même un basculement dans la violence.
12:00 Vous le ressentez à quel moment ?
12:02 - Le basculement c'est qu'à un moment donné, des raisons de type militaire,
12:09 l'armée française a lancé ce qu'on a appelé les grandes opérations
12:13 de nettoyage des maquis.
12:16 Les opérations de pierre précieuse, opérations jumelles,
12:21 de grandes opérations militaires.
12:24 Toutes les armées, les frontassins, l'aviation, le renseignement,
12:28 la police, la gendarmerie, traitaient les maquis par zone.
12:35 Le Constantinois, etc.
12:38 Et donc là c'était vraiment, oui, pour les paysans de ces villages,
12:43 ils ont fait ce qu'on peut-être reproche à Israël de ne pas avoir fait.
12:49 C'est que l'armée française à cette époque, pour pouvoir nettoyer les maquis,
12:54 déplaçait les populations.
12:56 Donc on venait dans un village, on embarque toute la population
13:00 et on la met dans un camp.
13:02 Donc il s'est créé des camps comme ça un peu partout.
13:05 Et donc ensuite le village était vide.
13:07 Les armes ont bombardé, il faut tout détruire pour empêcher le retour des...
13:12 - Du FLN.
13:14 - Du FLN, oui.
13:15 - Ce rôle au compresseur à travers toute l'Algérie,
13:19 c'était la pacification.
13:21 C'était le mot à l'époque, le programme, c'était ça.
13:24 La pacification.
13:26 Et donc du coup c'était fini. La guerre était finie.
13:29 Le FLN basé en Égypte, au Maroc et en Tunisie,
13:36 et bien stratégie, que faire, que faire,
13:39 ils ont fait ce que Hamas a fait.
13:41 C'est-à-dire qu'on va passer au terrorisme.
13:43 Et dans la capitale.
13:45 Et c'est comme ça qu'il s'est créé ce que les gens du FLN
13:49 avaient appelé la zone autonome.
13:51 Donc avec un chef prestigieux,
13:54 des gens d'Alger connaissant les rouages d'Alger.
14:01 Et ils sont passés à la...
14:03 Ils se sont installés à la Casbah parce que c'est labyrinthique,
14:09 il est impossible de les...
14:11 Et donc là ils ont commencé, c'est les attentats, les assassinats, les bombes et tout ça.
14:17 - Et vous en tant que population vous vivez ça comme une terreur ?
14:20 Ou vous croyez à la révolution à l'époque ?
14:23 - Les seules informations qu'on avait c'était les informations officielles.
14:26 La télévision, la radio, c'est les informations françaises.
14:30 Le FLN ne communiquait pas avec la population.
14:33 Tout était secret.
14:35 Et donc quand même des choses commençaient à circuler.
14:41 On apprenait.
14:43 Et là, à un moment donné ça arrêtait à un tel niveau,
14:46 les attentats qui se répercutaient tous les jours,
14:49 l'assassin d'un policier, d'un commissaire, de...
14:54 Et là l'État français donne plein pouvoir à l'armée.
15:02 Voilà, donc état d'urgence, etc.
15:06 Donc l'armée, et là c'est le débarquement des parachutistes.
15:10 Le 110e ou le 11e, je me suis appelé truc parachutiste.
15:15 - Régiment, ouais.
15:16 - Voilà, avec Jean-Marie Le Pen qui était là-dedans,
15:18 mais aussi Jacques Chirac qui était lieutenant dans ces trucs-là.
15:22 Et donc ça a été la bataille d'Alger.
15:24 Donc là c'était...
15:26 Mais comment attraper les poissons ?
15:29 Et seulement les terroristes ?
15:31 Et bien c'est la question qui se pose.
15:33 - Aux Algers ?
15:34 - À Israël.
15:35 - C'est... Enfin, vous faites le quoi ?
15:38 - C'est le grand filet. On jette le filet, on ramasse, on ramasse, on ramasse, et on trie.
15:43 Et on trie comment ? Par la torture.
15:46 Donc l'armée passait et ramassait les gens,
15:51 tous les gens à partir de 13-14 ans,
15:54 et quel que soit l'âge, hommes, femmes,
15:56 on ramasse, on met dans les camions,
15:58 on amène dans les différentes casernes,
16:00 et puis interrogatoire.
16:02 Et là où on soupçonne qu'il y a moyen de quelque chose,
16:05 notamment ceux qui ont entre 18 et 40 ans,
16:08 on peut soupçonner que...
16:10 Et là on les traite de manière...
16:12 - Assez brutale.
16:13 - Assez brutale et...
16:14 - Voire très brutale.
16:15 - Mais ça a duré un an.
16:16 Un an après, c'était fini.
16:18 La bataille d'Alger n'a duré que 9 mois.
16:21 9 mois après, c'était fini.
16:22 Plus d'attentats, plus de trucs, plus rien.
16:25 Et là, en ce moment, le terrain, les maquis, c'était fini.
16:29 À Alger, c'est fini.
16:31 Passage à la politique.
16:33 C'est là que de Gaulle dit maintenant,
16:35 on peut négocier en position de force.
16:38 - Ce qui n'a pas forcément été le cas d'ailleurs.
16:42 Vous avez fait la comparaison avec ce qui se passait en Israël.
16:46 Vous avez également parlé au sujet du FLN, je crois,
16:50 en première partie des missions d'islamisme.
16:52 Est-ce qu'il y a un parallèle entre les événements actuels
16:56 et ceux de la guerre d'Algérie ?
16:58 Est-ce que la guerre d'Algérie était seulement une guerre d'indépendance
17:01 ou est-ce qu'il y avait déjà une dimension religieuse dans cette affaire ?
17:04 - C'est une question très fondamentale.
17:06 Si on veut comprendre l'Algérie d'aujourd'hui,
17:09 il faut remonter à...
17:11 - À la guerre d'indépendance.
17:13 - Voilà. Donc, avant le...
17:15 On va dire depuis toujours,
17:18 il y a eu des partis du type algérien,
17:20 le Parti communiste, par exemple,
17:22 qui était la filiale du PCF.
17:25 Le PCF a recruté en Algérie,
17:28 il a créé le PCA, le Parti communiste algérien.
17:31 Mais il y avait aussi des partis démocratiques,
17:33 qui étaient à l'Assemblée nationale,
17:35 l'Assemblée algérienne,
17:37 et qui militaient pour,
17:39 au début pas pour l'indépendance,
17:41 mais les droits, comme l'Assemblée corse.
17:44 Donc il y avait toutes les tendances.
17:47 Il y avait ceux qui disaient "non, non, on va rester français,
17:50 ce que nous voulons c'est des droits, des trucs, etc."
17:54 Et puis, il y avait ceux qui étaient...
17:58 qui s'étaient branchés sur le nationalisme arabe,
18:02 soit le CAIR, Nasser et compagnie,
18:04 soit sur Moscou, l'international, machin, etc.
18:10 Et donc, la classe politique algérienne s'est émiettée.
18:16 Les premiers à avoir pris les armes, c'était les communistes.
18:20 Après le 8 mai 1945, la fin de la guerre mondiale,
18:26 la libération, la fête et tout ça,
18:28 et ce jour-là, il y a eu manifestation d'algériens
18:31 qui disaient "la France, on a contribué à la libération de la France,
18:35 elle doit nous donner des droits."
18:37 Répression, trucs,
18:39 les algériens parlent de 45 000 morts,
18:42 les français parlent d'à peu près 2000 morts,
18:45 enfin bref, on n'est pas...
18:47 Et donc là, une partie des jeunes,
18:52 donc ils avaient entre 20 et 30 ans,
18:55 ils se sont dit "c'est fini, on ne peut plus suivre les partis
18:59 qui sont sur une démarche politique,
19:01 là, à l'Assemblée, etc."
19:03 Mais comment se déterminer pour...
19:10 Et donc ces jeunes-là, ils se sont dit "on doit accueillir tout le monde."
19:15 Donc ils ont créé un front, pas un parti.
19:17 Ils sont les premiers à avoir créé un front.
19:20 Ils ont fait appel à tous les partis.
19:22 - Et dedans, il y avait des partis islamistes ?
19:24 - Oui, il y avait, voilà.
19:26 Alors très étrangement, les islamistes à l'époque étaient
19:29 pour l'intégration à la France.
19:31 Au départ.
19:33 - Au départ.
19:34 - Parce que pour eux, leur idée,
19:36 l'indépendance politique, ça ne veut rien dire,
19:39 nous, nous voulons l'indépendance de l'islam.
19:41 Que la France cesse d'encadrer,
19:44 qu'elle nous laisse pratiquer notre religion.
19:46 - Vous faisiez le parallèle avec la situation entre Israël et le Hamas ?
19:50 Aujourd'hui, le Hamas, c'est pas forcément pour un État palestinien.
19:53 Ils sont dans une logique aussi peut-être de Houma,
19:56 de... une logique d'islamisme, tout simplement.
20:00 - Le Hamas, tant qu'il était...
20:02 Les Palestiniens, qu'est-ce qu'ils ont fait ?
20:05 Il y avait 150 partis.
20:07 Les antreligieux, communistes, pro-syriens, pro-iraquiens,
20:11 pro... c'était les grands partis, partis nasériens,
20:15 les bahcistes irakiens, les bahcistes syriens, etc.
20:21 Et bon, arrive, arrive, Yasser Arafat,
20:25 qui jouissait d'une aura particulière
20:29 parce qu'il était le cousin, ou le neveu,
20:32 du grand mufti de Jérusalem,
20:36 qui avait fait alliance avec Hitler.
20:40 Et il est arrivé à agglomérer tout le monde.
20:45 Les communistes, les hyper-soucis, les hyper-soulas,
20:48 les modernistes, les religieux de différentes tendances,
20:51 parce qu'ils sont... parmi eux, il y a des chiites,
20:54 il y a des sunnites, il y a de tout.
20:57 Il est arrivé.
20:59 Mais très vite, ils se sont divisés, ils se sont reprochés.
21:03 "Bon, on a fait l'unité, mais pour faire quoi ?
21:06 Tu n'arrives pas à faire avancer le dossier à l'ONU, à droite, à gauche,
21:10 et même les arabes ne soutiennent pas vraiment."
21:13 Donc au bout d'un certain temps, ils ont fait...
21:16 Georges Abbas, le FPLP, lui disait "Ah, c'est la guerre,
21:20 c'est l'attentat de Munich, c'est les prises d'otages,
21:23 détournement d'avions, la totale, Carlos..."
21:27 - Et aujourd'hui, nous y sommes encore.
21:30 - Et puis les religieux eux-mêmes ne s'entendaient pas trop.
21:34 Donc ceux qui prêchaient, ils disaient "Non, non, non,
21:37 on va faire de la prédication, rameler les Palestiniens à l'islam, etc."
21:42 Et puis ceux qui disaient "Non, non, on va se battre pour l'islam."
21:46 Mais si tu te bats pour l'islam, c'est pas contre un État,
21:49 c'est forcément contre une idéologie religieuse.
21:52 Donc c'était contre les chrétiens, et puis surtout Israël.
21:57 - Contre les juifs.
21:59 - Et bien c'est la même chose.
22:01 Ils ont pris la façade complètement, c'est sérieux, ils fonctionnent ensemble.
22:06 Ils ont désigné un gouvernement, le GPRA,
22:08 le gouvernement provisoire de la République algérienne,
22:11 une armée, la ALN, dirigée par Boumediene,
22:14 basée au Maroc et en Tunisie.
22:17 Mais à l'intérieur, ça tiraillait dans tous les sens.
22:21 Et ils ont maintenu, ils ont gardé l'unité, par la guerre.
22:27 C'est la guerre qui les a obligés à maintenir l'unité.
22:31 Parce que la France ne faisait pas le détail,
22:33 musulman, pas musulman, quel que soit votre objet,
22:36 vous devez rentrer dans le rang d'algérie française, point.
22:40 Et l'idée c'était de dire, les chefs du FLN,
22:44 l'idée c'était de dire, sous la pression de Nasser et des Arabes,
22:48 "Restez unis, à l'indépendance, vous déciderez quelle voie suivre."
22:55 On parlera un peu de l'après-indépendance,
22:58 après une courte pause sur Sud Radio, en toute vérité.
23:00 On n'oublie pas, effectivement, votre livre,
23:02 qui pour le coup est un livre d'anticipation,
23:04 mais qui parle aussi du présent et du passé.
23:06 "Vivre le compte à rebours", c'était aux éditions Gallimard.
23:10 A tout de suite sur Sud Radio, en toute vérité, avec Boalem Sansal.
23:13 En toute vérité, 11h30 sur Sud Radio, Alexandre Devecchio.
23:17 Nous sommes de retour sur Sud Radio avec Boalem Sansal,
23:20 le grand écrivain algérien, lauréat du prix Constantinople
23:23 et du grand prix du roman de l'Académie française,
23:25 auteur de nombreux livres, essais, romans,
23:28 et qui sort un nouveau roman d'anticipation,
23:31 dans la lignée de Georges Orwell,
23:33 "Vivre le compte à rebours", c'est aux éditions Gallimard.
23:36 On parlait avec Boalem Sansal,
23:38 cela dit, avant de parler du futur et de son roman,
23:41 on parlait du passé, de cette guerre d'Algérie.
23:44 Vous nous avez expliqué que finalement,
23:46 il y a eu un front uni pendant la guerre,
23:50 mais qui mélangeait beaucoup, beaucoup de monde,
23:52 avec des gens qui voulaient simplement
23:54 l'indépendance des droits politiques,
23:56 et d'autres qui avaient un projet islamiste.
23:59 Ensuite, ce sont les islamistes qui vont l'emporter.
24:02 Vous l'avez raconté dans "Gouverné au nom d'Allah".
24:04 Vous ne l'avez pas vu venir là, à l'époque que vous n'êtes plus un gamin,
24:08 vous êtes déjà un jeune homme, je suppose, Boalem Sansal,
24:13 et vous voyez petit à petit le paysage changer.
24:17 Comment ça se passe ?
24:18 - J'en parle dans un petit essai que j'ai publié...
24:21 - "Gouverné au nom d'Allah", c'est bien ça ?
24:24 - Non, c'était...
24:26 Oui, dans "Gouverné au nom d'Allah",
24:28 mais aussi dans un autre petit essai,
24:30 "Lettre d'espoir et de compassion à mes compatriotes",
24:33 ou quelque chose comme ça,
24:35 où je disais que nous, Algériens, on doit regarder l'histoire
24:38 comme elle s'est passée,
24:40 pas des légendes comme ça.
24:42 Alors oui, effectivement, l'indépendance arrive,
24:45 mais qui a pris le pouvoir à l'indépendance ?
24:47 C'est l'armée.
24:48 L'armée, elle était du type...
24:50 Elle était dans la lignée du panarabisme.
24:53 Parce qu'à l'époque, chez les Arabes,
24:55 il y avait deux grands courants,
24:57 le panarabisme, donc ils ont construit une nation arabe,
25:01 qui a donné naissance à la Ligue arabe, etc.
25:05 Et puis il y avait le panislamisme.
25:07 On se regroupe, on fait une unité,
25:10 pas autour de la race,
25:12 parce que bon, il y a des berbères, il y a des trucs,
25:15 il y a de tout dans le monde arabe.
25:18 Il aurait pu y avoir, par exemple, des pieds noirs.
25:21 On fait l'unité autour de la religion.
25:24 Et donc ça dépasse le monde arabe.
25:26 Donc il y a l'Indonésie,
25:28 il y a 52 pays dans l'alliance islamique mondiale,
25:32 alors que dans les pays...
25:34 Pour le panarabisme, c'est 20 pays.
25:37 Et en mettant là-dedans des pays qui ne sont pas vraiment arabes,
25:40 comme le Soudan, etc.
25:42 - Mais c'est finalement petit à petit,
25:44 c'est le panislamisme qui l'emporte au nationalisme.
25:46 - Un véritable dictateur, Poutine,
25:49 donc il maintient des trucs, il est resté sur le panarabisme,
25:52 mais un panarabisme ouvert, moderne.
25:56 Il faut investir, industrialiser le pays,
25:59 profiter du pétrole, etc.
26:02 et faire un pays moderne,
26:04 parce que la nation arabe doit être puissante.
26:08 Donc il faut qu'elle ait sa propre industrie,
26:10 sa propre...
26:12 Donc ça a fonctionné sur cela,
26:14 mais il n'est pas éternel, il est mort.
26:16 Et là, la faction islamiste
26:20 qui vivait un peu dans les strapentins du FLL,
26:26 se dit que l'occasion est là.
26:28 Il faut, avec le nouveau président,
26:30 alors le nouveau président, Fallot, Palot,
26:33 Gapastrez, n'avaient pas vraiment des idées,
26:39 c'était un bon vivant.
26:42 Il était même plutôt moderniste.
26:45 Et là, ils ont profité, ils l'ont phagocyté très vite.
26:48 Et là, islamisation, première étape,
26:51 islamisation du pays.
26:53 - Avec le voile qui est une des premières étapes,
26:55 l'arabisation aussi à l'école, la langue arabe à l'école.
26:59 - D'abord, ça a été ça.
27:01 L'arabisation, l'enseignement de l'islam à l'école,
27:05 une heure par semaine, ensuite deux heures par semaine,
27:07 trois heures, six heures par semaine,
27:09 ça ne faisait que monter de...
27:11 plus construction de mosquées, d'instituts islamiques partout.
27:14 Et donc, avec, en ce moment, on a changé de stratégie,
27:17 on est sortis de la coopération avec l'Egypte et tout ça,
27:21 on a été vers la coopération avec l'Arabie,
27:23 les pays fournisseurs d'islam.
27:26 Et donc, à un moment donné,
27:30 les islamistes, le pouvoir leur a cédé la population.
27:35 On va dire, on garde l'armée, le pouvoir central,
27:38 et puis bon, la population, si elle veut vous suivre,
27:40 elle vous suit.
27:42 Et donc, c'était ça, et ils ont réussi très rapidement.
27:45 Après, ils se sont dit, il faut maintenant aider
27:49 nos frères qui sont en Occident, qui sont perdus.
27:53 Il faut aller les récupérer.
27:55 Donc, comment ?
27:57 - Les frères musulmans, etc.
27:59 Après ça, il y a une période de guerre civile,
28:02 la Dessinée Noire qui est un peu l'autre guerre d'Algérie.
28:06 Est-ce que vous avez beaucoup décrit ce qui se passe en Occident ?
28:10 Est-ce que c'est comparable à cette période des années 90 en Algérie ?
28:15 - Mais ce qui se passe aujourd'hui, c'est très exactement
28:18 ce qui s'est passé en Algérie dans les années 80.
28:21 On a vu, les islamistes, on ne les voyait pas,
28:25 on ne savait pas qui c'était.
28:27 Ils commencent à s'afficher déjà de manière vestimentaire.
28:31 Ensuite, ils commencent par régenter des quartiers
28:34 où ils sont majoritaires.
28:36 Donc, fermeture des bars, des trucs, des machins,
28:39 toutes les filles doivent porter le voile,
28:42 et puis il faut s'éloigner de l'administration,
28:45 de l'administration islamique, la sharia, pas la justice, etc.
28:49 Et puis, ils ont occupé les rues.
28:56 La rue est une arme fantastique,
28:59 qui occupe la rue à le pouvoir.
29:02 Et voilà, c'était les manifestations quotidiennes,
29:07 c'était absolument vival.
29:10 Et ils ont aussi ce qu'ils appellent
29:14 l'islamisation de l'environnement.
29:17 Parce qu'ils disent, plutôt que de convertir les gens,
29:20 le succès n'est pas garanti, parce qu'ils peuvent nous mentir,
29:24 ils peuvent venir à la mosquée,
29:26 mais ils peuvent rester le voyou qu'il est.
29:29 Par contre, en islamisant l'environnement,
29:31 il va vivre dans un environnement,
29:33 et il va s'auto-islamiser lui-même.
29:35 L'islamisation faite par des institutions et des imams
29:38 donne des résultats,
29:40 mais l'islamisation par soi-même,
29:43 par, on se bat la coupe,
29:45 les wokistes en France,
29:47 beaucoup de socialistes, ils sont dans la même démarche.
29:50 On les a colonisés, on les a tués, et nous on disait cela.
29:53 On a brutalisé ces musulmans,
29:55 on les a empêchés de vivre leur religion,
29:58 et puis après tout, on comprend.
30:01 C'est pareil, c'est très très similaire.
30:04 Et à un moment donné, ils étaient tellement forts,
30:06 et pressés par...
30:08 Il y avait un programme quand même mondial,
30:10 c'était dire rapidement,
30:12 on reprend la conquête,
30:16 parce que ça y est, maintenant il faut arrêter la conquête interne.
30:19 Elle est faite.
30:21 Maintenant tout le monde s'est rangé derrière
30:24 l'emblème islamique,
30:27 et donc il faut porter ça à l'international.
30:30 Et les militaires ont eu peur,
30:34 et donc ils ont dit,
30:36 nous allons faire ce que...
30:38 Finalement les français avaient raison,
30:40 on va lancer les grandes opérations,
30:42 pierres précieuses, jumelles, et tout ça,
30:44 on va les ratiboiser, ils sont dans les maquis,
30:46 on va les écraser, et en ville,
30:48 on va faire ce que l'armée française a fait.
30:50 On lui a confié les pouvoirs de police,
30:52 et la justice,
30:54 et donc on ramasse, on ramasse, on ramasse,
30:57 on torture, on les a mis dans des camps,
31:00 ils ont fui,
31:02 beaucoup ont réussi à fuir,
31:04 ils ont été beaucoup aidés aussi, en Allemagne,
31:06 en France,
31:08 aux Etats-Unis,
31:10 c'est exactement, en France on vit très exactement...
31:13 - Le même scénario.
31:15 Vous êtes, cela dit, vous avez choisi de vivre en Algérie,
31:18 même si vous combattez à la fois l'islamisme,
31:20 et à la fois le régime militaire,
31:22 vous êtes un peu comme Camus,
31:24 à l'époque, dans "Aucun camp",
31:26 ou Alain M. Sassal, pourquoi avoir fait le choix
31:28 de rester en Algérie, et comment ça se passe ?
31:30 Vous écrivez uniquement en français,
31:32 vos livres sont diffusés là-bas ?
31:34 - Certains, oui,
31:36 pas pour le grand public,
31:38 on le trouve dans certains livrairies,
31:41 mais ils ne sont pas affichés en vitrine,
31:44 parce que mon nom peut être perçu
31:46 comme quelque chose de dangereux pour les libraires.
31:50 C'est ce que m'avait dit un jour un libraire allemand,
31:53 il m'a dit "je vends beaucoup de vos bouquins,
31:55 mais je ne vous mets jamais à la vitrine".
31:57 J'ai dit "pourquoi ?" "Mais je n'ai pas envie
31:59 qu'on me casse la vitrine".
32:01 Et donc, non, alors oui, effectivement,
32:04 je pense qu'il faut se battre, c'est très bien,
32:08 mais se battre où ?
32:10 Là où ça doit être efficace.
32:12 La France est un grand pays,
32:14 on peut se défendre.
32:16 Mais il y avait une autre raison,
32:18 plus personnelle,
32:20 moi je n'ai pas envie d'être un immigré.
32:22 Si je vais en France, je vais venir
32:24 avec un passeport français, je veux être français,
32:26 débarquer en tant que français.
32:28 Je n'ai pas envie de servir sur deux chaises,
32:30 moi j'ai toujours fait le reprend,
32:32 beaucoup de mes amis, même des parents,
32:34 "tu es en France depuis quand ?
32:36 ça fait 30 ans, et tu es toujours algérien ?
32:39 Alors c'est pas normal ça,
32:41 tes enfants ils sont français, ils vont à l'école.
32:43 C'est pas normal, c'est ton pays.
32:47 C'est ton pays,
32:49 défend ton pays, tu t'intègres,
32:53 sinon vous êtes là, c'est très bizarre,
32:55 moitié chien, moitié chat,
32:57 c'est pas normal.
32:59 Donc moi j'ai refusé ça, j'ai toujours donné cette explication.
33:01 – Vous avez fait le choix de rester algérien,
33:04 pour le pire je dirais, et pour le meilleur,
33:06 en essayant de changer.
33:08 – Si une estafette vient m'amener mon passeport en français,
33:12 je ne rentre pas demain à Alger.
33:14 – Pourquoi pas ?
33:16 Si vous voulez on lance une pétition,
33:19 tout de suite sur Sud Radio,
33:21 pour que Boalem Sansal ait la nationalité française,
33:24 vu comme il sert la francophonie.
33:26 – Sans passer par un casque immigré,
33:28 il le mérite.
33:30 – Vous pourriez le mériter,
33:32 parce que vous défendez la littérature française,
33:34 et les valeurs françaises.
33:36 Merci Boalem Sansal,
33:38 on continue à discuter,
33:40 on parle enfin de votre livre,
33:42 parce qu'on a exploré beaucoup le passé,
33:44 il est temps de parler du présent et du futur,
33:46 de vivre le compte-arbour chez Gallimard.
33:49 C'est après une courte pause,
33:51 c'est toujours sur Sud Radio,
33:53 et c'est En Toute Vérité.
33:55 – En Toute Vérité, 11h30 sur Sud Radio,
33:57 Alexandre Devecchio.
33:59 – Nous sommes de retour en Toute Vérité,
34:01 avec l'écrivain algérien Boalem Sansal,
34:03 auteur de "Vivre le compte-arbour chez Gallimard".
34:05 Nous allons enfin en parler,
34:07 parce qu'on a beaucoup parlé de Boalem Sansal,
34:09 de son parcours, de sa lutte contre l'islamisme,
34:11 mais il faut aussi parler de ce roman dystopique,
34:13 passionnant,
34:15 un peu dans la lignée, encore une fois,
34:17 de "Georges Orwell", vous aviez déjà fait
34:19 "2084",
34:21 dans lequel vous imaginez un monde
34:23 où finalement il y avait une forme de totalitarisme
34:25 islamiste.
34:27 Là c'est un peu différent,
34:29 c'est une partie de l'humanité
34:31 qui apprend que l'humanité
34:33 va disparaître,
34:35 une soucoupe volante qui vient chercher quelques élus,
34:37 vous décrivez la situation,
34:39 il y a un côté fable,
34:41 est-ce que si vous
34:43 choisissez finalement
34:45 le roman d'anticipation de plus en plus,
34:47 c'est finalement pour pouvoir parler du présent,
34:49 des totalitarismes
34:51 qu'on a décrits en première partie
34:53 d'une d'émissions, de manière plus libre ?
34:55 – Je veux dire, raconter la réalité,
34:57 c'est pas si intéressant que ça,
34:59 les gens vivent la réalité,
35:01 ils n'ont pas besoin qu'on vienne leur dire
35:03 que la vie est difficile,
35:05 qu'ils le savent, ils le vivent durement.
35:07 Donc il faut plutôt
35:09 ouvrir des pistes,
35:11 et la première piste c'est de dire
35:13 n'attendez plus rien de la terre,
35:15 dans 20 ans
35:17 elle ne pourra plus nous nourrir, déjà,
35:19 on l'a épuisée, on la martyrise,
35:21 elle est en train de mourir sous nos pieds.
35:23 N'attendez plus rien
35:25 des États,
35:27 ils sont arrivés au bout
35:29 de ce que l'administration,
35:31 la gestion, la politique peuvent donner.
35:33 Les problèmes sont trop importants
35:35 pour les petits présidents
35:37 et les petits ministres qu'on se donne,
35:39 ils n'ont pas leurs ordures,
35:41 et puis le temps des hommes d'État c'est fini,
35:43 il n'y en aura pas,
35:45 et des grands dictateurs éclairés c'est fini.
35:47 D'où viendrait le salut ?
35:49 Moi je pense qu'il ne peut
35:51 venir que de la science,
35:53 que de la science.
35:55 – Vous êtes ingénieur, on le rappelle,
35:57 formationnel général.
35:59 – Mais on a de bonnes raisons aujourd'hui de le penser,
36:01 parce que maintenant on a
36:03 une bien meilleure connaissance,
36:05 formidable,
36:07 qui s'accélère de manière très
36:09 très rapide ces 20 dernières années,
36:11 notamment depuis le lancement
36:13 de ce télescope de James Webb,
36:15 qui avec
36:17 Hubble qui l'avait précédé,
36:21 qui amène
36:23 une masse d'informations extraordinaires,
36:25 qui est en train déjà de faire de nous
36:27 des extraterrestres.
36:29 On a vu maintenant dans l'espace, on le comprend,
36:31 on a découvert par exemple,
36:33 on s'était posé la question,
36:35 est-ce qu'il y a des endroits dans l'espace où on peut vivre ?
36:37 On a trouvé une planète,
36:39 exoplanète, on les appelle les exoplanètes,
36:41 où les conditions
36:43 semblent
36:45 très similaires à celles de la Terre.
36:47 Il y a de l'eau, il y a de l'oxygène,
36:49 donc on se dit mais s'il y a tout ça,
36:51 donc il doit y avoir la vie.
36:53 Et depuis maintenant 20 ans,
36:55 la première découverte d'une exoplanète,
36:57 on est maintenant 10 ou 15 000,
36:59 et on en découvre 1000 à chaque moment.
37:01 Donc l'univers
37:03 est plein d'exoplanètes
37:05 parfaitement vivables,
37:07 où on peut débarquer sans avoir besoin
37:09 de scaphandre, de trucs.
37:11 Il y a de l'eau,
37:13 il y a de l'air,
37:15 et fertile,
37:17 de la Terre qui ressemble à la nôtre.
37:19 Et puis en plus,
37:21 on a maintenant développé
37:23 des instruments de la connaissance,
37:25 notamment
37:27 les ordinateurs,
37:29 l'ordinateur quantique
37:31 qui arrive,
37:33 et l'intelligence artificielle.
37:35 Donc on est maintenant prêt à sauter
37:37 dans les étoiles. On est prêt.
37:39 Et donc
37:41 on commence déjà à installer des bases
37:43 à partir desquelles
37:45 on est ensuite
37:47 capable de bondir.
37:49 Je pense que les 30, 40,
37:51 50 prochaines années,
37:53 il va y avoir des révolutions.
37:55 La Terre ne peut plus rien pour nous,
37:57 et nous ne pouvons plus rien.
37:59 - C'est quelque chose
38:01 de très pessimiste.
38:03 - Non, c'est merveilleux.
38:05 Parce que la Terre, c'est petit.
38:07 L'univers est vaste.
38:09 Donc on pourra aller d'une planète à l'autre.
38:11 - Alors à condition,
38:13 vous comptez sur la science,
38:15 mais je dirais à condition que
38:17 l'homme croit aussi
38:19 toujours à la science.
38:21 Et dans votre livre, vous êtes assez critique
38:23 face à un certain nombre d'idéologies
38:25 qui semblent abandonner la raison,
38:27 être totalement déraisonnables.
38:29 Il y a le loquisme,
38:31 il y a aussi une forme d'écologisme punitif.
38:33 Vous êtes tout à fait contre.
38:37 - Oui, oui, parce que quand il y a
38:39 des régressions, qu'on a peur,
38:41 et tout ça,
38:43 on a tendance à aller vers le magique.
38:45 - Oui.
38:47 - On attend des choses
38:49 d'illuminés qui se posent
38:51 comme prophètes,
38:53 des gens qui viennent avec des idéologies
38:55 censées tout régler.
38:57 C'est normal ce passage par le...
38:59 La magie est assez normale.
39:01 Mais maintenant,
39:03 on se réveille.
39:05 La science, maintenant,
39:07 elle a fait des progrès extraordinaires
39:09 qui se diffusent maintenant
39:11 dans les milieux scientifiques,
39:13 qui commencent aussi à se diffuser
39:15 dans la société.
39:17 On croit de plus en plus
39:19 à la possibilité que le salut
39:21 vienne de l'espace.
39:23 S'il ne vient pas, nous on peut y aller.
39:25 Peut-être dans un siècle,
39:27 on pourra débarquer sur la première exoplanète.
39:29 Et du coup,
39:31 ça pose la question,
39:33 on est 8 milliards,
39:35 mais on va être 15, peut-être, je ne sais pas.
39:37 - Qui est-ce qu'on va choisir ?
39:39 - Déjà, regardez.
39:41 Maintenant, avec
39:43 notre champion
39:45 Elon Musk
39:47 qui organise des voyages
39:49 sur l'espace,
39:51 mais ne peuvent y accéder
39:53 que les milliardaires,
39:55 parce que le voyage coûte 500 millions d'euros.
39:57 Qui peut payer 500 millions d'euros
39:59 pour aller faire un voyage
40:01 à 30 km seulement au-dessus
40:03 de l'atmosphère ?
40:05 Et pour une journée ?
40:07 Donc forcément,
40:09 à un moment ou à un autre,
40:11 il y aura sélection.
40:13 Et ce sera
40:15 peut-être les plus riches.
40:17 Mais je pense que sur le plan
40:19 de manière savante,
40:21 on ne choisira pas.
40:23 On ne va pas choisir sur cette base-là.
40:25 Mais sur ceux
40:27 qui ont un niveau,
40:29 un quotient intellectuel
40:31 suffisant pour s'adapter.
40:33 Ça va être sur le plan
40:35 psychologique, culturel,
40:37 changement énorme.
40:39 Et puis des gens qui sont plastiques.
40:41 Ce sera forcément peut-être des jeunes.
40:43 Qu'est-ce qu'on va faire ? Des vieux ?
40:45 Sauf si d'ici là on trouve
40:47 la panacée, la médecine universelle.
40:49 On peut les soigner.
40:51 Donc on ne prendra peut-être pas
40:53 des gamins.
40:55 Là aussi, on va sacrifier beaucoup.
40:57 Parce que pendant 20 ans,
40:59 il ne peut rien faire. On ne peut rien faire de lui.
41:01 On va le nourrir pour rien.
41:03 Donc on va prendre
41:05 ce qui est utile.
41:07 Entre peut-être 15 ans et 40 ans.
41:09 Mais ce terme a déjà été
41:11 exploré par les spécialistes
41:13 de la science-fiction en maintes et maintes fois.
41:15 - Mais vous y apportez
41:17 justement un regard aussi
41:19 sur la société actuelle.
41:21 Puisque pour que
41:23 cette issue puisse se produire,
41:25 il faut aussi que les êtres humains
41:27 se mettent d'accord.
41:29 Que justement la raison triomphe.
41:31 Ce n'est pas ce qui est en train de se passer.
41:33 On a l'impression que vous poursuivez aussi
41:35 votre réflexion sur le totalitarisme.
41:37 Dans 2084, c'était le totalitarisme
41:39 islamiste. Là,
41:41 est-ce que vous diriez que justement
41:43 les nouvelles idéologies,
41:45 j'ai parlé du woukisme, d'un écologisme
41:47 radical, sont aussi des idéologies
41:49 totalitaires pour vous ?
41:51 - Absolument. On voit bien que
41:53 le woukisme, qui était une affaire
41:55 de quelques individus,
41:57 un peu spéciaux,
41:59 comme il y en a toujours.
42:01 Un peu particuliers.
42:03 Mais leur discours est si bien
42:05 construit. Et puis,
42:07 dans nos peurs,
42:09 dans notre fond
42:11 un peu magique,
42:13 ça devient une institution.
42:15 - Est-ce que c'est une forme de religion ?
42:17 - Oui, absolument.
42:19 La religion
42:21 de la paix,
42:23 c'est la pire des religions.
42:25 Parce qu'on peut,
42:27 comme on fait par exemple
42:29 en Inde, on va stériliser
42:31 les hommes et les femmes.
42:33 C'est prendre ce genre de décision.
42:35 C'est de dire, à la naissance,
42:37 un bébé sur deux,
42:39 on ne va pas laisser vivre.
42:41 Avant l'accouchement,
42:43 on va provoquer l'avortement.
42:45 L'avortement, maintenant, est une pratique
42:47 courante.
42:49 Donc oui, il y aura un passage
42:51 totalitaire, y compris
42:53 pour les scientifiques. Parce qu'on ne peut pas
42:55 évacuer tout le monde.
42:57 Donc on va choisir
42:59 utile. Et l'houakisme
43:01 est déjà une religion qui gagne,
43:03 qui s'installe maintenant.
43:05 On fait le nettoyeur, on interdit Tintin au Congo.
43:07 Où est-ce qu'on va ?
43:09 Maintenant, les universités
43:11 américaines sont pour la plupart houakistes.
43:13 Donc on va très attention.
43:15 Dans mon roman,
43:17 Paolo fait partie d'une université qui est houakiste.
43:19 - Paolo qui est le personnage principal, oui.
43:21 - Donc il est dans une université qui est houakiste.
43:23 Alors il faut qu'il joue le jeu.
43:25 - Il joue au houakiste que houakiste.
43:27 Et ainsi de suite.
43:29 Donc oui.
43:31 C'est-à-dire que le système totalitaire sont des modes
43:33 de gestion rapides.
43:35 - Quand on a des graves
43:37 problèmes, comme en ce moment,
43:39 ce sera le mot
43:41 de la fin, malheureusement.
43:43 Bonne absence, Sam.
43:45 Et puis on était ravis
43:47 de vous recevoir.
43:49 Comme d'habitude, on conseille votre
43:51 nouveau livre,
43:53 "Le Compte à Arbour".
43:55 "Le Compte à Arbour" a donc commencé
43:57 pour l'humanité. Je vous laisse tout de même
43:59 avec les informations.
44:01 Et "Le Compte à Arbour" va peut-être nous laisser
44:03 quand même des émissions supplémentaires
44:05 jusqu'à la fin de l'année. Donc à priori,
44:07 je vous dis à la semaine prochaine sur Sud Radio
44:09 pour un nouveau numéro dans "Toute Vérité".