Pour Thierry Breton, commissaire européen au Marché intérieur, le RN "ne parle jamais au Parlement européen" de la colère des agriculteurs, qui dénoncent la hausse des coûts et la multiplication des normes, et "se réveille" sur ce sujet avant les Européennes.
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00:00 Le Grand Entretien ce dimanche matin avec Marion Lourds.
00:03 Nous recevons le commissaire européen chargé du marché intérieur, de l'industrie, du numérique,
00:08 de la défense, de l'espace, du tourisme et de l'audiovisuel.
00:12 Posez vos questions, chers auditeurs, intervenez au 01 45 24 7000 ou sur l'application France Inter.
00:19 Bonjour Thierry Breton.
00:20 Bonjour.
00:21 Bonjour.
00:21 Et bienvenue.
00:22 Question Grand Angle pour commencer.
00:24 On voit la montée des populismes et de l'extrême droite dans de nombreux pays d'Europe.
00:28 On voit la colère des paysans.
00:30 On va reprendre chacun de ces dossiers et puis voir également vos projets pour l'Europe.
00:35 Mais si vous deviez, en quelques mots, décrire l'état de l'Union aujourd'hui, quels seraient ces mots ?
00:43 Prise de conscience que dans le monde tel qu'il est, aujourd'hui, aucun pays seul ne peut ni ne pourra relever les défis qui s'offrent à lui.
00:56 Donc ça c'est le constat que vous faites.
00:58 Malgré tout, on recevait ici le patron de l'IFRI, l'Institut français des relations internationales, Thomas Gomart,
01:04 qui dit que partout, sur tous les fronts, l'Europe ressemble de plus en plus à une puissance qui perd de sa puissance.
01:13 Comme si l'Europe était aujourd'hui diminuée.
01:16 Est-ce que vous aussi vous faites ce constat là ?
01:18 Pas du tout.
01:19 Pas du tout ?
01:20 Pas du tout.
01:21 Je retiens dans ce que vous venez de dire le terme puissance.
01:25 Puissance, ça a deux jambes.
01:29 D'abord, ça doit se construire pas à pas.
01:31 C'est ce que l'on a fait en surmontant toutes les crises que nous avons connues depuis quelques années.
01:36 Du Covid à l'agression russe en Ukraine, au prix de l'énergie, à l'inflation, à la nécessité de se mettre ensemble pour répondre aux besoins des petites entreprises et des plus grandes à la suite de la crise du Covid.
01:53 Mais aussi, c'est la deuxième jambe, c'est aussi faire prendre conscience de ce que nous sommes, nous tous ensemble, les 450 millions de concitoyens européens.
02:03 Et qu'au fond, nous représentons une puissance.
02:05 C'est peut-être ce qui manque aujourd'hui.
02:07 Il me semble que lorsque je suis en déplacement et j'y suis toutes les semaines, le constat que je viens de faire, il est partagé.
02:16 Mais on n'a pas encore assez réalisé quelle était la réalité de notre puissance, or elle est là.
02:21 C'est l'une des tâches qui est la mienne et qui doit être la nôtre pour que l'on puisse clairement peser pour nous protéger dans le monde tel qu'il est.
02:32 Parlons de cette question agricole, de cette colère agricole qu'on a vue hier en Allemagne, qu'on voit aujourd'hui en France.
02:39 Évidemment, l'agriculture, ça relève de l'Union Européenne avec sa politique agricole commune.
02:43 Hier, Jordan Bardella, président du RN, était avec des viticulteurs dans le Médoc.
02:47 Il a dénoncé l'Europe de Macron qui veut la mort de notre agriculture.
02:52 Ce qui met en cause, notamment, c'est les accords de libre-échange européens qui mettent, selon lui, en concurrence nos agriculteurs avec ceux du bout du monde.
02:59 Vous comprenez ce grief ? Est-ce que l'Europe n'est pas l'idiot utile de la mondialisation en la matière ?
03:04 D'abord, je tiens à le préciser pour nos auditeurs, dans le large portefeuille que vous avez évoqué au préalable de notre discussion, il n'y a pas d'agriculture.
03:15 C'est l'économie et du marché.
03:17 Mais je suis commissaire européen et croyez-moi, ces sujets me touchent, évidemment, comme beaucoup d'entre nous.
03:24 On va peut-être laisser de côté les polémiques qui ressortent du reste tous les cinq ans et du reste par notamment les extrêmes.
03:33 Je les laisse, évidemment, systématiquement.
03:36 Je voudrais peut-être rappeler un élément dans le petit paysage que vous venez de décrire.
03:43 L'Union Européenne et le budget de l'Union Européenne, il est très, très significativement dédié à l'agriculture et c'est normal.
03:54 Plus du tiers du budget.
03:56 C'est LA politique européenne la plus intégrée et celle qui redistribue le plus.
04:00 C'est-à-dire 386 milliards d'euros tous les sept ans est dédié à l'agriculture.
04:06 C'est 55 milliards en 2024 et la France en est le premier bénéficiaire avec 17% de cette dette.
04:12 Parlons des chiffres, parce que derrière les chiffres, évidemment, il y a des moyens, mais aussi il y a les femmes et les hommes et je vais y revenir dans un instant.
04:18 Mais sans les chiffres, il n'y a pas d'agriculture.
04:21 Sans l'Europe, il n'y a pas d'agriculture.
04:23 Du reste...
04:23 - Mais alors pourquoi la colère Thierry Breton ?
04:25 - Mais je vais y revenir dans un instant.
04:26 Du reste, l'histoire de l'Europe est intimement liée à l'histoire de l'agriculture de notre continent et c'est normal.
04:32 Parce que d'abord, on en a besoin, tout simplement pour nous nourrir.
04:36 Et puis parce que ces femmes et ces hommes qui constituent les agriculteurs de notre continent jouent un rôle absolument essentiel.
04:43 - Mais ils défilent aujourd'hui à Bruxelles, Bruxelles, Bucarest, Toulouse...
04:47 - Alors pourquoi effectivement ce sentiment que vous rappelez à l'instant ?
04:53 D'abord, il ne faut pas trouver son origine de la même façon dans l'ensemble des pays européens.
04:59 L'Allemagne. L'Allemagne, ça a été une décision du gouvernement allemand, qui a été du reste très critiqué en Allemagne,
05:05 je ne prendrai pas position moi-même évidemment, mais j'ai vu ce qui s'est passé,
05:09 de tout simplement supprimer les subventions dont bénéficiaient les agriculteurs sur le diesel pour leurs machines agricoles et également pour les tracteurs.
05:18 Alors est-ce que c'était opportun ? On peut se poser la question.
05:22 En réalité, le gouvernement allemand a tranché puisqu'il est revenu en arrière.
05:25 En France, on entend évidemment, on entend les demandes du milieu agricole.
05:32 - Il y en a plusieurs.
05:32 - Il y en a plusieurs et principalement, et je crois que le gouvernement l'a entendu,
05:36 le fait que dans la lutte contre l'inflation, on ne peut absolument pas faire porter tous les efforts sur le secteur agricole
05:43 et il faut aider le secteur agricole, les petites entreprises agricoles, les exploitations, contre, je dirais, le combat...
05:52 - C'est aussi le principe même de la politique agricole et du "New Deal", ce "New Deal" vert qui avait été engagé par votre commission.
06:00 Et ce qui est paradoxal, c'est que c'est un trop-plein de normes que dénoncent beaucoup d'agriculteurs.
06:05 Ils ne veulent pas de la transition écologique telle que vous l'imaginez.
06:08 - Alors je vais y revenir et je finis juste mon petit tour d'Europe.
06:11 - Bien sûr.
06:11 - Parce que c'est intéressant, parce qu'encore une fois, l'Europe, c'est nous, on est un continent.
06:15 En Espagne, c'est plutôt le problème de la sécheresse qui attise les interrogations aux Pays-Bas.
06:23 C'était la nécessité d'utiliser des produits chimiques qui étaient interdits.
06:30 Donc au fond, chacun, encore une fois, a des problèmes qui sont légitimes.
06:35 Maintenant, ils s'inscrivent, et c'est votre question et elle est très pertinente, dans le combat qui a été engagé,
06:41 et je dirais volontiers, non pas par Bruxelles, mais par les Etats-membres.
06:46 Je vous rappelle systématiquement que Bruxelles, c'est les Etats-membres et le Parlement.
06:51 Ce sont les Etats-membres et le Parlement européen, qui sont les deux seuls co-législateurs, c'est pas la Commission.
06:56 Donc le Parlement européen et l'ensemble des Etats-membres ont décidé, ils ont eu raison,
07:01 de nous engager vigoureusement dans un plan qu'on appelle le Green Deal, vous avez raison de le rappeler,
07:06 pour atteindre à 2050 le fait que nous soyons le premier continent zéro carbone dans la lutte nécessaire contre le réchauffement climatique.
07:15 Maintenant, le problème, c'est l'acceptabilité et la transition.
07:20 Vous voyez, moi-même, je suis responsable du marché intérieur, et notamment des secteurs industriels, dont le secteur automobile.
07:26 Vous savez, je suis très discipliné, je me suis battu pour qu'on ait plutôt en 2040 l'obligation d'acheter des véhicules électriques.
07:35 J'ai pas gagné, on est à 2035, donc je ferai tout pour que ce soit respecté.
07:39 Il n'en demeure pas moins que j'ai mis en place, dans ma responsabilité, ce que j'appelle "Route 35",
07:44 c'est-à-dire le fait que tous les semestres, je réunis tous les acteurs de cette transition pour voir où on en est, comment on fait,
07:50 est-ce qu'il y a l'électrification, est-ce que les voitures sont suffisamment accessibles, est-ce qu'on a les bonnes subventions,
07:54 est-ce qu'on a des bandes de recharge partout, et puis j'ai mis un point de rendez-vous en 2026 pour en tirer les conclusions.
08:00 Et bien ce que j'ai fait dans l'industrie, il faut maintenant le faire dans l'agriculture.
08:05 Et je me réjouis que, c'est quelque chose que je demandais depuis longtemps, maintenant on le fasse de façon plus systématique.
08:10 La présidente Van der Leyen a décidé, et c'est une bonne décision enfin, de réunir à partir du 25 janvier l'ensemble des acteurs du monde agricole,
08:20 30 experts, pour précisément voir comment maintenant on accompagne cette transition.
08:25 Et puis il y a un deuxième point, c'est les normes, et vous avez raison.
08:28 L'un de mes combats, c'est que l'on réduise les normes qui pèsent aujourd'hui, pas uniquement du reste sur le secteur agricole,
08:35 mais sur l'ensemble des PME, dont font partie évidemment beaucoup d'exploitation agricole,
08:41 et l'engagement est pris de les réduire de 25%. Donc on avance, il faut avancer encore une fois avec les femmes et les hommes, et non pas contre.
08:48 Vous savez, vous parlez tout à l'heure de Jordan Bardella, moi je vois que ces questions, mais ils n'en parlent jamais au Parlement européen.
08:56 Mais vous les avez entendues, vous, à part hier, il se réveille, mais enfin, un mandat c'est 5 ans, un mandat c'est pas 3 mois avant les échéances.
09:07 Alors à quoi ça sert d'être un élu Rassemblement national, si jamais précisément, ces questions...
09:14 Vous l'avez invité pour parler du secteur agricole il y a 2 ans ? Non. Et pourquoi ? Parce que c'est à ce moment là qu'on en discutait.
09:20 Il y a cette question de la transition, il y a cette question des normes, il y a aussi cette question de la concurrence,
09:24 évoquée par Jordan Bardella, pas seulement, parce qu'il y a aussi des agriculteurs qui sont allés à la frontière de l'Ukraine, en Pologne,
09:30 pour dire qu'ils étaient inquiets par rapport à l'élargissement aux négociations d'adhésion qui ont été ouvertes avec l'Ukraine,
09:36 et qui pourraient aussi leur faire une forte concurrence sur leurs produits.
09:39 Alors vous avez raison, dans mon tour d'Europe, je m'étais arrêté au sud et à l'est et pas au nord-est,
09:46 et j'ai omis de vous parler d'un point très important, qui est effectivement la Pologne, et qui est l'Ukraine.
09:52 C'est vrai qu'il y a des discussions aujourd'hui, elles sont bien venues, dans les politiques d'élargissement,
09:59 de l'intégration de l'Ukraine à l'Union Européenne, ça va prendre du temps, ça se compte pas en termes d'année.
10:05 - Oui, ce que vous appelez discussions, ce sont de vrais débats avec des oppositions de fond.
10:09 - Non mais parce qu'on a des procédures et qu'il s'agit de les respecter.
10:12 Et effectivement, l'Ukraine étant un très grand producteur de blé, notamment, mais pas que, il faudra intégrer ça.
10:20 Mais ça c'est pour les années qui viennent, peut-être certains disent les décennies, on verra bien,
10:25 mais les interrogations sont légitimes, parce que voyez-vous, la politique, je vous le rappelais tout à l'heure,
10:30 plus d'un tiers de l'ensemble des politiques des fonds européens, c'est pour l'agriculture,
10:35 donc à partir du moment où on intégrerait un grand pays comme l'Ukraine, de 43 millions d'habitants,
10:41 et très grand producteur de blé, eh bien il faudra revoir nos politiques pour que ceci bénéficie à tout le monde,
10:47 et non pas que ça empêche ou pénalise certains.
10:50 C'est toutes ces discussions qu'il faut avoir maintenant, mais je le rappelle,
10:53 il faut les avoir avec des gens qui ont envie de discuter ensemble,
10:57 et non pas qui ont envie de se recroqueviller sur eux et de désigner des boucs émissaires de façon un peu facile.
11:04 - Thierry Breton, vous avez proposé cette semaine la création d'un fonds de 100 milliards d'euros pour le développement de la défense européenne.
11:10 L'expression même peut étonner, puisque la communauté européenne de la défense a été un projet français,
11:17 abandonné, torpillé par le général de Gaulle.
11:19 Mais qu'est-ce que ça veut dire aujourd'hui vouloir investir dans la défense,
11:23 considérant que chaque état membre est responsable de ces questions-là ?
11:28 - Alors d'abord, un peu d'histoire, puisque vous faites référence à la communauté européenne de défense,
11:31 dite CED en 1954. - La CED, oui.
11:33 - C'était pas le général de Gaulle qui l'a torpillée, c'était le président du conseil à l'époque, je vous invite à le regarder.
11:38 C'est très intéressant du reste de voir qu'effectivement, à cette époque-là,
11:41 l'ensemble, je dirais, d'abord des pays qui constituaient l'embryon de ce qu'allait devenir notre Europe,
11:48 mais aussi ceux qui avaient leur mot à dire, on était juste au sortir de la guerre,
11:53 c'est-à-dire l'Angleterre, c'est-à-dire les Etats-Unis,
11:58 nous incitaient, effectivement, à nous réunir ensemble.
12:02 Ça n'a pas fonctionné, et maintenant, on est dans un autre contexte, bien entendu,
12:08 inutile de le dire, plus de 70 ans après, et au fond, de quoi s'agit-il ?
12:13 Eh bien, il s'agit de prendre conscience que dans le monde tel qu'il est,
12:17 extrêmement difficile, nous ne pouvons plus compter que par nous-mêmes
12:23 pour nous défendre, et notamment des agressions qui se déroulent à nos frontières.
12:30 - Quand on est vus par nous-mêmes ? - J'étais hier, avant-hier, pardon,
12:34 en Lituanie et en Estonie, 300 km de frontières communes avec la Russie,
12:39 croyez-moi, on voit les choses un peu différemment que nous, aujourd'hui,
12:44 sur ce qui se passe. Donc oui, il est absolument indispensable,
12:48 - et vous voyez, tous ces pays... - Indispensables, il y a l'OTAN, par exemple,
12:52 - qui protège la France. - L'OTAN, vous savez, on est un pilier
12:56 très important de l'OTAN, je me rappelais du reste, il y a quelques jours,
13:00 les propos tenus par le président des Etats-Unis de l'époque, Donald Trump,
13:05 sur ses propos sur l'OTAN et sur son envie, ou pas, d'aller défendre l'Europe
13:10 en cas d'attaque. Et donc, ça c'est la réalité du monde tel qu'il est.
13:15 Pour nous, aujourd'hui, il est absolument indispensable,
13:18 la prise de conscience, elle est là, mais que nous mettions en commun
13:22 de plus en plus nos capacités de produire, nos capacités d'avoir des équipements
13:28 qui puissent interagir. Et c'est tout l'objet, précisément,
13:32 de cette proposition, qui trouve un écho très favorable.
13:36 Alors, évidemment, il va falloir quelques mois ou années pour la mettre en oeuvre.
13:38 Oui, il y a de nombreuses questions d'auditeurs, d'ailleurs, à ce sujet.
13:40 Très favorable de la part des pays baltiques, bien entendu, de la part de la Pologne,
13:44 de la part de la Bulgarie, de la part de la Roumanie, chercher pourquoi ?
13:47 Tout simplement parce qu'ils savent ce que voudrait dire
13:51 une victoire de la Russie sur l'Ukraine.
13:54 C'est justement ce que vous faites remarquer, à Louis.
13:56 Le président de la République a rappelé, il n'y a pas plus tard qu'il y a quelques jours,
13:59 et notamment à l'occasion encore de ses voeux aux armées,
14:02 la nécessité absolue de tout faire, précisément, pour aider l'Ukraine
14:06 et éviter que la Russie ne l'emporte.
14:09 Il a dit qu'il fallait passer au mode "économie de guerre".
14:11 C'était le message d'Emmanuel Macron. Est-ce que vous reprenez l'expression ?
14:14 Bien entendu, il l'a dit en faisant référence, évidemment, aux industries de défense.
14:18 Nos industries de défense, vous savez, on sait tout faire en Europe,
14:20 mais on ne le fait pas assez vite, ni en quantité suffisante.
14:24 Et c'est l'objet, précisément, de la proposition que j'ai pu formuler,
14:26 mais aussi d'autres, avec moi, d'avoir un fonds qui permette de subventionner,
14:32 d'accompagner en amont nos industries de défense, nos entreprises de défense,
14:37 pour qu'elles augmentent très significativement leur capacité de production,
14:41 parce que c'est de ça dont il s'agit. On peut le faire, on le fait dans les munitions,
14:45 il faut le faire maintenant dans d'autres types d'équipements.
14:48 Je suis confiant qu'on ait la capacité de le faire,
14:50 et je suis aussi confiant que ce sentiment de puissance,
14:54 pour reprendre le début de notre discussion de ce matin,
14:59 ce sentiment de puissance, maintenant, je dirais qu'il est de plus en plus partagé par tous les États membres.
15:05 Bien sûr, la défense reste la prérogative de chacun des États membres,
15:08 mais on a une conscience, maintenant, aiguë du fait que c'est ensemble,
15:12 comme on l'a fait pour les vaccins, que l'on pourra précisément peser,
15:15 et notamment peser contre ceux qui ont des velléités qui ne sont pas amicales,
15:19 aux frontières de l'Europe.
15:20 Thierry Breton, parlons d'un sujet qui a beaucoup fait parler cette semaine à Davos,
15:23 notamment celui de l'intelligence artificielle. Davos, le sommet où se réunissent
15:27 les grands dirigeants du monde et les chefs d'entreprise européens, et pas seulement,
15:31 où vous vous êtes félicité en décembre dernier de l'accord historique
15:34 qui a été trouvé au niveau européen pour réguler l'intelligence artificielle.
15:37 Il s'agit d'informer les utilisateurs qu'ils sont en relation avec une machine,
15:41 il s'agit de signaler les contenus qui ont été modifiés par l'intelligence artificielle,
15:45 le tout sous peine de sanctions, avec des amendes à 7% du chiffre d'entreprise
15:50 pour les infractions graves. Le président de la République français
15:54 a l'air très réservé sur cet accord, il dit "on va beaucoup plus réguler que les autres",
15:57 ce n'est pas une bonne idée. Qu'est-ce que vous lui répondez à Emmanuel Macron ?
16:00 Alors d'abord, je ne vais pas répondre par...
16:03 Est-ce que vous répondez à cette inquiétude ?
16:05 Parce que, encore une fois, on a beaucoup de discussions, je crois qu'on est très alignés.
16:08 Le sujet, il est le suivant. Sur cette nécessité, aujourd'hui, d'organiser un petit peu
16:14 de réguler sur les risques de l'intelligence artificielle, sur les risques,
16:18 on ne travaille pas depuis Davos, on n'y travaille pas depuis...
16:22 C'était un grand sujet, c'est pour ça que je l'ai évoqué.
16:24 On n'y travaille pas depuis que OpenAI et Sam Altman nous ont fait...
16:31 Le héros de Davos d'ailleurs, et le fondateur de SharedGPC.
16:35 On y travaille depuis 5 ans, avec tout le monde, les États, les start-ups, les centres de recherche.
16:40 Et on a proposé, ce qui a été précisément voté et par le Parlement et par le Conseil,
16:46 donc une régulation qui limite les risques.
16:48 Vous voyez, l'intelligence artificielle, par exemple, on peut, on a la possibilité d'aller retrouver
16:53 tout ce que l'on a dit les uns et les autres, et puis ce que l'on a fait également,
16:57 et en fonction de cela, de dire "ben voilà, dans la vie, maintenant vous n'avez plus le droit de faire ci ou de faire ça".
17:01 Mais vous connaissez le discours là aussi du président de la République Thierry Breton ?
17:05 Ça s'appelle le "social scoring", c'est ce qui est autorisé en Chine, ce qui est interdit en Europe.
17:09 Emmanuel Macron lui dit que c'est un risque d'écraser les innovateurs européens sous une réglementation trop lourde.
17:14 Alors, je finis sur l'aspect risque, donc on a proposé une régulation sur le risque.
17:18 Le Parlement européen a rajouté une dimension qui était le fait de pouvoir mieux contrôler l'intelligence artificielle générative.
17:24 On est une co-législation, il faut donc écouter aussi le Parlement, et on a trouvé un accord qui,
17:29 pour répondre précisément aux interrogations qui étaient des interrogations légitimes et que je partage,
17:34 exprimées par la France, exprimées aussi par l'Allemagne, qui était de dire qu'il faut faire attention de ne pas trop réguler les innovations.
17:41 Tout ce qui est innovation sort du champ de régulation.
17:44 Donc voilà, bonne nouvelle, on a évidemment écouté ce que disaient la France et l'Allemagne à juste titre,
17:50 donc tout ça sort du champ de la régulation, c'est uniquement pour les très très très larges modèles,
17:55 qu'ils soient du reste développés en France, aux Etats-Unis ou ailleurs,
17:59 qui voudraient être commercialisés ou exploités en Europe, qu'il y aura quelques éléments de régulation,
18:06 mais absolument plus, c'était effectivement au début ce que souhaitait le Parlement,
18:10 on a réussi à leur faire entendre raison, s'ils ont pu dire "eh bien c'est normal",
18:14 maintenant, aucune régulation sur tout ce qui concerne la recherche et l'innovation,
18:21 et donc l'Europe sera vraiment l'endroit où venir pour pouvoir faire des développements en matière d'intelligence artificielle,
18:27 d'autant que nous mettrons à disposition des start-up, toute notre puissance de calcul,
18:31 on a un réseau très important de supercalculateurs, EuroHPC, copiloté par les Etats-membres et la Commission européenne,
18:37 qui sera mis à disposition de ceux qui voudront venir développer leurs modèles.
18:40 Oui, je crois que grâce à ça, l'Europe va devenir vraiment le lieu où développer des innovations en matière d'intelligence artificielle.
18:46 Est-ce que vous êtes candidat à la présidence de la Commission dans un avenir pas très lointain finalement, Thierry Breton ?
18:52 Dans ses fonctions, à Libadou, on n'est jamais candidat à rien, j'ai trop d'expérience pour savoir que ça ne marche pas comme ça !
18:59 Le message est passé ! Il y a beaucoup de questions d'auditeurs sur les accords de libre-échange notamment,
19:04 et Arnaud, par exemple, vous demande de nous expliquer l'accord avec la Nouvelle-Zélande,
19:09 accord qui a été peu mal compris souvent, ce pays va exporter en Europe, dit Arnaud,
19:15 ses produits laitiers et bovins au vin, et qui seront vendus sur le territoire européen,
19:20 et donc en France, paradoxalement moins cher que les produits français.
19:23 Est-ce que c'est ça l'Union Européenne ? Arnaud est lui-même producteur laitier.
19:28 La Nouvelle-Zélande est un pays important, mais ce n'est pas une critique d'un pays qui n'est pas un très grand pays, on le sait.
19:37 On est très attentif à cela, et là je dois dire que la France, et moi je suis commissaire européen,
19:44 je suis très sensible aux positions françaises sur cette question, très sensible,
19:50 et très sensible aux positions que prend le Président de la République, y compris sur le Mercosur.
19:55 Je n'en dirai pas plus, mais je pense que son combat est le bon.
19:59 Thierry Breton, tous les sondages donnent le Rassemblement National largement en tête en juin prochain aux élections européennes,
20:04 avec entre 28 et 30% d'intention de vote, 10 points devant le parti de notre majorité.
20:10 Régnou, comment est-ce que vous l'interprétez ? Vous qui êtes commissaire européen depuis 4 ans, est-ce que l'Europe a raté quelque chose ?
20:16 Non mais d'abord, derrière votre question, je vois comme vous tous le fait que les extrêmes aujourd'hui se font entendre, c'est vrai.
20:28 D'abord la campagne n'a pas démarré, et elle n'a pas démarré notamment en France, et on se souvient, il y a 5 ans,
20:37 qu'il y avait aussi un démarrage qui était un peu similaire à celui-ci, ça n'a pas terminé comme ça.
20:41 Donc il faut attendre que la campagne démarre, mais je voudrais juste peut-être faire une petite incise par rapport à ce que vous dites.
20:47 C'est vrai que les voix des extrêmes s'expriment partout en Europe, alors on pense évidemment à ce qui s'est passé dernièrement aux Pays-Bas,
20:58 ou à Slovaquie, ou en Allemagne, mais on est à chaque fois aux alentours de 23%. Vous voyez, les Pays-Bas...
21:07 Vous minimisez le risque ?
21:09 Non, je ne minimise absolument pas. Vous savez, je suis très attaché en politique, il faut bien connaître ses chiffres et être attaché aux chiffres,
21:16 et pas les surexploiter. Les Pays-Bas, oui, ils ont gagné, ils sont à 23%, et derrière il faut créer des coalitions, et ça ils ne savent pas le faire.
21:27 Parce que les extrêmes ne savent pas, n'ont pas cette culture des autres, pour écouter les autres et trouver ensuite un projet commun.
21:33 Regardez ce qui s'est passé en Slovaquie avec M. Fito, c'est la même chose, il a gagné. Il a gagné à combien ? Eh bien aussi à 23%.
21:39 Et derrière, la difficulté pour les extrêmes, c'est de pouvoir trouver des accords ensuite pour gouverner. On ne gouverne pas à 23%, ni même à 30%.
21:48 Et donc, ce que je veux dire, c'est que dans notre continent, notre démocratie continentale, puisque c'est de ça qu'il s'agit, en ce qui concerne les élections européennes,
21:57 il faut avoir des hommes et des femmes, qui bien sûr, forts de leur conviction, elles sont par définition ce qu'elles sont, et donc il faut les respecter.
22:07 Mais derrière, il faut convaincre les autres d'avoir un projet commun. Et ça, voyez-vous, aucun parti extrême n'a réussi à le faire.
22:14 Rendez-vous le 9 juin prochain pour les élections européennes. Merci Thierry Breton d'avoir été l'invité de France Inter ce matin.
22:21 Merci.
22:22 A suivre la revue de presse.