Dès les lendemains de la Seconde Guerre mondiale, Sir Winston Churchill et le Général de Gaulle, qui avaient eu l'occasion de s'affronter et de se rejoindre à maintes reprises durant les quatre années du conflit, se sont retrouvés sur un autre champ de bataille à l'insu de tous : celui de la mémoire.
Chacun a écrit ses souvenirs de guerre de son côté, en sachant que l'autre en faisait autant au même moment. Un duel de mémorialistes à fleurets mouchetés, qui ont voulu s'inscrire dans l'Histoire. Tous deux ont livré un témoignage de première main mais ont aussi produit une oeuvre littéraire majeure du XXème siècle.
Riche d'archives et de tournages sur les lieux intimes d'écriture de ces ouvrages en France et en Angleterre, ce documentaire raconte dans quelles conditions De Gaulle et Churchill ont écrit leurs Mémoires et relate l'affrontement littéraire et de points de vue qu'ils se sont livrés. L'écrivain Pierre Assouline porte un regard croisé et original sur ces Grands Hommes de lettres, sur deux styles littéraires, deux visions parfois opposées.
Chacun a écrit ses souvenirs de guerre de son côté, en sachant que l'autre en faisait autant au même moment. Un duel de mémorialistes à fleurets mouchetés, qui ont voulu s'inscrire dans l'Histoire. Tous deux ont livré un témoignage de première main mais ont aussi produit une oeuvre littéraire majeure du XXème siècle.
Riche d'archives et de tournages sur les lieux intimes d'écriture de ces ouvrages en France et en Angleterre, ce documentaire raconte dans quelles conditions De Gaulle et Churchill ont écrit leurs Mémoires et relate l'affrontement littéraire et de points de vue qu'ils se sont livrés. L'écrivain Pierre Assouline porte un regard croisé et original sur ces Grands Hommes de lettres, sur deux styles littéraires, deux visions parfois opposées.
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00:21 À quoi pense-t-il Charles de Gaulle en regardant passer de cercueil de Winston Churchill à
00:26 quelques mètres de lui le jour de ses funérailles nationales à la cathédrale
00:31 Saint-Paul de Londres le 30 janvier 1965.
00:37 Il est vrai qu'ils se sont tant aimés ou plutôt admirés, détestés, réconciliés,
00:45 violemment fâchés à nouveau avant de se retrouver à jamais.
00:50 Ils se sont affrontés en chefs de guerre, en alliés, en politiciens, en négociateurs,
00:56 en chefs d'état, en camarades de tant de combats et finalement le dernier mais pas
01:02 le moindre, ils se sont affrontés en écrivains.
01:06 De véritables écrivains mais rivaux à l'heure de publier leur mémoire de guerre et de
01:12 graver dans le marbre de la postérité chacun à sa façon, sa propre version de
01:19 leur histoire commune.
01:22 C'est l'un de ces endroits devenus historiques où je ressens comme nulle part
01:37 ailleurs la présence des morts.
01:41 Difficile de pénétrer dans la boisserie de Charles de Gaulle, Saint-Gentilhomière
01:46 de Colombais les deux églises dans la Haute Marne sans ressentir qu'elle est
01:51 habitée. Toute sa personnalité, son caractère
01:55 transparaissent ici dans chacun des meubles, dans chaque bibelot, dans chaque
02:00 gravure, dans sa bibliothèque et dans le choix de conserver des livres de jeunesse,
02:05 ce qui ne peut laisser insensible l'écrivain en moi. Un peu plus loin, là,
02:11 dans cette table de bridge sur laquelle il faisait régulièrement en fin de
02:16 journée des réussites, ma discipline doisiveté, comme il disait. Tout est
02:21 resté en l'état, dans sa simplicité même. Il est mort à quelques mètres de son
02:27 bureau, là, ou ivre de son essolement, il ne conçoit pas d'écrire autrement.
02:33 Sa haute silhouette arc-bouté sur son bureau, son stylo à encres glissant sur
02:38 la rame de papier, isolé de la rumeur du monde, sa fenêtre donnant son lapreté de
02:45 la campagne champenoise.
02:48 Un écrivain est un solitaire. Charles de Gaulle n'a pas à forcer sa nature.
02:54 La présence de son ami Winston Churchill est assurée par son portrait trônant
03:00 parmi les grands de ce monde et surtout par ses mémoires à portée de sa main.
03:07 La publication simultanée de leurs mémoires de guerre, à la charnière des
03:13 années 40 et 50, a été un événement mondial. Ils y ont fait oeuvre d'écrivains.
03:20 Cela paraît inimaginable avec le recul, mais Churchill a même été couronné de
03:26 la récompense suprême, le prix Nobel de littérature. Mais des deux était-ce le
03:33 bon lauréat ? Pour en juger, il ne faut pas seulement s'arrêter à leur statut de
03:39 chef de guerre, ce qu'ils ont été sur le front, mais revenir aux oeuvres elles-mêmes
03:43 et surtout à la dimension humaine de ces deux écrivains soldats.
03:49 Il faut aussi reconsidérer ces mémoires de guerre d'un point de vue littéraire
03:53 en bénéficiant du recul du temps. 70 années se sont écoulées depuis la
03:58 parution de ces livres qui ont connu un succès considérable à l'époque. Et on le
04:03 sait bien, on gagne toujours à séparer les livres du bruit qu'ils font.
04:08 Pour comprendre pourquoi leur mémoire demeure un témoignage essentiel,
04:21 il faut d'abord traverser la campagne anglaise si chère à Sir Winston. Car la
04:27 volonté des deux auteurs de s'inscrire aussi comme écrivains dans notre mémoire
04:32 nous invite à les juger aussi comme tels. Transportons-nous donc dans ces
04:38 manuscrits, là où ceux-ci sont protégés des
04:41 regards indiscrets, à l'égal de documents explosifs, aux archives
04:46 entreposées dans un bâtiment à l'université de Cambridge. Un chercheur
04:51 gagne toujours à se reporter aux documents originaux.
04:56 Même s'il n'a pas affaire à des manuscrits mais à des tapuscrits, la
05:01 graphie de l'auteur en marge, son tremblé parfois, l'importance de ses
05:06 corrections, la nature de ses remords, ses rajouts et ses suppressions,
05:10 tout cela compte. À les lire, je croirais l'entendre parler.
05:17 C'est le cas lorsqu'il évoque le départ de De Gaulle pour Londres le 17 juin 1940.
05:24 Difficile de ne pas en faire son miel.
05:29 [Musique]
05:32 Dès que l'appareil commence à rouler, De Gaulle sauta dedans et claqua la porte.
05:39 L'avion prit son envol tandis que policiers et fonctionnaires français
05:44 restaient bouche bée. Dans ce petit avion, De Gaulle emportait avec lui l'honneur de
05:49 la France. Lorsqu'il raconte à son tour le même
05:53 événement, De Gaulle est plus sec et plus lapidaire.
05:58 Le départ eut lieu sans romantisme et sans difficulté.
06:03 [Musique]
06:06 Pour comprendre un écrivain, ses manuscrits ne suffisent pas. Son style
06:14 littéraire est en harmonie avec son style de vie. Il faut se rendre sur ses
06:18 lieux, le visiter dans le motif, comme on le dirait d'un peintre en pleine nature,
06:23 à Chartwell, dans le Kent.
06:27 Winston Churchill offre une toute autre image de l'écrivain au travail quand on
06:36 va chez lui. Il privilégiait lui aussi ses séjours au verre, dans son domaine plein
06:47 d'animaux, un endroit extrêmement chaleureux et attachant aux yeux de tout
06:52 anglophiles, décors que l'on jurerait "churchillissime".
06:57 Après tout, la vie est trop courte pour être petite.
07:03 Cette folie, car c'en est une, eut égard au coût de son entretien, a été en partie
07:11 financée par certains de ses amis, quelques hommes riches et puissants de
07:15 son premier cercle. Pour l'autre partie, par les revenus de ses nombreux écrits
07:21 dans la presse ou en librairie. Non qu'il eût la plume facile, c'est simplement
07:26 qu'il était, disons, organisé. Son oeuvre a donc été nourrie par une passion pour la
07:33 chose politique comme chez peu d'écrivains, ce qui témoigne qu'être un
07:37 homme d'action n'empêche pas de produire. Oui, mais à quel prix ?
07:45 Je peux vous parler des difficultés et des dangers de lire un livre.
07:55 J'ai écrit de nombreux livres. Je pense que, à 25 ans, j'avais écrit autant de livres
08:03 que Moses. Lire un livre est une aventure.
08:08 C'est un jouet, un amusement, puis il devient une femme, puis un maître,
08:20 puis un tyran, et le dernier étape est que, juste en train de se réconcilier avec
08:29 votre servitude, vous vous tuez le monstre.
08:34 Pour dominer cette bête, il a sa méthode. Les six volumes consacrés à la Seconde
08:45 Guerre mondiale, écrits entre 1948 et 1954, n'y échappent pas. Il n'écrit pas
08:53 vraiment, mais dicte depuis un lieu pour le moins intime, son lit, dans lequel on le
08:58 trouve assis ou couché, un cigare dans une main, un verre de whisky dans l'autre,
09:04 papiers et documents étalés sur sa couverture. Il y a en permanence une ou
09:10 deux secrétaires à ses côtés, lesquels sont légèrement embarrassés lorsqu'il
09:15 dicte non plus depuis son lit, mais depuis son étrange baignoire, la porte
09:20 grande ouverte. La surface de l'eau est couverte de mousse, mais tout de même
09:25 "shocking", ce dont il se fiche royalement et même impérialement.
09:32 Pour écrire, Churchill fait appel à des dactylos et surtout à ses assistants
09:38 littéraires. Ainsi qu'il nomme ceux qui sont en fait
09:41 cénègres. Les biographes ont pu en dresser une liste de six. Pour prendre la
09:48 mesure de son petit consortium, il faut se rendre au rez-de-chaussée du
09:52 manoir où les machines à écrire se font face. Les collaborateurs fournissent la
09:58 base, la recherche documentaire, puis ils rédigent les grandes lignes.
10:03 Churchill réécrit l'ensemble, car le style est l'homme même, soit.
10:09 Si l'anglais est innombrable lorsqu'il écrit, le français, de Gaulle, dont le
10:14 portrait figure dans cette pièce devenue si symbolique, lui est seul. Cela
10:20 correspond tellement à son tempérament.
10:25 [Musique]
10:33 Si l'on est sensible au génie des lieux, alors on peut dire que la boisserie à
10:38 Colombais-les-Deux-Eglises était faite pour Charles de Gaulle. De proportions
10:42 raisonnables, décorées sans ostentation, il l'avait acquise à un prix très sage
10:48 en 1934. Surtout elle était nimbée d'un passé littéraire, ce qui n'était pas fait
10:54 pour lui déplaire. Car le détail est peu connu, mais pendant les sept années qui
11:00 ont précédé sa présence, les Jollas, un couple d'intellectuels américains, y ont
11:06 fait souffler le vent de l'avant-garde littéraire et artistique, sous la double
11:10 influence du romantisme allemand et du surréalisme. Ils y habitaient à Colombais.
11:16 Ils y fabriquaient à la boisserie une revue et y publièrent tant de textes
11:22 d'Artaud ou de Michaud, sans oublier le principal, leur grande fierté, James Joyce.
11:28 Reste à savoir si quelque chose de Joyce a déteint sur de Gaulle, à supposer que
11:34 deux génies puissent cohabiter dans les mêmes lieux.
11:38 La solitude de l'écrivain de Gaulle, c'est celle d'un individualiste à
11:44 l'esprit d'équipe. À Colombais, ses assistants se comptent sur les doigts
11:48 d'une main, plutôt des relecteurs, dont l'écrivain André Malraux. Ils ont la
11:54 vertu de savoir décrypter ses pattes de mouche, talent qui n'est accordé qu'à
11:59 ceux qui ont l'habitude de son écriture. La mieux à même de l'aider, c'est encore
12:05 sa fille, Élisabeth de Boissieu. Elle doit taper à la machine des textes qui
12:10 sont si surchargés qu'ils finissent par ressembler à des tableaux d'Alechinsky.
12:17 C'est avec un modus operandi aussi sobre et économique, entouré d'une équipe aussi
12:28 légère, que de Gaulle a écrit ses mémoires de guerre en solitaire.
12:33 Il en est des histoires d'amitié comme des histoires d'amour.
12:45 On n'oublie jamais les premières fois. Généralement, cela se passe mal.
12:51 Si la première rencontre entre ces deux hommes de caractère n'échappe pas à la
12:56 règle, à la deuxième, cela s'arrange. Le courant passe, mais ce n'est pas
13:01 nécessairement un courant alternatif.
13:04 Car si l'anglais est chaleureux, le français a tout d'un poisson froid, sinon
13:14 congelé. M. Churchill me reçut à Downing Street.
13:18 C'était la première fois que je prenais contact avec lui. Il me parut être de
13:22 plein pied avec la tâche la plus rude, pourvu qu'elle fût aussi grandiose.
13:27 Par-dessus tout, il était, de par son caractère, fait pour agir, risquer, jouer
13:32 le rôle, très carrément et sans scrupules.
13:38 Je vis le général de Gaulle qui se tenait près de l'entrée, immobile et
13:43 flegmatique. En le saluant, je lui dis à mi-voix en français, "l'homme du destin".
13:49 Il resta impassible. Sous son attitude imperturbable, il me parut avoir une
13:55 surprenante sensibilité à la douleur. C'est une impression que j'ai conservée
14:00 depuis, au contact de cet homme très grand et flegmatique.
14:04 Voici le connétable de France.
14:11 Leur style littéraire diffère, mais au-delà de cette seule dimension, tout
14:16 dans leur personnalité, leur caractère, leur mode de vie, leur style, quoi, tout
14:21 les oppose. Là, le français est un homme qui marche, une silhouette sculptée par
14:28 Giacometti, en perché, toujours en mouvement vers l'avant, et souvent en
14:33 tenue d'officier de charge, juché sur des grandes bottes. Un héros.
14:38 L'autre, c'est une masse, mais une masse paisible, qui s'applique à respecter ces
14:44 deux devises, celles d'un homme assis dans un fauteuil.
14:49 Il dit souvent, "ne jamais rester debout quand vous pouvez être assis, et ne
14:55 jamais être assis si vous pouvez être couché".
15:03 L'anglais déborde d'émotions, de vivacité, de sentimentalisme.
15:08 Francophile depuis l'invention du champagne, il maîtrise bien notre langue.
15:15 "C'est moi Churchill qui vous parle. Pendant plus de 30 ans, j'ai marché avec vous,
15:23 et je marche encore avec vous."
15:28 Il est adulé par les anglais, qui voient en lui un sauveur.
15:31 C'est incontestablement son moment, il lui faut le saisir.
15:36 Il a d'autant moins de mal à endosser l'habit de héros national qu'il se
15:41 rêve tel depuis l'enfance, jusqu'à sa jeunesse sous les drapeaux.
15:44 Il est vrai qu'elles se sont déroulées dans un décor majestueux.
15:50 *Musique*
16:06 C'est à Blenheim Palace, cet univers royal et impérial, l'immense château
16:12 familial, dont il est sorti avec la promesse faite à lui-même d'être un jour
16:17 à la hauteur des siens.
16:20 *Musique*
16:24 Ces jeunes années se déroulèrent à l'ombre des tableaux et des tapisseries
16:28 des grandes batailles, accrochées au mur, qu'il reconstituait en disposant ses
16:34 soldats de plomb sur le tapis.
16:37 *Musique*
16:41 Ce fut le théâtre de son imaginaire, là où il se projeta en digne héritier de
16:46 John Churchill, premier duc de Marlborough et chef de guerre.
16:52 A force de vivre parmi les souvenirs glorieux de ses ancêtres,
16:56 Churchill s'est naturellement identifié à leur figure légendaire, jusqu'à se
17:02 projeter dans l'avenir comme le rempart de sa nation.
17:08 *Musique*
17:16 A la boisserie chez de Gaulle, la bibliothèque reflète non seulement
17:20 l'esprit et la culture, mais surtout l'âme de ce grand lecteur.
17:24 Les héros de son enfance ont été ceux de la nation et non ceux de la famille.
17:30 *Musique*
17:34 Pour de Gaulle, tout doit passer par l'écrit et la littérature dans un lexique,
17:38 un ton inspiré du grand siècle, d'où sont issus les Beaux-Suets et les
17:43 Feynelon, dont les livres ont bercé son adolescence, aux côtés des grands
17:47 auteurs des humanités classiques, les Romains et les Grecs.
17:54 Elle s'est déroulée dans une famille de fonctionnaires et de juristes parisiens,
18:00 de sérieux érudits et des catholiques légitimistes, qui lui ont transmis le goût
18:05 des études et du service de l'État.
18:09 A 15 ans, il se décrivait déjà en général de Gaulle sauvant la France.
18:14 Dès lors, l'une ne s'étonne à l'école militaire de Saint-Cyr qu'il n'envisage pas
18:19 d'autre carrière que le service des armes.
18:23 *Musique*
18:26 Churchill non plus, qui n'imaginait pas un seul instant faire ses classes ailleurs
18:30 qu'à St. Hurst, le Saint-Cyr anglais.
18:34 Mais c'est bien leur seul véritable point commun.
18:38 *Musique*
18:42 On a vu des couples mieux partis dans la vie, en tout cas mieux assortis.
18:48 Churchill, qui a 16 ans de plus que lui, confie à un proche
18:52 ce De Gaulle ressemble à un lama femelle surpris dans son bain.
18:57 Un jugement profond qui ne manque pas d'imagination.
19:02 L'intéressé n'est pas en reste.
19:04 En sortie d'une réunion du cabinet de guerre, il sourit à la vue d'une papillon à poids
19:09 qui se détache sur la chemise à carreaux de l'anglais en lui faisant remarquer
19:14 "Tiens, c'est carnaval aujourd'hui."
19:17 À quoi le premier ministre répond du tac au tac
19:20 "Que voulez-vous, tout le monde ne peut pas se déguiser en soldat inconnu."
19:24 Il semble que les deux avaient le sens de l'humour, mais celui de De Gaulle
19:28 était si discret qu'on le cherche encore.
19:32 Pas d'intimité, pas de tape dans le dos, pas de familiarité avec lui.
19:37 Qu'importe, puisqu'ils sont d'accord sur l'essentiel.
19:41 Il est premier ministre et De Gaulle n'est qu'un sous-secrétaire d'Etat à la Défense Nationale.
19:46 Pourtant, dès son arrivée à Londres, il le traite déjà en égal en qualité de chef des Français libres.
19:53 Naufragé de la désolation sur les rivages de l'Angleterre.
20:01 Qu'aurais-je pu faire sans son concours ?
20:04 Il me le donna tout de suite et mit pour commencer la BBC à ma disposition.
20:10 "Moi, général De Gaulle, j'entreprends ici, en Angleterre, cette tâche nationale.
20:20 J'invite tous les militaires français des armées de terre, de mer et de l'air à se réunir à moi."
20:29 À mesure que s'envolaient les mots irrévocables, je sentais en moi-même se terminer une vie,
20:35 celle que j'avais menée dans le cadre d'une France solide et d'une indivisible armée.
20:41 À 49 ans, j'entrais dans l'aventure, comme un homme que le destin jetait hors de toutes les séries.
20:49 "C'est grâce à Churchill qu'il peut s'installer au 4 Carleton Gardens,
21:04 une prestigieuse résidence encadrée de colonnes doriques et de colonnades corintiennes,
21:09 le quartier général des forces françaises libres.
21:13 Difficile d'imaginer qu'à son arrivée, au début de l'été 1940, il n'était rien,
21:20 un pariat, un hors-la-loi, un officier félon sans troupes ni soutien international.
21:27 Un homme seul.
21:29 "Vive la France, libre dans l'honneur et dans l'indépendance."
21:36 Un homme seul, un rebelle dressé de toute sa violence, sa colère et son indignation
21:42 contre le maréchal Pétain et le régime de Vichy.
21:46 "La vieillesse est un naufrage.
21:49 Pour que rien ne nous fût épargné, la vieillesse du maréchal Pétain
21:53 allait s'identifier avec le naufrage de la France."
22:02 Deux semaines après, à Londres, les forces françaises libres sont créées sur le papier.
22:08 De Gaulle est rejoint par de rares civils et quelques milliers de soldats,
22:13 des centaines d'officiers et d'aviateurs, des marins.
22:17 En France, on raille ses forces en le décrivant entouré de journalistes juifs,
22:22 d'aristocrates et de pêcheurs de l'île de Sein, ce qui n'est pas faux non plus.
22:27 Et pourtant, il est persuadé d'incarner la France par lui restaurée,
22:32 dans son honneur et dans sa dignité.
22:36 On dirait que sa plaie de Gaulle prédispose, même dans un anglais, disons, assez personnel.
22:43 La France, à la première épreuve, en tant qu'armée de la France,
22:49 sera un élément essentiel dans les batailles décisives.
22:55 La France, nous pouvons, si nous voulons, en meilleure ordre.
23:02 De fait, un jour, il sera le seul français à pouvoir dire en public "moi, la France"
23:10 sans être aussitôt transféré à Sainte-Anne.
23:14 Churchill supporte difficilement l'attitude implacable, irréaliste d'un de Gaulle
23:20 habité, sinon hanté, toute sa vie durant par une certaine idée de la France.
23:25 Il lui arrive même de perdre patience et de s'emporter auprès de ses collaborateurs.
23:31 Ce type est un dingue !
23:34 Nous fîmes néanmoins de notre mieux pour accroître son influence, son autorité et son pouvoir.
23:40 De son côté, il prenait naturellement formale toute relation de notre part avec les gens de Vichy
23:46 et considérait que nous lui devions une loyauté exclusive.
23:50 Il jugeait également essentiel à sa position aux yeux du peuple français
23:55 de conserver une attitude fière et hautaine envers la perfidia albion.
24:00 Du latin perfidia qui signifie "mauvaise foi".
24:05 Si perfide albion que de Gaulle a toujours éprouvé non pas une certaine détestation de l'Angleterre
24:11 mais une profonde méfiance vis-à-vis d'elle.
24:16 Ce sentiment est revivifié début juillet 1940.
24:25 Les anglais veulent à tout prix empêcher le Reich de s'emparer des bâtiments de guerre français
24:31 stationnés à Mersel-Kebir, un port d'Algérie.
24:35 Après des ultimatums, la Royal Navy coule la plus grande partie de l'escadre française.
24:41 Les bons navires sont incendiés par les obus britanniques.
24:48 Impuissant, de Gaulle subit son anéantissement qu'il finit par justifier dans ses mémoires.
24:55 M'adressant aux français, je leur demande de considérer le fond des choses
25:01 du seul point de vue qui doit finalement compter, c'est-à-dire du point de vue de la victoire et de la délivrance.
25:07 Je dis sans embâche qu'il vaut mieux que les navires aient été détruits.
25:12 Nos deux vieux peuples, nos deux grands peuples demeurent liés l'un à l'autre.
25:17 Ils succomberont tous les deux ou bien ils gagneront ensemble.
25:21 Ce fut une décision odieuse, la plus inhumaine, la plus pénible de toutes celles auxquelles j'ai été associé.
25:29 C'était une tragédie grecque.
25:32 Pourtant, jamais aucun acte ne fut plus nécessaire à la survie de l'Angleterre et de tous ceux qui comptaient sur elle.
25:43 Mais de 1500 marins y laissent la vie.
25:46 Le nationalisme de De Gaulle, mis devant le fait accompli, est très ébranlé car le sang français a coulé.
25:53 Aussi peu après, c'est lui qui est à la manœuvre pour inciter Churchill à s'emparer de la marine française à Dakar.
26:02 Mal préparé, l'opération aboutit à un douloureux fiasco qu'ils vivent solidairement dans la même galère.
26:11 (musique)
26:15 Lorsqu'il fend l'armure et se confie à des proches, le général reconnaît le coup de blouse.
26:22 Abattu, il broie du noir ses peaux de le dire.
26:26 Pour la seule fois de sa vie, il est hanté par des pulsions suicidaires.
26:31 Les jours qui suivirent me furent cruels.
26:35 J'éprouvais les impressions d'un homme dont un séisme secoue brutalement la maison
26:40 et qui reçoit sur la tête la pluie des tuiles tombant du toit.
26:44 Churchill, lui, est coutumier de cet état d'âme.
26:51 Sa mélancolie, issue d'un état dépressif latent, il l'a domestiquée même si elle le fait souffrir par un coup.
27:00 Il l'a surnommée "mon black dog" et l'arrivée de ce chien noir s'annonce à chaque fois par un grand coup qui s'abat sur sa nuque
27:08 et qu'il surmonte en se noyant dans l'alcool plus encore qu'à l'accoutumé.
27:13 Mais ce qui s'abat sur la nuque de son peuple, c'est un déluge de feu et d'acier lancé à partir du 7 septembre 1940 par la Luftwaffe.
27:26 Huit mois durant, ce blitz, l'éclair en allemand, pousse les habitants à se terrer dans les caves, les abris, le métro londonien à plus de 50 mètres de profondeur.
27:36 Pour prendre la mesure de cet enfermement, il faut se rendre là où s'enterrait le cabinet de guerre dirigé par Churchill.
27:49 Son bunker secret est situé en plein centre de la capitale.
27:55 Il abrite de nombreuses pièces dans un labyrinthe de galeries conservées à l'identique.
28:01 Voici le bruit qui fit partie intégrante de la vie de chaque homme, de chaque femme et de chaque enfant de l'Angleterre.
28:22 Churchill y a rarement vécu avec sa femme, ses ministres et les officiers de son staff.
28:28 Il y a parfois participé à des réunions stratégiques sur la conduite de la guerre et l'organisation des batailles.
28:36 (Bruit de machine à tour)
29:00 La présence de grandes cartes géographiques qui tapissent toutes les pièces, les salles de réunion comme les chambres, en témoignent.
29:07 C'est dans cette atmosphère oppressante, car enterrée, que Churchill a passé une partie de son temps, jour et nuit,
29:16 à réfléchir à huis clos, à dormir, à décider et surtout à encourager son peuple au micro de la BBC installée à cet effet.
29:25 (Bruit de machine à tour)
29:29 La manière dont il évoque ces moments-là dans ses mémoires rappelle son talent de journaliste,
29:40 activité dans laquelle il a longtemps exercé sa plume avant de se jeter dans la carrière littéraire.
29:46 Les raids de nuit s'accompagnaient d'attaques de jour plus ou moins continuelles, menées par de petites formations ennemies ou même par des appareils isolés.
29:56 Et souvent, les sirènes retentissaient à de brefs intervalles tout au long des 24 heures d'une journée.
30:02 Les 7 millions d'habitants de Londres finirent par s'accoutumer à cette étrange existence.
30:15 Au fond, si haut que soit le premier ministre britannique et le chef de la France libre,
30:20 ne relève-t-il pas eux aussi de cette foule qui redresse la tête dès le lendemain des bombardements de Londres et de Coventry ?
30:28 Une foule que Churchill évoque comme des gens ordinaires confrontés à une époque extraordinaire.
30:36 "Nous n'avons jamais, dans le domaine du conflit humain, été si nombreux, si peu, si peu, à être si vingt."
30:45 Une formule winstonissime que de Gaulle reprendra à son compte.
30:54 "Jamais tant d'hommes sur la Terre n'ont tant attendu de nous."
31:02 Je les imagine bien l'un et l'autre, Churchill et de Gaulle, touchés par cette photographie accrochée à un mur de mon bureau.
31:10 Cette image est l'une des plus iconiques du blitz.
31:14 La bibliothèque de Hohenhaus à Londres, dévastée par des bombes larguées par l'aviation allemande sur ce quartier de l'Ouest.
31:22 Des personnages y cherchent un livre dans les rayonnages en ruines, comme si, à l'époque,
31:28 de rien n'était.
31:32 Il y a là quelque chose de surréel qui reflète bien la folie de l'époque et l'absurdité d'une guerre si dévastatrice.
31:40 Les bibliothèques ont pour vocation de conserver, protéger et communiquer les livres,
31:46 non d'être le spectacle morbide de leur destruction.
31:52 Les livres, nos deux hommes de guerre ont toujours vécu dans et par eux.
31:58 Les manuscrits des mémoires de guerre du général ont été naturellement accueillis par la Bibliothèque nationale à Paris.
32:06 Les consultés relèvent d'un cérémonial qui a partie lié avec le sacré.
32:12 Les écrivains de la bibliothèque de Hohenhaus, qui ont été les premiers à l'avoir,
32:18 ont écrit des livres sur le terrain.
32:24 Ces pages originales ne s'y laissent découvrir que sur dérogation et avec mille précautions,
32:30 à commencer par l'usage exclusif du crayon à mine pour prendre des notes.
32:36 Surtout pas d'encre, de crainte d'un accident.
32:42 Sous la plume de De Gaulle, une écriture, la sienne, nerveuse, tendue, surchargée, pleine de ratures et donc de remords.
32:50 Ce qui reflète au fond sa recherche obsessionnelle du mot juste.
32:56 Il correspond à la définition qu'Oscar Wilde donnait d'un écrivain,
33:02 quelqu'un qui passe sa matinée à rajouter une virgule et son après-midi à la retirer.
33:08 Il est intéressant de comparer l'état de leur manuscrit.
33:14 Avec Churchill, il s'agit d'un tapuscrit, plus qu'il dicte.
33:20 Mais jusqu'à la fin, pour ne pas déplaire aux uns et aux autres et se conformer à leurs désirs,
33:26 c'est plein de mots barrés et remplacés par d'autres afin de ne vexer personne, à commencer par De Gaulle.
33:32 Ainsi, a-t-il éliminé les passages où il le traite de, je cite, "fureur en germe".
33:38 Donc des mots barrés à l'aide d'un crayon à mine bleue donnant un autre type de tableau,
33:44 ce que le pasteliste en lui, passionné par toutes les nuances du bleu, n'aurait pas renié.
33:52 La grande qualité de Churchill qui fait pour l'instant défaut à De Gaulle,
33:58 c'est que dès qu'il parle en public, il le met dans sa poche.
34:02 Paradoxalement, c'est là que le styliste se révèle en lui, car sa grande œuvre, ce sont ses discours.
34:08 Ce qui ne va pas de soi pour un homme affecté d'un défaut de prononciation un zézément.
34:14 "We shall defend our island, whatever the cost may be.
34:20 We shall fight on beaches, landing grounds, in fields, in streets.
34:27 We shall never surrender.
34:30 Whatever the cost, we shall never surrender."
34:34 Des qualités oratoires que De Gaulle reconnaît lui envier.
34:39 Quel que fût son auditoire, qu'il se trouva devant un micro, à la tribune, à table ou derrière un bureau,
34:46 le flot original, poétique, émouvant de ses idées, arguments, sentiments,
34:52 lui procurait un ascendant presque infaillible dans l'ambiance dramatique où haletait le pauvre monde.
34:58 Ce monde tourne vraiment sur ses gonds lorsque les États-Unis entrent en guerre en décembre 1941.
35:05 Malgré l'admiration que De Gaulle voue à Churchill,
35:09 leurs relations connaîtent à nouveau une période de glaciation avec l'arrivée d'un troisième homme
35:14 qui s'impose alors entre eux de toute sa puissance, le président Franklin Roosevelt.
35:20 Churchill, proche de lui pour des raisons tant historiques que personnelles, sa propre mère était américaine,
35:25 se rapproche davantage encore. Un pas de deux qui exclut le français.
35:30 L'important est que Roosevelt ait désormais le leadership du monde libre.
35:35 La détestation de Roosevelt pour De Gaulle est notoire. Il voit en lui un apprenti dictateur.
35:53 Non seulement il le méprise, mais il tente d'y entraîner Churchill qui se retrouve écartelé entre deux fidélités.
36:00 Roosevelt et Churchill ont un plan pour mener l'offensive depuis l'Afrique du Nord, mais ils ne souhaitent pas y associer De Gaulle.
36:10 « Si nous avions mêlé De Gaulle à l'affaire, cela aurait produit le plus fâcheux effet sur les réactions des français d'Afrique du Nord.
36:17 Pourtant, il fallait manifestement trouver quelques hautes personnalités françaises et aux yeux des britanniques comme des américains,
36:24 nul ne semblait plus qualifié que le général Giraud. »
36:28 Le général Giraud est plus souple, plus accommodant et tellement plus chaleureux que l'insupportable De Gaulle.
36:42 Il est le pion idéal pour les américains et un rival de taille pour De Gaulle désormais sur la touche.
36:49 « Nous parlâmes de Roosevelt et de son attitude à mon égard.
36:53 « Ne brusquez rien, dit M. Churchill. Voyez comment, tour à tour, je plie et me relève.
36:59 Vous le pouvez, observe-je, parce que vous êtes assis sur un État solide, une nation rassemblée, un empire uni, de grandes armées.
37:08 Mais moi, où sont mes moyens ? Pourtant, j'ai, vous le savez, la charge des intérêts et du destin de la France.
37:16 C'est trop lourd et je suis trop pauvre pour que je puisse me courber. »
37:21 M. Churchill conclut notre entretien par une démonstration d'amitié et d'émotion.
37:26 « Nous avons encore de rudes obstacles à surmonter, mais un jour, nous serons en France, peut-être l'année prochaine.
37:33 En tout cas, nous y serons ensemble. Je ne vous lâcherai pas. »
37:38 Et pourtant, Churchill organise une opération d'envergure avec le président américain.
37:47 Une ligne transatlantique spéciale permet même au premier ministre britannique de s'entretenir à tout instant avec lui.
37:56 « Lors d'état-major, ourdisse en secret l'opération Torch, un débarquement de troupes alliées en Afrique du Nord en novembre 1942,
38:05 et de Gaulle est exclu de tous ses préparatifs. »
38:09 « J'avais conscience des liens qui nous unissaient à de Gaulle et de la gravité de l'affront que nous allions lui infliger
38:17 en le tenant délibérément à l'écart de toute participation à l'entreprise.
38:22 J'avais l'intention de l'informer juste avant que le coup ne fût porté. »
38:50 Ce débarquement, mené sur les plages d'Algérie et du Maroc, permet aux Alliés de prendre pied sur le sol africain.
38:57 C'est leur première grande victoire militaire et de Gaulle n'en est pas.
39:04 C'est aussi que Roosevelt a son homme et il n'en démord pas, le général Giraud, qu'il tient à installer à la tête de l'armée d'Afrique.
39:15 De toute évidence, l'orgueil de de Gaulle est agressé au plus haut par ses alliés.
39:20 « Monsieur Churchill s'en prit alors à moi sur un ton acerbe et passionné.
39:24 Il s'écria avec fureur, « Vous dites que vous êtes la France ? Vous n'êtes pas la France !
39:30 Je ne vous reconnais pas comme la France ! »
39:32 Puis, toujours véhément, « La France, où est-elle ? »
39:38 Comment n'on concevrait-il pas une humiliation d'autant plus cruelle que la conférence d'enfant se déroule en janvier 1943 devant les caméras internationales ?
39:48 Roosevelt et Churchill y préparent déjà leur stratégie pour l'après-guerre.
39:58 Manifestant des armes, ils se déroulent en France.
40:01 De Gaulle arrive en retard, allant même jusqu'à les faire attendre deux jours.
40:06 De Gaulle arriva enfin le 22 janvier et fut conduit à sa villa, qui était voisine de celle de Giroud.
40:13 Il refusa d'aller rendre visite à ce dernier et il fallut plusieurs heures d'efforts pour le décider à changer d'avis.
40:20 « Je ne suis pas le président de la France, je suis le président de la France.
40:24 » Il refusa d'aller rendre visite à ce dernier et il fallut plusieurs heures d'efforts pour le décider à changer d'avis.
40:31 J'eus un entretien glacial avec De Gaulle et lui fit très clairement comprendre que nous n'hésiterions pas à rompre définitivement avec lui s'il persistait dans son opposition.
40:41 « Le premier ministre m'adressa des reproches amères, où je ne pus voir autre chose que l'alibi de l'embarras.
40:51 Il m'annonça qu'en rentrant à Londres, il m'accuserait publiquement d'avoir empêché l'entente,
40:56 dresserait contre ma personne l'opinion de son pays et en appellerait à celle de la France.
41:02 De toute la guerre, ce fut la plus rude de nos rencontres. »
41:06 De Gaulle se résout finalement à s'asseoir à la table des négociations pour être agréable à Churchill,
41:12 qui aura beaucoup insisté. Un moment historique totalement fabriqué.
41:17 Il dira même à Roosevelt « I shall do that for you », autrement dit « si je le fais, c'est bien pour vous ».
41:24 Roosevelt le pousse à faire une seconde prise pour la bonne cause, soit disant.
41:45 De Gaulle, qui sort du cadre, dirige désormais conjointement avec le général Giraud les forces françaises en guerre.
41:52 « M. Churchill, chaque fois que nous nous heurtions en raison des intérêts dont nous avions respectivement la charge,
42:04 faisait de notre désaccord comme une affaire personnelle.
42:08 Il en était blessé et chagriné à proportion de l'amitié qui nous liait l'un à l'autre.
42:13 Ses dispositions de l'esprit et du sentiment, joints aux recettes de sa tactique politique,
42:19 le jetaient dans des crises de colère qui secouaient rudement nos rapports. »
42:23 Ce que veulent les anglo-saxons, c'est rien moins que la mise sous tutelle américaine de la France,
42:30 ce qui est aux yeux de De Gaulle inacceptable, inenvisageable et non négociable.
42:39 On comprend dès lors que De Gaulle subisse un troisième affront.
42:43 Il est exclu des préparatifs du jour J, le débarquement en Normandie, le 6 juin 1944.
43:04 À 6h30, les premières troupes d'assaut et les chars des alliés débarquent sur les plages normandes.
43:11 Au même moment, celui que l'on surnomme le général Micro en est réduit à user de la BBC,
43:24 cette fois pour sauver l'honneur et assurer la présence de la France libre et de son chef en ce jour historique.
43:31 « Après tant de combats, de fureurs, de douleurs, voici venu le choc décisif.
43:38 C'est la bataille de France et c'est la bataille de la France. »
43:43 La circonstance le pousse à être plus lyrique qu'à l'accoutumée en adoptant, une fois de plus, des accents tchertchiliens.
43:50 « Derrière le nuage si lourd de notre sang et de nos larmes,
43:55 voici que reparaît le soleil de notre grandeur. »
44:01 De Gaulle, lui, a débarqué en Normandie six jours après les autres.
44:07 Il n'a qu'une idée en tête, libérer Paris.
44:10 Pour les alliés, c'est un objectif secondaire, ils veulent même contourner la capitale.
44:16 Mais De Gaulle n'en démore pas et il faut que ce soit des Français,
44:20 ceux de la deuxième division blindée du général Leclerc, qui entrent les premiers dans Paris.
44:26 Et que ce soit lui, le général De Gaulle, qui incarne la libération la plus symbolique au regard de la postérité.
44:34 Une exigence de plus qui agace son allié Churchill.
44:38 « Ce type. De Gaulle est insupportable et c'est lui qui a raison.
44:43 La France, la seule France. La France libre, c'est lui et nul autre.
44:48 Et dans l'avenir, ce sera lui, aussi vrai que moi, Churchill, je serai celui de l'Angleterre. »
44:55 Le 25 août 1944, le général De Gaulle entre dans Paris en vainqueur.
45:11 Mais jusqu'à la fin de sa vie, il boycottera les commémorations du jour le plus long.
45:18 « Je ranime la flamme. Depuis le 14 juin 1940, nul n'avait pu le faire qu'en présence de l'envahisseur.
45:30 Puis je quitte la voûte et le terre-plein. Les assistants s'écartent. Devant moi, les Champs-Élysées.
45:39 Ah, c'est la mer. Une foule immense, émassée de part et d'autre de la chaussée. Peut-être deux millions d'âmes.
46:00 Nous aurons ainsi, tous ensemble, bouleversés, fraternels, sentant la joie, la fierté, l'espérance nationale remonter du fond des abîmes.
46:12 Il s'agit aujourd'hui de rendre à lui-même, par le spectacle de sa joie et l'évidence de sa liberté,
46:27 un peuple qui fut hier écrasé par la défaite et dispersé par l'inservitude.
46:34 » De toutes les images du général pris ou filmé pendant la guerre, c'est la première fois qu'on le voit enfin le sourire aux lèvres.
46:51 Lorsqu'il accueillera le premier ministre anglais deux mois plus tard, c'est bien de son ami Churchill qu'il s'agira à nouveau, l'un comme l'autre, aux fêtes de leur gloire.
47:00 « De Gaulle me reçut à un grand déjeuner au ministère de la guerre et prononça des paroles extrêmement flatteuses au sujet de mon rôle durant le conflit.
47:11 Je fus frappé par le respect, voire la crainte, qu'une demi-douzaine de généraux de haut grade témoignaient à de Gaulle, bien qu'il n'eût qu'une étoile sur son uniforme. »
47:21 Les deux chefs de guerre se retrouvent face à face pour l'éternité, en bas des Champs-Elysées.
47:35 Le sculpteur les a incarnés en hommes qui marchent. Ils sont l'histoire, mais se dirigent toujours vers l'avant.
47:42 Dès la fin de la guerre, ils continuent à dominer le paysage politique.
47:48 Le 13 novembre 1945, De Gaulle est élu président du gouvernement provisoire.
47:57 Mais Churchill, lui, tombe de son socle. Il est balayé aux élections par un raz-de-marée travailliste.
48:21 Enchanté, il se met au vert dans son domaine de Chartwell, en retrait pour y écrire ses mémoires de guerre.
48:27 Fidèle à sa promesse d'être l'historien d'une épopée dont il avait été également le héros, il produit avec son équipe six tomes, dont le premier paraît en 1948.
48:46 Churchill devient un auteur à succès car les ventes de son œuvre sont considérables et durables, tant aux États-Unis qu'en Angleterre.
48:54 À la librairie Hartshards à Londres, il est même le seul à bénéficier de tout un pan de bibliothèques dédiées à ses propres livres, ainsi qu'à tous ceux, nombreux, qui l'ont été consacré à ce jour.
49:14 Pendant ce temps, le général de Gaulle, qui a quitté le pouvoir et qui entame, lui aussi, une traversée du désert, commence à peine à écrire ses propres mémoires de guerre, loin de la rumeur du monde.
49:25 Dans le tumulte des hommes et des événements, la solitude était ma tentation. Maintenant, elle est mon amie.
49:36 De quel autre se contenter quand on a rencontré l'histoire ?
49:42 Avec ses souvenirs de la France libre qui ont la force du témoignage, de Gaulle quitte le statut d'écrivain militaire qu'il avait acquis dans les années 30 pour celui d'écrivain d'histoire.
49:54 Un écrivain ne comprend ce qui lui arrive que lorsqu'il l'écrit. De Gaulle a l'ambition d'édifier une œuvre et de se démarquer ainsi de Churchill qui, selon lui, s'est contenté de, je cite, "mettre beaucoup de choses bout à bout".
50:08 Pourtant, Winston Churchill est celui des deux que l'Académie suédoise a choisi de consacrer en 1953 par le prix Nobel de littérature.
50:18 Le comble, c'est que l'élu ne dissimule pas sa déception.
50:25 Churchill a été un des premiers à être élu, et il a été élu par la suite.
50:31 Le comble, c'est que l'élu ne dissimule pas sa déception.
50:37 Churchill ne prend même pas la peine de se déplacer jusqu'à Stockholm et y envoie sa femme.
50:59 Il ne fait guère de doute à l'époque que cette année-là, la récompense est moins motivée par des préoccupations littéraires que par un souci politique et diplomatique.
51:08 En fait, Sir Winston espérait le prix Nobel de la paix qui ira finalement à Albert Schweitzer, qu'il moque en privé.
51:15 Mais il se résigne à accepter son Nobel lorsqu'il apprend que le chèque est d'un montant de 12 000 livres sterling non imposable.
51:24 (Musique)
51:28 Quant à de Gaulle, la parution de ses « Mémoires de guerre » un an plus tard chez Plon, éditeur choisi parce qu'il avait été celui des grands Poincaré, Fauch ou Churchill, a un grand authentissement, tant dans le monde politique que littéraire, dans de nombreux pays.
51:50 (Musique)
51:53 Désormais inscrit au plus prestigieux des palmarès littéraires, Churchill a tout de même été sacré écrivain, entre François Mauriac et Ernest Hemingway, excusé du peu.
52:08 Or l'Académie suédoise est censée distinguer un écrivain et non un polygraphe doué, ferru d'histoire et assisté par un atelier de nagres.
52:19 Lorsqu'on les relit avec le recul du temps, Charles de Gaulle est bien des deux l'écrivain.
52:24 Un classique dont l'esprit est gouverné par un absolu de la langue française et donc de l'écriture.
52:30 Toute sa vie, il s'était fait une certaine idée de la France à travers la littérature qu'il avait formée à jamais.
52:37 Qu'importe au fond puisque ce qui en reste, c'est d'abord l'histoire d'une amitié contrariée car passionnée entre deux hommes que liait une admiration réciproque.
52:48 Deux monstres sacrés au destin façonné par la houle de l'histoire.
52:53 « Je savais qu'ils n'étaient pas amis de l'Angleterre, mais j'ai toujours retrouvé en lui l'esprit et les conceptions que le mot France évoquera éternellement tout au long des pages de l'histoire. »
53:13 « Les incidents rudes et pénibles qui se produisirent à maintes reprises entre nous, en raison des frictions de nos deux caractères, ont influé sur mon attitude à l'égard du premier ministre, mais non point sur mon jugement. »
53:26 « Winston Churchill m'a paru d'un bout à l'autre du drame, comme le grand champion d'une grande entreprise et le grand artiste d'une grande histoire. »
53:37 Le premier ministre de la République, Charles de Gaulle, a-t-il été le premier ministre de la République ?
53:42 Le premier ministre de la République, Charles de Gaulle, a-t-il été le premier ministre de la République ?
53:48 Le premier ministre de la République, Charles de Gaulle, a-t-il été le premier ministre de la République ?
53:54 Le premier ministre de la République, Charles de Gaulle, a-t-il été le premier ministre de la République ?
54:01 Le premier ministre de la République, Charles de Gaulle, a-t-il été le premier ministre de la République ?
54:06 Le premier ministre de la République, Charles de Gaulle, a-t-il été le premier ministre de la République ?
54:12 Le premier ministre de la République, Charles de Gaulle, a-t-il été le premier ministre de la République ?
54:18 Le premier ministre de la République, Charles de Gaulle, a-t-il été le premier ministre de la République ?