Ils sont régulièrement l’objet de critiques très dures, on les juge « laxistes », « politisés », « déconnectés » … Mais ces reproches sont-ils justifiés ? Quel est le quotidien des juges en France ? Comment parlent-ils de leur réalité ?
Pourquoi, malgré les moyens alloués à l’institution, malgré les augmentations de budget, la justice française ne semble-t-elle à la hauteur pour personne : ni pour les justiciables, ni pour les magistrats ? Rebecca Fitoussi et ses invités ouvrent le débat.
Année de Production : 2023
Pourquoi, malgré les moyens alloués à l’institution, malgré les augmentations de budget, la justice française ne semble-t-elle à la hauteur pour personne : ni pour les justiciables, ni pour les magistrats ? Rebecca Fitoussi et ses invités ouvrent le débat.
Année de Production : 2023
Category
📺
TVTranscription
00:00 Dans les yeux des juges, documentaire de Mathieu Delahousse et d'Amien Verkamer,
00:05 un film qui donne la parole aux magistrats, qui nous plonge dans leur quotidien,
00:09 dans leur réalité souvent méconnue.
00:11 L'institution a-t-elle les moyens de rendre justice correctement avec nous ?
00:15 Pour en parler, François-Noël Buffet, bienvenue, vous êtes sénateur LR du Rhône,
00:19 président de la commission des lois au Sénat,
00:21 et je précise que vous êtes avocat de profession, c'est important pour cette émission.
00:25 Stéphanie Caprin, bienvenue à vous également.
00:27 Vous êtes secrétaire nationale de l'USM, Union syndicale des magistrats,
00:30 premier syndicat de la profession,
00:32 et vous êtes vice-présidente chargée de l'instruction au tribunal judiciaire de Pontoise.
00:36 Pierre-Marie Sèvres, bienvenue à vous également.
00:38 Vous êtes directeur de l'Institut pour la justice,
00:40 association qui regroupe citoyens, victimes et experts du monde judiciaire,
00:44 et vous êtes vous-même juriste de formation.
00:46 Olivia Dufour, bienvenue à vous également.
00:48 Vous êtes journaliste et essayiste, spécialisée dans le droit et la justice,
00:52 auteure de très nombreux ouvrages sur l'institution judiciaire.
00:56 La justice en voie de déshumanisation, c'est le dernier,
00:58 mais il y a également justice et médias, justice, une faillite française,
01:02 tout cela paru chez LGDJ.
01:04 Merci beaucoup à tous les quatre d'être ici.
01:06 Voilà un film qui donne l'impression de vouloir réhabiliter les juges
01:10 à un moment où leur image se dégrade, dans l'opinion.
01:13 Pour preuve, ces chiffres qui ressortent de l'étude Odoxa,
01:16 Backbone Consulting pour le Figaro, enquête réalisée il y a tout juste quelques semaines.
01:20 69% des sondés qualifient les juges de plutôt politisés.
01:24 77% les accusent d'être plutôt laxistes.
01:28 On sort d'un film qui dit autre chose des juges, je trouve.
01:32 Est-ce que les Français sont durs avec les magistrats, Stéphanie Caprin ?
01:35 Oui, je pense, oui, et j'espère que d'avoir vu ce beau reportage
01:39 qui montre la réalité quotidienne des magistrats dans les tribunaux
01:43 leur permettra de changer peut-être un peu de regard,
01:46 leur donnera envie d'aller eux-mêmes pousser la porte des tribunaux
01:49 puisque la plupart des audiences sont publiques et sont accessibles à tout le monde.
01:53 J'espère que ça leur permettra de changer un peu d'avis
01:56 sur la réalité de notre travail au quotidien, notre investissement.
02:00 Sur l'opinion publique, après, j'ai 15 ans d'ancienneté,
02:04 je n'ai pas souvenir qu'on nous ait beaucoup aimés,
02:07 même quand je débutais il y a une quinzaine d'années.
02:10 J'ai souvenir aussi d'un de mes professeurs de droit à l'université
02:13 qui disait que quand on est magistrat, on ne fait pas ça pour être aimé.
02:16 Au mieux, on fait un mécontent sur les deux parties.
02:19 La plupart du temps, on fait deux mécontents.
02:22 On n'arrive jamais à satisfaire tout le monde, ça c'est certain,
02:25 puisqu'on tranche, on décide.
02:27 - Vous jugez par définition François-Noël Buffet,
02:30 c'est un regard qui vous semble sévère de la part des Français.
02:33 Ces chiffres sont étonnants, ils sont très récents.
02:36 - C'est un regard qui est sévère, mais c'est un regard qui est fondé
02:39 principalement sur l'appréhension qu'ils ont de la justice pénale
02:42 et de ce que veulent bien leur donner les médias à longueur de journée
02:47 ou aux journales télévisés de 20 heures.
02:50 C'est-à-dire globalement sur ce qui est finalement une petite partie de la justice.
02:54 Quand on parle justice, on pense pénale,
02:57 alors que la majorité des sujets sont des sujets civils.
03:00 C'est aussi extrêmement important, il y a peu de regard porté là-dessus.
03:04 En revanche, il y a une certitude, c'est qu'entre le moment où moi,
03:07 quand j'étais à l'époque étudiant et que j'ai fait le choix d'être avocat,
03:11 devenir magistrat, c'était un choix très fort,
03:14 non pas que je ne l'aurais pas fait, mais on rentrait dans la profession,
03:18 on rentrait dans une institution, en ayant conscience d'un rôle
03:22 extrêmement important sur le plan social, bien évidemment.
03:25 Aujourd'hui, la vocation, elle est toujours là,
03:28 la reconnaissance du public est un peu différente,
03:30 en tous les cas, mal comprise.
03:32 Mais on avait fait un sondage au Sénat, je me souviens, en septembre 2021,
03:35 quand on avait organisé Nagora de la justice,
03:38 et ce sondage avait révélé que si à peu près, je parle de mémoire,
03:42 53% des Français n'avaient pas confiance dans la justice,
03:45 51 ou 52% avaient confiance dans leur juge,
03:48 ce qui était tout à fait intéressant.
03:51 Ce n'était pas la même chose.
03:52 - Il y a le concept et il y a l'humain.
03:54 - Voilà, donc il y a un gros travail d'abord de reconnaissance du métier,
03:58 de la profession, quand on parle de la justice,
04:00 on parle bien sûr des magistrats, n'oublions pas les greffiers,
04:03 tous ceux qui concourent à l'acte de justice,
04:06 et que de ce fait, il y a besoin de retrouver cette confiance-là.
04:09 Ça a été un des objectifs, en tous les cas,
04:11 qu'on avait évoqué, nous, dans un rapport en 2016 à la Commission des lois,
04:15 mais qui a été repris très clairement au moment où M. Sauvé pilotait
04:20 les états généraux de la justice, où c'était un élément fondamental,
04:24 et dans le travail qui est mené actuellement, on y reviendra peut-être,
04:27 il y a aussi ce souci au-delà des moyens, de reconnaissance de la profession
04:31 et du métier de juge, qui est un métier magnifique,
04:35 mais qui est un métier difficile.
04:37 - Mais on le voit dans ce film.
04:38 - C'est un métier compliqué.
04:39 - Olivier Dufour, les Français se font une fausse image des juges.
04:42 - Je rejoins M. le sénateur sur le fait que c'est surtout, effectivement,
04:46 la justice pénale, que peut-être on a beaucoup de mal à faire de la pédagogie
04:50 sur ce que c'est que l'état de droit, parce que derrière aussi,
04:53 ce problème du rapport au juge, il y a souvent,
04:57 on a remis un criminel en liberté, pourquoi ne reste-t-il pas agi
05:01 derrière les barreaux, et c'est parce qu'on ne sait pas expliquer
05:05 aussi la démocratie.
05:06 - Quand vous dites "on", c'est qui, les médias ?
05:08 C'est compliqué d'expliquer la justice ?
05:10 - C'est une oeuvre collective, oui, les médias, effectivement,
05:12 mais pas que, je crois que c'est tout le monde qui doit,
05:16 et il faudrait vraiment l'enseigner à l'école, très sérieusement.
05:19 Ça, c'est quelque chose qu'on dit et qu'on répète,
05:22 mais qu'on ne fait pas assez, pour que les gens comprennent
05:24 que non, on ne reste pas à vie derrière les barreaux,
05:27 que quand quelqu'un a exécuté sa peine, la personne doit sortir,
05:32 toutes ces choses-là.
05:34 Donc je pense qu'il y a aussi une espèce d'assimilation
05:37 et qu'on reproche aux magistrats, en réalité,
05:40 cet état de droit qu'on ne comprend pas.
05:43 - Vous diriez que c'est même de pire en pire, ce regard sur les juges ?
05:46 - Oui, parce qu'on va aussi...
05:48 - La preuve, c'est qu'elle a toujours connu ça depuis 15 ans,
05:50 est-ce que ce regard n'est pas de plus en plus sévère ?
05:52 - Moi, je suis journaliste dans la justice depuis 1997,
05:56 et déjà, Mme Guigou, à l'époque, voulait restaurer la confiance
05:59 dans la justice, j'ai pas entendu un garde des Sceaux
06:01 dire autre chose que ça.
06:03 Donc c'est un problème absolument récurrent,
06:06 mais il arrive aussi régulièrement que les politiques
06:09 jettent de l'huile sur le feu, parce que lorsqu'il y a un scandale
06:12 qui éclate, et il y a immédiatement...
06:14 - Ça les arrange.
06:16 - C'est de la faute des magistrats qui ont fauté,
06:19 ce qui est rarement le cas, il faut bien le dire,
06:22 et puis, mais je pense qu'on y reviendra,
06:24 ils payent aussi un manque de moyens,
06:26 dont ils ne sont absolument pas responsables,
06:28 il ne faut pas anticiper.
06:30 - Revenons peut-être sur cette accusation de laxisme avec vous,
06:32 Pierre Marisset, puisque vous représentez aussi
06:34 un des citoyens sur ce plateau, est-ce qu'elle est vraiment fondée,
06:36 cette accusation de laxisme ?
06:38 Quand on regarde ce chiffre, 74 513 personnes incarcérées,
06:42 c'est un nouveau record du nombre de détenus en France,
06:45 et c'est un chiffre qui ne cesse d'augmenter d'année en année.
06:48 Est-ce que la justice est vraiment laxiste, selon vous ?
06:51 Est-ce que vous partagez ce qui est dit dans le sondage
06:53 que je citais précédemment ?
06:55 - Eh bien, moi ce qui est certain, ce sur quoi je voudrais revenir,
06:58 c'est que, à mon avis, le manque de confiance
07:01 envers les magistrats tient surtout à un fait,
07:04 qui est l'augmentation continue de la criminalité en France
07:08 depuis les années 70.
07:10 Moi, j'ai lu pas mal sur cette période-là,
07:13 il y avait notamment un garde d'essau qui s'appelait Alain Perfit,
07:15 qui avait beaucoup travaillé, qui avait fait un rapport
07:18 qui s'appelait "Réponse à la violence", en 77,
07:20 qui s'est terminé par le projet de loi,
07:23 et même la loi qui a été votée, "Sécurité, liberté".
07:26 Et moi, j'avais vraiment été marqué, en lisant ce projet de loi,
07:29 en lisant le rapport, par l'espèce de fossé
07:32 entre ce que l'immense majorité des citoyens demandait déjà à l'époque,
07:36 donc dans les années 70, qui est le début de l'augmentation de la criminalité,
07:40 si vous voulez juste un ordre de grandeur,
07:42 le taux de criminalité, qui est un peu tout confondu,
07:44 qui est à la fois homicide et vol,
07:46 il a été multiplié par 5 entre les années 60 et aujourd'hui,
07:49 et en gros, cette augmentation-là, elle date des années 70 et des années 80.
07:53 Et donc, l'immense majorité des citoyens demandait plus de fermeté
07:57 à la justice, à la police aussi,
08:00 tout ça parce qu'ils étaient mécontents de l'augmentation de l'insécurité
08:03 et des répercussions que ça avait sur leur mode de vie.
08:05 Mais je pense que oui, la justice doit répondre aux citoyens.
08:09 Donc pour vous, elle est trop laxiste ? Vous partagez cette...
08:12 Moi, je pense en tout cas que son action ne permet pas de résoudre
08:15 la hausse continue de la criminalité et que c'est un problème.
08:18 Et que quand cette criminalité augmente,
08:20 il est normal que les citoyens se retournent vers ceux qu'ils voient comme responsables,
08:24 en tout cas, pas forcément de cette hausse, mais de la régulation de cette criminalité.
08:27 Ce sont donc les juges, les politiques, les policiers, etc.
08:31 Donc ça me semble en tout cas logique.
08:33 Ça pose la question de l'efficacité des peines, peut-être,
08:35 qui sont prononcées, Stéphanie Caprin.
08:36 C'est peut-être ça qu'on entend aussi dans le discours
08:38 de celui qui représente les citoyens sur ce plateau.
08:40 Si vous me permettez de remonter juste un tout petit peu,
08:43 rappelez que le rôle des magistrats, c'est d'appliquer la loi en premier lieu.
08:46 On s'en est d'accord.
08:47 Donc on applique les lois qui sont applicables,
08:50 avant de répondre aux citoyens.
08:52 Après, les lois doivent entendre ou tempérer l'opinion aussi,
08:58 ou les ramener peut-être à une réalité qui est peut-être plus objectivée.
09:02 Parce que là, j'entends que vous nous parlez d'un ressenti.
09:04 Je ne suis pas statisticienne, je ne sais pas la multiplication par 5.
09:08 Pour ma part, je n'ai pas souvenir d'avoir, avec certitude, vu ces chiffres-là.
09:12 Il y a la question du chiffre noir aussi, avec la question de, il y a quelques années,
09:16 on portait moins plainte, on portait moins devant la place publique,
09:19 certains faits qui étaient traités au niveau de la famille,
09:22 au niveau de la communauté, etc.
09:25 Il y a une demande plus forte de justice, là-dessus je vous rejoins.
09:28 Une demande, certes, qui a explosé, une demande plus forte de justice
09:30 de la part des citoyens, et ça, à nous de l'entendre, effectivement,
09:34 de répondre à cette demande de justice, ça, je pense que c'est notre rôle.
09:37 Après, considérer qu'on est devenu une délinquante,
09:41 une société ultra délinquante, ultra violente,
09:43 comme vous le décrivez, en 30 ou 40 ans...
09:46 - Ça, vous ne le partagez pas ?
09:47 - Je ne le partage pas.
09:49 Après, pour vous répondre sur l'efficacité des peines,
09:51 parce que c'est aussi une question importante,
09:54 elle découle, elle est en lien avec, en tout cas, le manque de moyens
09:58 qui a été évoqué aussi précédemment.
10:01 Ce qui n'est pas compris, effectivement, par les personnes,
10:04 et je pense que la majorité de mes collègues aussi le rejoignent,
10:08 c'est quand une peine est prononcée, qu'elle ne soit pas exécutée.
10:11 - Pas appliquée.
10:12 - Parce qu'il n'y a pas suffisamment de personnel,
10:16 que ce soit des parquetiers pour mettre exécution,
10:19 des juges de l'application des peines pour suivre.
10:21 Ils ont déjà des portefeuilles où ils suivent 800, 900 mesures.
10:25 Comment on peut affiner réellement un suivi quand on suit 800, 900 personnes ?
10:30 Les conseillers d'insertion de probation, pareil,
10:33 ont énormément de personnes à suivre.
10:38 Que ce soit le décalage dans le temps,
10:40 voire la prescription de la peine,
10:42 même si je pense que statistiquement,
10:44 il y a assez peu de prescriptions de la peine,
10:46 mais en tout cas, le fait que les peines
10:48 ne soient pas forcément toujours exécutées immédiatement
10:52 avec le suivi qui serait nécessaire,
10:55 que ce soit en détention ou hors détention,
10:57 peut être quelque chose de mal compris par les citoyens.
11:00 - Et ça creuse le fossé entre les citoyens d'un côté
11:02 et le monde de la justice de l'autre, non ?
11:04 - Je pense que...
11:06 D'abord, on se fait une fois de plus référence à la justice pénale.
11:09 La réalité, c'est que les peines n'ont jamais été aussi élevées
11:13 et qu'elles ont, prononcées j'entends,
11:15 ont continuellement augmenté.
11:17 Le problème de fond, aujourd'hui,
11:19 c'est celui de l'exécution des peines, vous avez parfaitement raison.
11:22 Et la manière d'exécuter la peine peut être parfaitement différente.
11:26 Naturellement, quand on met les gens en prison,
11:28 c'est le plus dangereux pour les infractions renouvelées,
11:30 il n'y a pas de difficulté là-dessus.
11:32 Mais tout ne passe pas forcément par la détention.
11:34 En tous les cas, la détention telle qu'on l'imagine
11:37 dans l'inconscient collectif, quatre murs, fermés,
11:40 hyper sécurisés, c'est nécessaire.
11:43 On peut avoir aussi des lieux de semi-liberté,
11:45 qui peuvent être plus adaptés.
11:47 On peut avoir aussi tout le sujet de l'exécution de la peine
11:50 et de son suivi par les services pénitentiaires
11:53 qui doivent être renforcés.
11:55 Là, il y a une question de moyens.
11:57 En réalité, on pense aujourd'hui que le problème de fond,
11:59 c'est un problème d'exécution des peines,
12:01 de diversification des lieux privatifs de liberté,
12:04 et donc des moyens qu'on met en place aussi pour rassurer cela.
12:07 Parce que la question est toujours la même,
12:09 on a toujours d'excellentes idées sur plein de sujets,
12:11 d'excellents textes, on légifère beaucoup,
12:14 sans doute beaucoup trop, naturellement,
12:16 mais on ne va jamais au bout du système
12:18 pour faire fonctionner le système.
12:20 Or, parce que c'est les moyens qui ne se voient pas,
12:22 et on ne fait jamais assez d'efforts
12:25 pour que le système aboutisse à un fonctionnement optimal
12:28 et qu'on s'en donne les moyens.
12:30 C'est la raison pour laquelle, à la Commission des lois,
12:32 nous avons décidé, j'ai proposé,
12:34 on mettra en place au début de l'année,
12:37 une mission sur l'exécution des peines.
12:40 Je veux impérativement qu'on aille au bout du dispositif,
12:42 dans le constat et dans les solutions qu'on peut apporter,
12:45 parce que je crois que c'est le sujet de fond.
12:47 Il me semble que politiquement, cette fois-ci,
12:50 on aura une réponse beaucoup plus efficace
12:52 à l'égard de nos concitoyens,
12:53 dès lors qu'eux-mêmes auront la conviction, la certitude,
12:56 que une peine prononcée est parfaitement exécutée,
12:59 dans un délai rapide, qui permette la réponse rapide,
13:02 qui a du sens.
13:03 La réponse trop lointaine n'a pas de sens.
13:05 Ce travail est très important et on va l'engager au Sénat.
13:08 - Je voudrais quand même rajouter une idée
13:11 dont on parlait beaucoup il y a 20 ans
13:13 et dont on parle moins, et c'est dommage,
13:15 parce qu'on le disait à l'époque notamment d'Elisabeth Guigou,
13:18 la justice, elle arrive en bout de chaîne.
13:20 Il ne faut pas l'oublier, ça.
13:22 C'est-à-dire qu'en plus, le juge n'a pas le droit
13:24 de refuser de juger.
13:26 Vous me corrigez si je me trompe.
13:28 C'est peut-être la seule administration
13:30 qui est confrontée à cette obligation d'agir.
13:33 Et elle arrive au bout du bout.
13:35 Notamment, qu'est-ce qui donne un sentiment d'insécurité ?
13:38 Ce sont les halls d'immeubles occupés par des gamins
13:41 plus ou moins délinquants, parfois pas, juste qui s'ennuient,
13:44 parfois des trafiquants de droncs.
13:47 Et donc, ça nourrit un sentiment d'insécurité.
13:50 Mais ça, c'est la démission des parents, de l'éducation,
13:53 c'est la démission de la société toute entière.
13:56 Et en bout de chaîne, voilà les magistrats
13:59 à qui on dit "on n'est pas heureux, il y a des problèmes
14:02 dans nos halls d'immeubles, c'est de votre faute".
14:05 Mais ils ne peuvent pas, et ils peuvent d'autant moins
14:07 qu'ils n'ont pas en plus les moyens ni de faire leur travail,
14:10 ni de faire un travail supplémentaire qui est celui qu'on attend.
14:13 Donc, il faut se rendre compte qu'il y a un décalage
14:15 entre les attentes énormes d'une société
14:18 qui se laisse totalement aller, d'une certaine manière,
14:21 et qui arrive devant le juge en disant
14:23 "c'est toi qui vas sauver la situation". Le juge ne peut pas.
14:26 - Sur l'exécution des peines, je peux en tout cas vous donner un chiffre.
14:29 Il y a un an, l'Institut pour la justice avait sorti un rapport
14:31 qui a été confirmé par le ministère de la Justice.
14:33 41% des condamnés à de la prison ferme,
14:36 des personnes qui ont été condamnées à de la prison ferme,
14:38 et la prison ferme, ce n'est quand même pas rien,
14:40 ne mettent jamais les pieds en prison.
14:42 C'est quand même énorme. 4 personnes sur 10.
14:44 La raison est simple. - Un chiffre qui vous parle ?
14:47 - Qui a été confirmé par le ministère de la Justice,
14:48 qui a été fact-checké deux fois par France Info.
14:50 - Je pense que la question, c'est le mode d'exécution
14:52 de la peine de prison ferme, avec le principe d'un aménagement...
14:55 - Donc avec le brasseau électronique.
14:57 - Voilà, donc le seuil de la semi-liberté, le brasseau électronique,
14:59 voire une conversion pour les plus petites peines
15:02 d'à quelques mois, de moins de six mois, en juramende.
15:05 - Mais il n'empêche que pour le grand public,
15:08 quand 4 condamnés à de la prison ferme,
15:11 à des procès dont ils entendent parler,
15:13 parfois c'est leur frère, parfois c'est eux,
15:15 parfois c'est leur cousin, leur cousine, leur parent,
15:17 ils entendent que 4 sur 10 ne vont pas en prison
15:19 alors qu'ils ont été condamnés à de la prison ferme.
15:21 C'est certain que le fossé continue de se creuser.
15:23 Et la cause, elle en est simple,
15:25 et à mon avis, là, on rejoint le sujet du début,
15:27 c'est que ce ne sont pas les magistrats
15:29 qui sont à l'origine de ça, c'est la loi,
15:31 c'est le pouvoir exécutif, ce sont entre les années 2000 et 2010,
15:34 principalement sur les 4 sur 10,
15:36 c'est les aménagements de peine ab initio,
15:38 qui sont les aménagements de peine prononcés dès l'audience.
15:40 C'est-à-dire qu'un juge prononce une peine de prison ferme,
15:42 et dès l'audience, au cours de la même audience,
15:45 il dit que cette peine sera aménagée,
15:47 et donc fait effectuer hors de prison.
15:49 - Ça, ça a été un virage.
15:51 - Les citoyens sont trop durs avec les magistrats, effectivement.
15:54 - François Noël Buffet, vous pensez que ça a été un tournant,
15:56 effectivement, dans la perception de la justice,
15:58 de l'exécution de la justice ?
15:59 - Bien sûr que c'est un sujet, les gens ne comprennent pas,
16:01 que quelqu'un qui est condamné à de la prison ferme
16:03 n'aille pas immédiatement derrière les barreaux.
16:05 Il y a plusieurs raisons à tout ça, il y a plusieurs sujets.
16:07 Mais ça revient exactement à la question de fond qui est posée,
16:10 qui est la modalité, la capacité de faire exécuter nos peines
16:13 le plus rapidement possible.
16:15 Si on ne se donne pas les moyens de le faire, on n'y arrivera pas.
16:18 Bien sûr que les magistrats jugent, évidemment.
16:20 Mais toute la partie post-sententielle,
16:22 celle-ci est aujourd'hui dans une situation de grande difficulté.
16:25 Et c'est là qu'il faut, effectivement, porter l'effort.
16:29 Je pense que c'est fondamental, sinon le système ne va pas fonctionner.
16:32 Ce que vous avez rappelé est très juste, c'est un tout,
16:34 un système de police qui poursuit les infractions,
16:37 un système de justice qui juge,
16:38 et après il doit y avoir un troisième système
16:40 qu'on oublie souvent, qui a le côté, au sens large,
16:42 pénitentiaire, mais qui a le côté exécution de la peine,
16:45 sur lequel on a des efforts considérables à faire
16:47 si on veut que le système fonctionne.
16:48 Ça va nous amener à ce premier extrait que je voudrais
16:50 que l'on revoie ensemble, issu de ce documentaire,
16:52 parce que l'insatisfaction ne vient pas seulement des justiciables,
16:55 elle vient aussi de ceux qui la rendent, cette justice.
16:58 Et ce qu'on entend dans le film, c'est aussi un immense sentiment
17:01 d'impuissance dans un système à bout de souffle.
17:03 L'extrait est un petit peu long, mais il en vaut la peine, écoutez.
17:06 C'est une très grande souffrance pour les magistrats et les fonctionnaires
17:10 de voir que ce qu'ils pourraient faire, ils ne peuvent pas le faire.
17:14 Et que la qualité de la justice qu'ils voudraient rendre,
17:17 eh bien ils n'arrivent pas à l'obtenir.
17:20 Ça c'est vraiment… surtout que derrière, ils encourtent les reproches
17:24 que je comprends.
17:26 Longueur, obscurité, absence de disponibilité, etc.
17:31 Tout ça ce sont des critiques, il suffit d'avoir été justiciable
17:34 pour savoir que ces critiques sont justifiées.
17:37 Elles sont réelles, mais ce que nous n'arrivons pas à expliquer
17:41 et ce que j'essaie de faire devant vous, c'est de dire que finalement
17:44 toutes ces compétences, tout cet engagement,
17:47 il pourrait donner lieu à une justice de grande qualité
17:50 si elle avait finalement rattrapé son retard.
17:54 Et on est dans une situation où malgré des augmentations ponctuelles,
17:59 le retard s'accroît au fur et à mesure des années.
18:03 [Musique]
18:04 C'est un extrait que je trouve éclairant.
18:07 Olivier Dufour, le budget de la justice est aujourd'hui de 9,6 milliards d'euros.
18:10 Il est en augmentation de… pardon précisément…
18:13 10 milliards 100 exactement, je l'ai voté au mois de décembre dernier.
18:17 Alors, le dernier chiffre est celui-là.
18:19 Il est en augmentation, ça vous me le confirmez, de 8% depuis plusieurs années,
18:23 en 2021, en 2022…
18:25 Ça fait trois ans qu'il est en augmentation.
18:26 En trois ans, et en 2023.
18:27 Comment expliquer ce paradoxe, Olivier Dufour ?
18:30 Parce qu'on part de très loin en fait.
18:33 Il y a un universitaire qui s'appelle Jean-Charles Asselin,
18:35 qui était à la fois économiste et historien,
18:39 et qui a consacré une partie de sa vie à travailler sur ce sujet.
18:44 Il a publié un livre qui s'appelle "L'argeur de la justice",
18:46 dans lequel il explique que ça remonte au 19e siècle.
18:50 Déjà, le budget de la justice, en part du budget de l'État, était assez modeste.
18:55 Mais à l'époque, on avait des frais de justice.
18:57 Parce que quand on dit que la justice doit être gratuite,
18:59 la grande idée révolutionnaire,
19:01 c'est simplement que je n'ai pas à payer mon juge.
19:03 Mais il y avait quand même des frais de justice.
19:05 Des frais de justice qui couvraient les besoins de fonctionnement de la justice.
19:10 Y compris lorsqu'on a transféré en 1911 les prisons,
19:13 qui étaient alors au ministère de l'Intérieur, sur la justice,
19:16 elle pouvait encore assumer cette charge.
19:18 Et puis, des années 1920 aux années 1970,
19:21 on a arrêté de faire des efforts.
19:24 On a laissé un peu la justice à l'abandon.
19:27 Ça veut dire qu'on a eu des bâtiments, des juges, etc.
19:29 On manquait de juges.
19:31 Les bâtiments, si vous ne les entretenez pas, bref.
19:33 Et dans les années 1970, d'un seul coup,
19:35 on fonctionnarise les greffes,
19:37 c'est-à-dire qu'on se rajoute une charge financière.
19:39 Ensuite, on ouvre les vannes du contentieux,
19:43 en créant un certain nombre de nouveaux droits, etc.
19:47 Donc, on fait un appel d'air de contentieux,
19:50 tout en alourdissant ces frais de fonctionnement.
19:53 On accroît la gratuité,
19:55 au point que Mme Taubira, lorsqu'on voudra rétablir
19:57 un timbre de 50 euros, ce qui n'est pas grand-chose,
19:59 dira "non, je n'en veux pas".
20:01 Donc, on est dans une gratuité totale.
20:03 On est les seuls en Europe, avec le Luxembourg, je crois,
20:06 à avoir cette gratuité-là.
20:08 Donc, on a eu un système qui s'est terriblement appauvri,
20:12 qui n'était déjà pas riche depuis le XIXe siècle,
20:15 qui s'est appauvri pendant tout le XXe siècle.
20:17 Et à partir des années 1990,
20:19 ça va être notamment la première loi de programmation
20:22 du garde des Sceaux, Dominique Perben,
20:25 qui va commencer à relancer vraiment les efforts budgétaires.
20:28 Mais à ce lundi, on part de tellement bas,
20:31 que même à coup de 4,5%, 5%, et maintenant 8%...
20:35 - 3 années d'affilée ?
20:37 - Oui, mais on a plusieurs décennies à rattraper.
20:40 Il faut savoir que c'est seulement dans les années 1990
20:43 qu'on a retrouvé un niveau de magistrats
20:45 équivalent à celui du XIXe siècle.
20:47 Qu'on a toujours, même si ça va un petit peu mieux,
20:49 vous me corrigez si je me trompe,
20:51 ça va un petit peu mieux, mais jusqu'à très récemment,
20:53 on était encore au même nombre de magistrats qu'au XIXe siècle.
20:56 Alors évidemment, l'effort d'Emmanuel Macron
20:59 et d'Éric Dupond-Moretti est historique, c'est vrai.
21:02 C'est absolument indéniable.
21:04 - Mais on part de tellement loin que ça ne suffit pas.
21:06 - Mais on part de tellement loin...
21:08 - À titre de comparaison, selon la Commission européenne pour la justice,
21:10 la France dépense 72,53 euros par an et par habitant
21:13 pour son système judiciaire, quand l'Allemagne y consacre 141 euros.
21:17 Vous confirmez, François de Gaulle ?
21:19 - Oui, bien sûr. Il est incontestable que c'est probablement
21:22 le ministère régalien le plus en retard
21:26 par rapport aux moyens dont il a besoin pour remplir la mission qui est la sienne.
21:30 - D'accord. - Ça, c'est incontestable.
21:32 - Donc il faudrait frapper un grand coup.
21:34 - Les évolutions budgétaires de ces trois dernières années
21:37 vont permettre de mettre le système à niveau.
21:39 Encore faut-il respecter le temps qu'il sera nécessaire pour le mettre à niveau.
21:43 Recruter 1 500 magistrats de plus,
21:46 former des greffiers...
21:49 - Pour le moment, c'est compliqué, mais pour le matériel, c'est utile.
21:51 Quand on entend dans ce film... - Je ne dis pas le contraire.
21:53 - Elle a un ordinateur qui ne peut même pas charger le dossier.
21:55 - Mais ça, c'est encore une autre affaire.
21:57 Il y a deux aspects d'injustice.
21:59 Il y a l'aspect humain, personnel, magistrats, greffes,
22:02 et l'aspect matériel et numérisation.
22:04 Là, ce n'est même pas une mise à niveau, c'est la préhistoire.
22:08 Donc ce n'est pas acceptable.
22:10 Certains greffiers doivent ressaisir, je ne vais pas entendre le détail,
22:14 ressaisir des données qu'ils ont saisies
22:16 pour pouvoir les transmettre parce que le logiciel ne fonctionne plus.
22:19 L'ordinateur est très beau, mais le logiciel ne fonctionne plus.
22:22 Donc là, on est vraiment à l'état de la préhistoire.
22:24 Il y a un effort de 300 millions d'euros sur la numérisation.
22:27 La difficulté, c'est que ça prend du temps.
22:29 L'exemple le plus symbolique, c'est la crise du Covid.
22:32 Au moment où tout le monde s'arrête,
22:35 les magistrats rentrent chez eux, ils ne peuvent pas faire autrement,
22:39 ils n'ont pas d'ordinateur portable pour travailler à partir de chez eux.
22:42 Aucun. Il faudra attendre l'automne 2020, sauf il y aura de ma part,
22:46 pour qu'ils soient à peu près tous dotés. Aujourd'hui, c'est fait.
22:49 Les efforts sont en cours, malgré tout.
22:51 - Il y a une expression qui est très violente, mais qui est utilisée régulièrement dans les médias,
22:54 c'est "justice clocharde", une justice clochardisée.
22:57 Ça vous parle, Stéphane ?
22:59 - Un garde des Sceaux qui avait dit que la justice était clochardisée, monsieur Roas.
23:04 C'est vrai. Après, je rejoins, il y a des efforts qui sont réels.
23:08 - Vous le sentez sur le terrain ?
23:10 - Alors, sur le terrain, pas encore.
23:12 C'est plutôt la déléguée syndicale qui vous parle,
23:15 qui a étudié les budgets, les textes,
23:17 et je confirme ce qu'a dit Olivia Dufour.
23:19 - Mais vous connaissez les mêmes problèmes de matériel que l'on voit dans le Chine ?
23:22 - Évidemment que oui.
23:24 Le garde des Sceaux, en annonçant le plan après les états généraux de la justice,
23:28 dit "je réponds à 30 ans d'abandon de la justice".
23:30 Voilà, ça, c'est les propos de monsieur Dupond-Moretti,
23:33 il y a un an tout pile, en janvier l'année dernière.
23:35 Les efforts budgétaires sont réels, les annonces de recrutement sont bienvenues,
23:40 mais on ne peut pas en 3 ans, mais en 5 ans, répondre à 30 ans d'abandon.
23:46 Il faut forcément, sur la durée, maintenir cet effort.
23:48 La magistrature, ça reste encore une vocation,
23:50 je vous rejoins, monsieur le sénateur,
23:52 encore heureux dans les universités, ça reste une vocation.
23:57 Mais c'est vrai qu'on voit aussi les étudiants se dire
23:59 "la justice judiciaire, elle est quand même en grande souffrance,
24:02 elle a des conditions matérielles de travail qui sont très dégradées,
24:05 une opinion publique qui est très négative,
24:08 elle a des responsabilités très importantes,
24:10 peut-être que je peux me tourner vers d'autres hautes fonctions publiques,
24:13 la justice administrative, la justice financière,
24:16 les grands concours administratifs, où je serai moins maltraité,
24:20 et où je pourrai mettre mes compétences de manière un peu plus sereine
24:23 au profit de l'intérêt général, de façon un peu plus confortable.
24:27 Pierre-Marie Sèvres ?
24:28 Il y avait une belle expression, en tout cas très heureuse expression
24:30 d'Alain Bauer là-dessus, qui était "si l'Etat était un acteur privé,
24:36 il y aurait bien longtemps qu'il aurait été condamné pour non-respect du droit du travail".
24:40 Vous pensez que les justiciables accepteraient de mettre un petit peu la main au porte-monnaie
24:44 en payant un timbre de 50 euros pour payer les frais de justice ?
24:47 Est-ce que vous pensez que ce serait quelque chose qui...
24:49 Je pense, il y a une solution par exemple qui est proche du timbre,
24:51 je ne sais pas exactement dans quelle mesure on verrait ce timbre,
24:53 mais je pense que pour toute condamnation par exemple,
24:55 il devrait y avoir un droit de timbre de peut-être 100, 150 euros
24:58 quand on est condamné, puisqu'aujourd'hui il y a des gens qui sont condamnés
25:00 à des peines avec sursis qui ne payent rien du tout.
25:03 Si vous voulez, vous en payant votre...
25:05 En tout cas, un droit de timbre qui tombe sur toutes les personnes condamnées,
25:09 oui, ça me semblerait plus qu'accepté par la population, très largement.
25:14 Donc ça existe déjà, si je peux me permettre,
25:16 mais c'est comme les amendes, il y a la question du recouvrement...
25:19 Il faut rappeler quand même qu'on ne peut pas continuer en permanence
25:23 à se prévaloir de l'opinion publique uniquement au regard de la justice pénale.
25:27 Je suis désolé de vous le dire, mais il y a 2 millions, 800 milles décisions,
25:30 un peu plus de 2 millions, moins de 3 millions de décisions
25:32 qui sont rendues uniquement en matière civile,
25:34 pour un peu moins d'un million en matière pénale.
25:36 Donc l'effort en matière civile, il est absolument nécessaire.
25:39 Il n'est pas normal d'attendre devant la Cour d'appel
25:42 3 ans d'attente pour avoir une décision en matière sociale.
25:46 Il n'est pas normal d'attendre pratiquement 10 ans
25:48 pour avoir une décision en matière de travaux, par exemple, de construction.
25:52 Et c'est cette justice qui est au plus près du citoyen.
25:54 Cette justice-là, elle n'est pas bonne au sens du temps du terme.
25:57 En matière pénale, il y a un effort que les choses soient faites correctement,
26:01 bien évidemment, mais vous ne pouvez pas revendiquer en permanence
26:04 le fait que l'opinion publique se fonde que là-dessus.
26:07 Ceux qui sont au civil et qui ont un contenu civil
26:10 ont autant besoin de regard et d'égard, je vais vous dire.
26:13 Peut-être même encore plus.
26:14 Mais qu'est-ce que nous disons, sont-nous lèches ?
26:16 Mais nous n'avons pas non plus, je vais me permettre de vous répondre.
26:18 Je suis élu, mais vous avez mis en cause les politiques,
26:21 enfin pas mis en cause, vous avez dit les textes dépendent des élus.
26:24 Vous avez parfaitement raison.
26:25 Les textes dépendent du Parlement et du gouvernement.
26:28 Vous avez raison de dire cela, mais nous avons aussi le devoir,
26:35 si je puis dire, de ne pas simplement toujours répondre positivement
26:39 à l'opinion publique.
26:40 En revanche, que l'on puisse dire à l'opinion publique,
26:44 oui, vous avez raison de tenir compte de la situation,
26:46 vous avez raison de ressentir cela.
26:48 On comprend pourquoi vous ressentez cela.
26:50 À charge pour nous d'apporter les réponses,
26:52 mais les bonnes réponses, celles qui arrivent à l'organisation
26:55 de la justice, à sa façon de faire et à ses moyens.
26:57 Et d'appeler à une forme de patience les citoyens.
27:00 Non, non, il n'y a pas une forme de patience, il faut aller vite.
27:02 Il y a un besoin rapide, il y a une urgence à répondre
27:04 à la satisfaction du justiciable.
27:06 C'est absolument nécessaire, parce que si la population n'a plus confiance
27:09 dans sa justice, le résultat, ça ne se passera pas,
27:12 les conflits ne se régleront pas au tribunal,
27:14 ils se régleront dans la rue.
27:15 Oui, ils se feront justice eux-mêmes.
27:16 Donc ça, on a une urgence absolue.
27:17 Je ne dis absolument pas le contraire, monsieur le sénateur,
27:19 vous êtes entièrement d'accord avec ce que je pense,
27:21 c'est exactement ce que je pense.
27:23 Je ne dis pas qu'il faille uniquement prendre en compte
27:25 l'opinion publique, mais en démocratie, ça me semble fondamental,
27:29 je pense que vous êtes d'accord avec moi.
27:31 Et voilà, mais maintenant, il n'y a pas uniquement ça.
27:34 Évidemment que, moi j'ai beaucoup d'amis magistrats,
27:36 j'en discute très souvent avec eux.
27:37 L'Institut pour la justice, on essaie d'être un pont
27:39 entre l'opinion publique qui est écrasante sur les questions
27:42 de justice et de criminalité et de sécurité.
27:44 Elle est écrasante.
27:45 Il y a un autre élément d'analyse qui peut être intéressant
27:47 et qui est souligné par Chantal Arrins,
27:49 qui était à l'époque du documentaire, président de la Cour de cassation.
27:51 Olivia Dufour, elle parle d'une judiciarisation de notre société
27:54 et d'un code civil qui a augmenté aussi,
27:56 de je ne sais combien de pages,
27:58 qui est devenu énorme alors qu'il était petit au début.
28:00 Est-ce qu'on n'a pas aussi un problème avec ça ?
28:02 Est-ce qu'on n'a pas rendu le droit extrêmement complexe
28:04 et donné la possibilité à tous les citoyens
28:06 de porter plainte à tout va, sans trop se poser de questions
28:08 et d'engorger les tribunaux et les bureaux des magistrats ?
28:11 Alors ça, c'est une maladie démocratique.
28:13 Il y a plein de rapports du Conseil d'État sur, justement,
28:15 la prolifération législative.
28:17 Elle est liée notamment au fait que la vie se complexifie
28:20 et que donc, plus on a une vie compliquée,
28:23 plus il y a de réglementations pour l'organiser.
28:26 Le mouvement, selon l'historien du droit Royer,
28:30 a commencé dans les années 2000,
28:32 vraiment à exploser, cette espèce de législation pléthorique.
28:36 Et évidemment, c'est ce qui met la tête sous l'eau de la justice
28:40 parce qu'il faut absorber ce flux permanent
28:43 et malheureusement, ça c'est un défaut du politique.
28:47 Pardonnez-moi Monsieur le Sénateur, mais je crois qu'il est connu et il est admis.
28:50 C'est-à-dire qu'on a rarement, lorsqu'on fait une réforme,
28:53 on met rarement les moyens en face.
28:57 Et donc, les juges qui ont déjà du mal à appliquer la loi
29:01 doivent ensuite se mettre à jour avec des logiciels.
29:05 Les gens n'en parlent même pas parce qu'ils ont 30 ans.
29:08 Mais qu'est-ce qu'on peut faire contre la judiciarisation de la société ?
29:11 Est-ce qu'on peut empêcher les gens de porter plainte ?
29:13 On ne peut rien faire.
29:15 Il y a un phénomène culturel là-dessus.
29:17 Dès lors, il y a une sorte de tension dans la société assez régulière
29:23 qui ne cesse d'augmenter et on confie son conflit au juge.
29:27 Et pour beaucoup de choses, on décide d'aller devant le juge.
29:31 On va porter plainte, on va t'assigner en tribunal.
29:34 Est-ce qu'on pourrait empêcher cela ?
29:37 - Il y a un autre sujet.
29:39 Il y a une évolution générale.
29:41 Plus de monde, plus de population, c'est une chose.
29:43 Mais les choses évoluent et le droit s'adapte nécessairement.
29:46 Et il y a une autre partie qui est le fait que les législateurs participent à ça
29:50 parce qu'il y a souvent des textes de circonstances
29:54 qui répondent à une situation du moment.
29:56 Et la seule solution maintenant, c'est de faire un texte, de faire une loi,
29:59 alors que souvent, les moyens du droit existent déjà en réalité.
30:02 Ils sont déjà là.
30:04 C'est tout cela qu'il faut arriver à cadrer.
30:07 Mais gageons le fait que c'est aussi important que la population ait confiance.
30:12 En allant vers sa justice, ça veut dire aussi qu'elle lui fait confiance.
30:15 - Quelconque sur elle, en tout cas.
30:17 - Donc ce n'est pas totalement négligeable.
30:19 Et avoir accès à son juge, ça doit garder un sens.
30:22 - Il y a un chiffre, juste à rajouter, puisque vous étiez sur le code civil.
30:26 On va revenir au pénal.
30:28 Dans le code Napoléon, il y a 500 infractions.
30:30 On est à 14 000 maintenant.
30:32 Je veux bien qu'on suive les règlements, etc.
30:35 Mais vous voyez que la justice répond, le législateur répond quand même
30:38 à ce besoin de sécurité.
30:40 Et on ne va nulle part.
30:42 - Il n'y a pas le téléphone, il n'y a pas les voitures.
30:44 - Vous vous sentez victime de cela, de cette surjudiciarisation de la société ?
30:48 - Victime, je ne le perçois pas comme ça.
30:50 J'en ai un peu parlé tout à l'heure.
30:52 Il y a quand même eu un phénomène où on porte plus facilement plainte qu'avant.
30:55 On se tourne plus facilement vers le juge avant,
30:58 alors qu'il y avait un arbitrage familial sur différents conflits,
31:01 des conflits de voisinage.
31:03 Maintenant, on se tourne plus vers le juge.
31:05 On doit s'en sentir flattée, parce que ça montre qu'il y a une forme de confiance
31:08 dans l'institution.
31:10 Je ne le déplore pas.
31:12 Ce que j'aimerais, c'est qu'on soit suffisamment de collègues,
31:14 qu'on ait suffisamment d'aide et de matériel pour répondre de manière correcte,
31:16 dans un délai acceptable et de manière humaine, pédagogue,
31:19 à toute cette demande de justice qui est légitime.
31:22 Après, oui, on demande quand même une pause,
31:25 ou en tout cas une réflexion dans la création de nouvelles lois,
31:29 parce que souvent, les outils existent.
31:32 Il suffit juste qu'on puisse les investir correctement,
31:35 d'avoir les moyens, plutôt que de légiférer à nouveau,
31:38 de créer des nouveaux éléments législatifs,
31:42 que ce soit en matière civile ou en matière pénale.
31:44 On a les outils, il faut nous laisser les investir.
31:47 Les logiciels, on n'en parle pas, on l'a dit tout à l'heure,
31:49 mais voilà, on a des logiciels qui ont deux, trois ans de retard,
31:52 qui n'intègrent pas les nouvelles réformes.
31:54 On doit modifier à la main notre âme, parce que sinon, il y a des erreurs.
31:57 -Si vous me permettez, j'aurais aimé rebondir sur ce qu'a dit
32:00 M. le Premier président Parlos sur ce malaise ressenti par la profession.
32:04 Le documentaire "Dans les yeux des juges" était sorti,
32:08 ce n'était pas fait exprès, mais au moment où les deux tiers
32:12 de la profession, et on est une profession assez taisante,
32:15 donc en deux tiers s'exprime, avait signé ce qu'on appelle
32:18 la tribune des 3000 dans le journal "Le Monde",
32:21 qui dénonçait exactement ce que M. le Premier président Parlos a dit,
32:25 sachant que cette tribune part des juges de base,
32:28 de très jeunes juges, donc on voit la très haute hiérarchie,
32:31 un Premier président de cour d'appel, il n'y en a que 36 en France,
32:34 et ces jeunes juges qui avaient lancé cette initiative de la tribune,
32:37 qui dénonçaient ça, on est pris entre juger vite mais mal,
32:40 ou juger bien mais dans des délais inacceptables,
32:43 et c'est nous, au quotidien, qui...
32:45 On n'est pas déconnectés, contrairement à ce que l'opinion publique
32:48 ou une certaine opinion publique dit, on est au quotidien
32:51 en contact de ces gens qui nous demandent justice,
32:54 qui nous confient leurs problèmes, qui déversent leur mal-être
32:57 et qui attendent de nous qu'on puisse leur répondre,
33:00 du matin au soir, on rentre chez nous le soir avec,
33:03 on dort avec, le week-end, on y pense.
33:06 - C'est bien dit dans le film. - Voilà, donc on est confrontés
33:09 à cette demande de justice, à toutes ces problématiques
33:12 de nos concitoyens au quotidien, c'est ce qui baigne
33:15 et ce qui fait qu'on continue de travailler malgré la situation
33:18 matérielle et la surcharge. - Vous lancez le tour de table
33:21 de votre maître en réponse à cela, Pierre-Marie Sèvres ?
33:24 - Moi, je pense que, c'est ce que je dis souvent avec mes amis magistrats,
33:27 j'ai fait des études de droit, donc j'en connais beaucoup,
33:30 moi, je leur dis qu'il y a des efforts à faire de chaque côté,
33:33 c'est-à-dire que l'opinion publique doit comprendre,
33:36 je pense que ce documentaire y participe vraiment,
33:39 moi, j'ai trouvé extrêmement intéressant. - Et ce débat, on l'espère.
33:42 - Et ce débat aussi, bien sûr, je trouve qu'il montre clairement
33:45 la réalité de ce que c'est que le quotidien de la justice,
33:48 et ça, c'est un point commun avec, moi, qui suis fils de prof,
33:51 je vous le dis, dans l'éducation nationale, mais je pense aussi dans la santé,
33:54 il y a des services publics aujourd'hui qui ne tiennent plus que par des vocations.
33:57 Et donc, je pense que l'opinion publique,
34:00 chaque citoyen a la responsabilité de s'intéresser de plus près
34:03 à la justice, mais les magistrats ont aussi une responsabilité,
34:06 et le ministère a une responsabilité de plus de transparence de la justice,
34:09 et les magistrats ont une responsabilité d'écouter les reproches qu'on leur fait.
34:12 J'en parle avec mes collègues, la politisation des juges, par exemple,
34:15 quand je vois, par exemple, que le syndicat de la magistrature
34:18 va à la fête de l'Humas, par exemple.
34:21 Moi, je n'ai rien fondamentalement contre des gens
34:24 qui sont très professionnels et très bons.
34:26 - Mais vous dites qu'il y a de l'idéologie chez les juges, et c'est problématique.
34:29 - Il y a une part d'idéologie chez certains juges, et je pense que c'est très problématique,
34:32 même, ça sape, à mon avis, la confiance des citoyens,
34:35 et je pense que chacun, autant les magistrats, autant les politiques,
34:38 autant les citoyens, doivent faire un pas en avant vers,
34:41 au moins, retrouver une majorité. Vous vous rendez compte, on n'a pas
34:44 10% des Français qui ont confiance en leur justice.
34:47 Donc, on n'est pas là. À mon avis, il y a urgence sur le sujet.
34:49 - Un mot rapide de conclusion, Olivier Dufour, et ensuite François Noël-Buffet.
34:52 - Le syndicat de la magistrature a fait un sondage en 2022
34:55 auprès de ses membres. Il y a eu quand même 10% de retour,
34:58 ce qui est beaucoup pour un sondage. Il en ressort que 40%
35:01 des magistrats sont en état de souffrance psychique.
35:04 - Donc, l'alerte est lancée, François Noël-Buffet.
35:07 - Je crois qu'il y a plusieurs solutions.
35:10 Ce qui vaut les solutions, c'est, un, garder confiance,
35:13 deux, la mise en oeuvre de la réforme, c'est-à-dire
35:16 plus de magistrats, plus de greffiers et la numérisation.
35:19 Les moyens doivent être là. Et je rechange ce que vous dites
35:22 sur l'impartialité des juges. Ce ne sont pas tous les juges
35:25 qui sont comme ça. Il y en a sans doute un certain nombre.
35:28 C'est vrai, il n'est pas très acceptable de voir non plus
35:31 un syndicat de magistrats qui n'est pas le vôtre, madame,
35:34 qui rédige une contre-circulaire pour contrer les positions
35:37 du garde des Sceaux, qui a une mission bien spécifique.
35:40 Donc la confiance, elle repasse aussi par là.
35:43 Quand je vais au tribunal, je vais être sûr d'être jugé
35:46 objectivement, de façon neutre.
35:49 - Merci. Merci beaucoup à tous les quatre d'avoir participé
35:52 à cet échange si constructif et si intéressant.
35:55 Merci à vous de l'avoir suivi, comme chaque semaine.
35:58 On se retrouve très vite sur Public Sénat. À bientôt.
36:01 (Générique)