Son terrain à elle, c’est la guerre et les zones sensibles. Depuis trente ans, elle est là où il ne faudrait pas être. Quand d’autres cherchent à fuir, elle file dans l’œil des cyclones. Le Rwanda, le Mali, la Tchétchénie ou l’Ukraine, elle est de tous les conflits contemporains. Dans « Maman s’en va t-en guerre », cette journaliste nous fait entrer dans la tête d’une grande reporter et d’une mère. Les odeurs de la guerre, la mort frôlée plusieurs fois, mais aussi les tables de multiplication récitées au téléphone par ses enfants à quelques mètres du front. Qu’est-ce qui pousse une journaliste à informer, au risque d’y perdre la vie ? Comment vivre avec les cicatrices, souvent invisibles, que laisse ce métier-passion ? Quelles sont les réalités d’une femme reporter de guerre ? Cette semaine, Rebecca Fitoussi reçoit Dorothée Olliéric dans l’émission « Un monde, un regard ». Année de Production :
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00:00Générique
00:02...
00:22Notre invitée a un métier pas comme les autres.
00:25Elle aurait pu ne pas être là,
00:27tout annulé à la dernière minute,
00:28appelée par l'urgence d'une guerre,
00:30d'un conflit à couvrir au plus vite,
00:32au plus près du terrain.
00:34Notre invité est grand reporter depuis plus de 30 ans.
00:3730 ans de conflits, de voyages à haut risque,
00:39d'images d'atrocités gravées à jamais dans sa mémoire,
00:42mais aussi, et cela va avec,
00:44une vie de rencontres intenses,
00:46à jamais gravées dans son cœur.
00:48Sur France Télévisions, vous avez découvert ses images,
00:50ses interviews, ses reportages, au Rwanda, en Tchétchénie,
00:52en Afghanistan, en Irak, au Mali, en Ukraine,
00:55jamais en Syrie.
00:56Ses enfants le lui avaient fait promettre.
00:58Eh oui, sa vie de reporter et de maman
01:01a aussi été faite de doutes, de culpabilités,
01:03de peurs de faire de ses enfants des orphelins.
01:06Tout cela, elle le confie dans son livre
01:07« Maman s'en va tant guère » aux éditions du Rocher.
01:10En quoi le fait d'être mère change-t-il
01:12le quotidien de grand reporter ?
01:14Comment concilier les deux ?
01:16Comment supporter cette culpabilité de laisser ses enfants
01:19quand on risque sa vie chaque jour au bout du monde ?
01:21Et d'ailleurs, que change le fait d'être femme
01:24dans ce métier historiquement très masculin ?
01:27Posons-lui toutes ces questions.
01:28Bienvenue dans « Un moment d'un regard ».
01:29Bienvenue, Dorothée Oliéric-Mercy.
01:31Merci d'avoir accepté notre invitation ici au Sénat.
01:33On lit votre livre avec passion parce qu'il dit plein de choses,
01:36et pas seulement à propos du fait d'être femme ou mère
01:39sur des terrains où il n'y a souvent que des hommes,
01:41mais commençons par cela puisque le titre nous y invite,
01:44« Maman s'en va tant guère ».
01:45Être femme et être mère vous a-t-il parfois
01:48fragilisé sur ces terrains de guerre ?
01:50Alors, ça ne m'a pas fragilisé vraiment sur le terrain,
01:53mais ça fragilise à l'intérieur de moi,
01:55à la mère que je suis.
01:58C'est un déchirement de partir quand on a des enfants,
02:01déjà dans tous les métiers,
02:03mais particulièrement sur un terrain de guerre.
02:05C'est vrai qu'à chaque fois que je pars,
02:07depuis que les enfants sont nés,
02:10je les regarde dans les yeux et je leur dis,
02:12quand ils étaient petits, je disais « Maman t'aime »,
02:14parce que je me disais « Et si je ne revenais pas ? ».
02:17Et c'est quelque chose qu'encore aujourd'hui,
02:19j'ai en tête à chaque fois qu'on part sur un terrain de guerre,
02:21on n'est pas sûr de revenir.
02:23Donc aujourd'hui, je ne dis plus « Maman t'aime »,
02:24mais je dis « Je t'aime mon chéri, je t'aime ma chérie ».
02:27Et je veux que ce soit les yeux dans les yeux,
02:29je veux que ça soit gai, que ça soit léger,
02:30c'est avec un sourire, mais à l'intérieur,
02:32je suis à chaque fois bouleversée.
02:35Vous parlez de la boule au ventre, mais pourtant vous repartez.
02:38Oui, mais c'est le moment le plus désagréable,
02:40parce que si jamais je ne reviens pas,
02:42je veux qu'ils se souviennent de ce regard, de ces mots.
02:44On cherche toujours le dernier mot d'une personne qui disparaît.
02:47Donc j'ai ça en tête à chaque départ, donc c'est terrible.
02:50Et souvent, il y a des larmes qui coulent dans le taxi ou dans l'ascenseur,
02:53et puis après, je me reprends.
02:55Et c'est comme si je switchais un petit peu et que, voilà, c'est bon,
02:58après, je n'ai plus peur, je chasse les idées noires,
03:01parce que ça serait intenable.
03:03En vous lisant, je me suis demandé si les hommes
03:05et les pères reporters de guerre ressentaient la même chose.
03:08Est-ce que vous leur avez posé la question ?
03:10Est-ce que vous savez s'ils ressentent comme vous
03:12cette boule au ventre et cette culpabilité en partant ?
03:15Eh bien, je ne leur ai jamais demandé.
03:16C'est une très bonne question.
03:19C'est tellement une évidence que ce métier qui est longtemps resté très masculin,
03:23avec les mecs qui roulent un peu des mécaniques,
03:25avec ce côté, l'image du baroudeur,
03:28que du coup, on ne pointe pas du doigt, effectivement,
03:32le mauvais père qui laisse ses enfants,
03:35qui rate un anniversaire, qui rate un Noël.
03:39Ça, c'est la culpabilité, la charge mentale des femmes.
03:43Oui, donc quelque part, on ne leur demande pas de se justifier.
03:46Moi, je sais que forcément, dans mon dos,
03:48il y a des gens qui ne comprennent pas,
03:49qui comprenaient peut-être encore moins quand les enfants étaient petits.
03:52C'est intéressant parce que vos enfants vous ont toujours rassurés,
03:55vous certifiant qu'ils ne vous en voulaient pas de vos absences.
03:58En revanche, effectivement, c'est une enseignante,
04:00une prof d'histoire-géo qui, un jour,
04:02vous fait violemment culpabiliser avec des mots très durs.
04:05« Vos enfants ont besoin d'une mère », vous a-t-elle dit ?
04:07C'était terrible comme moment.
04:09Rendez-vous, parents-profs, « votre fils ne travaille pas assez ».
04:13Donc, on est convoqués, on vient un peu comme une petite fille
04:15de peur de se faire engueuler parce que son enfant ne travaille pas assez.
04:19Et puis, j'ai dit « je n'étais pas là, je n'ai pas pu l'aider dans ces révisions ».
04:22Elle me dit « je sais très bien ce que vous faites,
04:24vous allez depuis longtemps sur des terrains de guerre,
04:26baroudés, aventurières ».
04:28Elle me dit « mais vous ne pensez pas que votre fils a besoin de vous,
04:31qu'il a besoin d'une mère, là, maintenant, tout de suite ?
04:34Que le reste, c'est bon, vous vous êtes amusés assez longtemps ? ».
04:37Et j'étais totalement dévastée.
04:40J'ai pleuré comme une gamine devant elle,
04:43mais à gros sanglots.
04:45Elle me dit « je suis désolée, je n'ai pas voulu vous faire pleurer »,
04:47mais c'était d'une violence.
04:48J'ai beaucoup pleuré et je suis repartie à la guerre.
04:52Et vous en reparlez aujourd'hui, quand même.
04:54Ils ont en tout cas bien eu une mère.
04:56Vous racontez que vous avez déjà fait réciter des poésies
04:59ou des tables de multiplication
05:00alors que vous étiez à quelques mètres du front.
05:02Mais tout de même, dès qu'il y avait une explosion,
05:04je mettais la main sur le téléphone pour qu'ils ne l'entendent pas.
05:07Je leur disais ensuite « pardon, ça a coupé ».
05:09Est-ce que vos enfants ont eu conscience des dangers que vous couriez ?
05:13Non, non.
05:14Alors, ce n'était pas sur la ligne de front,
05:16je n'étais pas dans une tranchée, c'était dans une zone de guerre
05:19où il y a effectivement des explosions qui retentissent plus ou moins au loin.
05:23Je peux vous dire que si ce n'était pas loin, j'aurais coupé directement.
05:26Mais c'est vrai que les poésies, les récitations,
05:29les tables de multiplication,
05:32c'est important de garder ce lien avec la vraie vie, avec la vie normale.
05:36Mais c'est quelque chose qu'ils n'ont pas compris, évidemment, ce risque,
05:41parce que je l'ai toujours minimisé.
05:43Quand il y avait les reportages qui étaient diffusés,
05:44on nous voit à la fin, quelques secondes, ce qu'on appelle un plateau,
05:47comme la signature pour montrer qu'on est sur le terrain,
05:50mon conjoint appelait les enfants juste à la fin en disant
05:52« Regardez, il y a maman qui est à la télé ! »
05:54Et donc, tout le reste du reportage, ils ne le voyaient pas,
05:56pour préserver, parce que c'est assez terrifiant.
05:59Donc, s'il y a cette peur,
06:02ils ne peuvent pas laisser partir une mère ou même un...
06:04Oui, ce serait trop dur.
06:05En 2002, depuis Israël, vous écrivez à votre fils une lettre superbe.
06:09« Je t'écris de la guerre d'Israël pour te parler d'amour.
06:12Je t'écris lorsque je vois les chars et que j'entends les tirs de mitrailleuse
06:15pour te parler de la douceur de ta peau.
06:17Je t'écris d'un ailleurs où tu seras toujours là. »
06:21Et finalement, quand on lit ça, on se demande
06:22si vous n'exprimez pas encore plus d'amour que les mamans qui ne partent pas.
06:27Vous voyez le paradoxe ?
06:28Vous n'êtes pas là, mais finalement, vous êtes peut-être encore plus là
06:31et vous leur exprimez, vous le dites,
06:33vous dites cet amour encore plus que les mamans qui sont là tous les jours.
06:36Peut-être, effectivement.
06:37Et ces mots, peut-être que je les ai dits plus,
06:40parce qu'il y a un moment où la pudeur n'a pas lieu d'être.
06:44Il faut dire qu'on les aime.
06:46Vous avez conscience d'être peut-être un exemple
06:48pour les femmes qui nous écoutent et qui s'auto-censureraient,
06:50qui n'iraient pas, qui n'oseraient pas, en se disant
06:52« Non, il faut que je reste à la maison. »
06:53Est-ce qu'on vous le dit ? Est-ce que vous recevez des courriers ?
06:55Est-ce que vous avez envie d'être cet exemple-là ?
06:57Bien sûr. Ce livre, au départ, j'ai écrit pour mes enfants,
07:00pour qu'ils comprennent pourquoi leur maman a pris autant de risques,
07:03a fait un métier de dingue, en fait, pourquoi j'ai risqué ma vie,
07:06pourquoi je suis partie avec mon gilet pare-balles, mon casque lourd,
07:09pourquoi j'ai raté des anniversaires, des Noëls.
07:11Donc, c'est pour eux. Et au-delà, bien entendu,
07:13c'est pour toutes les femmes, c'est pour toutes les mères,
07:15c'est pour toutes les jeunes femmes qui ont envie de faire ce métier
07:18et qui, aujourd'hui, encore en 2024, me disent
07:20« Mais est-ce que tu penses que je pourrais avoir une vie familiale ?
07:25Une vie de famille, avoir des enfants ? »
07:26Aujourd'hui encore, on me demande ça.
07:28Et je dis oui. Aujourd'hui, plus qu'avant,
07:31tu ne dois pas choisir entre ton métier et ton rôle de mère.
07:35Tu pourras faire les deux. Alors, ça va être compliqué, des fois.
07:37Ça va être dur, mais c'est de l'organisation.
07:40Et moi, j'ai la chance, en fait, c'est Stendhal qui disait
07:43« Le bonheur, c'est de faire le métier qu'on aime. »
07:46On a parlé de la mère, grand reporter.
07:49Parlons de la femme, grand reporter.
07:50Dans votre livre, vous parlez de l'Angola, en 1993.
07:53Vous racontez que vous vous retrouvez en pleine nuit
07:55en train de dormir à côté de militaires, dans la même pièce,
07:57et vous êtes la seule femme.
07:59Est-ce qu'il y a une vulnérabilité particulière
08:01au fait d'être femme, cette fois ?
08:03Je ne parle plus de la mère, je parle de la femme sur ces terrains-là.
08:06Alors, nous, on a la chance d'être en équipe.
08:09Je ne suis pas toute seule sur ces terrains.
08:11Je suis avec un JRI, journaliste reporter d'images,
08:14avec un monteur, et parfois, heureusement, oui, effectivement.
08:17Il peut y avoir la tentation de l'agression sexuelle
08:21quand une femme déboule sur un terrain qui est très masculin,
08:26où des hommes se battent parfois depuis des mois
08:28sans voir de femmes.
08:30Donc, il faut tout de suite cacher un petit peu les signes de féminité.
08:34On se maquille peu, on fait attention à comment on s'habille,
08:37on ne va pas se mettre du monoï
08:40quand on sort d'une petite douche au fin fond du désert,
08:42embarquée avec des centaines de militaires
08:45et très peu de femmes.
08:46Oui, c'est une façon.
08:48Ce n'est pas quelque chose qu'on vous dit,
08:50c'est quelque chose qu'on ressent et qui est...
08:53Moi, j'ai envie d'être le pote, celle qu'on accepte,
08:56la journaliste, qu'on accepte par son métier,
08:58par sa profession, et pas parce que c'est une femme.
09:01Même si, quelque part, la femme, sur un terrain de guerre,
09:03c'est un petit peu une douceur.
09:05Ça ouvre des portes, d'ailleurs.
09:06C'est un peu... La copine, la sœur, la mère, il y a toujours...
09:10Ça peut aussi être un atout.
09:11Oui, je suis persuadée que c'est un atout.
09:13Vous dites, cette fois, en Centrafrique, en 96,
09:16Bangui est un coup de gorge.
09:18Vous vous retrouvez avec des pointures du journalisme et de l'écriture,
09:20Nicolas Poincaré, Roger O, Gérard Devilliers, l'auteur des SS.
09:23Vous écrivez,
09:24« Je suis la seule femme, tous sont aux petits soins pour moi.
09:27J'aime me retrouver dans ce milieu très masculin,
09:29mais j'aime aussi quand mes consœurs sont de la partie.
09:31Parfois, ça peut être aussi un avantage.
09:34Oui, parce que tout le monde demande la même chose.
09:38Je vous donne un exemple,
09:39c'est pouvoir aller avec les rebelles sur la ligne de front.
09:41Et puis, vous êtes une jeune femme.
09:43Voilà, il y a un petit...
09:44Je ne dis pas qu'il ne faut pas user de charme et de séduction,
09:47parce que là, ça devient dangereux.
09:49Mais rien que le fait d'être femme,
09:51d'apporter notre sourire, notre différence,
09:54souvent, on en porte la partie. Oui, c'est vrai.
09:57Quand vous êtes en Afghanistan,
09:58lors de la première prise de pouvoir par les talibans en octobre 1996,
10:02être une femme n'est pas simple, là non plus.
10:04Un taliban vous dit, ou plutôt dit à votre interprète,
10:06qu'ils vont instaurer, je cite,
10:08« la paix et la charia, protéger les femmes,
10:10les renvoyer à leur place, la maison. »
10:13Et là, à ce moment-là, vous incarnez précisément ce qu'ils détestent,
10:16ce qu'ils refusent, ce qu'ils rejettent.
10:18Vous êtes une femme grand reporter indépendante.
10:20Est-ce que là aussi...
10:22D'ailleurs, comment on est à ce moment-là ?
10:23Est-ce qu'on cache sa féminité ?
10:24Comment on est face à un taliban qui ne vous regarde même pas, d'ailleurs ?
10:28Alors oui. En fait, quand j'ai vraiment insisté auprès de ma rédaction
10:31pour partir là-bas, je sais que le rédacteur en chef m'a dit,
10:34« Mais attends, tu vois bien que les femmes n'ont pas le droit de travailler,
10:36de porter la burqa dans la rue, tu ne vas jamais pouvoir bosser. »
10:39J'ai dit, « T'inquiète, j'en fais mon affaire. »
10:40J'étais pas sûre du tout d'y arriver.
10:42Et je me suis dit, ça ne doit pas être un obstacle.
10:45On ne va pas obtempérer à ces règles plus que stupides,
10:50qui n'ont pas lieu d'être.
10:51Donc je suis allée, et avec mon interprète, fixeur,
10:55nous sommes allées au hasard dans les rues,
10:58on a vu des talibans et je suis allée à leur rencontre.
11:00Donc on a cette distance, je les regarde dans les yeux,
11:03et je pose une question.
11:05Et là, mon interprète traduit, et pendant toute l'interview,
11:08le taliban regarde mon interprète.
11:10Il voit bien qu'il y a une femme là,
11:12mais il ne veut même pas s'abîmer les yeux à me regarder.
11:16Mais moi, je continue, je suis là et je fais mon boulot.
11:20Mais ce n'est pas lui qui va me dire de partir.
11:22Alors parfois, ils essayent.
11:23J'y suis retournée plusieurs fois depuis le retour à l'été 2021,
11:26et je suis allée faire une interview
11:28auprès du ministère de la promotion de la vertu
11:31et de la lutte contre le vice.
11:33Ça existait déjà en 96.
11:34Ils ont remis ce ministère complètement aberrant.
11:37Et là, il ne voulait pas me recevoir.
11:39Il disait qu'elle donne les questions à son caméraman.
11:41J'ai dit non, c'est moi qui lui donnerai les questions.
11:43J'ai insisté à tel point qu'il a accepté,
11:46et il est finalement sorti, il a mis des sièges dans le jardin
11:49pour ne pas que je rentre dans le ministère,
11:50pour qu'on le voit le moins possible avec une femme,
11:53pas par rapport à moi, mais c'est lui qui est gêné.
11:55Et donc, pareil, rebelote, 25 ans après,
11:57le Taliban ne me regarde pas,
11:58mais il répond quand même à mes questions.
12:00Il ne faut pas lâcher là-dessus.
12:01Lors de la première prise de pouvoir des Talibans,
12:03vous dites, j'ai peur pour les Afghanes,
12:05et l'histoire a montré que vous aviez raison.
12:08Quel regard portez-vous sur ce qui leur arrive aujourd'hui,
12:10à ces femmes afghanes qu'on emmure,
12:12nous dit Cheikh Eba Chemi, par exemple ?
12:14Je suis terriblement inquiète.
12:16Je suis bouleversée par la situation.
12:18Aujourd'hui, l'Afghanistan est le pire pays
12:21où naître de sexe féminin.
12:24Je suis en contact avec de très nombreuses jeunes femmes
12:27qui vraiment souffrent, qui sont désespérées.
12:30Qui va intervenir ?
12:32Les Américains ne vont pas y retourner,
12:33les Européens ne vont pas y retourner.
12:35Donc, élevons toutes notre voix.
12:39Moi, mon combat féministe, il est là.
12:40Il n'est pas aujourd'hui en France,
12:42où il y a des choses à faire, bien évidemment.
12:44Mais moi, mon cœur est déchiré de voir le mal
12:47qui est fait aux femmes afghanes
12:49qui n'ont même pas l'autorisation d'aller à l'école
12:51ou d'aller à l'université.
12:53C'est insensé.
12:54Donc, moi, ma voix féministe, c'est crions, hurlons,
12:58parlons sans arrêt pour essayer de faire bouger les choses.
13:01Votre livre, c'est bien plus que votre rapport à la maternité
13:03ou à la féminité en tant que grand reporter.
13:05C'est la description d'une vie de grand reporter tout court,
13:09avec ses joies et ses traumatismes.
13:10J'ai retenu plusieurs moments forts
13:12qui nous diront beaucoup de votre monde.
13:13Le Rwanda, d'abord.
13:15Vous partez couvrir ce qu'on appelle pas encore un génocide,
13:17à ce moment-là.
13:18Soudain, l'odeur de la mort comme une gifle,
13:20des bouffées de pourriture puissante.
13:22Une odeur à nul autre pareil.
13:24Elle envahit mes narines, donne un haut le cœur.
13:27Comment, après avoir filmé et documenté l'horreur à ce point-là,
13:31on revient à un quotidien routinier,
13:36une petite vie ici francilienne ?
13:38Comment on revient sans trouver tout dérisoire ?
13:42On revient un peu le cœur en miettes.
13:44On revient avec des images ancrées dans ma mémoire à jamais.
13:48Là, vous parlez du Rwanda, pendant ce temps-là.
13:50J'ai toutes ces images qui défilent comme si c'était hier.
13:53Des images terribles qu'on ne montre pas dans le reportage,
13:55parce qu'on montre... Celle-là, c'est pour nous.
13:59Moi, ce jour-là, au Rwanda, je me suis dit,
14:01il faut donner un sens à ton métier,
14:02parce que c'est le pire de ce qu'on peut voir,
14:05je pense, dans ma carrière, en tout cas.
14:07Et il faut donner un sens à ce métier et se dire,
14:10voilà, moi, je suis là pour témoigner pour le meilleur et pour le pire.
14:14Parce que nous, si on n'y va pas, qui va dénoncer ça ?
14:17Qui va dénoncer ces corps coupés à la machette,
14:20ces enfants, ces femmes enceintes et ventrées ?
14:23C'est nous. C'est à nous de faire ce boulot.
14:24Donc oui, c'est dur, des moments. Et oui, la vie...
14:28Quand on revient.
14:29Quand on revient, c'est un peu compliqué.
14:31Il y a une semaine où le cœur, l'esprit, est resté là-bas.
14:34Mais moi, je reviens avec le bonheur, la légèreté, le sourire.
14:39Ce n'est pas ma famille qui a choisi ce métier, c'est moi.
14:42Donc je ne veux pas l'imposer, cette noirceur.
14:44J'essaie, moi, de garder le côté optimiste
14:47pour pas qu'elle m'atteigne trop, pour pas qu'elle me détruise.
14:49Donc, ça se fait.
14:51Et puis, chaque jour qui passe, c'est un peu moins terrible.
14:54Mais surtout, moi, je souris, je suis gai, j'apporte du bonheur.
14:58Et peut-être que le dérisoire de nos vies, finalement, vous réconforte.
15:02Peut-être que ce qui pourrait sembler dérisoire, ne l'est pas du tout.
15:05Eh bien, il faut reprendre la vie là où vous l'avez laissée,
15:08avec les problèmes quotidiens de la maison, des enfants, de mon conjoint.
15:12Et même si, franchement, OK, la machine à laver est cassée,
15:15mais qu'est-ce que j'en ai à foutre ? Je vais pas dire ça.
15:17Je vais dire OK, je m'en occupe, pas de souci.
15:20Souvent, les odeurs reviennent dans votre description d'un conflit.
15:23Quelques mots auparavant sur l'angola, vous écrivez
15:26« Mes premières impressions, chaleur, moiteur, puanteur.
15:29J'ai envie de vomir, mais je respire à plein poumon. J'assume.
15:32Si la guerre, c'est d'abord ça, alors je m'en emplis,
15:34je la fais mienne, j'apprivoise mon dégoût. »
15:37Il est très sensoriel, votre rapport à la guerre.
15:40Parce que le rapport à la mort, le rapport au cadavre,
15:43est effectivement une odeur à nul autre pareil.
15:46Et je trouve ça un peu choquant, devant ce spectacle de la mort,
15:49d'être là, d'avoir des hauts de cœur, de se boucher le nez.
15:53Se boucher le nez est une insulte à la personne qui est en face.
15:56Si vous allez témoigner d'une famille qui a perdu les siens,
15:59où il y a des cadavres autour, tant pis, vous allez respirer à plein poumon.
16:04Vous allez pas respirer du bout du nez ou du bout des lèvres.
16:07Donc oui, il faut l'accepter,
16:09cette odeur qui colle à la peau, qui colle au cerveau,
16:12qui est celle de la guerre.
16:14Qu'on arrive à oublier ou c'est impossible de l'oublier ?
16:16Non, elle est très particulière et elle est présente à jamais, c'est sûr.
16:21Vous dites « je n'aime pas la guerre, mais les pays en guerre »,
16:24parce que tout y est plus intense.
16:26Est-ce qu'il y a une sorte de fascination pour la guerre aussi,
16:29quand on est grand reporter sur les terrains de guerre ?
16:31Presque une fascination morbide, disons-le.
16:34Alors, fascination, peut-être, oui, effectivement.
16:37Morbide, non, j'aime pas,
16:39mais c'est vrai que tout ce qu'on vit dans un pays en guerre
16:42est absolument extraordinaire.
16:44Moi, j'ai rencontré les hommes, les femmes les plus éblouissants,
16:48de courage, de dignité.
16:51L'amitié est puissance 10, la solidarité est immense.
16:56Vous découvrez le meilleur de l'autre et aussi peut-être le meilleur de vous-même,
17:01parce qu'il faut avancer, parce que partager,
17:02être sous les mêmes bombardements, ça crée des liens indélébiles,
17:06des amitiés.
17:08Donc, moi, je tiens le choc pendant le reportage,
17:11mais c'est vrai que les départs sont difficiles.
17:13Il y a beaucoup de larmes, parce que vous quittez des gens
17:15avec qui vous avez vécu des choses extraordinaires.
17:18Les Français, nous, on n'est pas très tactiles.
17:20Moi, je pars, mais c'est des câlins, c'est des hugs
17:23qui sont vraiment forts, qui vous donnent...
17:26qui vous rendent meilleure, qui vous rendent différente,
17:29qui me... Ouais, j'espère.
17:30Et peut-être aussi une meilleure mère.
17:33Alors qu'on imagine que je suis une mauvaise mère
17:35parce que je pars et j'abandonne mes enfants,
17:37moi, je reviens à la maison avec toute cette force qui est en moi.
17:41Oui. Vous avez échappé à la mort quand même une bonne douzaine de fois,
17:44mais vos amis disent que vous n'êtes pas du tout une tête brûlée.
17:47Vous dites même, je prends des risques,
17:48mais je ne joue pas à la roulette russe.
17:50Est-ce que d'autres le font ? D'autres jouent à se faire peur
17:53parmi les grands reporters sans donner de nom,
17:54mais est-ce qu'il y en a qui prennent des risques ?
17:56La génération... Les temps ont changé.
17:58Aujourd'hui, la rédaction est beaucoup plus derrière vous,
18:01contrôle, vous donne un peu des obligations
18:04de porter une trousse de secours, d'avoir une...
18:07On doit avoir une formation d'aguerrissement,
18:10c'est-à-dire qu'on va vous répéter
18:12quels gestes avoir sur un terrain de guerre
18:14pour sauver la vie d'un camarade, c'est-à-dire le garrot.
18:18On a en permanence, si vous regardez,
18:19quand on est en direct, on a accroché au gilet des pare-balles
18:23une petite trousse comme ça où il y a un...
18:25On appelle ça le tourniquet en anglais, mais un garrot,
18:27où il y a des pansements compressifs.
18:28Donc, on connaît les gestes de premier secours.
18:30Si vous sautez sur une mine, si votre jambe est arrachée,
18:33il faut soi-même avoir le courage de prendre ça,
18:36de mettre le garrot, sinon, vous êtes mort.
18:39Donc, nous, on est prêts au pire.
18:41Donc, on est prêts à des gestes qui ne sont pas la norme
18:44pour une personne, mais il faut être prêts à tout ça, oui.
18:48Et est-ce que le danger a changé de nature ?
18:51En 2014, vous disiez, voici encore dix ans,
18:54les seuls dangers que nous courions étaient les risques de guerre.
18:57Puis, il y a eu les kidnappings.
18:58Maintenant, on est passé à la décapitation.
19:01Est-ce que couvrir une guerre aujourd'hui
19:03est très différente d'il y a 20 ans ?
19:04Et est-ce que vous referiez ce métier aujourd'hui
19:07si vous aviez 20 ans, là ?
19:09C'est une bonne question.
19:11Les risques changent, effectivement.
19:12Vous avez résumé un petit peu.
19:14Aujourd'hui, le risque, en Ukraine, ce sont les drones, voilà.
19:17Le champ de bataille est totalement transparent.
19:20Dès que vous allez, non seulement sur une ligne de front,
19:22mais dès que vous vous rapprochez d'une zone au fin fond du Donbass,
19:27il y a des drones de surveillance, russes, partout, de reconnaissance,
19:31qui peuvent guider précisément en donnant les coordonnées GPS
19:34de l'endroit où vous vous trouvez, et ils s'en prennent aux journalistes.
19:38Donc, vous avez également des drones kamikazes,
19:40vous avez des drones avec des engins explosifs.
19:43Un soldat, dans une tranchée en Ukraine, me disait,
19:46aujourd'hui, tu sors la tête de la tranchée, t'es mort.
19:49Et quand on arrive, nous, à un moment, on a un drone au-dessus de la tête,
19:52on est juste à côté des tranchées,
19:54et je dis, bon, qu'est-ce qu'on fait ?
19:57Et là, le mec, il rigole et il me fait, ben, tu pries.
20:00Ok, on prie, super.
20:01Et puis, il dit plus sérieusement, on se disperse un petit peu,
20:04il y a un petit peu de feuilles dans les arbres,
20:05donc planquez-vous chacun, éloignez-vous, nous, les uns des autres,
20:09parce que s'ils balancent leur drone,
20:11il n'y aura que deux, trois morts au lieu de dix.
20:13Et si vous aviez 20 ans aujourd'hui, vous le referiez, ce métier, alors ?
20:16Je pense que oui, mais c'est vrai que je pense à ceux qui commencent,
20:20et j'espère qu'ils vont trouver des parades à cette menace
20:24qui met en péril notre couverture des terrains de guerre.
20:27Et pour revenir tout à l'heure, vous me parliez des têtes brûlées,
20:30c'est vrai qu'il y avait peut-être plus de têtes brûlées
20:32il y a 25 ans, 30 ans, quand j'ai commencé à Sarajevo,
20:35et aujourd'hui, on est surveillés, encadrés,
20:37donc il y a moins de folie, quand même.
20:40Mais il y en avait, moi, j'ai connu cette période à Sarajevo
20:43où on était à fond la caisse dans une voiture qui n'était pas blindée,
20:46sans gilet pare-balles, pour rouler à 160 sur Sniper Alley.
20:51Ça, aujourd'hui, c'est plus possible.
20:53On va remonter encore le temps, on va parler de votre enfance,
20:56de votre parcours, de vos débuts. Vous avez grandi à Nantes.
20:59Vous n'étiez a priori pas destinée au journalisme,
21:01vous étiez une petite fille timide, traqueuse.
21:03Votre père, gynécologue obstétricien,
21:05qui avait plusieurs cliniques dans la ville,
21:07rêvait que vous deveniez médecin, comme lui.
21:10En même temps, votre père a passé sa vie
21:11à répondre aux urgences des accouchements,
21:13vous avez répondu aux urgences des guerres.
21:15Il y a comme un natavisme familial
21:17à vouloir partir en urgence quelque part ?
21:20Je n'avais jamais pensé à ça, mais effectivement,
21:22moi, c'est ce besoin de partir, vite, dès qu'il se passe quelque chose,
21:26qui est encore là aujourd'hui, très présent.
21:28Je souffre physiquement de ne pas être,
21:31par exemple, en ce moment, au Liban, au Sud-Liban.
21:35Mais là, je m'occupe de mon livre,
21:37donc j'ai mis un petit peu de côté le terrain
21:39pendant quelques semaines.
21:40Mais ça vous manque, c'est là.
21:41Oui, ça me manque.
21:42Donc, il y a aussi quelque chose de très humain
21:45entre la médecine, qui est effectivement d'aider les autres.
21:48Moi, mon choix, c'est de raconter les autres,
21:49de raconter les vies, d'autres vies que la sienne.
21:52Mais de répondre à l'urgence, quand même.
21:53Aussi.
21:54J'ai un document à vous proposer, Dorothée Oliéric.
21:57C'est une archive du Populaire de l'Ouest.
22:00Alors là, ça ne vous dit peut-être rien pour le moment.
22:01C'est un grand quotidien d'information qui a existé
22:04entre 1945 et 1955.
22:06Il s'appelait avant le Populaire de Nantes.
22:08Il s'est appelé ensuite l'Éclair.
22:11Journal qui représente beaucoup pour vous, je crois.
22:13Ici, c'est la une du 3 août 1950.
22:16Et ça parle des troupes américaines de Corée
22:17qui passeraient bientôt à l'offensive.
22:19Donc, ça parle aussi politique internationale.
22:21Et c'est ce journal qui vous a donné envie de faire ce métier.
22:23Excellent. Oui, tout à fait.
22:25Puisque mon ami d'enfance, son papa était directeur de l'Éclair.
22:29Et c'est comme ça que je découvre le journalisme,
22:31puisque dans ma famille, il n'y avait que des médecins.
22:33Et j'aime aller là-bas.
22:35On aime aller le mercredi après-midi,
22:37traîner dans la rédaction, dans ce quotidien,
22:39les journalistes, les rotatives, l'impression.
22:42Et mon ami Hermel était particulièrement extraverti,
22:47il parlait à tout le monde.
22:47Et moi, je suivais un petit peu timidement.
22:50Et j'ai appris, en commençant l'école de journalisme,
22:54à trouver cette espèce de... de perdre sa timidité.
22:57Il y a des jeunes filles qui viennent me voir en me disant
22:58que je suis trop timide.
22:59Je dis non, il est normal à 19 ans, 20 ans.
23:02Et quand tu choisis le métier que tu aimes,
23:04tu vas voir, tu vas t'ouvrir tout à fait naturellement.
23:06Cette timidité, elle va disparaître.
23:07Ce n'est pas un frein pour ce métier.
23:09Au contraire.
23:11Ce qu'il faut, c'est l'envie de raconter les autres le culot
23:16que j'ai assez rapidement, et le goût de l'aventure.
23:19Le goût du départ, la curiosité, et beaucoup d'autres qualités.
23:23Ce rapport au journalisme, vous en parlez magnifiquement.
23:25Vous dites, nous déambulions dans la rédaction
23:27et dans la salle d'imprimerie.
23:28Les rotatives tournaient à plein régime pour le bouclage.
23:31Et je prenais entre mes mains, fasciné,
23:33le journal fraîchement imprimé.
23:36Là aussi, un contact charnel avec le journalisme,
23:38plus qu'intellectuel.
23:40Vous êtes beaucoup plus dans le charnel que dans le...
23:43Peut-être.
23:45En tout cas, la presse écrite, effectivement, me fascinait.
23:48À l'époque, je ne voulais pas faire de la télévision.
23:50Ce n'était pas l'Alpha et l'Oméga.
23:52C'était vraiment...
23:53Moi, je rêvais d'être reporter pour Le Monde, Le Figaro,
23:56pour Un Grand Quotidien.
23:58Et c'est mon professeur de télévision, Thierry Gilardi,
24:02qui m'a dit, non, toi, tu dois faire de la télé.
24:04Je ne sais pas pourquoi, il voyait en moi.
24:06Et finalement, j'ai été très heureuse de faire la télé,
24:08parce qu'il y a une façon de raconter qui est très belle.
24:10Et puis, on est en première ligne.
24:13Il faut aller chercher les images.
24:14Et donc, c'est quelque chose, une écriture que j'aime beaucoup.
24:18À l'allure de celle que vous êtes aujourd'hui,
24:19quel conseil donneriez-vous à la petite fille que vous étiez ?
24:22Qu'est-ce que vous lui diriez avant qu'elle ne se lance dans la vie ?
24:25Je lui dirais, accroche-toi, ça va secouer.
24:28Pas mal.
24:29J'ai des photos à vous proposer, Dorothée Oliéry, qui est à présent.
24:35La première photo qu'on a envie de vous proposer, c'est celle-ci.
24:39Il s'agit du journaliste français Armand Soldin,
24:42tué le 9 mai 2023 par une frappe de roquette dans l'Est de l'Ukraine.
24:46Il était coordinateur vidéo pour l'AFP.
24:48Plusieurs journalistes ont été assassinés
24:51depuis l'invasion russe de l'Ukraine le 24 février 2022.
24:55Est-ce qu'à chaque fois qu'un homme ou qu'une femme, un journaliste,
24:59tombe sur un terrain de guerre, on se dit que ça aurait pu être nous ?
25:03Ce n'est pas la première pensée qu'on a.
25:04La première pensée, c'est la tristesse immense.
25:08Moi, je pense à lui, je pense à sa famille,
25:10je pense à ses proches, je pense à ses collègues.
25:13Et en plus, ce garçon a été adoré de tous.
25:15Il y a des réputations qui se font très vite sur les terrains de guerre.
25:18Et il était drôle, il était compétent.
25:22Et il faut savoir que pour l'AFP,
25:24donc ces gens qui sont des équipes télé, qui travaillent pour les agences,
25:27eh bien, ils prennent encore plus de risques que nous
25:30parce qu'ils ont besoin de retourner plus souvent sur la ligne de front.
25:33Nous, quand on part trois semaines en Ukraine,
25:34on va aller une fois ou deux vraiment en première ligne.
25:38Et lui, comme il fournit ses images à toutes les télés du monde entier,
25:43s'il va une fois sur le front,
25:44il ne va pas attendre trois semaines d'y retourner
25:46parce que ces images qui sont utilisées par les rédactions
25:48qui n'ont pas d'envoyé spéciaux, elles datent de trois semaines.
25:51Donc il y est retourné. Il a dit que c'était très, très dangereux.
25:54Il y avait une pluie d'obus et il y est retourné trois, quatre jours après.
25:57Ce n'est pas parce qu'il fait n'importe quoi.
25:58L'AFP doit être en première ligne.
26:02C'est sa mission.
26:02Voilà, c'est sa mission.
26:03Une deuxième photo à vous proposer, vous allez vite le reconnaître.
26:06Il s'agit de Philippe Vandal, l'homme de votre vie,
26:08le père de vos deux enfants, journaliste, animateur célèbre.
26:11Il est fan de vous avant de vous connaître.
26:13Vous racontez un peu les circonstances de votre rencontre dans ce livre.
26:16Tout se fait d'abord par téléphone.
26:17Il vous dit, j'adore vos reportages.
26:19Je vous suis depuis des années sur France 2.
26:21Je vous vois dans tous ces pays en guerre.
26:22Vous êtes mon idole, vous dit-il.
26:24Oui, c'est vrai qu'il dit ça. J'étais très gênée.
26:26Vous étiez gênée ?
26:27Il vous a toujours soutenue dans vos choix professionnels, dans vos départs ?
26:30Toujours. Je pense que c'est ce côté féministe.
26:33Et depuis toujours, depuis 25 ans, il m'a dit,
26:36tu faisais déjà ce métier, tu allais déjà sur des terrains de guerre
26:39avant que je te connaisse.
26:39Jamais, je te demanderais de ne pas y aller, y compris avec les enfants.
26:43Il aurait pu dire, mais notre fils a deux mois et demi.
26:47Je viens d'arrêter d'allaiter et je repars en Afghanistan.
26:50Je n'ai jamais eu la moindre réflexion, la moindre remarque.
26:53Alors, il a eu peur quelques fois,
26:54mais je pense qu'il a l'intelligence de le cacher
26:57parce que ça serait trop lourd de repartir
27:00en sachant que tout le monde est terrifié.
27:02J'ai une dernière question qui est en lien avec le lieu
27:04dans lequel nous sommes, Dorothée O'Leary,
27:05que nous sommes entourés de quatre statues
27:07qui représentent chacune une vertu.
27:09Il y a la sagesse, la prudence, la justice et l'éloquence.
27:13Laquelle de ces vertus vous parle le plus
27:15ou serait nécessaire pour être reporter ?
27:17On va dire que la sagesse et la prudence,
27:19ce n'est peut-être pas ce qui me caractérise le mieux.
27:22L'éloquence, je n'ai pas cette prétention.
27:25Donc, la justice.
27:26Et franchement, la justice me fait mal.
27:31Et vous la voyez beaucoup sur ces terrains-là.
27:33Merci, Dorothée O'Leary, d'avoir été notre invitée ici,
27:35dans un moment d'un regard, dans ce Dôme tournant.
27:37Merci beaucoup d'avoir été avec nous.
27:38Merci à vous de nous avoir suivis.
27:39Comme chaque semaine, émissions à retrouver en podcast
27:41et puis sur notre plateforme publicsena.fr en replay.
27:44À très vite, merci.