• il y a 11 mois
Anne Fulda reçoit Nathan Devers pour son livre «Penser contre soi-même» dans #HDLivres

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Transcription
00:00 Bienvenue à l'heure des livres, Nathan Devers.
00:02 Vous êtes normalien, vous êtes agrégé de philosophie,
00:05 vous êtes écrivain, déjà,
00:06 puisqu'on vous a reçus l'année dernière
00:09 pour un premier roman remarqué, "Les liens artificiels".
00:12 Là, vous venez pour parler d'un livre
00:15 qui s'appelle "Penser contre soi-même",
00:17 qui vient de paraître aux éditions Albain Michel,
00:19 un livre plus personnel, cette fois,
00:21 qui revient sur votre choix d'étudier la philosophie
00:25 plutôt que d'aller sur la voie qui était tracée,
00:28 votre voie qui était tracée, qui était celle de devenir rabbin.
00:31 Quel chemin, effectivement, vous évoquez,
00:35 vous écrivez, c'est un saut intérieur,
00:38 vous parlez d'un saut intérieur, un élan immédiat et lointain
00:41 qui tient tantôt à des hasards, souvent à des logiques,
00:43 toujours à des orages, bonjour, autant qu'adieu, rupture et aube mêlée.
00:47 Alors, quels ont été vos orages ?
00:49 Ces orages qui vous ont conduit à changer ?
00:53 Je pense, en effet, que le désir de philosophie,
00:57 c'est absolument pas quelque chose d'abstrait,
00:59 de purement intellectuel, de purement scolaire,
01:03 au sens de vouloir s'engager dans des études de philosophie,
01:06 entretenir un rapport livresque à la philosophie
01:09 et produire une recherche qui serait purement théorique.
01:12 Il me semble au contraire, et c'est ce que j'ai voulu dire
01:14 dès les premières pages de ce livre,
01:16 que le pourquoi à la philosophie est la question la plus concrète,
01:19 la plus corporelle, la plus charnelle,
01:21 la plus incarnée, en quelque sorte, qui soit,
01:23 et j'ai voulu, dans ce livre, raconter ce pourquoi
01:26 à la première personne et en parlant de mon parcours,
01:29 de ce qui m'a amené.
01:30 Et en effet, ce qui m'a amené, c'est une rupture,
01:32 c'est une cassure avec un autre mode de l'existence
01:35 et de la quête de sens, qui est la quête religieuse.
01:37 Et pour répondre en un mot à votre question,
01:39 c'est le vertige du questionnement.
01:41 Et il me semblait que la religion, et c'est pas la seule chose,
01:43 mais ce sont des quêtes, des belles quêtes,
01:44 mais des quêtes closes, et que la philosophie, en revanche,
01:46 est une quête ouverte.
01:47 Oui, parce que j'allais vous dire qu'effectivement,
01:49 d'une certaine façon, ce sont deux quêtes de désir,
01:53 de réponse, d'être éclairée sur un chemin à prendre.
01:56 Donc il y a quand même des points communs entre les deux.
01:58 Bien sûr, il y a des points communs,
02:00 et je ne serais absolument pas pour une sorte d'opposition
02:04 binaire entre philosophie et religion,
02:06 et ni pour avoir le moindre mépris envers la religion.
02:08 J'ai voulu écrire ce livre un peu comme après une rupture,
02:11 si on revient sur une histoire d'amour, c'est pas pour...
02:13 Il y a des gens qui font ça, qui crachent sur leur ex.
02:15 Moi, je n'aime pas tellement cette école,
02:16 et c'est un peu dans cet esprit que j'ai voulu l'écrire.
02:18 Et en effet, la religion, c'est une quête sublime de sens,
02:22 de poésie, de poétiser l'existence,
02:24 de lui trouver une musicalité, une transcendance à la fois.
02:29 La seule différence, c'est qu'il y a sinon un dogme,
02:31 parce qu'en l'occurrence, dans le judaïsme,
02:33 ce n'est pas une religion dogmatique,
02:34 mais il y a quand même un rapport où le sens,
02:36 on sait plus ou moins le chercher,
02:38 on a plus ou moins le pressentiment de quoi il ressemble,
02:40 à tout le moins, on sait dans quel texte ça crée,
02:42 dans quel texte ça crée, il faut l'investiguer.
02:44 Alors que la philosophie, quand je dis qu'elle est ouverte
02:46 et qu'elle n'est pas close, c'est qu'elle est absolument vierge,
02:48 ou en tout cas, elle se doit d'être vierge,
02:50 de tout présupposer, y compris même quant à l'orientation
02:53 qu'on pourrait donner au questionnement.
02:55 -Alors, vous dites que le premier texte philosophique
02:58 que vous avez lu, il y a dix ans, c'était Heidegger.
03:02 -Oui.
03:03 -Est-ce que c'est un texte que vous conseilleriez
03:05 à quelqu'un qui voudrait une introduction à la philosophie ?
03:08 -Je ne sais pas.
03:09 Je ne suis pas sûr que ce soit l'introduction la plus facile.
03:13 Dans mon cas, c'était un peu...
03:14 D'abord, c'était le hasard de tomber sur ce livre.
03:16 Et puis, c'était la fascination pour un auteur
03:19 que je ne comprenais pas, dont je ne comprenais rien,
03:21 mais dont je comprenais que ne pas le comprendre
03:23 était quand même déjà très, très important.
03:24 Et au contraire, Heidegger, ce que j'aimais chez lui,
03:26 c'était... Enfin, ce que j'ai tout de suite aimé,
03:28 quand il dit que la pensée, c'est des chemins
03:30 qui ne mènent nulle part, enfin, c'est la traduction,
03:32 mais que c'est, si vous voulez, cette idée
03:34 que la pensée, c'est extrêmement difficile
03:37 et qu'il ne faut surtout pas attendre d'elle
03:39 qu'elle retombe ni sur une conception du monde,
03:41 ni sur un arsenal de valeurs, ni sur un sommet quelconque.
03:44 Le sommet est toujours à trouver,
03:45 la destination toujours à inventer.
03:47 Et c'est ça, quand même, que Heidegger, fondamentalement,
03:50 disait même quand on ne le comprenait pas.
03:51 Je recommanderais plutôt Platon pour commencer la philosophie.
03:54 - Alors, vous dites que vous demandez à vos élèves
03:56 à chaque rentrée pourquoi ils ont choisi
03:59 cette discipline étrange qui ne répond à aucune fonction,
04:02 ce non-métier, dites-vous.
04:04 Vous, que vous a apporté, finalement, la philosophie,
04:08 ce choix, ce changement d'orientation ?
04:11 - D'abord, ça m'a coûté, je dirais.
04:12 C'est-à-dire que je pense qu'on rentre dans la philosophie
04:15 par des ruptures existentielles intenses et violentes.
04:18 Et donc, moi, ça m'a apporté de perdre ce en quoi je croyais,
04:21 de perdre ma vie quotidienne,
04:24 toutes les lois qui régissent la vie religieuse, les prières,
04:27 de perdre aussi "vocation", je ne sais pas si c'est le mot,
04:30 mais un avenir de rabbin, un avenir potentiel
04:32 dans lequel je me voyais tout à fait et qui me donnait envie,
04:34 de perdre naturellement des amis,
04:35 de perdre en gros mon univers ambiant.
04:36 Donc, ça m'a d'abord... Et de perdre un certain bonheur.
04:39 C'est très heureux, la vie religieuse.
04:41 Donc, ça m'a d'abord coûté.
04:42 Et ce que ça m'a rapporté, je ne sais pas si c'est le mot,
04:45 mais au contraire, c'est la quête d'un...
04:47 À la fin de mon livre, je dis que tout ça était quand même
04:49 un vrai bonheur, mais au sens d'un bonheur difficile,
04:52 d'un voyage qui, en inventant sa destination,
04:55 en passant par des ombres, en passant par des nuits,
04:57 en passant par des doutes, par des ignorances,
05:00 fait advenir quelque chose qui est quand même de l'ordre
05:03 sinon d'une extase, du moins d'un sens construit.
05:07 Oui.
05:08 Et bon, ça sera un changement assez brutal
05:10 puisque vous vous dites dans l'introduction,
05:12 vous en oubliez même le jour de Yom Kippour,
05:14 lors d'un voyage à Bordeaux.
05:16 En tout cas, c'est vraiment très intéressant
05:18 de voir ce cheminement que vous expliquez,
05:21 que vous racontez avec beaucoup de talent.
05:22 Ça s'appelle donc "Penser contre soi-même".
05:24 C'est paru chez Albain Michel.
05:25 Merci beaucoup, Nathan Devers.
05:27 Merci à vous.
05:28 [Musique]
05:31 [SILENCE]

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