Passage de flambeau ! Jérôme Garcin quitte "Le Masque & Plume", Rebecca Manzoni lui succède. Ils sont les invités de 9h05. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-du-7-10/le-debat-du-7-10-du-jeudi-21-decembre-2023-4035260
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00:00 Ce n'est pas vraiment un débat ce matin, mais plutôt le dialogue de deux voix sur
00:04 une grande dame pleine de bons et de mauvais esprits.
00:08 J'ai nommé le masqué-la-plume, doyenne des émissions de radio créées en 1955 et
00:14 que vous présentez depuis près de 35 ans, Jérôme Garcin.
00:18 Vous animerez votre dernier masque demain vendredi, en présence de celle qui vous succédera,
00:23 Rebecca Manzoni, avant cette dernière, où vous avez promis Jérôme de ne pas pleurer.
00:29 Vous êtes tous les deux de passage dans notre studio.
00:32 Jérôme Garcin, Rebecca Manzoni, bonjour !
00:34 Bonjour à tous les deux !
00:36 Bonjour à vous deux !
00:37 Merci d'être là, on est très heureux et un peu émus nous !
00:40 On ne va pas pleurer, mais de vous avoir tous les deux, parce que c'est quand même un
00:45 sacré moment, c'est une sacrée émission.
00:48 Quel sentiment vous traverse Jérôme à la veille de tourner cette page ? Pour vous
00:52 et pour les auditeurs, il y a de la tristesse, il y a de l'émotion, est-ce qu'il y a
00:55 aussi un petit peu de fierté ?
00:56 Il y a d'abord de la joie, de la joie parce que l'émission continue, que mon rêve se
01:04 réalise, c'est-à-dire que c'est une femme jeune qui me succède.
01:09 Il était temps, parce que Nicolas l'a rappelé, l'émission date de 1955, elle n'a été
01:15 tenue que par des hommes, d'ailleurs remarquable, François-Albert Bastide, Michel Pollak, Pierre
01:21 Bouteillet et votre serviteur, et qu'il était temps, c'est la raison pour laquelle
01:25 d'ailleurs j'ai fait le choix de rendre les reines avant l'heure, c'est parce que
01:29 je voulais que cette émission, qui n'est pas la mienne, qui ne sera pas celle de Rébecca,
01:34 qui est celle de Notre Maison, de France Inter, qui est l'émission pour moi par excellence
01:38 du service public, elle m'a été léguée, je la prête à Rébecca et j'ai envie qu'elle
01:46 continue sa vie incroyable, presque bientôt 70 ans sans que les fondamentaux aient jamais
01:53 été changés.
01:55 Donc voilà, ça c'est la joie, Rébecca est là, elle va porter ce nouveau masque
02:03 sans être infidèle à ce qu'il a été et c'est une immense mélancolie, évidemment.
02:07 Quand vous faites ça pendant 35 ans, 52 dimanches par an, Léa, 52 dimanches, il n'y a pas
02:13 d'été, il n'y a pas de Noël, il n'y a pas de jour de l'an et en même temps avec
02:17 un plaisir physique à l'heure où je vous parle qui n'a pas varié.
02:20 Donc la mélancolie vous étreint.
02:24 Évidemment, évidemment, immensément, c'est ma vie.
02:27 Je vous rappelle que j'étais critique au masque et la plume avant d'en être l'animateur.
02:31 C'est 45 ans de ma vie, c'est ma vie.
02:34 Et vous alors, Rébecca, même question, quel sentiment vous étreigne à la veille de prendre
02:39 le flambeau d'entendre aussi Jérôme Gersin parler de cette vie, cette vie à Inter, cette
02:45 vie dans cette émission-là ? Qu'est-ce qui vous traverse ?
02:47 Ce qui me traverse, c'est l'enthousiasme, l'excitation et évidemment pas mal de fibrilité.
02:53 Voilà, c'est vraiment l'état d'esprit dans lequel je suis.
02:58 Mais à écouter Jérôme, ce que je trouve très beau avec cette émission, c'est que
03:01 finalement la radio peut façonner ou peut façonner l'oreille de ceux qui nous écoutent,
03:07 mais elle façonne aussi ceux qui la font.
03:09 Et quand Jérôme dit « c'est ma vie », je pense que cette émission a façonné,
03:14 oui, l'homme qu'il est, son éloquence, ses amitiés, ses détestations aussi.
03:20 Et cette émission, même si elle est plus grande que vous, c'est l'une des premières
03:25 phrases que tu m'as dites quand on s'est rencontré, c'est que oui, cette émission
03:29 est plus grande que nous, mais elle te raconte aussi.
03:33 Oui, mais je dirais aussi qu'elle raconte la vie de nos auditrices et de nos auditeurs.
03:36 Et elle raconte la France.
03:37 Ce qui est très frappant, c'est de voir dans tous les témoignages que je reçois,
03:41 qu'on reçoit ici dans cette maison, à quel point les gens ont fait aussi leur vie
03:46 à travers le masque et la plume.
03:48 Évidemment, c'est Choua, c'est…
03:51 C'est Jout, on va en parler.
03:54 On va en parler.
03:55 Il y a quelques semaines, il y a quelques… est mort Michel Simon.
03:58 Ça a été dit ici d'ailleurs, très bien dans un des journaux.
04:03 La mort de Michel, âgé, 85 ans, c'était la mort d'un oncle, d'un grand-père,
04:09 d'un frère et jamais je n'ai reçu autant de témoignages de gens qui me disaient « mais
04:14 on a fait notre culture cinématographique avec Michel Simon et il était de la famille.
04:19 » C'est tous nos auditrices et nos auditeurs qui écoutent le masque et la plume.
04:24 Il y a un lien très puissant avec cette émission.
04:25 Ah mais qui est inouï, qui n'est pas simplement parce que l'émission est un public, qui
04:28 est à mon avis le postulat de base de cette émission.
04:31 Georges Charenceau, quand j'ai été nommé animateur du masque et la plume, il avait
04:36 95 ans, il m'a dit « n'oublie jamais Jérôme, que avant d'être une émission,
04:41 le masque est un spectacle.
04:42 » C'est une pièce de théâtre aussi.
04:45 C'est une pièce de théâtre.
04:46 D'où d'ailleurs les jeux de rôle des critiques, avec leurs talents et leurs mauvaises
04:52 fois.
04:53 On va y venir à la mauvaise foi, mais juste avant, Rébekah, vous avez dit un mot, vous
04:56 avez dit « cette émission, ça dit quelque chose de la France ». C'est ce que vous
04:59 dites Jérôme Garcin, vous dites souvent « cette émission, le masque, c'est l'incarnation
05:03 de l'esprit français ». Vous êtes d'accord avec ça ?
05:05 Oui, c'est l'incarnation de l'esprit français, mais quand je dis « cette émission,
05:08 c'est la France », c'est qu'elle permet de comprendre l'époque aussi, cette émission.
05:12 Il est question de tout ce qui se crée aujourd'hui en France et à l'étranger, dans le domaine
05:17 du cinéma, de la littérature ou du spectacle vivant.
05:20 Et quoi de mieux pour comprendre l'époque que la création culturelle, que la création
05:28 contemporaine ? C'est une façon d'avoir vraiment les deux doigts dans la prise de
05:34 cette époque.
05:35 Et ça, ça concerne tous les domaines de la culture.
05:36 Je sais que quand j'ai choisi de faire une chronique musicale dans la matinale, c'était
05:42 justement pour être connecté à l'époque et pour la comprendre.
05:44 Et là, je vais avoir la possibilité d'élargir le champ, évidemment, au théâtre.
05:50 Oui, parce qu'il y aura des changements, vous allez nous en parler.
05:53 Alors, sur l'esprit français, Jérôme Garcin, qu'est-ce que vous voulez dire ?
05:56 D'abord, l'histoire de France.
05:59 Écoutez, moi, j'ai plongé je ne sais combien de fois la tête dans les archives de l'émission.
06:04 Vous avez toute l'histoire de France depuis 1955.
06:06 Vous avez la guerre d'Algérie, vous avez mai 68.
06:08 Tout défile dans cette émission.
06:10 Elle n'est pas coupée du réel.
06:11 Quant à l'esprit français, ce qui me frappe là, pour le coup, depuis quelques semaines,
06:16 avec les entretiens que je fais avec la presse étrangère ou les témoignages que je reçois
06:20 de l'étranger, c'est à quel point elle incarne pour les étrangers un esprit exclusivement
06:26 français.
06:27 Je vais vous donner deux, trois exemples.
06:29 Ce droit de critiquer, il n'existe pas dans les autres pays de manière aussi frontale.
06:37 Il y a quelques semaines, le masque et la plume a été très sévère pour le film
06:42 Napoléon de Réveille les Fottes.
06:43 C'est ce que j'allais vous dire.
06:44 Il avait descendu en flamme.
06:47 Mais cette liberté-là, je veux dire que les étrangers ont du mal à la comprendre.
06:50 Deuxièmement, il y a cette éloquence, c'est-à-dire ces gens qui, évidemment, brillent, parfois
06:55 comme des comédiens, une éloquence qui, pour les étrangers, est l'héritage des
07:00 salons de Mme la Marquise du Défend, en passant par Apostrophe, en passant par toutes ces
07:05 grandes émissions culturelles où il faut rivaliser de bons mots.
07:09 Et pour eux, c'est la France.
07:10 Et puis enfin, évidemment, pour les expatriés notamment ou les étrangers, on est quelque
07:16 part entre la tour Eiffel et la 4L.
07:18 On est peut-être une forme de… ou le banquet d'Astérix.
07:21 On est une manière, un peu entre la Gaule et la France, d'exprimer un pays que parfois
07:27 les gens ont besoin de trouver dans cette émission.
07:30 - Et en même temps, c'est très moderne parce que, pour moi, cette émission, en réunissant
07:36 des personnes qui ne sont pas de la même génération, qui n'ont pas la même sensibilité,
07:40 qui n'ont pas les mêmes références, c'est aller contre ce qu'on appelle l'algorithme.
07:43 C'est-à-dire qu'aujourd'hui, dès que vous allez sur Internet ou sur les réseaux
07:47 sociaux, on est conforté dans nos opinions, dans nos points de vue.
07:51 Et voilà un espace totalement libre où, précisément, des avis s'affrontent ou
07:59 parfois s'accordent.
08:00 Et ça, c'est un espace de liberté très moderne et totalement inédit.
08:05 - C'est une émission de critique, faite par des critiques, à une époque où la critique
08:09 a considérablement reculé.
08:11 Comment l'expliquez-vous ce recul, Jérôme Garcin ? 35 ans de masqué la plume, disons.
08:16 Vous avez la perspective, donc, vous avez dû voir cette évolution au long cours.
08:22 Pourquoi, pour le dire très simplement, on ne se fout plus sur la gueule autour d'un
08:28 livre, d'un film, comme on a pu le faire par le passé, qu'on le fait au masqué la
08:35 plume ? La disparition de la critique est quand même un phénomène.
08:39 - D'abord, il y a une chose que vous savez bien, mais on n'a pas le temps vraiment de
08:41 rentrer dans le détail, mais moi j'appartiens depuis mes 19 ans à la presse écrite.
08:45 J'ai fait beaucoup de journaux, j'y suis toujours, à l'Obs aujourd'hui.
08:49 Il est clair que le lent déclin de la presse écrite a aussi sonné un peu le glas d'une
08:55 forme de critique, qu'à une époque, un feuilleton de Poirot d'Elpeche dans Le Monde,
09:01 ou de Jean-Jacques Gauthier dans Le Figaro, avaient des effets immédiats.
09:05 Ça, c'est fini.
09:06 En revanche, la force du masque, c'est qu'elle a continué à imposer l'idée que la critique
09:14 était un genre majeur.
09:16 Je dis bien le masque, parce que pendant ce temps-là, toutes les radios, toutes les
09:21 télés ont ouvert des robinets d'eau tiède à l'infini.
09:24 Écoutez, qu'est-ce qui a changé en 35 ans ? La promotion a pris une place énorme.
09:31 Maintenant, je ne pue un film, on interview le réalisateur et les comédiennes et les
09:35 comédiens.
09:36 Et une fois que la critique fait son travail, le travail de promotion est fait.
09:40 Mais non, il reste encore ce dimanche choix où on persiste à penser que sans la liberté
09:54 de blâmer, il n'y a pas des logevlateurs.
09:55 Et je le pense d'autant plus que si l'émission est à ce point prescriptrice, c'est parce
10:00 que précisément, ce qu'on aime et ce qu'on n'aime pas est distingué, alors que dans
10:06 la plupart des émissions où interviennent des critiques, c'est en général pour dire
10:10 du bien.
10:11 Mais en plus, si la critique est moins influente, c'est aussi parce qu'elle s'est diluée.
10:15 C'est-à-dire qu'avec les réseaux sociaux, tout le monde peut devenir critique en fait.
10:18 D'où l'importance du masque qui reste un repère.
10:21 Et quand vous dites "on se fout plus sur la gueule", moi je trouve qu'on se fout beaucoup
10:25 trop sur la gueule par les troquicots, notamment par le bien des réseaux sociaux.
10:29 Et justement, les affrontements à l'intérieur du masque, combien même ils sont violents,
10:35 ils sont ritualisés.
10:36 Ça relève, c'est ritualisé d'une part, ça ne va pas jusqu'à l'insulte.
10:41 Et c'est un exercice aussi d'éloquence.
10:43 Ça peut aller jusqu'à l'insulte.
10:44 Il y a eu quand même des moments où il y avait des grandes rues qui claquent la porte.
10:49 Autrefois, c'était même d'une violence inimaginable.
10:52 J'ai entendu des affrontements qui étaient vraiment très très très...
10:57 Lesquels ? Une fois vous avez été choqué, Jean-Garçin ?
11:00 Oui, avec Boris et Charles Ransol, mais même moi, je veux dire, au théâtre notamment,
11:05 entre Julie Costas et Jacques Nerson, entre Frédéric Bono au cinéma...
11:12 Ça peut être très violent.
11:15 Mais pour en finir avec la critique, ce qui aussi fait que la critique est à ce point
11:19 prescriptrice et forte au masqué la plume, c'est qu'elle se fait de vendre à public.
11:24 Il ne faut jamais oublier que la pire chose dans la critique...
11:28 Là, je parle en mon nom, c'est l'entre-soi.
11:32 C'est la complicité.
11:34 On est entre professionnels de la critique.
11:37 Ce qui est formidable avec le masque, c'est que les critiques sont face à un public.
11:40 Ils ont à répondre de leurs opinions devant un public qui applaudit, qui siffle.
11:45 C'est comme les Jeux du Cirque.
11:47 C'est un spectacle, une fois de plus, avec son public.
11:49 Oui, mais c'est aussi un public qui vient assister à des joutes de critique.
11:53 Il ne se masse pas au théâtre de l'Alliance française pour voir des comédiennes ou des
11:59 comédiens, mais pour entendre des joutes de critique.
12:04 Pour moi, c'est le secret de la longévité de l'émission.
12:06 Et ça façonne d'ailleurs la façon de parler de chacun, le fait que ça se fasse en public.
12:10 Oui, parce que dans les éléments qui ont fait la force du masque et de la plume, vous
12:13 en avez cité trois, l'éloquence, la liberté et l'impertinence.
12:18 Je ne sais plus ce qui a été le troisième, mais il y a la langue aussi.
12:21 C'est vrai que c'est un des derniers lieux, même dans cette belle radio de France Inter,
12:26 où on fait attention à la langue.
12:27 La langue est magnifique, c'est la langue française.
12:29 C'est peut-être aussi pour ça que les expatriés adorent.
12:31 D'ailleurs, j'aimerais signaler un podcast qui illustre vraiment l'idée selon laquelle,
12:36 et qui reste valable, selon laquelle le masque c'est l'histoire de France et ça raconte
12:42 la France.
12:43 C'est un podcast qui s'intitule Godard Parcours Critique, conçu par Xavier Pestudia et Jean-Marc
12:48 Lalanne.
12:49 En fait, en 7 fois 1 heure, vous avez 60 ans non seulement d'histoire du cinéma, mais
12:55 aussi d'histoire de France.
12:56 Parce que les débats sont traversés par une question sociale et de l'histoire du
13:00 masque bien sûr, mais des questions sociales, politiques qui agitent la France à ces moments-là.
13:05 Et c'est aussi une histoire de l'éloquence, une histoire d'un débit, d'une scansion,
13:11 d'un lexique, des mots qu'on n'utilise plus.
13:14 - D'un rythme, d'une musique.
13:15 - D'un rythme aussi, bien sûr.
13:17 À quel point les choses se sont accélérées.
13:19 Et rien n'est traversé par cette émission, ça raconte la France.
13:23 - Merci à tous les deux.
13:24 Bonne dernière Jérôme.
13:25 - Merci Léa, merci Nicolas.
13:26 - Ce sera demain, belle route à vous.
13:28 - C'est demain mais c'est diffusé le 31 décembre.
13:30 - Et vous votre première c'est le 7 janvier.
13:32 - Allez, merci.
13:33 - Belle fête.
13:34 - Merci à vous.