• l’année dernière
Quatre hommes et deux femmes qui entendent des voix alors que personne ne leur parle, racontent ce qu’ils ont vécu et ce qu’ils vivent encore. Ce film montre le caractère intrusif, déstabilisant, que peuvent avoir ces voix, mais aussi le cheminement de chacun pour parvenir à les faire taire ou à composer avec. Même quand on est totalement étranger à de tels phénomènes, comprendre un peu mieux ce qui se passe dans la tête des autres nous éclaire bien évidemment sur ce qui se passe dans la nôtre.

Pour les uns, entendre des voix relève purement et simplement de la folie, l’image associée étant celle de la personne parlant seule dans la rue ou délirant en hôpital psychiatrique. Pour les autres, c’est un phénomène paranormal, surnaturel, qui permet d’accéder à un monde encore inexploré et inconnu du commun des mortels. Pour d’autres encore, entendre des voix quand personne ne s’adresse pas à vous, c’est impossible, point final. Les principaux intéressés parlent peu de ce qui leur arrive, anticipant d’instinct la stigmatisation qui risque de les viser s’ils dévoilaient cette part cachée d’eux-mêmes.

Ce film permet d’expliciter l’entente des voix au plus près de ce que ces témoins ressentent, raconter ce qu’ils ont vécu et ce qu’ils vivent encore. Montrer le caractère intrusif, déstabilisant, que peuvent avoir les voix, mais aussi le cheminement de chacun pour parvenir à les faire taire ou à composer avec.

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Personnes
Transcription
00:00 [Musique]
00:23 C'était un dimanche.
00:25 Pierre s'en souvient très bien.
00:28 Il s'était engueulé avec Bastien
00:30 et les propos désobligeants que celui-ci avait tenus sur sa copine qui venait de le quitter
00:35 l'avaient profondément blessé.
00:37 Il dira plus tard
00:46 "Je n'ai rien remarqué de bizarre, ni effraction, ni mauvaise onde."
00:50 Et pourtant,
00:52 à peine son verre rempli,
00:56 "Petite bite."
00:58 tout commença.
01:01 "Il a une petite bite,
01:03 et elle ne se dresse pas souvent."
01:05 Ça ne venait pas de la radio.
01:13 Pierre était sidéré.
01:17 Une femme lui avait parlé, il l'avait distinctement entendu.
01:24 "Petite bite."
01:26 Pierre se dit que quelque chose lui échappe.
01:36 Mais quoi ?
01:39 [Musique]
01:57 Pierre n'est pas une exception.
01:59 Depuis l'aube des temps jusqu'à aujourd'hui,
02:02 des hommes, des femmes, des enfants aussi
02:05 entendent des voix alors qu'ils sont seuls
02:08 et que personne ne semble leur parler.
02:10 On pense à Jeanne d'Arc, bien sûr,
02:13 mais on ignore le plus souvent ce qui est au cœur de cette expérience,
02:16 car ceux qui la vivent, même si, fort heureusement,
02:19 ils ne finissent pas tous sur le bûcher,
02:21 hésitent à en rendre compte,
02:23 sachant qu'ils risquent d'être moqués, voire maltraités.
02:26 C'est pourquoi d'ailleurs, un certain nombre d'entre eux,
02:30 à travers toute la France,
02:32 ont pris quelques années de se réunir et de parler de leur foi.
02:35 Ils ne portent pas tous le même regard sur ce qui leur arrive,
02:41 mais tous ont le désir de partager leur expérience
02:44 sans préjugé, sans a priori.
02:46 Maintenant, j'ai un effet secret pendant de longues années,
02:50 et là, je le dévoile.
02:52 Parce que pour moi, c'est pas tabou.
02:55 C'est pas tabou parce qu'il y a plus de monde qu'on croit
02:58 qui entend des voix, je pense, et qui ne le disent pas.
03:01 Moi, je dirais, comme je t'avais dit tout à l'heure,
03:04 elles sont devenues des compagnons de route.
03:07 Dans ma journée, je me sens pas seul, si tu veux.
03:10 - Donc elles sont même utiles, elles ? - Oui, exactement.
03:14 Je discute avec elles, quoi. De manière sympathique.
03:19 Ça fait plus de 10 ans que j'en ai pratiquement pas entendu.
03:23 Tout ce qui m'a aidé, c'est la sociabilisation,
03:26 avoir des buts dans la vie,
03:28 avoir une vie sociale.
03:30 Vivre, quoi.
03:32 Et du coup...
03:34 Bah ouais, vivre.
03:40 Du coup, les voix ont disparu, en fait.
03:43 Elles sont parties comme elles sont arrivées.
03:46 Les voix, j'en ai fait une force,
03:48 mais mes voix, elles sont pas plus sympathiques qu'avant.
03:51 Si je les écoute pour être correct et limiter aux trucs les plus simples,
03:55 je suis un enculé, un bâtard.
03:57 Après...
03:59 Toutes mes voix ont le même genre de vocabulaire.
04:02 Quasiment toutes.
04:04 Mais après, je les reconnais, j'arrive à les distinguer,
04:07 et je sais quelle voix vient à quel moment.
04:10 Et du coup, quand je me mets trop de pression dans le boulot
04:13 ou dans mon militantisme ou n'importe quoi,
04:16 je me dis, Vincent, tu dois te mettre une pression énorme en ce moment,
04:19 et calme-toi un peu, c'est bon, c'est pas la fin du monde.
04:22 Fais ce que t'as envie de faire, et fais-le comme t'as envie de le faire,
04:25 ça me permet de le relativiser.
04:27 Et du coup, moi, il y a plein d'endroits où...
04:29 Alors c'est vrai que j'entends plus autant de voix qu'avant.
04:31 Avant, c'était 80 % de ma vie, j'entendais les voix,
04:33 les 20 % qui me restaient, je pensais qu'à ça,
04:35 donc je suis enfermé 20 %, tu vois.
04:37 Les voix, elles ont plus de pouvoir sur moi.
04:39 - De l'île où il habite, Vincent préside le RÈVE,
04:43 le Réseau français sur l'entente de voix.
04:46 Dans les nombreuses réunions qu'il organise,
04:49 sa propre expérience lui sert de boussole
04:52 et donne à ses interventions une force et une valeur à nul autre égal.
04:57 - Moi, j'étais un ado, voilà, j'avais 15, 16 ans.
05:02 Je m'étais... Alors j'avais un ami qui s'appelle Alexandre,
05:05 avec qui je voulais avoir...
05:07 Avec qui je devais normalement avoir ma première relation sexuelle,
05:09 j'avais tout prévu dans ma tête, je suppose que lui aussi.
05:11 En tout cas, c'était prévu pour le soir.
05:13 Moi, je m'étais fait un film de qu'est-ce que je vais lui dire,
05:15 comment je vais mettre mes mains, ce que je vais faire.
05:17 Enfin, voilà, c'était... J'avais un peu fantasmé ça.
05:21 Et j'étais dans un parc avec lui, mais aussi d'autres amis.
05:25 Et là, j'entends sa voix, j'entends lui,
05:28 mais qui m'insulte de tous les noms,
05:30 mais vraiment avec une force et une méchanceté incroyable.
05:33 Et j'ai du tac au tac, répondu avec la même virulence
05:37 que ses propos... que ses propos.
05:40 Et là, je vois l'intégralité de mes amis qui se retournent vers moi
05:43 et me disent "Mais Vincent, qu'est-ce qu'il prend ?
05:45 Pourquoi tu lui parles comme ça ? Il t'a rien fait."
05:48 Et j'avais été tellement agressif,
05:51 à la hauteur de ce que j'avais subi avec lui,
05:55 que la conversation a eu du mal à reprendre entre mes amis.
05:58 Et à un moment, alors que la conversation commençait à reprendre entre eux,
06:03 j'entends à nouveau mon ami qui m'insulte de tous les noms.
06:07 Un détail près, c'est que là, j'arrêtais pas d'observer,
06:10 et j'ai vu que ses lèvres ne bougeaient absolument pas.
06:14 Et c'est là où la peur est arrivée,
06:16 avec les propres représentations que j'avais sur ce qui se passait,
06:19 où je me dis "Mais je suis fou" ou quoi.
06:22 Et c'est ça où ça a été terrible.
06:25 Parce que, déjà à l'époque, je me dis "Mais si j'en parle,
06:29 les gens vont penser ça de moi."
06:32 Et du coup, je suis resté dans un mutisme.
06:34 Donc à ce moment-là, vous avez entendu la voix du garçon
06:37 avec qui vous souhaitiez avoir une relation sexuelle,
06:40 d'autres voix qui étaient d'autres voix d'hommes ?
06:42 Qui étaient des voix d'hommes ou de femmes,
06:44 que je ne sais pas identifier ?
06:47 Étonnamment, la voix d'Alexandre a très vite disparu.
06:50 J'en ai même oublié, presque, que je l'avais eue au début.
06:53 Pour avoir des tas de voix.
06:55 Mais la majorité du temps, j'ai essayé de cacher au maximum
06:57 de peur des conséquences.
06:59 Là où j'aurais voulu avoir un allié, j'en ai pas trouvé,
07:02 parce que ça devenait presque un sujet tabou.
07:05 Et beaucoup d'entre nous, on fait le jeu.
07:07 Il y a des choses qu'on va dire,
07:09 parce qu'on veut obtenir ceci ou cela,
07:11 puis des choses qu'on va apprendre à terre.
07:14 Contrairement à Vincent et aux entendeurs
07:22 qui se réfugient dans le silence,
07:24 Camille, elle, a choisi de parler très vite avec Benoît,
07:27 l'homme qui allait devenir son compagnon,
07:30 et de ne rien cacher de ses voix
07:32 à tous les membres de sa future belle-famille.
07:35 Habitant désormais au milieu des vignes,
07:37 où le père de Benoît possède un domaine,
07:40 Camille a aujourd'hui le sentiment
07:42 d'être dans un environnement protecteur.
07:45 - Quand j'ai rencontré Benoît,
07:47 je lui ai expliqué que, voilà,
07:49 j'étais pas du tout dans mon assiette,
07:51 et il y avait ses voix qui me disaient des choses méchantes.
07:54 On a beaucoup parlé.
07:56 Et après, quand j'ai rencontré son père, sa mère,
08:01 bah, on en a tout de suite parlé.
08:03 C'était vraiment pas tabou.
08:05 Et...
08:07 Et du coup, aujourd'hui, j'ai...
08:10 Je dirais que j'ai la chance de les connaître,
08:13 parce que ça me...
08:14 Le fait de donner un coup de main au domaine,
08:17 que ce soit dans les lignes, au bureau,
08:19 ou pour faire m'occuper du site Internet,
08:21 de la page Facebook et tout,
08:23 c'est des choses où j'ai mon...
08:25 Ça me fait du bien de travailler.
08:28 Ça me stabilise, en fait.
08:30 (musique douce)
08:33 (brouhaha)
08:38 J'ai beaucoup d'hallucinations visuelles.
08:41 J'ai...
08:43 Beaucoup d'hallucinations auditives aussi.
08:46 Depuis que j'ai 21 ans, là, je viens d'en avoir 26,
08:51 et en fait, ça s'est jamais vraiment arrêté.
08:54 (musique douce)
08:57 (bruit de voiture)
09:00 (musique douce)
09:03 (bruit de porte)
09:06 (musique douce)
09:09 T'as un sac pour moi?
09:11 (musique douce)
09:13 - Et à quel moment vous situez le début de vos difficultés?
09:17 - Euh...
09:19 Si, quand j'avais 15 ans...
09:22 Euh...
09:24 Ça se passait pas très bien à la maison.
09:26 J'avais eu une rupture amoureuse.
09:28 Enfin, plein de choses comme ça.
09:30 Et j'ai fait une tentative de suicide.
09:33 Et en fait, y a un homme qui est arrivé.
09:36 Il avait un jean, une veste en dents, des baskets.
09:40 Et il s'est moqué de moi
09:42 parce que je voulais sauter d'un pont et mourir, quoi.
09:46 Et il est venu, il m'a dit...
09:48 "Oui, tu vas quand même pas sauter et tout."
09:51 Et du coup, il m'a distrait, et je l'ai suivie.
09:54 Et là, il a disparu.
09:56 Et en fait, je me suis rendue compte
09:58 que c'était pas une vraie personne.
10:00 C'était pas normal de...
10:02 Quand tu es en situation de crise, qu'il apparaisse comme ça.
10:06 C'est vrai que, bah, ça m'a sauvée la vie.
10:09 - T'as besoin de fil.
10:11 Arrête.
10:13 - Moi, j'ai un peu de mal à me rendre compte
10:15 de si ça vient des oreilles ou si c'est dans la tête.
10:18 Je pense que ça vient des oreilles, ça rentre dans la tête.
10:21 Et ça martèle et ça martèle et ça martèle.
10:24 Et du coup...
10:26 Sur le moment, je me dis...
10:30 C'est quelqu'un qui est à côté de moi en train de me parler.
10:34 Ou combien de fois, par exemple, je suis dans mon lit
10:37 et ma porte de ma chambre est fermée
10:39 et j'entends des gens qui discutent dans mon salon.
10:42 Mais ce qui est sûr, c'est que c'est une voix d'homme.
10:45 Et pas plus tard qu'hier,
10:48 genre, dans...
10:51 C'était des voix qui me disaient...
10:54 "Suicide-toi, suicide-toi.
10:56 "Prends un couteau, fais-toi du mal.
10:59 "Faut que tu voies du sang, du sang, du sang, du sang."
11:02 C'est comme si j'étais possédée et que, du coup,
11:06 y avait mon démon qui me...
11:09 qui me poussait à faire des choses
11:12 qui pourraient me faire mourir ou du moins me blesser.
11:16 Quand elles sont là, j'arrive pas à me dire que c'est pas vrai.
11:20 C'est quand ça s'arrête, en fait,
11:23 que je me dis que c'est une hallucination.
11:26 Je serai toujours différente.
11:30 Mais d'un côté, y a une partie de moi qui a peur de tout ça,
11:34 de toutes ces voix et tout,
11:36 et d'un côté, y a une partie de moi qui en est très fière.
11:39 Parce que, du coup, je me dis que je suis courageuse,
11:43 que j'arrive à surmonter
11:47 toutes ces insultes,
11:51 ces ordres qu'on me donne.
12:10 Quand elle est avec moi, y a aucun risque.
12:14 Et justement, le fait que je lui ai toujours dit,
12:17 depuis qu'on est ensemble,
12:19 dès que tu vois quelque chose,
12:21 dès qu'il se passe quoi que ce soit dans ta tête, tu me le dis.
12:24 Et du coup, c'est pas évident de trouver un bon équilibre.
12:28 Donc moi, j'essaie d'être au maximum à ses côtés
12:32 ou qu'elle soit à mes côtés quasiment au quotidien.
12:37 Donc faut essayer de trouver le juste milieu,
12:40 mais je ne peux pas la laisser seule quand ça va pas.
12:44 - De toute façon, quand il peut pas, son père, il est là.
12:49 Donc y a souvent quelqu'un pour moi, quoi.
12:52 - Et au moins, quand elle est dans les vignes, vous voyez,
12:55 là, faut être attentif, faut passer les brins,
12:58 faut regarder les pieds, et du coup, ça lui change les idées,
13:01 ça lui empêche d'entendre ces fameuses voix.
13:05 (musique douce)
13:08 - Pour moi, il est un peu comme un calmant.
13:14 Et du coup, il m'apaise et il sait trouver les bons mots
13:18 quand je suis pas bien et que j'entends des voix,
13:21 que je fais que pleurer et que je suis pas bien.
13:24 Eh bien, il arrive à trouver les bons mots
13:27 pour me consoler et me dire que non, c'est...
13:31 Tout ça, c'est dans ma tête, c'est mon inconscient qui le crée.
13:36 Et il essaie de me faire revenir à la réalité.
13:40 Et puis un jour, on a fait de la plongée,
13:43 on avait vu des beaux poissons, et il me dit à chaque fois,
13:47 "Souviens-toi de la plongée et regarde les beaux poissons."
13:51 (rire)
13:54 Je crois que j'ai eu un peu de bol
13:57 de tomber amoureuse de mon chéri.
14:00 ♪ ♪ ♪
14:03 ♪ ♪ ♪
14:06 - Le choix qu'a fait Camille de parler de ce qu'elle endurait,
14:10 sans considérer qu'il y avait là un tabou,
14:13 d'autres entendeurs l'ont fait,
14:15 notamment parce qu'ils pensaient à raison
14:18 pouvoir s'appuyer sur leurs proches.
14:20 Mais hélas, ne pas dissimuler ses tourments
14:23 ne suffit pas à rendre moins étrange
14:25 l'univers dans lequel on bascule quand on entend des voix.
14:29 - J'aime pas une petite voix.
14:31 - Mais il y a quoi, ça?
14:33 - Un étrange univers.
14:35 C'est d'ailleurs sous ce titre que Julie,
14:38 prenant le pseudonyme de Sophie Crizen,
14:41 l'anagramme de schizophrénie,
14:43 a publié un livre sur son expérience.
14:45 Ce dont elle souffrait est difficilement croyable.
14:48 Elle était persécutée non pas par une, deux ou trois voix,
14:52 mais par des dizaines, voire des centaines d'hallucinations auditives.
14:56 Ses parents, pourtant proches de leurs enfants
14:59 et soucieux de bien faire,
15:01 mais nullement préparés à vivre un tel cataclysme,
15:04 n'en furent pas moins déboussolés.
15:06 - Donc Julie est la seconde d'une fratrie de trois.
15:10 Euh...
15:12 Étonnamment, ça a été la plus facile de mes trois enfants.
15:18 Elle était brillante, intelligente,
15:22 sans problèmes particuliers.
15:25 Elle était...
15:27 joyeuse.
15:29 C'était...
15:31 Bon, elle était un peu rebelle, mais...
15:34 Moi, j'ai du caractère,
15:36 donc ça me déplaisait pas que ma fille en ait aussi.
15:40 À mon avis, rien ne laissait présager
15:44 qu'arrivée à 18 ans, elle se retrouverait en enfer.
15:48 - Ça ne lui est rien vu venir.
15:51 Et en réfléchissant, effectivement,
15:54 à un moment donné, elle m'a dit...
15:57 Elle habitait un studio de location pour ses études à Nice.
16:01 J'ai entendu des choses, des voix, etc.
16:04 Alors je lui ai dit, "T'inquiète pas,
16:07 "ça passe par les conduits de..."
16:09 Comme c'était en copropriété.
16:11 "Par les conduits d'aération, etc.,
16:13 "donc t'as pas lieu de t'inquiéter."
16:15 Voilà, pas plus.
16:17 Mais jusqu'au jour où on a eu cet incident,
16:20 alors qu'on était en train de réunir des amis,
16:23 autour d'une inauguration qu'on faisait.
16:26 On était peut-être une vingtaine ou une trentaine
16:29 dans un petit appartement.
16:31 Et là, j'ai eu la révélation qu'il se passait quelque chose.
16:35 - Qui est-ce qui se tient?
16:38 Attention, c'est chaud, hein?
16:42 - Je sais pas, ça devait être l'inauguration
16:45 de la pendaison de crémaillère de l'appartement de ma soeur
16:48 ou je sais pas quoi.
16:50 Et déjà, toute la journée à la maison,
16:53 parce que quand on reçoit des invités à la maison,
16:56 on cuisine, on prépare.
16:58 Toute la journée, ils étaient agités.
17:00 Cling, cling, cling, les casseroles, le feu,
17:03 les trucs dans le four vide, le mixeur...
17:06 C'est comme ça, c'est agité, c'est agité.
17:09 Pour être sociable, je sais pas, je bois un verre avec eux,
17:12 je salue tout le monde et je dis un mot à tout le monde,
17:15 mais c'est un enfer, en fait.
17:17 Et d'un coup, ça a tourné...
17:20 Ben, ça a tourné vinaigre, hein.
17:22 - Qu'est-ce qui s'est passé, ce jour-là?
17:24 - Il s'est passé que...
17:26 elle est devenue un peu violente.
17:29 En colère, incohérente, etc.
17:31 Et on sentait qu'il y avait quelque chose d'anormal
17:34 et quelque chose qui fonctionnait pas normalement
17:37 parce que tous les gens qui étaient là
17:39 étaient des amis de longue date, qu'elle connaissait, etc.
17:46 J'ai dû réussir à dormir cette nuit-là, malgré...
17:50 Malgré une soirée très rocambolesque.
17:56 Et le repas familial du midi,
18:01 tout est bizarrement normal, pour une fois.
18:04 Et tout le monde jouait un rôle,
18:07 tout le monde jouait le rôle de "faites comme si tout était normal".
18:11 Et en fait, à la fin du repas,
18:14 ils m'ont proposé d'aller me promener.
18:17 Mais moi, je fais le plaisir, j'y vais, quoi.
18:19 Et donc, voilà, on part en voiture,
18:21 on va pas se promener, ils m'amènent à l'hôpital, quoi.
18:24 Mais même jusque...
18:26 jusque devant les urgences,
18:28 j'ai toujours pas l'impression que c'est pour moi, quoi.
18:31 - Je pense pas qu'on soit préparés à ce genre de choses.
18:34 Et ça fait un choc énorme, oui.
18:37 Tout est bouleversé.
18:40 On est désarmés.
18:42 Et s'adresser à qui, comment...
18:45 Le médecin de famille nous a dit,
18:48 "Mais ça, c'est du ressort de l'hôpital."
18:51 Et on en reste là, je veux dire.
18:53 On a aucune idée de savoir si ça nécessitait une hospitalisation
18:57 ou une simple visite ou un traitement, etc.
19:00 Ils ont dit, "On va l'hospitaliser." Que faire?
19:04 ...
19:07 - Tout de suite, j'ai reçu une piqûre.
19:18 Ils m'ont parachutée dans les services psychiatrie.
19:21 Ils m'ont mis un plateau repas sous les yeux.
19:24 J'ai compris que mes parents...
19:27 et mon frère et ma soeur n'allaient pas dîner avec moi.
19:31 Et puis...
19:33 Blackout, quoi.
19:35 Parce que...
19:37 Ces puissances qui vous mettent dans les veines.
19:40 Donc, au bout d'un moment, malgré tout, vous rendez les armes.
19:44 Je suis arrivée ici, j'étais en crise complètement...
19:48 terrorisée par quelque chose
19:51 qui, à la fois, venait de l'intérieur et de l'extérieur.
19:55 Voilà, l'extérieur devient très, très agressant.
20:00 Le bruit, je sais pas si on entend le bruit.
20:03 Moi, je l'entends, la porte, la porte d'urgence.
20:06 Clac, clac!
20:08 Ca, c'est le bruit de la porte d'urgence.
20:11 Mais ça pourrait être aussi bien le bruit d'une machine
20:15 qui broie un cadavre.
20:17 Et ça pourrait se transformer en...
20:20 un truc du style...
20:23 "Je vais te croquer, moi aussi!"
20:26 En fait, c'est comme si on brodait sur le vrai son.
20:31 C'est de ce son-là...
20:34 Il y aurait une voix off qui se grefferait et...
20:38 Je sais pas, comme Freddy Krueger qui dirait...
20:42 "Je vais t'attraper!"
20:44 Ca fait ça, en fait.
20:47 Chaque voiture, la dame qui passe, là,
20:53 elle a une voix claire, une voix de femme, limpide.
20:57 Là, elle a fait un son qui faisait "Bwa, bwa".
21:00 Qu'est-ce qu'on pourrait mettre comme parole sur "Voix, voix"?
21:03 Une parole méchante, une parole de film d'horreur.
21:06 Si j'étais un peu plus lameuse, je vous ferais un truc, mais...
21:13 "Tu vas voir, je vais t'avoir!"
21:19 "Tu vas voir, je vais t'avoir!"
21:21 Ca fait ça, à l'intérieur.
21:23 Elle a juste dit un truc qui ressemble à "Voix, voix" de loin.
21:26 "Tu vas voir, je vais t'avoir!" Ca donne ça.
21:29 - Donc c'est chaque bruit qui pouvait...
21:33 - Le corbeau, là, t'as entendu?
21:35 Je sais pas si c'est un corbeau,
21:37 parce que je suis pas non plus ornithologue.
21:40 Mais enfin, c'est un oiseau.
21:42 (Cri de corbeau)
21:44 Qu'est-ce que tu fais là? T'es pas belle!
21:49 (Cri de corbeau)
21:51 La moto.
21:53 Tout ça.
21:55 - Bip, bip! Je te l'avais dit!
21:58 On la reverrait!
22:00 (Bip, bip, bip, bip)
22:02 - Les oiseaux.
22:04 (Bip, bip, bip, bip)
22:06 Ca, c'est le signe qu'on est sur écoute. T'entends?
22:09 Le bip, là.
22:11 Ca, c'est clair que mon téléphone est sur écoute. Tu l'entends?
22:14 Poupou, poupou! Poupou, poupou!
22:17 On est tous là, on t'entend, on t'écoute.
22:20 C'est ça, hein! C'est infernal.
22:23 Ils sont encore là et ça s'arrête jamais.
22:28 (Bip, bip, bip, bip)
22:30 - La méchante, la méchante!
22:33 - Donc, bon, va vivre avec ça sans arrêt.
22:37 C'est ça, là. C'est ça, moi, que j'ai...
22:40 que je ressentais, en fait.
22:44 (Musique douce)
22:47 ♪ ♪ ♪
22:50 ♪ ♪ ♪
22:53 ♪ ♪ ♪
22:56 ♪ ♪ ♪
22:59 ♪ ♪ ♪
23:02 ♪ ♪ ♪
23:04 - Je sais pas toujours d'où viennent les voix.
23:06 Moi, je sais qu'elles existent, elles sont réelles.
23:08 Pour moi, c'est pas une création du cerveau.
23:10 En mode cas, je sais qu'à chaque fois
23:12 qu'on fait des choses émotionnellement,
23:14 y a des portes qui s'ouvrent et c'est là où les voix...
23:16 Parce qu'on parle des voix, mais aussi ce qu'on peut voir,
23:18 enfin, ce qu'on peut voir, ce qu'on peut ressentir et tout.
23:20 Enfin, y a plein d'autres trucs.
23:22 Et moi, le choix que j'ai fait dans les groupes,
23:24 à un moment, c'est de me dire, mais est-ce que je travaille
23:26 sur ces émotions pour essayer de fermer les portes
23:29 ou pas, ou les laisser entreouvertes?
23:32 Parce que j'avais qu'un seul but,
23:34 c'était de fermer pour plus vivre avec.
23:36 - Le problème, c'est quand on entend des voix,
23:38 c'est qu'on se renferme, on se replie sur soi-même.
23:40 On parle plus aux autres.
23:42 On a plus de vie sociale.
23:44 Et on est déconnecté de la réalité émotionnelle avec les autres.
23:50 - Alors, moi, les voix que j'entendais étaient clairement
23:52 la même voix que quand je discute avec vous.
23:54 Voilà.
23:56 Je pouvais même dire de où la personne me parlait,
23:58 si elle me parlait de derrière, si elle me parlait de devant,
24:00 de plus haut, de plus bas.
24:02 Voilà. Je savais exactement dire où elle était placée dans la pièce.
24:05 Voilà. C'était vraiment très précis.
24:07 C'est... J'ai des amis, certes, qui l'entendent,
24:09 qui l'entendent dans le ventre
24:11 ou qui se poussaient directement dans la tête.
24:13 Voilà. Il y a plein de formes.
24:15 Il faut pas résumer l'entente de voix en étant c'est ça et rien d'autre.
24:19 Voilà. Ça serait très réducteur.
24:21 Alors, au début, moi, j'ai tout essayé.
24:23 Alors, mettre la télé à fond.
24:25 Euh...
24:27 Mettre la musique à fond.
24:29 Euh... Courir, s'y refuire.
24:31 Voilà. En me disant, je vais aller plus vite qu'elle.
24:33 Mais le problème, c'est que rien ne fonctionnait.
24:35 Voilà. Seule la musique me mettait un peu de...
24:37 Voilà. De temps en temps, de...
24:39 De distance par rapport à elle,
24:41 parce que ça couvrait un peu leur voix.
24:43 Voilà. Mais ça marchait par moments.
24:45 Puis, il y a des moments, ça marchait plus du tout.
24:47 J'entendais même plus la musique parce que les voix prenaient le dessus.
24:49 Et peu importe si je montais le son,
24:51 les voix montaient au-dessus du son. Voilà.
24:53 - Est-ce que ces voix étaient toutes négatives ?
24:56 - Moi, je n'ai aucun souvenir,
24:58 pour moi, en tout cas, de voix qui étaient positives.
25:01 Voilà. Euh...
25:03 Moi, les voix ont toujours été, euh...
25:06 agressives, méchantes, à me rabaisser.
25:09 Voilà. J'ai aucun souvenir d'une voix
25:11 qui m'a dit un jour quelque chose de...
25:14 de gentil, ou en tout cas, si elle l'a dit,
25:16 c'est pour bien m'entasser très rapidement après.
25:18 Ce qui fait que le geste, on l'entend même plus.
25:20 Parce que, euh... Il y a très vite une manipulation des voix,
25:23 qui est capable de dire...
25:25 "T'as vu, t'es bien." Et puis après me dire...
25:27 "Mais t'y as cru ? Franchement, tu te rends pas compte que t'es ça ou ça ?"
25:30 Parce qu'à un moment où on perd l'estime de soi
25:32 et on finit par penser qu'on est... qu'on est rien, qu'on est de la merde.
25:35 Enfin, je m'excuse des termes, mais c'est vraiment ça.
25:37 Bah, les voix vous le disent.
25:39 Elles en rajoutent un petit peu plus.
25:41 Et la foi d'Afrique, quand elles vous disent
25:43 "Mais t'es une merde" avec tout ce qu'elles ont rajouté après,
25:45 bah, vous avez déjà pris ça comme étant une vérité.
25:47 À un moment, j'étais arrivé à penser que mes voix, euh...
25:50 me connaissaient mieux que moi-même, je me connaissais.
25:53 Et je finissais par croire que tout ce qu'elles me disaient était vérité.
25:56 Et du coup, pour tout le monde, les voix, c'est un truc de...
25:59 d'esprit, ou il y a d'autres croyances, ou... ?
26:02 En ce qui me concerne, les médecins disaient qu'il y a un dérèglement au niveau des neurotransmetteurs,
26:06 et c'est... c'est des voix que vous fabriquez vous-même.
26:10 (rire)
26:12 J'ai pas voulu les contredire, mais j'ai pas la même...
26:15 - Mais vous pouvez pas les contredire.
26:17 - J'ai pas la même approche que sur mes voix, quoi.
26:21 Pour moi, les voix que j'entends, c'est plus du côté spirituel que du côté chimique.
26:28 - D'accord. Pour toi, c'est pas une création du cerveau ?
26:30 - Je vais pas dire ça à ma psychiatre, mais je vais pas la vexer,
26:33 mais pour moi, c'est pas une création du cerveau, mes voix, quoi.
26:36 - Selon les groupes, on peut avoir tout type de croyances.
26:38 Des gens vont penser que c'est des voix de Dieu, des anges, des morts, des extraterrestres,
26:43 une maladie, de la télépathie, une puce, un complot.
26:49 Enfin, voilà, il y a plein de croyances peu différentes.
26:52 On n'est pas là pour dire oui, c'est ça, ou non, c'est pas ça.
26:54 Moi, je sais pas ce que les gens vivent réellement.
26:56 - Et qu'est-ce qui fait que tu crois en ça ?
26:58 - Bah, nous, notre rêve, c'est de dire mais pourquoi, voilà,
27:00 il y a des gens qui se retrouvent en psychiatrie, qui vivent mal avec ces voix,
27:07 et comment on peut en parler différemment que sous un seul regard,
27:10 que sous une seule croyance, en acceptant vraiment les croyances de chacun
27:14 sur son expérience, sur ce qu'il vit ?
27:16 - Est-ce que les médicaments vous auront pu atteindre les voix ?
27:20 Est-ce que vous avez... Non ? - Non, non.
27:22 - Non. - Non.
27:23 - Les psychiatres pensent que les médicaments atteignent...
27:26 - Arrêtez-moi, mais...
27:28 - Donner les médicaments, c'est comme une camisole chimique.
27:30 C'est-à-dire qu'ils vous en décachent et...
27:32 Ah bah, le problème, il est résolu.
27:34 Non, le problème n'est pas résolu.
27:36 Peut-être que ça espace dans le temps, ça espace le problème,
27:41 mais le problème est toujours là, et j'aurai toujours à vie mon problème.
27:46 - Pour guérir de ces voix qui sont la conséquence d'un choc,
27:53 il faut parler et être écouté.
27:55 Et les psychiatres n'écoutent pas.
27:58 - Ah bah, lui, ça va pas.
28:00 Allez, on lui donne une pilule bleue, une pilule verte, une pilule rouge.
28:04 Et voilà, on nous met des pilules, et après, on sait plus quoi choisir.
28:08 (Rires)
28:10 Mais c'est vrai, quoi. Les médicaments, c'est pas des spartises.
28:14 - On arrive à prendre des médocs et des médocs et des médocs et des médocs
28:17 à sortir de l'hôpital, où je pensais être libre,
28:21 mais en fin de compte, j'étais encore sous obligation de soin quand même,
28:24 à re-rentrer, à re-sortir, à re-rentrer,
28:27 à avoir des doses de plus en plus hallucinantes,
28:29 à dépasser les autorisations de mise sur le marché,
28:31 à multiplier les noléptiques, les croisements, les machins, les...
28:34 On a l'impression d'être dans un laboratoire de chimie,
28:37 où on n'ose pas dire ce qu'on vit.
28:39 On n'ose pas parler de nos voix, parce que si on en parle,
28:41 automatiquement, il y a quelque chose de plus qui se passe.
28:45 Et bah, on s'enfonce, on s'enfonce, on s'enfonce, on s'enfonce,
28:47 et on croit plus en rien. Moi, j'ai fait des têtes tentatives de suicide.
28:50 Non pas parce que les voix m'ont donné l'injonction,
28:52 parce que ça, je savais encore leur dire non,
28:54 comme quoi je savais dire non de temps en temps à certaines choses de mes voix,
28:56 mais parce que la vie de merde qu'on me proposait...
28:59 À l'époque, je faisais 240 kilos.
29:02 J'avais la tête de travers, le pullet de bave qui coule,
29:06 et tous les tics malaises, les correcteurs qu'on me donnait.
29:09 Et quand j'étais dans cette phase-là, on me disait, bah...
29:12 Vous êtes stabilisé, et en même temps, je le disais
29:15 avec une sorte de doute derrière, voilà.
29:18 C'est ça, la vie qu'on me proposait, d'être stabilisé comme ça ?
29:21 Il y a un moment où on dit, mais on va se foutre en l'air.
29:24 Moi, j'attendais une seule chose.
29:28 Je disais, mais allez, donnez-moi mon diagnostic.
29:31 Moi, je voulais un diagnostic.
29:33 Je réclamais à mon psychiatre un diagnostic,
29:35 à mes psychiatres, parce que j'en ai eu plusieurs, un diagnostic.
29:38 Parce que je me suis dit, le jour où on me donne le diagnostic,
29:41 on va me donner le traitement qui va avec, et je reprends ma vie d'avant.
29:44 Moi, c'était ça, le but. C'était quelque chose d'essentiel pour moi.
29:49 Et un beau jour, je l'ai eu, ce diagnostic.
29:52 Et je m'en souviens toujours, parce que...
29:55 Quand on était au CMP, mon conjoint, enfin Cédric,
29:58 essayait d'être là au maximum dans les rendez-vous.
30:01 Et ce jour-là, comme souvent, il était là,
30:04 et je demande, à la fin de l'entretien, comme à chaque fois,
30:07 alors, qu'est-ce que j'ai ?
30:09 Et là, le psychiatre s'est pas retourné vers moi.
30:12 Il s'est retourné vers Cédric, et il lui dit, Vincent, il est schizophrène.
30:15 On a du mal à le stabiliser.
30:17 Il devient de plus en plus agressif,
30:19 et il commence à dépeindre un tableau, mais noir, de moi,
30:23 avec une projection dans l'avenir qui était horrible.
30:27 Moi, qui voulais avoir un diagnostic pour être sauvé,
30:31 quand il m'a dit tout ça, qu'à la fin, il a dit, il est schizophrène,
30:34 parce que c'est ça que j'ai retenu, moi, schizophrène,
30:37 avec tout ce message de fatalité, de...
30:40 de trucs glauques,
30:42 et je me suis dit, je suis foutu.
30:45 Et le lendemain, en plus, j'avais rendez-vous avec mon...
30:48 avec mon psychologue.
30:50 Et là, j'ai eu la réponse la plus horrible qu'il m'a achevée encore,
30:54 c'est qu'il m'a dit,
30:56 "Ah bah, si vous êtes schizophrène, moi, je peux plus rien faire pour vous."
30:59 Et il m'a gentiment invité de partir.
31:02 Un diagnostic pour être sauvé, quand on entend en deux jours de suite ça,
31:07 on finit par croire qu'on est foutu.
31:10 Et tout, après, nous confirme qu'on est foutu.
31:15 Les gens normaux sont décidément bien cruels.
31:19 Et c'est pourquoi Vincent a la conviction que c'est d'abord et avant tout,
31:23 en rencontrant d'autres entendeurs,
31:25 en s'appuyant sur eux, sur leur expérience,
31:28 qu'il a pu sortir du gouffre où l'avait précipité la médecine.
31:32 Le psychanalyste que je suis ne saurait le démentir.
31:39 Les sujets supposés savoir que sont les soignants
31:42 ont en effet beaucoup à apprendre de ceux qui souffrent.
31:46 Sur ses tourments, Polo Tonka a par exemple écrit un livre,
31:50 salué aussi bien par la critique que par ses lecteurs,
31:53 "Dialogue avec moi-même".
31:55 Et il est la preuve vivante qu'il y a chez les entendeurs un savoir irremplaçable,
32:00 certes difficile à exprimer,
32:02 mais dont personne, médecin comme non-médecin, ne saurait se passer.
32:07 J'ai cru comprendre, en tout cas, que ce que j'avais produit sur la maladie,
32:12 le livre que j'ai écrit sur la maladie,
32:14 avait vraiment éclairé tout un tas de psychiatres, de spécialistes,
32:18 parce que finalement la difficulté pour faire parler à un malade,
32:23 c'est que ce sont des maladies qui touchent à la pensée,
32:27 et à notre pensée, et ce dont nous avons besoin pour savoir qui nous sommes et ce que nous vivons.
32:33 Donc quand la pensée est malade, c'est difficile de rendre compte de ce que l'on est,
32:37 de ce que l'on vit, de manière objective.
32:40 Et par un concours de circonstances, je trouve que mes médecins m'ont toujours dit
32:47 que j'avais une assez grande lucidité sur mon trouble.
32:50 C'est pour ça que des personnes lucides, et il y en a d'autres,
32:53 peut être intéressant d'écouter ce qu'ils ont à dire sur le vécu de la maladie.
32:57 Alors justement, comment expliqueriez-vous ce qu'il y a de plus insupportable dans l'entente des voix ?
33:04 On a vraiment l'impression que c'est un autre en soi qui parle.
33:10 Et cette idée d'un autre en soi qui, en plus, est plutôt un ennemi,
33:17 l'ennemi intérieur, c'est ce qui est le plus dur, je trouve, dans ces maladies-là.
33:23 Les voix, en fait, vous ne pouvez pas vous en prémunir.
33:27 Quand vous êtes poursuivi par quelqu'un dehors, il vous reste toujours la possibilité d'appeler la police
33:34 ou de vous réfugier chez vous. Mais là, c'est dans votre cerveau.
33:37 Donc vous ne pouvez pas les chasser.
33:39 Je me souviens très bien, une fois, en sortant du métro,
33:42 je voyais une femme arriver et j'ai su que j'allais avoir une voix,
33:46 et je ne pouvais pas l'empêcher.
33:49 J'avais cette espèce d'élan en moi, cette espèce de poussée verbale,
33:55 je ne sais pas comment le dire.
33:58 C'était une personne avec un peu d'embonpoint,
34:03 et j'ai su à l'avance ce que la voix allait dire.
34:08 C'était quelque chose du genre la grosse vache, quoi.
34:11 Mais c'était ça l'idée, c'est que je savais ce que la voix allait dire,
34:16 et je ne pouvais pas l'empêcher de parler.
34:19 Et ça a été une aiguille dans le cœur de voir que...
34:26 En fait, je ne savais pas si c'était moi, si c'était quelqu'un d'autre,
34:31 si c'était moi, pourquoi, pourquoi je pensais toutes ces choses horribles sur les gens,
34:36 des personnes que je ne connaissais pas, qui ne m'avaient rien fait.
34:39 C'était une source d'angoisse, c'était une source de questionnement intérieur,
34:43 et aux questions que je me posais, je ne donnais pas forcément les bonnes réponses.
34:48 Et voilà, heureusement on apprend.
34:52 Il y a des moments, alors ça j'ai essayé de le décrire dans mon livre,
35:01 mais c'est très très difficile, cette notion de douleur abstraite.
35:05 En fait, c'est une douleur de l'esprit qui est aussi vive qu'une torture physique.
35:14 C'est aussi dur, aussi violent que si on vous titillait le nerf.
35:18 Sauf que c'est dans l'esprit.
35:21 Donc c'est très difficile, ce serait comme essayer d'expliquer à quelqu'un
35:25 qui n'a jamais eu mal aux dents, ce que c'est que de se faire arracher une dent vivante.
35:29 Alors on peut dire que c'est atrocement douloureux,
35:32 mais on ne peut pas tellement préciser.
35:37 Et j'ai vécu très souvent ce genre d'abîme de souffrance,
35:44 où là, si le reste du temps j'avais une sorte de romance avec la mort,
35:50 la mort c'était celle qui m'accueillerait les bras quand vraiment je n'en pourrais plus.
35:55 Là, dans ces abîmes de souffrance, j'avais vaincu toutes mes barrières intérieures,
36:00 et c'était sûr que j'allais me suicider.
36:03 On l'aura compris, beaucoup d'entendeurs songent au suicide, et certains passent à l'acte.
36:13 Grégoire en sait quelque chose, lui qui tenta un jour de se jeter sous les roues d'un camion.
36:18 J'étais déterminé à y passer, mais c'est mon corps qui m'a extirpé de devant le camion.
36:23 Les entendeurs sont bien plus dangereux pour eux-mêmes que pour les autres.
36:29 Certes, il est arrivé que l'un d'entre eux, harcelé par ses voix,
36:32 s'en prenne physiquement à un passant ou à un proche, mais cela reste exceptionnel.
36:38 Alors qu'il était militaire, c'est en tout cas avec sa propre vie que Grégoire a voulu en finir,
36:45 jusqu'au moment où, fort heureusement, il rencontre Agile.
36:49 Ce n'était pas un bon samaritain, mais un artiste, capable, comme l'Auvergnat de Brassens,
36:55 de se recueillir quand les croquants et les croquantes lui avaient fermé la porte au nez.
37:00 Ma vie est un film de science-fiction.
37:18 Durant les bouffées délirantes, j'ai eu plusieurs fois des voix, plusieurs fois des manifestations.
37:24 J'ai eu l'impression de voir des extraterrestres, j'ai eu l'impression de voir plein de trucs.
37:28 Comme toujours, ça met du temps avant de fleurir.
37:31 On avait une mission à faire, qui était Secret Défense à l'époque,
37:35 mais ça m'a mis une telle pression qu'à arriver un soir, j'ai commencé à regarder la télé
37:40 et j'ai eu l'impression que l'après-de-la-personne faisait les mêmes gestes que moi.
37:44 Au moment où je faisais tomber un truc, il faisait tomber un truc.
37:46 Et là, j'étais complètement perturbé, j'avais l'impression que la télé me parlait.
37:53 J'ai commencé à avoir des idées, comme si j'étais au centre du monde,
37:57 que je devais parler au pape et tout ça.
38:00 C'était complètement fou.
38:03 J'ai ouvert les bras, j'ai dit « Je suis Dieu ».
38:05 Et d'un seul coup, il y a eu un rayon de soleil qui m'est tombé dessus.
38:08 Et là, c'est là que ça a complètement débloqué, je ne pouvais plus.
38:12 J'étais à l'abri de ma personne à ce moment-là, j'étais un prophète, je me sentais prophète.
38:16 Ces voix-là, quand elles sont présentes, elles nous facilitent tout.
38:20 Donc, c'est addictif.
38:23 Et puis le sergent, quand je suis parti, il m'a dit « Texto, de toute façon, tu as eu un pétocasse,
38:28 tu ne feras rien de ta vie, tu n'es plus qu'une merde ».
38:30 Donc, quand j'ai repris ma voiture, j'étais redétruit pour la suite.
38:35 C'est dégradant de se dire fou.
38:41 Pendant des années, on va dire « Je suis schizophrène ».
38:44 Mais ce n'est pas notre présent.
38:46 C'est comme si on avait chopé la grippe et on disait « Je suis grippe ».
38:50 Je souffre de troubles apparentés à la schizophrénie, mais il ne faut pas dire « Je suis schizophrène ».
38:56 C'est déjà se mettre dans un moule qui est dur à porter.
38:59 C'est vraiment dit, c'était pas ça de bête.
39:01 Alors, par opposition à ceux qui vous enfonçaient, qu'est-ce que Gilles a fait, lui ?
39:07 Il a été, pour moi, au tout début que je l'ai connu,
39:10 quelqu'un qui m'a super aidé à relativiser ce que j'entendais, ce que je voyais, ce que je vivais.
39:16 Mais il ne m'a jamais lâché.
39:18 Il a toujours voulu venir me voir à l'hôpital, j'étais reconnaissant de ça.
39:22 Tu recevais les choses sans les juger, sans me faire du mal, comme beaucoup de personnes qui m'entouraient.
39:30 J'ai toujours été curieux de la différence et de la vie en général.
39:35 Je voulais être dans l'accueil sans nourrir le délire de Grégoire,
39:40 mais toujours favoriser l'échange et la communication.
39:44 - C'est ça, en plus, tu rigoles, mais c'est le chat du chouchou ailleurs.
39:48 - Ça change du chat chouette.
39:50 - Oui, c'est ça.
39:52 Mais ceci dit, ça n'a pas toujours été facile.
39:55 Grégoire avait besoin d'être beaucoup rassuré.
39:58 Et moi, je ne pouvais pas rassurer autant qu'il aurait eu besoin.
40:01 Mais je prenais ça au sérieux, quand même.
40:05 Et d'autant que j'ai vite été en relation avec ses parents
40:10 et qu'on m'a demandé de faire attention.
40:15 De ses années de souffrance, de sa longue et salvatrice amitié avec Gilles,
40:35 Grégoire a tiré une conclusion.
40:37 Il ne faut surtout pas laisser seuls ceux qui ont affaire aux voix,
40:41 au risque que leur solitude les conduise comme lui au bord du couvre.
40:46 - Salut. - Bonjour.
40:48 - Ça va? - Ouais.
40:50 - Pas de tirage de main comme d'hab?
40:53 - Et ce jour-là, dans le local de l'association qu'il a fondée au cœur de la Mayenne,
40:58 Fanny, Hervé, Vincent et lui évoquaient une des principales raisons
41:03 du rejet que subissent les entendeurs.
41:05 Souvent contraints de parler à haute voix avec leurs interlocuteurs invisibles,
41:10 effrayant du coup leurs voisins ou ceux qu'ils croisent dans la rue.
41:15 - Moi, j'essaie d'avoir une position la plus sereine possible vis-à-vis des voix,
41:18 comme si c'était des personnes, finalement.
41:20 Et du coup, je me dis que si ça venait d'une personne,
41:23 qu'on me dites que je suis un pompon, par exemple, je le ferais pas, quoi.
41:26 Et plus je suis calme, plus je suis serein,
41:29 et plus les voix, en fait, sont sympas et guidantes, entre guillemets, quoi.
41:33 - Ça prend un pas. Moi, je donne rendez-vous à mes voiles
41:35 tous les soirs sur mon balcon.
41:37 - Ouais. - Et je leur réponds assez...
41:40 Ça dépend. Il y a des moments, ça va être calme.
41:42 Et il y a des moments, ça va être assez vif en fumant des cigarettes.
41:45 Mais mon inconvénient, c'est qu'on habite en appartement.
41:47 Et puis, les voisins, si je parle un peu trop fort, ça fait gêner, quoi.
41:51 - Moi, j'ai eu des voix qui étaient plutôt positives, des fois.
41:54 J'avais le sentiment que la télé me parlait, par exemple.
41:57 Mais c'était vachement intéressant
42:00 parce que ça m'amenait quelque chose, lors de la curiosité, qui m'animait.
42:05 Et là, c'était positif. - Bah ouais.
42:07 - Après, il y avait des choses négatives.
42:09 Et là, en effet, ça peut, des fois, vis-à-vis de l'entourage, faire peur.
42:12 - Ça m'est arrivé d'avoir un besoin d'extérioriser.
42:15 Mais c'est surtout une émotion très forte qu'on a
42:18 et qui nécessite d'être dite à haute voix, ouais.
42:22 Et c'est là où, effectivement, on peut nous prendre pour des fous.
42:25 Ça, je peux le comprendre, l'expression.
42:27 Mais le vécu est tel que c'est...
42:31 que c'est une nécessité de s'exprimer.
42:33 Il y a beaucoup de gens qui parlent à leurs animaux.
42:36 Les animaux parlent pas. Pourquoi on leur parle?
42:38 Parce qu'ils ont des oreilles, parce qu'on les aime bien,
42:41 parce qu'il y a une émotion, il y a une relation, il y a un rapport.
42:44 On interagit avec son animal.
42:47 Et donc, oui...
42:49 Et je pense qu'il y a pas mal de personnes
42:52 qui, peut-être plus avec l'âge,
42:55 qui ont plus complexe de...
43:00 de devoir se taire.
43:02 Je pense que ça fait partie aussi
43:05 d'une certaine spontanéité de l'esprit.
43:07 Quand on est vraiment spontané, comme des enfants, en fait,
43:10 on arrive à s'exprimer à haute voix.
43:14 Certains parlent aux plantes, hein.
43:17 Voilà. Donc on peut les prendre pour des barges, oui.
43:21 Effectivement, c'est... c'est atypique.
43:25 Mais c'est pas forcément dénué de sens.
43:28 Alors vous, finalement,
43:41 vous pensez comme sensé ou insensé?
43:44 Moi, je veux pas être quelqu'un d'inséré.
43:48 Donc je veux bien accepter qu'on dise que c'est une maladie.
43:53 Mais au fond de moi, je...
43:56 Pour l'avoir expérimenté,
43:59 pour avoir beaucoup travaillé sur moi,
44:02 je pense que le mot "maladie"
44:05 ne correspond pas exactement à ce qui se passe.
44:11 Je fais... j'accepte le mot "maladie"
44:14 pour faire un pas vers la société
44:17 et faire plaisir à tous mes médecins psychiatres
44:20 pour dire "vous avez réussi, je suis normale".
44:23 J'aime bien ce paradoxe.
44:25 Vous acceptez d'être malade pour qu'on vous trouve normale?
44:28 Pour leur faire plaisir.
44:30 Et eux, ils veulent voir ça comme une maladie.
44:33 Moi, je suis gentille, hein.
44:35 Je fais "OK, vous m'avez dit que je suis malade.
44:38 "Bon, je vous dis que non. Vous me soutenez que oui.
44:41 "Bon, écoutez, je vais vous donner raison."
44:44 - Est-ce que le DSM, la Bible des psychiatres, change d'avis?
44:48 - La psychiatrie n'est pas une science exacte.
44:51 L'homosexualité était une maladie avant 1981.
44:55 En 1981, nouvelle version du DSM.
44:58 Hop! Ah bah tiens! Ah bah tiens!
45:01 L'homosexualité n'est plus une maladie.
45:04 Miracle! On a guéri pas mal de gens, là.
45:07 C'est comme ça qu'on définit une maladie?
45:10 Ça me part un peu light.
45:12 - Quel rôle doit jouer le psychiatre?
45:15 - Son rôle, c'est d'essayer d'éliminer la souffrance.
45:18 Il faut aussi qu'il soit un peu humble
45:21 et qu'il se contente de cette mission-là.
45:25 Les voix, c'est pas grave, les voix.
45:28 Entendre des voix, c'est pas grave.
45:31 Mais si ces voix-là nous font souffrir le martyr,
45:34 là, il y a quelque chose à faire.
45:37 - À la différence de Julie, vous êtes certain d'être malade?
45:41 - Je le sais parce que,
45:44 hormis toutes les pensées un peu étranges,
45:47 ou même lorsque je me savais malade,
45:50 j'ai pu parfois penser que j'avais moi-même un don,
45:53 une capacité à interférer avec un monde invisible
45:56 ou ce genre de choses.
45:59 À côté de ça, il y a les douleurs de la maladie psychique
46:03 qui peuvent être très violentes,
46:06 qui sont des symptômes où on a l'impression
46:09 que l'angoisse se matérialise dans la chair,
46:12 sous forme d'effets de pesanteur, de lourdeur,
46:16 de chutes vertigineuses.
46:19 Et tout ça, c'est effrayant, c'est extrêmement douloureux.
46:23 J'ai souvenir d'une des rares fois
46:26 où pendant 2 jours, j'ai pas pris mon traitement
46:29 parce que je voulais voir à quoi ça servait.
46:32 Mes pensées se sont mises à se désordonner.
46:35 C'était une cacophonie permanente dans ma tête.
46:38 C'était épouvantable.
46:40 Donc, 2 jours après, j'ai repris.
46:43 J'ai plus jamais cherché à arrêter.
46:46 - Polo, Julie, l'un se pense malade, l'autre pas.
46:50 Ne nous empressons pas de dire qui des 2 a raison
46:54 et prenons plutôt au sérieux ce que révèle l'entente des voix,
46:58 à savoir que le langage vient de l'autre,
47:01 qu'il est pour chacun de nous comme un corps étranger.
47:04 Dès notre naissance, le langage nous a été imposé.
47:08 Avant même que nous nous maîtrisions quoi que ce soit,
47:11 l'autre n'a cessé de s'adresser à nous.
47:14 Il nous a nommés, nous a dit ce qu'il fallait faire,
47:17 comment nous devions à notre tour parler.
47:20 Et nous avons repris ses mots, ses phrases, comme si c'était les nôtres.
47:24 Nous croyons bien sûr nous servir ensuite du langage comme d'un outil.
47:28 Mais en réalité, il ne cesse de nous échapper,
47:31 et c'est à ça que les entendeurs sont sensibles au quotidien.
47:35 - Maxime, il est où ?
47:37 - On l'a vu la semaine dernière avec Mathieu.
47:40 On le trouvait vraiment pas bien, quoi.
47:43 Il semblait absolument envahi et on comprenait absolument rien non plus à ce qu'il disait.
47:48 Ce dont les entendeurs souffrent ne les empêche donc nullement de vivre dans la cité.
47:53 Et dans plusieurs villes de France, un dispositif appelé "un chez soi d'abord" le prouve.
47:59 Mis en place justement pour permettre aux personnes cumulant les plus grandes difficultés
48:04 d'accéder à un logement ordinaire et d'être accompagnées vers la réinsertion.
48:09 - Mais elle, ce qu'elle voulait surtout, c'est se projeter sur un appart.
48:13 - Et elle est OK pour le visiter aujourd'hui, l'appart ?
48:15 - Oui. - Et à quelle heure ?
48:16 - A 10h30. - Ah, excellent !
48:18 À Marseille, Christophe est l'une des figures de cet avancé citoyen.
48:23 - Julien, vu hier, on a mangé un petit morceau,
48:27 on est allé acheter des chaussures, du basket,
48:30 il s'est pris un petit short aussi, l'OM, trop content.
48:34 Après, il va beaucoup mieux.
48:36 Il dit qu'il entend beaucoup moins de voix depuis qu'il a changé de traitement.
48:41 Bon, après, on a mis un peu l'accent quand même sur le fait qu'il a changé de vie,
48:46 qu'il a une hygiène de vie, voilà, qu'il n'y avait pas que ça qui le faisait.
48:52 Allez !
48:53 - Les gens qui entendent des voix peuvent vivre comme tout le monde, en fait.
48:59 Tout dépend de comment ils gèrent ça.
49:02 C'est possible que les entendeurs de voix vivent dans la cité,
49:08 aient une place dans la cité, quoi.
49:11 Malheureusement, c'est que notre société,
49:13 elle aurait tendance à vouloir les mettre, les enfermer dans les hôpitaux.
49:19 La croyance populaire générale dirait que c'est leur place.
49:23 Mais non, c'est la place de personne. L'hôpital, c'est fait pour soigner.
49:27 - Salut, Aïcha.
49:29 Tu peux ?
49:30 - Oui.
49:31 - Ça va ? Tu te déranges pas ?
49:33 Depuis un long moment, Aïcha entend la voix d'un homme qui se trouverait dans son propre corps,
49:38 un homme qu'elle entend en permanence
49:40 et qu'elle entendra donc pendant cette visite à domicile.
49:44 - Je me dis...
49:45 C'est un homme qui existe et qui vient quelque part.
49:48 Et bien, dans un endroit.
49:51 Et voilà.
49:52 Et quand j'essaie de le situer, je veux dire, j'essaie de savoir qui il est.
49:58 Surtout.
49:59 Et pourquoi, quoi.
50:02 Alors, il me répond pourquoi parce que je me suis habituée.
50:08 Alors j'essaie de lui dire, prends un téléphone, viens à côté de moi.
50:14 Oui, mais alors là, il me dit je l'entends pas de cette oreille.
50:18 C'est...
50:20 Incroyable.
50:21 - Il y a un exemple que je donne souvent, c'est...
50:25 En fait, il faut imaginer que c'est comme si c'était un rêve éveillé.
50:30 Et les gens, ça, ils arrivent à...
50:33 Du coup, à le comprendre, à l'assimiler comme ça.
50:36 Parce que des fois, on fait des rêves qui sont complètement fous.
50:40 Et pourtant, ça nous paraît complètement logique.
50:42 Et c'est ça qui est incroyable.
50:45 C'est qu'il y a une espèce de...
50:48 Il y a comme un manque de discernement à un moment donné.
50:51 Comme dans un rêve, pareil.
50:53 Moi, ce que j'entends, c'est que c'est dur pour toi de vivre avec cette voix-là, quoi.
50:56 - Ah ouais, une fois, je vais vous montrer, c'est choquant.
51:00 C'est hyper choquant.
51:02 Mais une fois, je lui ai montré comment il faisait.
51:04 Je lui ai dit, regarde comment tu fais.
51:06 Regardez ce que ça fait.
51:07 Mais non.
51:09 - Ce trou à Isha, c'est à cause de lui.
51:13 - À cause de la personne qui est dans mon ventre.
51:17 - Pour lui montrer ce que ça te faisait?
51:19 - Pour lui montrer ce que ça me faisait.
51:21 Il me faisait...
51:23 Je lui ai dit, voilà ce que tu me fais.
51:26 - Ah ouais.
51:27 Et voilà, c'est...
51:29 C'est fort.
51:30 - C'est fort.
51:31 - Peut-être que ce trou, on va y arriver.
51:36 Peut-être que ce trou, on va essayer de le reboucher petit à petit, quoi.
51:39 - Ouais, ouais.
51:41 - Ce serait bien.
51:42 La prochaine fois...
51:46 - Je ne veux plus entendre cette honte dans mon corps.
51:49 Tout au long de cet entretien, je regardais Christophe.
51:56 Et je dois dire qu'il m'épatait.
51:58 Mais l'attention et l'écoute dont il faisait preuve ce jour-là avec Aisha n'étaient pas dues au hasard.
52:04 Pendant 7 ans, lui-même avait été entendeur de voix.
52:09 - Je me rappelais toujours ce jour où je suis...
52:12 On avait un repas de famille.
52:14 Et donc, je suis arrivé chez mes parents.
52:16 Et je leur dis...
52:18 Bon, j'ai une bonne et une mauvaise nouvelle à vous donner.
52:21 Bon, on va commencer par la mauvaise, c'est que j'entends des voix.
52:26 La bonne, c'est que j'en ai conscience.
52:29 Et mes parents ont été complètement paniqués, quoi.
52:32 On s'est dit... Mais qu'est-ce qu'il nous raconte ? Qu'est-ce qu'il nous fait, quoi ?
52:36 C'était pas une voix étrangère.
52:38 C'était toujours la voix d'un interlocuteur que j'avais en face de moi.
52:42 Et du coup, c'était pour moi encore plus complexe d'identifier que, justement, c'était quelque chose d'étranger.
52:48 Vraiment, ça s'insinuait dans la phrase.
52:51 J'avais une petite hallucination.
52:53 Ou en fin de phrase, quoi, ça s'est manifesté toujours comme ça, en fait.
52:59 C'était des propos injurieux, généralement menaçants.
53:03 Ou c'était... J'allais me retrouver toute ma vie à l'hôpital psychiatrique.
53:09 On allait me faire du mal.
53:13 C'était beaucoup de choses comme ça, quoi.
53:17 C'était très persécutant. Très, très, très persécutant.
53:20 La majorité du temps.
53:22 Et ça pouvait, des fois, être bienveillant.
53:28 J'allais devenir le futur président de la République.
53:33 Chose assez grandiose.
53:35 J'allais travailler à la télé, quoi.
53:39 Mais ça, c'était plus rare, quand même.
53:41 C'était de plus en plus fort. C'était de plus en plus puissant.
53:45 De plus en plus présent.
53:47 Et je me suis dit...
53:49 C'est pas possible.
53:51 Et à un moment donné, je me suis dit, c'est pas possible que les gens soient aussi méchants.
53:58 Y a quelque chose qui va pas.
54:00 Y a plein de personnes comme nous, qui vivent ces choses-là, qui sont intenses.
54:06 Ça, c'est généralement les gens, ils se disent...
54:10 Les gens entendent des voix, mais ils comprennent pas qu'il y a la charge émotionnelle qui va avec.
54:14 - Ah ouais, et que c'est réel. - Le contenu qui va avec.
54:17 Entendre des voix, c'est pas juste un phénomène physique, acoustique.
54:21 Y a toute l'émotion qui va se mettre, qui va se mobiliser par rapport à ça.
54:26 Et c'est épuisant.
54:28 C'est épuisant. Vous finissez la journée, vous êtes claqué, quoi.
54:33 Vivre avec ça, c'est pas facile, croyez-moi, je vous rassure, c'est pas facile.
54:37 C'est très dur.
54:39 Je sais. Je sais que c'est dur.
54:42 Les pères aidants. Pères, P-A-I-R-S.
54:47 C'est ainsi qu'on appelle ceux qui, comme Christophe, ont connu les mêmes souffrances que ceux auxquels ils viennent en aide.
54:53 Loin de faire l'unanimité, ils sont parfois regardés avec méfiance par les soignants professionnels.
54:59 Et pourtant...
55:01 Un soignant est plutôt sur une position de sachant.
55:04 Et... Alors que quand on est père, on est sur de l'horizontalité et on est sur de la compréhension.
55:13 Intime.
55:15 Il est incroyable de voir dans les groupes d'entendeurs de voix des gens qui arrivent en disant "mais je pensais être le seul à vivre ça".
55:22 C'est-à-dire que pendant des années, ils ont connu la psychiatrise, ils ont connu la santé mentale.
55:26 Où logiquement, si l'entente de voix, c'est un des symptômes de la schizophrénie ou n'importe quelle maladie,
55:34 c'est quand même incroyable qu'on pense encore être les seuls à vivre ça.
55:37 Et dans les groupes, c'est la première stupéfaction.
55:39 C'est-à-dire "comment ça, moi, je suis pas seul, il y a d'autres gens qui viennent de la même chose".
55:42 Et du coup, c'est déjà une invitation entre nous à en parler.
55:45 Mais c'est vraiment un regard de curiosité, d'échange, de partage.
55:50 Des mots évidemment simples, qui n'ont pas le même poids que ceux de la science, mais qui produisent néanmoins leur effet.
55:56 En tout cas, des entendeurs comme Vincent, Julie, Polo et les autres, quand on les a rencontrés une fois, on ne les oublie pas.
56:04 Et avant de quitter Marseille, nous avons été prendre un dernier verre avec Christophe et ses amis.
56:10 Là où presque chaque fin d'après-midi, ils se retrouvent.
56:13 Infirmiers, éducateurs, sociologues, psychiatres ou psychologues, avocats aussi.
56:19 Et bien sûr, entendeurs, ses pères aidants à l'expérience si précieuse.
56:24 Pour moi, c'est une ressource importante parce que des choses que je ne peux pas vivre, je ne peux pas les comprendre.
56:34 Et quand on part sur une VAD en binôme, et quand on est face à ces symptômes qui sont là, qui sont très difficiles,
56:42 qui sont là, qui sont présents dans la discussion, avec leur aide et leur compétence, et leur vécu et leur ressenti.
56:50 Et je m'appuie aussi beaucoup sur eux, souvent.
56:53 Quand ces associations-là n'existent pas, en tout cas le travail qu'elles font sur le principe du domicile,
57:00 mais aussi d'autres endroits dans la ville, on va dire dans la vie ordinaire,
57:05 en fait, ce sont des personnes qui vont faire la rue, l'hôpital, la prison, les foyers.
57:15 Et voilà, ils tournent, et ils ne se posent jamais, et ils ne bénéficient jamais de ce type d'accompagnement qui est sur mesure.
57:24 Du moment qu'on retrouve une certaine dignité dans sa vie, qu'on trouve des moyens d'aller mieux,
57:29 et le logement en étant, c'est même essentiel, je pense qu'on peut plus aisément arriver à lutter contre ce phénomène-là.
57:38 C'est chaud !
57:40 Soit Marc, soit Mathilde.
57:42 Moi, les vétérans, ils sont plus violents que les coups.
57:44 Moi, je nous définis comme une bonne bande de pirates, en fait.
57:48 C'est qu'à un moment donné, on va essayer d'aller à contre-courant des idées préconçues.
57:54 On a beaucoup d'informations à donner, beaucoup de déstigmatisation à faire.
58:04 Et ça, oui, ça, ça prend du temps.
58:08 Ça prend du temps et ça rend heureux.
58:10 En fait, ça rend heureux parce qu'on sent qu'on est acteur de quelque chose qui bouge.
58:16 Et c'est excitant. C'est excitant.
58:20 Heureux. Qu'un documentaire sur les entendeurs se termine par ce signifiant me convient.
58:26 Car si une leçon et une seule devaient être retenues de ce film, ce serait bien celle-ci.
58:31 Les entendeurs de voix ne sont pas voués au malheur.
58:35 Si ponctuellement un certain nombre d'entre eux n'arrivent plus à gérer leur souffrance,
58:39 l'hospitalisation, comme pour tout un chacun, reste une possibilité.
58:43 Mais sinon, bien sûr, il y a des gens qui sont en train de se faire enlever.
58:47 Et c'est une possibilité. Mais sinon, bien d'autres solutions existent.
58:52 Le phénomène dont les entendeurs sont le jouet ne les sort pas de l'épure humaine.
58:57 Que chacun en soit donc convaincu, leur place est dans la cité, pas dans ses oubliettes.
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