Le chercheur Hugo Micheron est l’invité du Grand Entretien. Il revient sur l'attentat au couteau qui a coûté la vie à un touriste allemand à Paris ce week-end, et sur le profil du meurtrier. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-du-lundi-04-decembre-2023-3883313
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00:00 Cléa Salamé, nous recevons ce matin dans le Grand Entretien un spécialiste du djihadisme,
00:05 maître de conférences et chercheur à Sciences Po, auteur de « La colère et l'oubli,
00:10 les démocraties face au djihadisme » européen chez Gallimard, livre qui a reçu le prix
00:15 féminin de l'essai 2023 et le prix du livre géopolitique.
00:20 Vos questions, amis auditeurs, 0145 24 7000 et sur l'application de France Inter.
00:26 Hugo Michon, bonjour.
00:27 - Bonjour.
00:28 - Et merci d'être à ce micro avec vous.
00:30 Nous revenons évidemment sur l'attaque terroriste de samedi soir à Paris dans laquelle un touriste
00:36 allemand a été tué et deux autres personnes blessées près de la tour Eiffel.
00:40 L'assaillant Fiché S avait déjà été condamné pour terrorisme et fait quatre ans de prison.
00:46 Question simple pour commencer, qu'est-ce qui vous a frappé dans cet attentat, dans
00:51 le moment, le profil de l'assaillant, les modalités de l'attaque ? Cet attentat est-il
00:56 comparable à d'autres commis récemment ?
00:58 - Oui, il y a énormément de choses, c'est un concentré d'énormément de choses cet
01:01 attentat.
01:02 Déjà, première chose qui m'a frappé, le nom revendiqué de l'auteur, il se fait
01:06 appeler Abou Talha El Khourassani, c'est-à-dire la référence c'est avec l'Afghanistan.
01:10 Et ça, c'est pas du tout anodin parce qu'il fait référence en fait à Daesh en Afghanistan
01:16 qui est en fait le cœur opérationnel de Daesh depuis la chute de l'État islamique en
01:21 Irak et en Syrie et on sait que depuis maintenant plusieurs mois, les tentatives d'attentats
01:27 projetés vers l'Europe se font depuis ce groupe-là en Afghanistan.
01:30 On a sans doute oublié mais tout ça doit se lire sous le fond de retour des talibans
01:35 à Kaboul depuis 2021 et ça montre que là on a quand même une dynamique internationale
01:40 qui est importante.
01:41 Ça c'est le premier point.
01:42 Le deuxième élément, c'est évidemment dans le profil qui est très clair, c'est
01:45 le passage par la prison.
01:46 Cet individu a déjà été condamné pour une tentative d'attentat déjoué en 2016
01:50 à la Défense et il a été passé par à peu près tous les dispositifs de prise en
01:53 charge.
01:54 Donc je crois qu'il y a un certain nombre d'éléments de ce point de vue-là.
01:55 Et enfin, point évidemment énorme, on a déjà beaucoup d'infos depuis 24 heures,
02:03 il est en lien avec quatre individus, quatre terroristes, l'un à rejoindre Daesh, les
02:08 trois autres sont impliqués dans les attentats qui sont peut-être les plus symboliquement
02:13 chargés des dernières années.
02:14 Il faut peut-être les rappeler.
02:15 Le premier, c'est Magnanville, un djihadiste qui s'était infiltré au domicile de deux
02:21 policiers qui l'avaient tué devant leur enfant.
02:24 Le deuxième élément, le deuxième attentat, c'était celui de Saint-Etienne-Urvée,
02:30 un prêtre en plein office de la même façon tué.
02:33 Et le troisième, c'est Samuel Paty, c'est l'assassin de Samuel Paty avec qui il était
02:39 en lien, avec qui il avait échangé deux semaines auparavant.
02:42 Deux semaines avant la mort de Samuel Paty, il échangeait avec lui.
02:45 Qu'est-ce que ça dit ? On va revenir sur les trois points que vous citez, l'Afghanistan,
02:48 les prisons et commençons par ce lien-là, le dernier que vous dites.
02:52 Pourquoi c'est important de savoir que, bon, ça c'est la thèse du loup solitaire,
02:58 vous l'avez toujours combattue, Gaugou Michron, mais qu'est-ce que ça dit qu'il ait échangé
03:03 avec ces quatre autres terroristes responsables de trois gros attentats en France ?
03:08 Ça dit, comme souvent, il y a un environnement.
03:10 Il y a un environnement humain, il y a un environnement idéologique.
03:13 Chez lui, l'environnement idéologique est quand même extrêmement marqué.
03:16 Donc ceux qui disent que c'est un fou irratrapable doivent au moins constater le fait qu'il y
03:21 a une remarquable cohérence idéologique.
03:23 C'est-à-dire que cet individu, dans le mode d'action, il faut rappeler qu'on a évoqué
03:28 les gens avec qui il était en lien, mais lui-même, son attaque est très symbolique.
03:32 C'est au pied de la tour Eiffel, à huit mois des Jeux olympiques et de la cérémonie
03:38 d'ouverture, vous en parliez tout à l'heure, la tour Eiffel qui est par ailleurs, on le
03:42 connaît, un symbole récurrent de la propagande de Daesh, comme symbole même de Paris et
03:46 de la France.
03:47 Donc en termes de symboles, il avait là aussi, encore une fois, une forme de cohérence par
03:51 rapport à son parcours.
03:52 Son parcours aussi est très important sur un point, il a cherché à se rendre en Syrie
03:56 en 2016.
03:57 Alors ça ne parle peut-être pas à tout le monde, mais les départs en Syrie en 2016,
03:59 il n'y en a plus beaucoup.
04:00 Et pour cause, les derniers qui partent, ce sont les plus durs, les plus convaincus, parce
04:06 que c'est au moment où c'est en train de s'effondrer militairement.
04:08 Et en fait, la plupart des djihadistes qui sont partis cherchent à rentrer.
04:10 Ceux qui cherchent encore à partir en Syrie à ce moment-là, c'est déjà des profils
04:14 endurcis.
04:15 Et quand on regarde ensuite son parcours...
04:16 - Mais quand vous dites "ceux qui disent qu'il est fou ce matin", parce que c'est vrai que
04:22 c'est l'élément qui revient le plus depuis hier, c'est l'élément psychiatrique, où
04:26 il était suivi pour problème psychiatrique.
04:31 Le suivi a été arrêté au printemps dernier.
04:33 Vous n'y croyez pas, vous ? J'ai l'impression que vous dites "ceux qui pensent qu'il était
04:38 fou".
04:39 - C'est possible qu'il y ait une forme d'instabilité psychologique.
04:42 C'est très probable.
04:43 D'ailleurs, il y en a un certain nombre dans ces mouvances qui sont par définition extrêmement
04:46 radicales.
04:47 Il y en a beaucoup.
04:48 En revanche, je me méfie de cette approche qui viserait à surpsychologiser l'individu.
04:55 Parce que souvent, de mon expérience, sur l'analyse des profils, ce qu'on voit derrière,
04:59 c'est une incompréhension de l'idéologie.
05:01 L'idéologie djihadiste, elle est particulière.
05:03 Donc, si on ne comprend pas l'idéologie...
05:05 Et là, je vous parle d'éléments.
05:07 On en voit les traces depuis les années 90 un peu partout en Europe.
05:11 - C'est important ce que vous dites.
05:12 Parce que là, on apprend le chiffre de 20% des 5000 personnes qui sont poursuivies pour
05:19 terrorisme.
05:20 20% qui souffriraient de troubles psychiatriques.
05:25 Vous vous dites "attention de ne pas appeler un fou parce qu'on ne comprend pas l'idéologie
05:30 terroriste".
05:31 C'est ça que vous dites ?
05:32 - Oui, c'est exactement ça.
05:33 - Vous parlez de...
05:34 - En fait, de ce qui est juste de l'ignorance.
05:37 Et je vais vous prendre un exemple très concret.
05:40 Au Danemark, dans les années 90, le premier cas de terrorisme avec des individus qui étaient
05:47 liés à Al-Qaïda.
05:48 Ces individus, quand ils sont devant la cour, en plein procès, sont considérés par le
05:55 psychiatre qui les analyse comme des fous.
05:56 Parce qu'ils expliquaient qu'ils voulaient tuer tous les musulmans et tous les mécréants
06:01 et qu'ils entendaient des voix.
06:02 Et donc, pour un psychiatre, ça, c'était totalement improbable qu'on se réclame d'être
06:07 musulman et qu'on veuille tuer tous les autres.
06:09 Si vous comprenez deux éléments basiques de l'idéologie djihadiste, à savoir que
06:13 seuls sont considérés bons musulmans ceux qui sont avec eux et que les autres, il faut
06:16 les tuer, ça s'éclaire.
06:19 Entendre des voix, etc. ça fait partie.
06:21 Et là, c'est le cas aussi.
06:22 Dans ce profil-là, on retrouve des éléments.
06:24 Apparemment, il aurait eu des voix, il interprétait les signes, etc.
06:27 Mais ça, c'est des choses extrêmement communes, valorisées par l'idéologie djihadiste,
06:31 qu'on entend en différentes déclarations.
06:36 Ce sont des signes récurrents.
06:38 Moi, ce que je dis, c'est que l'analyse psy, elle est fondamentale.
06:41 Je ne peux pas me prononcer en l'espèce sur ce sujet-là.
06:43 Mais ce que je dis, c'est qu'il faut évidemment la combiner avec une solide connaissance de
06:48 la dimension idéologique.
06:49 Parce que si on prend de l'idéologie pour de la folie, on fait des erreurs d'évaluation,
06:53 tout simplement.
06:54 La santé dit que s'entremêlent une idéologie, une personnalité influençable et malheureusement
07:02 la psychiatrie.
07:03 Vous remarquerez que tout ça peut très bien se combiner.
07:05 Et moi, je crois qu'on a une très forte tendance à opposer politique et religieux,
07:08 à opposer folie et idéologie, etc.
07:10 Alors que justement, dans le djihadisme, toutes ces dimensions-là se combinent.
07:13 Ce qui fait qu'on est souvent face à des profils complexes.
07:15 Mais c'est en partant de l'idéologie aussi qu'on arrive à objectifier les autres
07:19 éléments.
07:20 Et c'est là-dessus qu'on a un travail à faire.
07:22 Le fait que le suivi ait été arrêté en printemps dernier, ça pose quand même question,
07:26 non ? Hier soir, Gérald Darmanin a précisé qu'il allait mettre le paquet pour le suivi
07:30 psychologique de ces personnes-là.
07:33 C'est quand même une question, les troubles psychiatriques.
07:36 L'idéologie n'explique pas tout non plus.
07:38 Non, c'est une composante fondamentale, au même titre que les autres, au même titre
07:42 que le parcours individuel, etc.
07:44 Mais ce que je veux dire, c'est qu'il faut pouvoir les combiner et certainement pas les
07:48 opposer.
07:49 Et si on les oppose, on a tendance à penser qu'un fou ne peut pas être un djihadiste
07:53 convaincu et vice-versa.
07:55 Au moment de l'attaque, l'assaillant a crié "Allah Akbar" à plusieurs reprises.
08:00 Il a précisé aux policiers qu'il en voulait à ce qu'il se passait à Gaza, que la France
08:05 serait complice de ce que faisait Israël.
08:07 Il aurait dit qu'il en avait marre de voir des musulmans mourir tant en Afghanistan qu'en
08:13 Palestine.
08:14 Hugo Michon, le contexte de la guerre au Proche-Orient est-il une vraie motivation
08:18 du passage à l'acte ou un prétexte ?
08:20 C'est indéniablement un prétexte.
08:22 A savoir que ce qui est impressionnant quand on regarde les organisations djihadistes sur
08:26 les 30 dernières années, c'est qu'en fait, contrairement à ce qu'on croit, le conflit
08:30 israélo-palestinien tient un rôle assez secondaire.
08:32 C'est-à-dire qu'en fait, au niveau vraiment de l'organisation des groupes djihadistes,
08:38 ils se sont mobilisés dans les années 90 autour de la guerre civile syrienne, la guerre
08:42 en Bosnie, la guerre en Tchétchénie.
08:43 Dans les années 2000, c'était la guerre en Irak.
08:45 Et dans les années 2010, c'était la guerre civile syrienne.
08:49 Et en fait, là, la situation à Gaza, qui est une véritable déflagration depuis le
08:54 7 octobre, je pense qu'on est en train de changer de monde.
08:56 On pourra y revenir.
08:57 On est sur un espace géopolitique qui est en pleine recomposition et tous les acteurs
09:01 se remobilisent.
09:02 Et évidemment, là, vous avez une opportunité en or pour les groupes djihadistes qui sont
09:08 par ailleurs sur le recul.
09:10 Il ne faut pas oublier que Daesh ne s'est pas encore remis militairement de toute la
09:14 situation dans le nord syrien.
09:16 Ils sont toujours en clandestinité.
09:17 Donc, si vous voulez à peu de frais essayer de mobiliser en Europe pour déclencher des
09:22 attentats et mettre une pression sécuritaire, comme ça vient de se passer samedi, il faut
09:26 exploiter ça.
09:27 Et c'est pour ça que la propagande islamiste tourne à plein régime autour de Gaza avec
09:31 une logique qui est très simple, qui vise en fait à assimiler l'Occident au bombardement
09:37 des hôpitaux à Gaza et de normaliser ou de banaliser le passage à l'acte en rétention.
09:41 Et on sait que c'est une logique qu'ils adorent.
09:44 Qu'est-ce qu'on lit justement sur les réseaux sociaux des djihadistes ou des militants
09:51 ces derniers jours depuis le 7 octobre ? Qu'est-ce qu'on voit ? Qu'est-ce qu'on lit de cette
09:55 propagande ?
09:56 Alors il y a différentes mouvances au sein du djihadisme.
09:59 Il y en a une qui est la plus religieuse et la plus dure religieusement, qui essaye d'expliquer
10:04 que ce qui se joue en fait à Gaza est le signe de la fin du monde.
10:08 Et ça, c'est une ancienne qu'on entendait dix ans auparavant dans le contexte de la
10:12 guerre civile syrienne et qui visait à interpréter toute l'actualité syrienne, donc maintenant
10:17 en Gazaoui, autour de cette idée que si c'est la fin du monde, il faut se mobiliser.
10:21 Mais vous avez plus largement un éventail qui va des djihadistes à la mouvance salafiste
10:29 la plus politique, qui essaye en fait de lier l'actualité de la guerre entre Israël et
10:36 Gaza avec, de la réinterpréter dans un contexte européen en expliquant qu'en fait il ne
10:41 peut y avoir que deux camps.
10:43 Quels sont les deux camps ?
10:45 En gros, le camp des opprimés, c'est-à-dire des palestiniens, des enfants tués dans les
10:49 hôpitaux pour faire très simple.
10:51 Et de l'autre côté, le camp des bourreaux qui serait Israël et ses alliés.
10:56 Dont les européens et l'Occident.
10:58 Et en premier lieu les européens qui sont considérés.
11:02 Avant même les américains ?
11:03 Oui, parce que les américains restent finalement relativement loin de la zone.
11:06 Et puis par ailleurs, une puissance plus forte diplomatiquement en ce moment dans le conflit.
11:11 Donc ils vont chercher le point faible.
11:13 Et le point faible, ils considèrent qu'il est du côté de l'Europe.
11:15 Et donc à travers ça, l'idée c'est évidemment de pouvoir gagner un certain nombre de parts
11:22 de marché idéologiques.
11:24 C'est-à-dire en gros de faire basculer le discours en Europe autour du fait que l'Europe
11:29 est fondamentalement islamophobe, est fondamentalement à un problème avec l'islam.
11:33 Et que tout ça déterminerait la politique de soutien à Israël.
11:38 Que finalement l'Europe ne se serait jamais remise de l'impérialisme.
11:41 Et le souci par rapport à tout ça, c'est évidemment que ça banalise totalement les
11:46 passages à l'acte du type de ce qu'on voit avec des individus dont l'instabilité est
11:51 donc a priori en partie actée.
11:54 Et la question djihadiste peut s'insérer dans ce climat-là.
11:58 C'est pour ça qu'il faut voir d'un côté, il faut faire très attention à ces dynamiques
12:01 de réimportation qui sont aussi le produit des réseaux sociaux.
12:05 C'est-à-dire que là, on a un énorme enjeu.
12:08 C'est de comprendre que le débat public et l'actualité sont énormément filtrés
12:13 par des logiques algorithmiques qu'on ne maîtrise pas en Europe.
12:15 Et ça j'ai l'impression qu'on a du mal à en comprendre.
12:19 Qu'est-ce que vous voulez dire ? Pour être clair.
12:21 Pour être très simple, l'Europe c'est le premier espace numérique au monde.
12:25 On est les plus grands utilisateurs de réseaux sociaux.
12:27 Pourtant l'Europe n'a aucun réseau social.
12:29 On utilise les GAFAM américains, on utilise TikTok qui est chinois,
12:32 on utilise Telegram qui est russe ou Vcontact.
12:36 Dans cette logique-là, les réseaux sociaux sont devenus le premier espace d'information
12:42 et de socialisation en Europe, notamment pour les 15-30 ans.
12:46 Donc dit autrement, l'actualité est filtrée par une logique algorithmique
12:51 qu'on ne maîtrise pas du tout.
12:53 Donc dans ce contexte-là, on voit arriver un certain nombre d'acteurs
12:57 et notamment les rivaux géopolitiques.
12:59 En ce moment c'est très clair, on voit la présence des Russes, des Iraniens, des Turcs
13:05 qui produisent un narratif anti-occidental autour de Gaza
13:08 et qui en fait visent tout simplement à faire la même chose
13:10 que ce qui est arrivé à l'Europe en Afrique au Sahel,
13:12 c'est-à-dire à nous sortir totalement de l'espace de règlement diplomatique
13:16 et de se retrouver en position de faiblesse
13:18 où on est accusé de toute part en nous accusant d'être tout puissant
13:20 alors qu'on a de moins en moins de levier diplomatique.
13:22 Donc la guerre se joue sur les réseaux sociaux,
13:24 se joue sur Twitter, sur TikTok, sur Facebook en ce moment.
13:27 La guerre est une guerre de narratif, une guerre d'information
13:30 et là-dessus l'Europe est peu équipée et surexposée.
13:32 Donc ce que je veux dire par là, c'est que la question technologique aujourd'hui
13:34 c'est une question politique, c'est une question démocratique
13:38 et qu'on ne peut pas aborder la question du djihadisme comme un isola.
13:41 Il faut l'intégrer dans un grand ensemble dont on n'a pas forcément compris les proportions
13:45 et je pense que là-dessus on est dans un changement totalement de paradigme.
13:49 Ce qu'a révélé l'attaque du 7 octobre, de ce point de vue-là,
13:53 c'est l'étendue de cette transformation qu'on avait sous-estimée tout simplement depuis 3-4 ans.
14:00 Gilles, au Standard Inter, bonjour, bienvenue.
14:03 Bonjour à toutes et à tous, merci pour vos émissions.
14:06 J'ai une question assez basique qui relève plutôt
14:10 des conditions dans lesquelles l'assaillant est rentré en contact
14:16 avec des terroristes qui sont aujourd'hui incarcérés.
14:20 N'y a-t-il pas en fait une défaillance ?
14:23 Comment l'assaillant de samedi soir a pu rentrer en contact au cours des dernières semaines
14:27 avec des gens qui eux-mêmes étaient incarcérés pour terrorisme ?
14:31 Merci Gilles pour cette question.
14:33 Alors il faut faire attention aux questions de chronologie
14:37 mais la question porte notamment sur le terroriste qui a tué Samuel Paty, je pense.
14:43 Ah oui, très bien.
14:44 Donc en fait, on a en l'occurrence avec le terroriste qui avait tué Samuel Paty,
14:50 ça s'était passé sur les réseaux sociaux, sur Twitter à l'époque, sur X aujourd'hui,
14:54 et ils avaient échangé et ce qui est intéressant aussi dans leurs échanges,
14:58 c'est qu'il avait tweeté sur cet individu et il avait dit qu'il le trouvait idéologiquement très clair.
15:06 C'est-à-dire qu'il avait parfaitement compris que l'individu était un djihadiste
15:11 et d'ailleurs il en aurait fait une forme de signalement après l'attentat
15:17 puisqu'il serait présenté sur la recommandation de la personne chargée de son suivi au commissariat
15:23 pour dire qu'il avait été en lien.
15:24 Donc là on a un autre élément sur la psychologie de cet individu,
15:29 dans quelle mesure il n'était pas en train de déjouer une éventuelle suspicion.
15:34 Tout ça je pense que c'est des choses qui devraient être éclairées dans le prochain jour.
15:36 Mais ça, ça fait partie aussi des choses qui nous déroutent avec son profil.
15:40 A ce jeune homme de 26 ans, français, né en France, d'origine iranienne, fiché S,
15:45 interpellé, je le rappelle, par la DGSI en 2016 pour un projet d'attentat à la défense,
15:50 condamné à 5 ans de prison, il en est sorti au bout de 4 ans parce qu'il y avait un an de sursis,
15:54 il sort de prison, il est placé sous contrôle judiciaire,
15:56 il parvient à tromper la vigilance des services, il se présente, vous le dites vous-même, comme un repenti,
16:00 il dit qu'il est devenu un anti-islamiste maintenant depuis la fin de sa détention,
16:04 mais finalement il passe à l'acte.
16:05 C'est les plus dangereux ces profils-là ?
16:08 Est-ce que vous pensez, plus largement vous qui suivez cette affaire depuis des années,
16:12 qu'on peut être un vrai repenti ou jamais en fait ?
16:14 Alors, premier élément sur la première partie,
16:17 des djihadistes qui font les essuie-glaces, y compris dans le discours, etc.,
16:22 il y en a eu énormément dans l'histoire malheureusement,
16:25 il y en a pas mal en prison, c'est assez commun de voir des individus qui vont...
16:30 si je dois prendre un exemple, ce serait Bilal Taghi, vous voyez, qui était...
16:34 Alors, pour rappel, c'est l'auteur, le 4 septembre 2016,
16:38 d'attentat au sein de la maison d'Areddouni contre des surveillants.
16:42 Il s'en était pris, il avait manqué de demandes du personnel.
16:45 Cet individu était pris en charge par le dispositif de prévention de la radicalisation,
16:50 de lutte contre la radicalisation, il était présenté comme le meilleur élément à un moment donné.
16:54 Vous voyez, donc, et quand il s'est retrouvé devant les juges,
16:57 donc après cette attaque, lui qui était déjà en prison pour des faits de terrorisme,
17:02 il avait dit qu'il s'était félicité parce qu'il avait roulé tout le monde dans la farine.
17:05 Donc, ce que je veux dire, c'est qu'il y a une duplicité, il y a presque un jeu de ce point de vue-là.
17:08 Encore une fois, la matière est très très complexe,
17:10 mais ça ne veut pas dire qu'il faut forcément toujours être du côté de la naïveté non plus.
17:15 Le djihadisme est une néologie qui est costaude.
17:18 Là, cet individu, c'est un profil lourd.
17:20 L'individu était en lien, l'homme qui serait à l'origine de sa "conversion" au djihadisme,
17:27 qui est parti en Syrie en 2015,
17:29 était un membre du groupe Salafist Forsan Al-Eriza, les cavaliers de la fierté,
17:35 qui était ultra actif au début des années 2010,
17:38 en lien avec d'autres groupes salafo-djihadistes européens qu'on appelait les groupes de la charia.
17:43 Ça ne parle peut-être pas à tout le monde, mais c'était des groupes "Charia for UK", "Charia for Holland",
17:47 qui étaient mobilisés en Angleterre, en Belgique, aux Pays-Bas, au Danemark, en Allemagne,
17:52 et qui battaient le pavé en promouvant l'idée qu'il fallait imposer la charia en Europe,
17:58 et que leur grande marque de fabrique, c'était de faire des manifestations publiques.
18:02 - Vous ne m'avez pas répondu sur la deuxième question.
18:03 Est-ce que vous avez connu, depuis 10-15 ans que vous travaillez sur ce sujet, des vrais repentis ?
18:08 - Oui, il y en a. J'en ai rencontré dans le cadre du documentaire pour Arte.
18:15 On en a interviewé. Donc ça existe.
18:18 Mais l'erreur, c'est de croire que c'est le modèle de sortie.
18:21 Vous voyez, il y a plusieurs portes d'entrée dans le djihadiste, il y a plusieurs portes de sortie.
18:25 Mais de penser que cette idéologie pourrait fondre comme de la neige au soleil, c'est une erreur.
18:31 On parle, précision très importante, pour rappeler la puissance de cette idéologie.
18:36 Le début du djihadiste, c'est les années 80, c'est la guerre d'Afghanistan.
18:40 On a une idéologie qui s'est diffusée en l'espace de 30 ans,
18:43 des confins, des contreforts de l'Himalaya, à l'Europe,
18:48 au point que 6 000 Européens, 20 ans plus tard, décident d'aller en Syrie,
18:52 dans une guerre civile qui est d'une violence extraordinaire.
18:55 On ne peut pas comprendre ce phénomène-là si on ne comprend pas la puissance de cette idéologie,
18:59 et sa puissance mobilisatrice.
19:01 On retourne au standard. Dominique nous appelle de Besançon, bonjour.
19:06 Oui, bonjour.
19:07 Vous nous parlez de psychiatrie.
19:09 Voilà, je voulais vous parler de la psychiatrie et de son mauvais état en matière de psychiatrie judiciaire.
19:16 Parce que ce dont vous avez parlé pour cet homme qui a assassiné quelqu'un,
19:21 c'est de deux choses.
19:22 Un dispositif qui s'appelle l'injonction de soins,
19:26 donc je pense qu'il était arrivé à contre-terme pour cet homme.
19:30 C'est pour ça que les soins se sont arrêtés.
19:33 Et puis l'autre chose, ce sont des expertises.
19:36 Parce que quand on veut hospitaliser quelqu'un de manière contrainte,
19:42 il faut une expertise psychiatrique.
19:45 Or, à l'heure actuelle, il y a de moins en moins d'experts psychiatres,
19:49 en tout cas dans les régions de province, comme on dit,
19:53 et ces expertises, elles sont complexes, elles engagent notre responsabilité.
19:59 Je suis psychiatre et experte depuis 25 ans,
20:03 et quand vous envoyez quelqu'un en hospitalisation d'office,
20:07 il faut savoir ce que vous faites.
20:09 Parce que parfois, il reste beaucoup plus longtemps hospitalisé en psychiatrie qu'en prison.
20:15 Mais indépendamment de ça, l'injonction de soins qui fait que ces patients sont suivis en psychiatrie,
20:22 il faut savoir qu'ils le sont dans des CNP,
20:25 des centres médicaux psychologiques surchargés de travail,
20:29 avec des psychiatres qui ne sont pas du tout formés à cette question.
20:33 J'entends que M. Darmanin veut faire un effort, qu'il le fasse,
20:38 pour que les experts soient payés correctement, parce que ce n'est pas le cas.
20:42 Actuellement, une expertise qui prend des heures de boulot,
20:45 elle est payée aux alentours de 300 euros, pour que même qu'on le sache.
20:50 Donc voilà ce que je voulais vous dire.
20:52 - Merci Dominique pour cette intervention.
20:56 Gérald Darmanin qui dit ce matin qu'il y a manifestement eu un ratage,
20:59 non pas dans le suivi des services de renseignement, mais un ratage psychiatrique.
21:05 Je vous livre les deux interventions.
21:06 Hugo Michron ?
21:07 - Non mais on comprend la position du ministre de l'Intérieur.
21:09 Il veut aussi mettre en valeur l'efficacité de la prise en charge de ces différents services.
21:15 Et c'est vrai que là-dessus, il y a une question, je pense, du côté de la prise en charge de soins.
21:20 Je veux rappeler quand même un certain nombre d'éléments.
21:22 Moi, je considère qu'en France, la dimension sécuritaire, paradoxalement, elle a mieux couverte.
21:27 On l'oublie, mais les policiers sont encore intervenus en moins de deux minutes, samedi soir.
21:32 De la même façon, pour comparaison, à Londres, au moment des attaques de London Bridge,
21:37 donc situation assez similaire, ils avaient mis plus de neuf minutes.
21:41 Moi, je pense que la situation la moins bien couverte en ce moment, c'est la question politique.
21:44 C'est la dimension, la compréhension de ce qu'elle dit depuis 30 ans.
21:48 Une question de Philibert sur l'appli. Comment un fiché S peut balancer une revendication sans que ça ne déclenche d'alerte ?
21:55 Son compte Twitter n'a pas été créé juste avant l'attentat.
21:59 Oui, alors s'il n'y avait que ce problème-là sur les réseaux sociaux, je vous dirais qu'il n'y a pas de problème.
22:03 Mais la réalité, c'est qu'aujourd'hui, si vous prenez différents réseaux sociaux, par exemple, si on prend TikTok,
22:11 on constate qu'on a du contenu de propagande salafiste très dur, qui est accessible en 3 à 5 vidéos quand vous créez un compte neuf.
22:19 Vous voyez ? Donc là, on a un problème.
22:22 On ne peut pas dire que ça, ça ne participe pas à une forme de polarisation du débat public,
22:29 à une forme de distorsion de la perception de la question salafiste et djihadiste.
22:34 Donc, Twitter est un sujet, TikTok est un sujet et globalement, c'est des questions qu'il faut se réapproprier.
22:41 - Merci Hugo Michon.
22:43 - La colère et l'oubli, les démocraties face au djihadisme européen, publié chez Gallimard, le titre de votre dernier livre. Merci encore.