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Hugo Micheron, spécialiste de la Syrie, maître de conférence à l’école des Affaires internationales de Sciences Po, Wassim Nasr, journaliste à France 24, chercheur au Soufan Center, et Hala Kodmani, journaliste franco-syrienne à Libération, sont les invités du Grand entretien. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-du-lundi-09-decembre-2024-1372680

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00:00Et avec Léa Salamé, nous vous proposons ce matin une table ronde sur la Syrie et
00:04le Moyen-Orient, qui vivent des jours historiques ! Pour en parler, Léa, nos invités ici !
00:09Hala Khodmani, vous êtes journaliste franco-syrienne au Quotidien Libération, bonjour à vous !
00:14Hugo Michon, spécialiste de la Syrie, maître de conférences à l'école des affaires
00:17internationales de Sciences Po, auteur notamment de « La colère et l'oubli, les démocraties
00:21face au djihadisme européen » chez Gallimard.
00:23Et Wassim Nastr, vous êtes journaliste à France 24, chercheur au Soufan Center, basé
00:28à New York.
00:29Bonjour à tous les trois et bienvenue !
00:30Et on commence évidemment par ce véritable basculement géopolitique, la chute spectaculaire
00:38du régime Assad après cinq décennies de règne.
00:41Les rebelles menés par des islamistes radicaux ont annoncé dimanche matin à la télévision
00:47syrienne la chute du président Bachar al-Assad et la libération de la capitale Damas après
00:53une offensive fulgurante commencée il y a à peine deux semaines.
00:58Quelle est votre réaction à tous les trois devant ces événements ?
01:01Êtes-vous surpris, stupéfait ou sentiez-vous que l'édifice était en train de vaciller
01:08à la Côte Manie ?
01:09Non mais bien sûr, c'est vertigineux.
01:11On est tous dans le vertige, les Syriens les premiers, comme un moment irréel qui s'est
01:18vraiment produit.
01:19On en a tous rêvé, ça fait des années que les Syriens comme moi, là je suis complètement
01:23syrienne, ont pensé à ce moment.
01:26J'ai une bouteille de champagne au frigo depuis 14 ans.
01:28Du même 50 ans peut-être on peut dire.
01:32Mais il y a quelque chose de vertigineux dans la rapidité avec laquelle les choses se sont
01:38passées et surtout le saut dans l'inconnu qui pour l'instant n'est pas ce qui inquiète
01:45le plus les gens.
01:46Wassim Nasser, vous pensiez voir un jour ces scènes de liesse dans les villes syriennes ?
01:50Voir la statue de l'ancien président Hafez al-Assad déboulonnée à Hama ou dans d'autres
01:57villes écrasées, à Damas notamment.
01:59Vous imaginez il y a encore 15 jours voir cette chute si rapidement, si facilement de
02:05l'Empire ?
02:06Non, ça c'est sincèrement pas du tout.
02:10Et même quand j'étais à Idlib l'année dernière et que j'ai vu Joulani, je vais
02:13faire une petite confidence, on discutait.
02:15Oui parce que vous êtes un des rares journalistes qui a pu interviewer Joulani, c'est aussi
02:19pour ça et on va vous entendre sur lui.
02:21Et donc on discutait de choses et d'autres, c'était un off, ça a duré une heure et
02:25demie et à un moment on discutait de la fameuse M4, l'autoroute sur laquelle patrouillaient
02:29les Russes et les Turcs et où il était supposé reculer derrière la M4 avec ses
02:33hommes pour contenter les Turcs etc.
02:35Donc je lui dis est-ce que cette option est sur la table et tout ? Donc il me dit pas
02:40du tout, nous on a une grosse pression de déplacer à Idlib, on va plutôt élargir
02:45notre territoire et ça va être bientôt.
02:47Et moi j'ai pas pris ça du tout au sérieux, je pensais pas du tout que l'option militaire
02:51était vraiment un choix dont il était encore capable, vu l'échiquier, l'échiquier c'est
02:56rien.
02:57Sauf que, il l'a fait, il a profité de cette toute petite fenêtre de tir qu'il y a eu
03:02au moment des signatures du cessez-le-feu entre le Liban et le Hezbollah, il a profité
03:07du fait que le Hezbollah était très fatigué parce que c'était le Hezbollah sur les fronts
03:10d'Alep Ouest, ça on l'oublie, c'était le Hezbollah qui tenait ses fronts, il a profité
03:14de ça, il a profité du fait que le président Erdogan a eu plusieurs fins de non-recevoir
03:18de la part d'Assad la dernière Ariad, et donc il a convaincu d'une certaine manière
03:23les Turcs de fermer les yeux, et il est passé à l'action, parce que les Turcs pensaient
03:27qu'il allait prendre 2-3 villages, il est passé à l'action et il a pris Alep et le
03:30dominion.
03:31Et c'est même pas, il s'est pas arrêté.
03:32Voilà, il s'est pas arrêté et ce qui est aussi intéressant, peut-être qu'on en parlera
03:35plus en détail tout à l'heure, c'est qu'à Damas, c'est que les HTC et les autres rebelles
03:41ils ont été arrêtés à Homs, à Hama puis Homs, il y a eu 2 vrais verrous, donc l'armée
03:46syrienne s'est battue quand même, ce qui en restait.
03:48Il y a eu des combats très durs, et ils ont même, les rebelles islamistes ont fait des
03:53manœuvres militaires de contournement, donc ça c'était pas rien.
03:55Mais ce qui est intéressant, c'est comment ça s'est passé dans le Sud.
03:58Donc tous les rebelles qui étaient démobilisés, financés par les Russes et incorporés dans
04:03l'armée syrienne, loyaliste, ont pris les armes contre cette même armée de 1, de 2,
04:09les premiers à faire tomber les statuts, comme vous l'avez très bien dit, d'Assad
04:14père et d'Assad fils à Damas, c'était les Druzes de Jamanin.
04:18Donc ça, il ne faut pas l'oublier, parce que Joulani, quand j'y étais encore une
04:22fois, il venait de faire des missives vis-à-vis des Druzes qui habitaient encore à Idlib.
04:26Oui, ce que vous dites, ce que vous essayez d'expliquer très bien, c'est qu'il n'y
04:31a pas que les islamistes de Joulani, il y a tous les rebelles, islamistes ou pas islamistes,
04:35les Druzes, l'opposition laïque, ils se sont tous ligués ces derniers jours, ces
04:41dernières heures, pour tous être d'accord, et faire tomber Assad.
04:47Et vous Hugo Michron, je rappelle que vous avez vécu en Syrie, 2008, 2009, vous avez
04:52travaillé sur le djihadisme local, votre sentiment, votre analyse face à l'effondrement
04:58d'un coup du régime Assad ?
05:00En soi, c'est une révolution, c'est un tournant historique, je pense, dans l'histoire
05:04du Moyen-Orient, c'est vrai qu'on savait que ce régime reposait sur une base extrêmement
05:08restreinte, mais on avait fini par s'accommoder avec l'idée qu'en fait, il était impossible
05:13de le faire tomber, la façon dont il avait résisté à 9 ans de guerre civile, en bombardant
05:18sa propre population, 400 000 morts, en fermant une grande partie de l'opposition de tous
05:24bords dans des camps de concentration, on avait fini par vivre avec une sorte d'état
05:29de barbarie qu'était la Syrie, ce qui est d'autant plus impressionnant, et je trouve
05:34qui ouvre encore plus le jeu pour la suite au Moyen-Orient, c'est que cette chute historique
05:39d'Assad intervient, après 14 mois, de transformation de tout le Moyen-Orient à une vitesse extraordinaire.
05:45Si on dézoome de la Syrie pour regarder la région, en 14 mois, on a vu une attaque
05:49d'une ampleur extraordinaire sur le sud d'Israël, on a vu le Hamas se faire en grande
05:53partie détruire, en tout cas son commandement, le Hezbollah en grande partie détruit, l'axe
05:59iranien avec la chute d'Assad coupée, donc on est là sur des transformations géopolitiques
06:04en 14 mois qu'on pouvait à peine imaginer se produire en 14 mois.
06:08Qui sont dingues, qui sont folles, et on va venir sur la suite, sur comment se redessine
06:12mais à une vitesse folle ce Moyen-Orient qu'on pensait figé, qu'on pensait figé
06:17avec des axes bien établis, chacun défendant son territoire, et tout a explosé d'une
06:21certaine manière le 7 octobre, et puis ensuite avec la guerre d'Israël à Gaza, puis au
06:26Liban, etc.
06:27On va en parler, mais juste un mot sur ce régime d'Assad pour ceux qui nous écoutent
06:30ce matin.
06:31Hala Khodmany, vous qui êtes franco-syrienne, mais qui êtes syrienne ce matin comme vous
06:36le dites, expliquez-nous ce que c'était, notamment ces dernières années, le régime
06:40d'Assad.
06:41Parlez-nous de la prison de Sednaya, comment c'était ? On parle d'une des pires prisons
06:44au monde, un abattoir humain.
06:46Cette prison, jusqu'à aujourd'hui, c'est la dernière que la rébellion n'a pas réussi
06:52à libérer parce qu'il y a apparemment des souterrains et des systèmes, on ne sait pas
06:58combien, des centaines, des milliers de gens sont là-dedans, c'est un truc complètement
07:03cauchemardesque.
07:04Bien sûr, c'est plus que 50 ans, on pense à la guerre civile des 14 dernières années,
07:10mais le système de répression, de terreur qui était exercé par la famille Assad depuis
07:16plus de 50 ans, est complètement intégré chez les Syriens et qui sont complètement
07:21terrorisés.
07:22Maintenant, c'est vrai que l'effondrement du régime se révèle au monde, mais moi,
07:29il y a quelque temps que les Syriens me disaient qu'ils sont complètement à la ramasse,
07:36il n'y a plus rien, la corruption est telle, partout, gigangrène, l'armée, les services,
07:43l'administration, etc., qu'ils ne tiennent qu'un sou.
07:47J'ai même quelqu'un qui m'a dit « on souffle dessus, ils tombent ».
07:50C'est ce qu'il s'est passé, ils ont soufflé dessus, il est tombé.
07:54C'est ce qu'on constate, mais on ne pouvait pas y croire.
07:58Et il fallait savoir que l'affaiblissement était tel pour se lancer.
08:05Je pense que Joulal pouvait savoir d'une certaine façon et toute la rébillion, parce
08:09que la population est épuisée par la pauvreté et la corruption.
08:14La situation économique est dramatique, il y a 90% des Syriens qui sont sous le seuil
08:18de pauvreté.
08:19Et c'est ce qui explique l'accueil qui a été fait à ces troupes libératrices,
08:27même à Alep où vraiment c'est loin d'être une ville pro-régime globalement, et à Damas
08:33évidemment.
08:34Est-ce qu'on peut dire ce matin que le régime de Bachar el-Assad est définitivement tombé ?
08:40A-t-il démissionné, comme on l'a entendu hier, de sources russes et que va-t-il se
08:47passer pour lui maintenant, Hugo Michon ?
08:49Déjà, il s'est aussi effondré sur lui-même.
08:52C'est le résultat d'une situation qui résulte de 13 ans de guerre civile dans le
08:58pays.
08:59On a oublié sans doute à quel point ce régime est sorti affaibli.
09:03Ceux qui le portaient encore, outre les parrains russes et iraniens qui faisaient de la Syrie
09:07une sorte de protectorat russo-iranien dans la région, c'est aussi des chefs de guerre
09:13qui s'étaient enrichis sur l'économie de guerre, qui n'étaient pas vraiment loyaux.
09:16C'est un régime qui reposait aussi sur la rente du Cap-Tagon, une drogue qu'ils exportaient
09:20partout au Moyen-Orient.
09:21Il y avait vraiment un décrépissement interne et donc les loyautés étaient très affaiblies.
09:25Effectivement, c'est aussi ce qui explique la rapidité de cet effondrement.
09:29Mais si on regarde sur le temps long, c'est 13 ans de guerre, 13 ans de conflits et quand
09:33même un peuple syrien qui passait par pertes et profits.
09:35On peut l'imaginer devant la justice internationale ? Qu'est-ce qui va se passer pour lui, pour
09:40Bachar el-Assad lui-même ?
09:41Pour l'instant, il est aux mains des Russes, il y a un mandat contre lui.
09:45Je pense que son sort est complètement scellé à celui de Vladimir Poutine, mais on va
09:49voir aussi dans les jours à venir comment se passent les fragments du régime, comment
09:53ils sont abordés par les nouvelles forces qui tirent le pays.
09:57Wassim Nasser, on est sûr qu'il est à Moscou, comme c'est dit ?
10:00A priori, il n'y a aucune raison de douter qu'il soit à Moscou, mais ce qu'il faut
10:05garder en tête aussi, c'est qu'il n'était pas seul.
10:07Il y a des gens qui opéraient, les gens qui ont quitté, les geôliers qui ont quitté
10:13la prison de Sayyed Naya sont partis sans les clés, les Syriens sont en train de creuser
10:16les sous-sols, à mains nues, pour sortir des détenus.
10:19Il y a des Libanais qui établissent 40 ans la prison de Hama, il y a des gens qui retrouvent
10:23les siens alors qu'ils ne savaient même pas s'ils étaient encore vivants.
10:25Et donc, il n'y a pas que lui qui est responsable, c'est un système qui a tenu un demi-siècle
10:30quand même.
10:31Lui, c'est le dernier, on va dire, de la lignée.
10:34Il y a son frère, il y a tous ces gens qui étaient impliqués dans tout cela.
10:39Mais ils sont où tous ces gens ? Ils ont fui le pays ou ils sont basculés sur les zones
10:42littorales qui sont proches, c'est tous ces villes qui sont proches du régime, qui
10:48sont à la huîte, comme on dit, on ne va pas rentrer dans les spécificités.
10:50Exactement, il y en a beaucoup à l'Ataké, qui ont trouvé un refuge à l'Ataké.
10:53Un des plus gros défis aujourd'hui, on va dire, de la rébellion, de HTC en particulier
10:58et de Joulanie aussi, c'est comment gérer cette situation sans effusion de sang et sans
11:03massacre et sans exaction à outrance ? Ce que d'ailleurs, il faut le rappeler, on n'a
11:07pas vu, ce qui est quand même assez étonnant, on n'a pas vu de massacre et d'exaction
11:12systématique.
11:13Pour l'instant, en tout cas, et c'est là où on va se demander qui sont ces islamistes ?
11:19Oui, qui ont progressé si vite, fait tomber le régime en dix jours à peine, on le disait.
11:25Qui sont-ils, leur mouvement et leur chef, Abou Mohamed Al Joulanie ? Comment décrire
11:32les choses ?
11:33Donc Joulanie, c'est un Syrien, il s'appelle Ahmed El Shara, une famille de notables, on
11:39va dire d'Amasen, originaire du Golan, mais qui habitait, son père était fonctionnaire,
11:46qui a été démis par Assad, très jeune, Joulanie, pour faire vite, a rejoint le djihad
11:52en Irak.
11:53D'abord, il a grandi en Arabie Saoudite, il y a eu une période, non ? Enfant, il était
11:58en Arabie Saoudite.
11:59Parce que son père était là-bas, il travaillait là-bas, son père travaillait là-bas.
12:02Je voulais vous épargner tous les petits détails.
12:04Non, mais c'est vrai qu'on découvre cet homme.
12:07Et donc, il a été faire son djihad en Irak, dans les rangs de l'État islamique, il a
12:12été emprisonné par les Américains, il a fait croire aux Américains qu'il était
12:16Irakien de Moussoul, et pas Syrien, libéré au début de la guerre civile syrienne, missionné
12:21par Bagdadi, calife de l'État islamique, pour planter ce qui est devenu le front al-Nusra,
12:26donc en Syrie.
12:27Un an plus tard, il rentre en conflit avec Bagdadi, et ce conflit avec Bagdadi fait éclater
12:32la guerre entre Al-Qaïda et l'État islamique, qui de jusqu'à aujourd'hui, est aux confins
12:35de l'Afrique.
12:36Et puis, il s'est dissocié d'Al-Qaïda en 2016, d'un commun accord, ça il faut le rappeler,
12:40sauf qu'il a trahi les clauses de cet accord, je suis bien placé pour vous le dire, il
12:45a commencé à combattre Al-Qaïda, à emprisonner les gens d'Al-Qaïda, et à faciliter même
12:49leur drônage dans la zone d'Idlib, il était obligé, et je vais terminer sur cet aspect
12:54important, de purger ces rangs des plus radicaux, des djihadistes étrangers, il en reste, dont
12:59des Français, dans les rangs, mais ils sont tenus de manière très dure.
13:03Ceux qui ne se soumettent pas, sont emprisonnés, envoyés ailleurs, voire tués, donc il tient
13:08Idlib d'une main de fer, et ce qu'on a vu se déployer sur le terrain, aujourd'hui,
13:13le prouve, ça n'en fait pas un grand démocrate, ça n'en fait pas un grand libéral, il faut
13:17se rappeler quand même de ça, c'est la Sharia qui règne à Idlib, mais ce n'est pas celle
13:22des talibans, ni celle de l'État islamique, c'est quelque chose de très différent, ce
13:26que j'ai appelé moi quand j'ai écrit dessus, la troisième voie, on a pour la première
13:29fois un groupe, quelqu'un avec ce CV djihadiste très fort, qui dit que le djihad global était
13:35une erreur, le terrorisme international était une erreur, voilà une troisième voie, et
13:40voilà, on découvre tout ça, tout ça c'est inédit.
13:42Question de Fabien sur l'application de Radio France, n'est-ce pas la victoire du choléra
13:46contre la peste, Hugo Michon et Alaa Khodmani ?
13:50En fait c'est très dur, face à l'ampleur de l'événement, de tout de suite basculer
13:56sur un discours qui serait rabat-joie, mais ce qui est sûr c'est que la chute d'Assad
14:01est une énorme nouvelle, la question qui se pose c'est qui, la personnalité et les
14:07groupes qui vont gérer la Syrie maintenant, et c'est difficile de se réjouir quand on
14:11voit ce que pouvait être le mouvement anti-Bashar en 2011-2012, quand on voit la nature de celui
14:15qui tient aujourd'hui la corde raide à Damas Joulani, de se réjouir totalement, parce que
14:21je suis d'accord avec le fait que c'est un très fin communiquant qui l'a mis en
14:25avant un système de rupture avec Al-Qaïda, ça n'en lève pas moins que c'est quand même
14:29un salafiste assez chevronné, et que dans le système qu'il promeut, il a été hyper
14:35habile, je crois qu'il a entamé une transformation et il a tiré un certain nombre d'enseignements
14:39des erreurs d'Al-Qaïda et de Daech, à savoir qu'il ne fallait surtout pas se précipiter
14:44dans tout ce qui va alerter l'Occident, donc il donne énormément de gages, il a retourné
14:48sa veste au sens propre, c'est-à-dire qu'il a carrément troqué le turban pour un tri.
14:53C'est très intéressant comment il apparaît physiquement, comment il a mis cette veste
14:59militaire, il a donné des signes et des gages de rassurage, de rassurance des Occidentaux,
15:05on le voit bien.
15:06Oui, ça s'appelle aussi de la communication, là où je pense qu'il faut faire attention
15:08c'est que si on se précipite immédiatement pour prendre à la lettre tous ces signes,
15:12on risque de faire une erreur, on n'a rien à perdre je pense à être extrêmement prudent,
15:16c'est quelqu'un qui est un fin politique, il l'a démontré tout au cours de sa carrière,
15:20un pédigré djihadiste ou un homme le bras, là il dit qu'il a changé depuis quelques
15:24années, je pense qu'à minima, il faut pouvoir attendre et juger sur pièce, à minima.
15:28Après il faut rappeler quand même, si je peux me permettre, que les changements qui
15:32servent évidemment à sa communication lui coûtent très cher.
15:35Moi j'ai rencontré leur idéologue en chef, Haïd Lib, son second, qui a été tué par
15:40un kamikaze en début d'année de l'État islamique à cause des changements.
15:43Quand ils ont permis la mixité dans les centres commerciaux, il y a des plus radicaux qui
15:46venaient tirer sur les centres commerciaux de la nuit.
15:49Quand les gens voyaient les gens fumer dans la rue, ils disaient « Allez où la police
15:52islamique ? ». Il a dissous la police islamique, en estimant que ça n'avait pas lieu d'être.
15:56Il a fait un gouvernement du salut, qui est une sorte d'administration à Haïd Lib et
16:00qu'il duplique à Alep.
16:01Donc il y a des choses qui sont coûteuses en interne vis-à-vis des éléments les plus
16:05radicaux.
16:06Et juste dernière chose, j'ai rencontré un prêtre quand j'étais à Jérusalem,
16:10qui a été nommé évêque depuis, par le pape, par Rome.
16:13Ce même évêque, il y a eu une rumeur il y a quelques jours, Kamka a été nommé par
16:16Jolanie, gouverneur d'Alep.
16:18Cette rumeur venait des ennemis de Jolanie, pour créer les dissensions dans ses rangs,
16:22où ses mouvements les plus radicaux.
16:23Vous parlez des évêques, vous parlez des chrétiens, et c'est là où on va parler
16:25évidemment des minorités, parce que la Syrie c'est des minorités, il y a des chrétiennes,
16:29ismaéliennes, etc.
16:30Est-ce qu'elles doivent s'inquiéter aujourd'hui ?
16:33Pour l'instant, c'est vrai qu'il fait un effort, que Jolanie est en train de déployer,
16:40un effort de relations publiques, notamment à l'adresse de l'Occident, qui allait
16:46protéger les messes dimanche à Alep, il y a tout un effort, pareil avec les druses,
16:54etc.
16:55Il faut continuer de l'observer, il faut continuer de le voir pour le croire, parce
17:02qu'évidemment, on ne va pas tout croire comme ça.
17:06En même temps, il ne faut pas céder à l'islamopanique, genre, attention, c'est des islamistes,
17:14c'est peut-être, on aurait dû garder Bachar, qui a fait durer la guerre 13 ans.
17:18Donc, il faut juste rester un peu raisonnable.
17:23Moi, je vois, ce que je peux vous dire simplement, c'est que les premiers jours de l'attaque,
17:28quand Jolanie a lancé l'offensive, j'ai suivi tous les intellectuels syriens laïcs
17:34exilés en place, etc, qui disaient, oh là là, ah bah non, si c'est Jolanie à la place
17:40d'Assad, c'est non merci.
17:42Et puis, petit à petit, au bout de 3-4 jours, après Alepre, après Hamas, etc, ah mais
17:48finalement, ce gars-là, il va nous libérer.
17:50C'était un peu ça.
17:52L'islamopanique, Hugo Michron, qu'on peut entendre aussi en France et dans les capitales
17:57occidentales, on se dit, oh là là, le barbu arrive, etc, comment vous, comment rassurer
18:03ceux qui nous écoutent ce matin ? D'ailleurs, faut-il les rassurer ?
18:06Non, en fait, ce qu'il faut être, c'est, il faut être subtil.
18:08Là, on a un mouvement qui a été, qui est tenu par un islamiste quand même très radical
18:13depuis longtemps, il arrive, il prend en partie le pouvoir, avant même, je crois, avant même
18:17de se poser la question de la nature du prochain régime, il faut déjà voir ce qu'il va
18:21devenir de la Syrie.
18:22C'est-à-dire qu'en fait, on ne sait pas ce qu'il va devenir, c'est une instabilité
18:25aussi énorme.
18:26Il y a une révolution.
18:27On le sait très bien, les révolutions, déjà, par définition, ouvrent un certain
18:31nombre de questions.
18:32Là, il y a deux scénarios potentiels qu'il faut avoir en tête.
18:34Il y a un scénario où, en fait, il y a la déréliction interne de ce mouvement-là
18:37et ça donne un scénario potentiellement à la Libyenne qui serait absolument catastrophique
18:41pour la région.
18:42Il y a un autre scénario plutôt à l'irakienne où, en fait, on a, autour de HTC, la Turquie
18:48qui insuffle une sorte d'une forme de structuration politique au régime et qui va stabiliser.
18:53Il y a un islamisme modéré, c'est ce que c'est ? Vous employez quoi comme terme ?
18:56Ce que je veux dire, c'est qu'avant même de se poser la question de la nature du régime,
18:59il faut voir ce qu'il va devenir dans les deux prochains mois.
19:01Ils tiennent un axe en Syrie, il reste toute la question de la côte et il reste toute
19:04la question de l'Est syrien qui est la proie des djihadistes de Daesh.
19:07Ce qu'on a vu historiquement avec des groupes qui ressemblent beaucoup à HTC, comme par
19:10exemple les talibans, même si ce n'est pas du tout le même pays et le même groupe,
19:14c'est qu'immédiatement dans leur sillage, on a vu les groupes djihadistes.
19:16Et ce qu'évoquait Wassim Nasr à l'instant est important, c'est-à-dire qu'il y a effectivement
19:20des groupes plus modérés sur sa gauche, il y a aussi des groupes beaucoup plus radicaux
19:23sur sa droite.
19:24On a des questions sur l'application d'Inter sur les syriennes.
19:28Ont-elles de quoi être inquiètes de l'arrivée de fondamentalistes religieux au pouvoir ?
19:33Les femmes.
19:34C'est-à-dire qu'il faut distinguer les choses.
19:37Il faut dire d'abord que surtout les syriennes qui sont restées en Syrie, parce qu'il y
19:43a une grande partie qui sont parties, sont quand même des musulmanes conservatrices.
19:49Je veux dire, la région des Hedlibs ou d'Alep où étaient, mais même aussi dans les banlieues
19:55de Damas, dans les banlieues d'Alep, etc.
19:58C'est une société conservatrice, très croyante, très musulmane.
20:01Ça ne veut pas dire qu'ils sont islamistes politiques.
20:03Mais la place des femmes est de toute façon effacée.
20:07Maintenant, est-ce que ça va être pire ? Je ne pense pas.
20:12Il n'y a pas de mesure particulière qui soit contre les femmes.
20:16Et puis finalement, on a vu les femmes dans les rues hier, célébrer la chute du régime,
20:22en plein Damas.
20:23Beaucoup ont été voilées, mais encore une fois, on est dans une société très conservatrice
20:29et musulmane.
20:30Ça fait un peu de temps.
20:31D'un mot, on ne peut pas ne pas parler de l'Iran, évidemment, puisque c'est la grande
20:35défaite de l'Iran et qu'on peut se demander aujourd'hui que ses alliés, le Hezbollah,
20:40le Hamas et maintenant Bashar al-Assad, sont tombés.
20:42Le prochain, c'est l'Iran.
20:45L'Iran, quand même, c'est la chute d'une stratégie de 30 années de financement, de
20:5040 années où ils ont financé ces groupes-là pour garder leur axe dans le Proche-Orient.
20:55Qu'est-ce que ça veut dire pour l'Iran, Wassim Nasser ?
20:57Le plus important, ça va nous ramener un peu à la peur des islamistes, etc.
21:02C'est qu'il y a 10 ans, au début de la guerre en Syrie, tout le monde a fermé les
21:06yeux sur cette avancée des Iraniens en Syrie, avec les milices chiites, avec Qassem Soleimani
21:11qui faisait des combats à Alepse et en Irak sous couverture de l'armée, de l'air américaine
21:17quand même.
21:18Fermé les yeux parce que tout le monde était concentré, guerre contre le terrorisme, guerre
21:21contre les djihadistes.
21:22Ça, c'est fini.
21:23Là, les Américains ont vu Assad qui commence à tomber, ils n'ont pas hésité une seconde
21:27à taper les milices chiites, à empêcher les milices chiites de passer de l'Irak vers
21:31la Syrie.
21:32Donc, tout le monde revoit ses priorités et cette guerre contre le terrorisme, depuis
21:3620 ans, n'a pas porté ses fruits.
21:37Donc, tout le monde revient à des stratégies beaucoup plus réalistes.
21:41Les Américains se sont quand même assis face à face, autour d'une table, face à
21:44des anciennes détenues de Guantanamo, talibans, pour faire leur sortie d'Afghanistan.
21:49Donc, tout le monde aujourd'hui réalise que la guerre contre le terrorisme était
21:53une aberration.
21:54On ne peut pas tout mettre dans le même sac, qu'il faut faire de la diplomatie, qu'il
21:57faut faire des négociations.
21:58Et si les femmes à Alep, comme à Idlib, continuent d'aller à l'université, continuent
22:03d'aller à l'école, continuent d'avoir des droits, et que ce n'est pas comme à
22:06Takandahar, c'est mieux que rien du tout.
22:09Vous êtes d'accord, Hugo Michon ?
22:11Ce que je pense au niveau géopolitique, c'est que l'Iran vient de perdre, en l'espace
22:18de quelques mois, un énorme, à peu près tous les instruments de son influence.
22:23Il avait fondé, depuis 20 ans, toute son influence sur la capacité d'avoir des
22:27supplétifs Hezbollah, des supplétifs en Syrie, des supplétifs au Yémen et dans la
22:32bande de Gaza, pour contrer Israël.
22:34Tout ça s'est effondré en quelques mois.
22:35Et en fait, il y a un axe de la géopolitique internationale qui était hyper structurant,
22:40qui partait de l'Iran, qui allait jusqu'au Liban, via l'Irak et la Syrie.
22:44Cet axe-là est en train de s'effondrer, donc ça va créer un vide géopolitique.
22:48Par quoi est-ce qu'il va être rempli ? On ne sait pas encore.
22:50La Syrie risque d'être un des grands espaces de ces reconfigurations, et c'est ça qui
22:54va jouer dans les prochains mois.
22:55Et on n'est pas à l'abri, à la vitesse où vont les choses, de penser que l'Iran
22:58lui-même, le régime iranien lui-même, peut être en proie à des grands troubles internes,
23:03voire potentiellement à une remise en cause.
23:05Vous partagez cette analyse à la Codemany sur l'Iran ?
23:08Tout simplement, la Syrie a fait, d'abord la Syrie elle-même, le terrain syrien est
23:14sorti du congélateur, parce que ça fait des années que plus personne n'a eu une
23:19politique syrienne.
23:20Ni l'Europe, ni les Etats-Unis, ni rien du tout, bon, c'est bon, c'est gelé.
23:24Elle réapparaît sur la carte.
23:25Maintenant, l'Iran a pris une claque, mais monumentale en Syrie.
23:29Et je crois que les Iraniens ont même été choqués eux-mêmes de l'état de délabrement
23:36dans lequel était ce régime de Bachar Al-Assad qu'ils étaient en train de porter à bout
23:40de bras.
23:41Merci à tous les trois, à la Codemany, Hugo Michon et Wassim Nasr.
23:45Merci d'avoir été au micro d'Inter ce matin.

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