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La journaliste Caroline Fourest et le chercheur Hugo Micheron reviennent sur l'attaque au couteau vendredi à Arras. Un enseignant est mort, tué par un jeune homme radicalisé. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20/l-invite-de-8h20-du-we-du-samedi-14-octobre-2023-7085221

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00:00 Le grand entretien au lendemain de l'assassinat de Dominique Bernard par un terroriste islamiste.
00:05 Trois ans après la mort de Samuel Paty, encore un professeur tué.
00:09 Trois autres personnes ont été blessées.
00:11 Retour ce matin sur l'attaque au lycée d'Arras et sur les nombreuses questions que pose cet
00:16 attentat.
00:17 Vos questions, vos réactions au 01-45-24-7000 ou sur l'application France Inter.
00:22 Avec Marion Lourds, nous recevons deux invités, Caroline Fourest et Hugo Micheron.
00:27 Bonjour à tous les deux.
00:28 Et bienvenue Caroline Fourest, ancienne de Charlie, vous êtes directrice de l'hebdomadaire
00:33 Frontierreur qui fête cette semaine sa centième édition.
00:36 Essayiste, vous êtes l'autrice du génie de la laïcité.
00:40 Hugo Micheron, docteur en sciences politiques, maître de conférences à Sciences Po.
00:45 Vous avez publié « La colère et l'oubli, les démocraties face au djihadisme européen
00:50 ». C'est chez Gallimard.
00:51 Partons, malgré le choc, malgré l'assidération, malgré la douleur de l'analyse que vous
00:58 faites de cet attentat, de cet assassinat de Dominique Bernard.
01:02 C'est comme si ce n'était pas une surprise pour vous, Caroline ?
01:07 Non, j'en parlais le matin d'ailleurs avec des proches et avec des membres du journal
01:10 en disant qu'on devait s'attendre à une attaque dans la journée parce que c'était
01:14 le vendredi qui suivait, et le vendredi est souvent le jour favorisé par les attaques
01:18 et par les terroristes, c'était le jour qui suivait des consignes mondiales de leaders
01:21 du Hamas, dans un climat où il y a toujours les mêmes failles, c'est-à-dire il y a
01:26 toujours une atmosphère prête à désigner beaucoup de gens comme étant islamophobes,
01:32 l'école laïque notamment, et donc l'école laïque, une fois de plus, a été frappée.
01:35 C'est la volonté de répéter Samuel Paty ?
01:39 Il semble, on va le savoir un peu plus dans les jours qui viennent, mais le fait de vouloir
01:43 demander à un professeur, si il est professeur d'histoire, effectivement ça rappelle l'envie
01:50 d'assassiner quelqu'un comme Samuel Paty, en fait un hussard de la République, tout
01:54 simplement, parce que c'était ça Samuel Paty.
01:56 Tuer parce que prof, c'est la lune de libération aujourd'hui, Hugo Michron, qu'est-ce qui
02:01 vous frappe ? Est-ce que c'est l'éternelle répétition du même de ce djihadisme européen
02:06 que vous avez analysé depuis des années maintenant ou est-ce qu'il y a quelque chose
02:10 d'inédit, de nouveau ?
02:11 Il n'y a pas d'éternelle répétition, ce que je pense qui est très important de comprendre
02:17 c'est qu'il n'y a pas de djihadisme par intermittence, il n'y a pas des attentats
02:21 comme ça qui tout d'un coup nous révèlent un élément djihadiste.
02:24 Le djihadisme c'est des flux et des reflux et ça c'est très important de le comprendre,
02:27 il y a des dynamiques et en l'occurrence ce sont des dynamiques qui existent depuis
02:31 maintenant 30 ans et en l'occurrence depuis 2-3 ans on était plutôt dans un flux de
02:37 marée basse mais avec des mutations très fortes et ce qui vient de se passer...
02:41 Lesquelles ?
02:42 Et bien justement, ce qui vient de se passer, la démonstration des mutations en cours.
02:46 Premièrement, en France, le djihadisme se projette contre l'école, ce ne sont pas les
02:52 seuls, il participe d'une offensive contre l'éducation nationale qui est perçue comme
02:56 le cœur, le fondement et le symbole même de la république qu'il faut mettre à terre
03:00 pour les djihadistes.
03:01 Ça c'est le premier point.
03:02 Le deuxième point, c'est quand on regarde de plus près cet individu, on voit bien qu'il
03:06 est dans un environnement extrêmement radicalisé à plusieurs niveaux dans sa famille et ça
03:12 c'est une mutation de cellules terroristes vers des cellules familiales qu'on a vu s'opérer
03:17 avec Daech.
03:18 Là, il est un peu tôt pour savoir où est-ce qu'on en est dans ces dynamiques de flux
03:23 et de reflux mais on a un contexte international qui met une énorme pression, on a des appels
03:27 aux djihadistes, il faut rappeler qu'Al Qaïda avait également menacé la France.
03:30 Donc la question c'est de savoir est-ce qu'on est au début d'un nouveau cycle qui se fera
03:34 à des niveaux plus élevés que les cycles précédents.
03:36 Sachant que si on regarde les trois derniers cycles, ce que j'ai essayé de mettre en avant
03:41 dans le livre, c'est qu'il y a eu un cycle par décennie et à chaque fois les pics ont
03:44 été atteints à peu près au milieu des décennies.
03:46 Donc il faut avoir tous ces éléments en tête pour ne pas faire de cet individu un
03:50 cas isolé, ce serait extrêmement grave, mais pour ne pas non plus tomber dans une sorte
03:54 de perte de sens où on ne sait plus quoi en penser.
03:56 Vous parlez de l'école, est-ce que dans ce contexte, vous dites que c'est une cible,
04:00 elle représente la République, est-ce que dans ce contexte, la politique menée par
04:05 Gabriel Attal par exemple en disant "on interdit les abéas et les camis à l'école", c'est
04:09 positif, ça peut lutter, prévenir ça ou au contraire c'est une source de crispation ?
04:14 Sur la partie politique, à la limite, je mets ça de côté pour répondre vraiment
04:19 sur le fond de la question et à savoir de quoi la question de la baïa était le nom.
04:25 En fait, on était sur une offensive très claire qui n'a pas commencé en septembre
04:29 2023, ça fait 3-4 ans qu'on a maintenant une offensive, plutôt menée par les réseaux
04:35 fréristes et les réseaux salafistes, contre l'école pour intégrer des éléments qui
04:39 vont distinguer les élèves sur la base de leur confession.
04:42 C'est la baïa en septembre 2023, mais il y a eu tout un tas d'autres éléments avant
04:47 et donc ce qu'il faut bien voir c'est qu'évidemment on n'est pas sur une logique
04:50 djihadiste mais on était sur la logique de fragiliser l'école comme une espèce de
04:54 laïcité, mais au-delà de ça, c'est-à-dire le système éducatif pour les islamistes
05:01 à l'heure actuelle, le point fort de la République c'est son système éducatif
05:05 et le point faible c'est qu'on peut intimider des professeurs, notamment quand des djihadistes
05:10 passent à l'acte.
05:11 C'est toujours pareil, on peut prendre le film à un moment et considérer que répondre
05:16 et se défendre c'est une attaque, mais la réalité c'est que justement l'islamisme
05:20 est assez bien organisé, il a plusieurs branches et chez les frères musulmans il y en a toujours
05:23 deux, il y a une branche qui crée le désordre et qui crée les provocations, par exemple
05:28 qui fait monter les demandes de voile, puis la République est obligée de prendre une
05:31 mesure pour calmer le jeu à l'école publique par la loi de mars 2004, puis la branche
05:35 politique crie à l'islamophobie, ensuite ils font monter les abaya et les abaya ça
05:40 monte depuis 2011, moi je l'ai vu dans des lycées de Saint-Ouen, c'était le collectif
05:43 du cher Yassine qui a mené la Kabbal contre Samuel Paty et qui s'appelle cher Yassine
05:50 pourquoi ? Parce que c'est le fondateur du Hamas et qu'ils sont en admiration pour
05:53 le Hamas, ce collectif a fait monter aussi la crise de l'abaya, puis des comptes TikTok
05:58 fréristes ont pris le relais les deux dernières années pour que ça devienne invivable dans
06:01 les salles de classe, pendant dix ans la République a dit "on va pas réglementer, on va calmer
06:07 le jeu" et puis c'est tellement monté qu'enfin un ministre de l'éducation nationale
06:10 a dit "maintenant il faut qu'on dise aux professeurs quoi faire et calmer le jeu et
06:14 maintenant on va avoir des gens qui vont vous expliquer que c'est à cause de ça que
06:17 l'école laïque est frappée".
06:18 Je vais vous dire franchement les choses, moi ce qui me fatigue dans ces affaires là,
06:22 des terroristes il y en aura toujours, des tchétchènes qui ont un couteau de cuisine
06:26 et qui vont tuer un professeur, c'est quelque chose malheureusement d'assez facile à
06:29 faire, je pense qu'il faut sérieusement se poser des questions sur les trous dans
06:33 notre bouclier et les trous dans notre bouclier ce sont des associations qui empêchent d'expulser
06:39 des gens qui prônent le terrorisme, ce sont des journalistes qui expliquent que les politiques
06:45 créent des problèmes quand ils essaient de se défendre, ce sont tous les gens qui
06:49 viennent après ceux qui défendent la laïcité et là on n'aura pas le temps ce matin mais
06:52 je crois que dans les jours qui viennent il va falloir avoir cette conversation.
06:55 Tous les politiques qui ont essayé de défendre l'école laïque et la laïcité ont été
07:00 pris en chasse, regardez ce qui est arrivé à Jean-Michel Blanquer, ce qui est arrivé
07:03 à Manuel Valls, ce qui est arrivé à Marlène Schiappa, on peut les critiquer, j'ai plein
07:07 de désaccords avec les trois d'entre eux sur plein de dossiers mais s'ils se sont
07:11 fait prendre en chasse par la gauche autruche, par la gauche médine, par la gauche qui n'arrive
07:15 pas à dire terroriste à propos du Hamas, c'est parce qu'ils ont défendu la laïcité.
07:19 Question à tous les deux, hier Gérald Darmanin le ministre de l'intérieur était sur TF1
07:24 et il disait que cette attaque terroriste survenait, je le cite, dans une atmosphère
07:29 extrêmement négative, celle du conflit entre Israël et le Hamas.
07:33 On ne peut pas faire abstraction de ce contexte-là et ça rappelle une expression qui a été
07:39 utilisée il y a quelques années, celle d'un djihadisme d'atmosphère.
07:44 Hugo Michron ? Ce que j'essaye de montrer c'est que le djihadisme
07:49 n'est pas tant dans l'atmosphère qu'ancré dans les territoires et d'ailleurs c'est
07:53 très intéressant de voir que l'appel du Hamas et les exactions du Hamas de la semaine
08:00 dernière, les massacres, ont été claironnés dans des lieux très spécifiques.
08:08 Ils appelaient un jour de colère hier.
08:10 Il y a deux éléments, la semaine dernière, moi j'ai été très frappé de voir qu'à
08:15 Malmö en Suède, à Rotterdam aux Pays-Bas, à Molenbeek à Bruxelles, on voyait des manifestations
08:21 claires de soutien et de joie après les massacres du Hamas dans le sud d'Israël.
08:26 Ça c'est des endroits que je viens de citer, c'est parmi d'autres, mais c'était
08:30 le cœur de la géographie djihadiste européenne au moment de Daesh.
08:34 Donc ça c'est le premier point.
08:35 Le deuxième point c'est effectivement, donc il y a une géographie, on est ancré
08:38 dans les territoires mais il y a une autre dimension et c'est celle que vous rappelez
08:41 avec cet appel au djihad d'un des chefs du Hamas, c'est que désormais il y a la
08:47 dimension d'internet qui vient connecter des individus.
08:50 Si on regarde le profil encore une fois de ce tueur, c'est une cellule familiale qui
08:55 a l'air assez isolée mais en réalité elle était extrêmement connectée à tout
08:58 ça.
08:59 Et donc il y a des mots d'ordre qui circulent, qui sont récupérés, qui sont amplifiés
09:01 pour passer à l'action et là maintenant on est dans un contexte où, si vous voulez,
09:05 internet et les réseaux sociaux sont saturés de ces mots d'ordre.
09:08 On va en parler d'internet, on va en parler parce qu'il y a la question des fake news
09:11 et de la désinformation, mais cette question de l'atmosphère extrêmement négative
09:15 caroline fourrest, celle du conflit entre Israël et le Hamas, dont parlait Gérald
09:20 Darmanin, c'est assez frappant parce que ça semble à des années-lumière de ce qui
09:24 a pu se produire dans une école avec un homme qui saisit un couteau pour aller s'en prendre
09:29 physiquement et tuer un professeur.
09:32 Oui mais encore une fois reprenons l'enchaînement des faits même s'ils vont s'éclaircir.
09:36 Vous avez une famille entière dont le père a des sympathies djihadistes, les trois frères
09:40 ont des sympathies djihadistes, publient des contenus haineux depuis des années et visiblement
09:46 ont envie de frapper soit des juifs soit des professeurs depuis des années.
09:50 Et quand il y a une galvanisation par l'actualité, parce que ce sont tous des gens qui ont envie
09:56 d'être des héros, ce qui les pousse à passer à l'acte souvent, ils ont envie
09:59 de leur moment de gloire.
10:00 Alors ce ne sera pas auprès forcément de gens comme nous mais ce sera pour eux, ils
10:04 passeront à la télévision d'une façon ou d'une autre.
10:06 Dans le cas du tueur de Samuel Paty, il y avait eu avant des consignes de Daesh qui
10:10 visaient spécifiquement la France.
10:12 Dans le cas du tueur de Dominique Bernard, il a suffi de la galvanisation des actes du
10:18 Hamas pour se dire "ah bah moi aussi je sais, c'est comme la coupe du monde, vous
10:21 regardez la coupe du monde, vous avez envie de mettre votre maillot, vous êtes chez vous
10:24 et vous avez envie d'y participer".
10:25 La comparaison est étonnante.
10:26 Oui mais il faut se mettre dans la tête de ces gens là parce que c'est beaucoup plus
10:28 simple qu'on ne le pense en réalité leur façon de fonctionner.
10:31 Donc ils voient le Hamas qui commet des crimes et des massacres, dans leur monde à eux,
10:36 c'est positif.
10:37 Ils ont envie d'en être, leur façon d'en être c'est de prendre un couteau de cuisine
10:41 et d'aller attaquer un professeur.
10:42 Maintenant, éviter qu'ils aient envie de s'en prendre à des professeurs, ça, ça
10:46 dépend de nous.
10:47 Les arrêter avant, ça dépend des services de police.
10:50 Faire en sorte qu'ils ne pensent pas que s'en prendre à un professeur de l'école
10:53 laïque, c'est une cible qui va leur rapporter de la gloire, ça, ça dépend de nous.
10:57 Alors justement, Égo Michelon, l'Elysée annonce ce matin 7000 soldats mobilisés de
11:01 la force Sentinelle.
11:03 L'éducation va déployer 1000 personnes pour la sécurité des écoles, des personnes
11:06 qui sont rattachées au rectorat.
11:08 C'est ça vraiment la réponse ?
11:09 Non, évidemment non.
11:10 Ça c'est très très important pour la dimension sécuritaire.
11:13 Mais à partir du moment où le djihadisme ne se limite pas à des attentats, il y a
11:16 toute la question politique.
11:17 Et là, de ce point de vue là, il faut voir aussi quelles sont les ressources vives des
11:21 démocraties européennes.
11:22 Et on a dévitalisé un certain nombre de principes qui sont ceux-là même que les
11:25 djihadistes visent précisément.
11:26 Liberté d'expression, liberté de conscience, capacité d'émancipation par l'école.
11:31 Et donc c'est tout ça qui est en jeu.
11:33 Et je pense qu'il faut encore une fois analyser très finement le profil de cet individu
11:38 et ce qui s'est passé pour voir qu'est-ce qu'il y a de général derrière.
11:41 Cet individu, de ce point de vue là...
11:43 Il n'a pas parlé pour le moment alors qu'il est en garde à vue et qu'il est interrogé.
11:47 Mais on a des choses à apprendre.
11:49 Il pourrait donner des informations utiles pour comprendre les motivations de son acte
11:54 par exemple ?
11:55 Oui et non.
11:56 C'est-à-dire qu'il risque aussi de se figer dans le silence parce que ce qu'ils font régulièrement
12:00 c'est qu'ils prônent le désaveu.
12:02 C'est-à-dire qu'à partir du moment où ils commettent leur attentat, ils se figent
12:05 dans le silence pour absolument montrer qu'ils n'ont aucune forme de respect pour ce système.
12:09 En revanche, il y a un élément très important, c'est la tentative d'expulsion de cet individu
12:14 et de certains membres de sa famille en 2014 qui a été empêchée par des groupements
12:20 militants proches de l'extrême gauche.
12:22 Et ça, ça peut paraître bête, mais ça rappelle alors en plus petit, mais un autre
12:26 phénomène qui s'était produit à Bruxelles quand Oussama Attar, qui n'est rien d'autre
12:31 que celui qui deviendra l'organisateur des attentats du 13 novembre à Paris, avait été
12:35 détenu en Irak et il y avait tout un tas de collectifs qui avaient voulu le rapatrier
12:39 en le présentant comme une victime.
12:41 Et cet individu, sitôt retourné en Belgique, avait commencé à préparer les réseaux
12:44 terroristes qui vont passer à l'action quelques années plus tard.
12:47 Donc il y a une naïveté et une invisibilité du djihadisme pour la préparer.
12:51 On est d'accord Caroline Fauré, c'est un constat qui nous rassemble évidemment avec
12:57 Hugo Michon et toute personne qui travaille sur l'intégrisme.
12:59 Mais ça fait des années que vous dénoncez la naïveté, la différence.
13:03 Je ne sais plus quoi faire, je vais vous le dire franchement.
13:05 Je ne sais plus quoi faire parce que les mêmes continuent et ils ne s'arrêtent jamais.
13:08 C'est-à-dire qu'en fait, après les attentats de Toulouse, on a cru qu'ils allaient arrêter
13:12 de s'en prendre à ceux qui alertaient.
13:13 Ils ont continué.
13:14 Ils s'arrêtent pendant deux semaines, je vous rassure.
13:16 Ils reprennent du service généralement un mois après.
13:19 Après les attaques contre Charlie, on s'est dit là quand même, ils vont arrêter.
13:22 Ils ne sont pas arrêtés.
13:23 Après les attaques de 13 novembre, ils ont continué.
13:24 Donc je ne suis pas inquiète, ils vont continuer.
13:26 Et on sait exactement qui en fait, parce que ce ne sont pas si nombreux à entraver l'action
13:30 et de l'Etat et des laïcs.
13:31 Mais qui ?
13:32 J'ai plein de noms.
13:33 Je peux vous citer des grands professeurs qui sont des compagnons de route, des indigènes
13:37 de la République.
13:38 Un mouvement qui soutient le Hamas.
13:39 Je peux vous citer des gens comme Éric Fassin, comme François Bégaudot qui s'est pris d'amour
13:42 pour Yabout Edja.
13:43 Je peux vous parler de la gauche Mediapart qui attaque tout politique, qui défend la
13:47 laïcité.
13:48 Vous dites que c'est de leur faute s'il y a des attentats aujourd'hui ?
13:49 Je leur dis que c'est de leur faute si ceux qui se battent pour défaire l'islamisme
13:53 avant qu'il ne se transforme en djihadisme sont si fatigués.
13:56 Voilà.
13:57 Je leur dis que si dans ce pays, on n'est pas capable de se réunir autour du fait que
14:01 non l'école laïque n'est pas responsable du racisme dans ce pays et de l'islamophobie.
14:04 Je vous dis que tant qu'il y a des professeurs qui dans leur salle de classe sont parfois
14:10 proches de syndicats qui pensent que la loi de mars 2004 est islamophobe, qui font des
14:14 réunions avec des mouvements proches du Hamas.
14:19 S'il y a des partis politiques dans ce pays qui ne peuvent pas dire que le Hamas est un
14:22 mouvement terroriste, je vous dis que c'est très difficile pour des professeurs dans
14:25 leur salle de classe de désamorcer, d'avoir les arguments, d'avoir la force de désamorcer
14:30 les intégristes qui sont le terreau du djihadisme.
14:33 Voilà.
14:34 Donc évidemment ne raccourcissez pas mon propos.
14:35 Je le dis dans cette complexité là.
14:39 Et je prendrai le feu de tous ceux que j'ai nommés comme d'habitude.
14:42 Mais ce que je veux dire, c'est que c'est la chose sur laquelle on peut agir.
14:46 Moi je ne suis pas dans les services de renseignement.
14:48 On peut agir.
14:49 Mais bien sûr qu'on peut agir.
14:50 Parce qu'il y a de nombreuses questions d'auditeurs sur cette question.
14:52 Comment se prémunir ? Comment agir ? Que faire ?
14:54 Mais oui, mais chaque fois que les gens veulent agir, il y a des gens qui se mettent en travers.
14:57 Et après, on se demande pourquoi l'extrême droite monte.
14:59 Pourquoi l'extrême droite arrive à expliquer à leurs électeurs que l'Etat est impuissant.
15:02 Mais l'Etat ne veut pas être impuissant.
15:04 Il y a des gens qui le rendent impuissant.
15:06 Mais ça c'est un sujet sur lequel vous avez travaillé Hugo Michron.
15:08 Et c'est assez paradoxal de voir que ces djihadistes cherchent à faire monter l'extrême droite.
15:14 Mais alors avec quel objectif ? Parce que ça semble assez paradoxal.
15:19 Non, ce n'est pas si paradoxal.
15:20 L'objectif c'est l'implosion.
15:21 Et en fait, l'objectif c'est la polarisation.
15:23 C'est exactement la situation dans laquelle on se retrouve aujourd'hui.
15:25 C'est-à-dire qu'en fait, il n'y a plus rien au milieu.
15:27 Il y a deux extrêmes qui disent exactement les choses opposées.
15:30 Et en fait, chacun croit un peu ce qu'il veut ou ce qu'il peut.
15:33 Et donc c'est justement de cet étoté-là dont il faut sortir.
15:37 Et pour ça, il y a plusieurs moyens.
15:38 Alors déjà, c'est bête, mais le premier point minimal, à mon sens, en démocratie,
15:43 c'est de comprendre.
15:44 Et c'est pour ça aussi qu'il y a des chercheurs, et j'espère en faire partie,
15:48 qui tentent de poser le diagnostic et de le poser de façon la plus fine possible.
15:52 Le deuxième élément, c'est d'arrêter de croire qu'on ne peut rien faire.
15:56 Les démocraties européennes, elles ont à peu près tout connu dans leur histoire.
15:59 Je pense qu'on peut gérer quelques milliers de djihadistes à l'aune de 250 ans de développement
16:05 de la démocratie.
16:06 Mais pour ça, il y a un élément qu'il faut comprendre, c'est qu'il faut arrêter
16:08 de dévitaliser tous les principes démocratiques.
16:11 Il faut comprendre que ça a de la valeur et que quand on parle de liberté d'expression,
16:14 ce n'est pas juste un slogan qu'on lance en l'air.
16:16 C'est aussi de comprendre qu'est-ce qui se joue.
16:20 Les djihadistes, encore une fois, sont des groupements très politiques.
16:23 Ce sont aussi, et c'est ce qui se passe aujourd'hui désormais, ce sont des Européens.
16:27 Donc ils connaissent les systèmes européens, ils connaissent les points faibles du débat
16:30 démocratique et ils s'y nichent.
16:32 Donc moi, je pense qu'il n'y a pas, si vous voulez, il y a urgence parce que la situation
16:37 est très, très grave.
16:38 Il faut arrêter de relativiser, de minimiser.
16:39 Mais en même temps, il faut aussi comprendre qu'un pays de 70 millions d'habitants comme
16:43 la France, qui a des ressources intellectuelles comme la France, devrait réussir à penser
16:47 le phénomène.
16:48 Caroline Forest, Franck Tireur sort hors série consacré aux fake news.
16:52 Pourquoi est-ce que cette dimension de l'information est, selon vous, absolument cruciale ?
16:57 Hugo Michon vient de parler de la liberté d'expression.
16:59 C'est aussi la liberté de dire n'importe quoi, voire de mentir.
17:02 Oui, mais aujourd'hui, dans le monde dans lequel on est, la désinformation peut tuer.
17:07 De même que l'accusation d'islamophobie peut tuer, la désinformation peut tuer.
17:11 Expliquez-nous ça.
17:12 Par exemple, c'est la désinformation qui a tué Samuel Paty.
17:15 C'est parce qu'une élève qui n'avait même pas assisté à son cours a dit partout,
17:21 dans des vidéos relayées par le fameux collectif du Cher Yacine, que les élèves musulmans
17:26 avaient été ciblés, qu'on leur avait demandé de sortir parce que musulmans et qu'on avait
17:30 enseigné des caricatures qui moquaient le prophète, au lieu d'expliquer que c'était
17:34 au contraire un dilemme que Samuel Paty faisait réfléchir sur le dilemme de la liberté
17:38 d'expression.
17:39 C'est ça qui l'a tué.
17:40 Quand je vous dis qu'on peut agir, encore une fois, et je suis rejoint aussi à Hugo
17:45 Michon, quelques djihadistes, et je vais vous donner quand même un élément d'optimisme
17:48 dans ma colère de ce matin.
17:49 On n'a pas assisté à un soulèvement, il n'y a pas des foules qui sont sorties
17:54 dans la rue, dans les rues de France, pour soutenir le Hamas dans ce pays.
17:58 Je crois, moi, franchement, que l'ensemble des musulmans de France ne se sent pas touchés,
18:03 émus par les actions du Hamas dans le sens...
18:05 Vous inquiétez Hugo Michon ?
18:06 Je suis totalement d'accord.
18:07 On est en train de parler d'un djihadiste qui était repéré, qui était fiché, qui
18:11 n'a pas été arrêté à temps, et ça il faudra examiner pourquoi, mais qui était
18:15 repéré dans une famille très particulière, qui s'est senti de pouvoir aller poignarder
18:21 un professeur.
18:22 Et sur ça, on peut agir.
18:23 Encore une fois, il suffit d'arrêter de laisser penser que l'école laïque est islamophobe.
18:28 Et là-dessus, mais vraiment, ça dépend de nous.
18:31 On peut enlever ces cibles, les unes après les autres, le temps que les services de renseignement
18:35 et que l'État arrive à défaire les derniers djihadistes, les derniers terroristes, les
18:40 derniers...
18:41 Je ne sais pas, peut-être que ça va durer pendant des années, mais nous ne sommes pas
18:42 dans la situation de 2015 où on avait Daesh face à nous.
18:45 Il y a des consignes qui trouvent des preneurs qui ont des couteaux de cuisine.
18:49 On n'est pas aux États-Unis où les kalachnikovs et les armes à feu sont en libre circulation.
18:53 Il y a plein de choses positives.
18:55 Il faut, un, ne pas céder à la colère et croire, comme les Israéliens l'ont cru,
18:59 que le nationalisme protégé.
19:00 Le nationalisme et la haine ne protègent de rien.
19:02 Mais encore une fois, la gauche naïve qui pense éviter la montée de l'extrême droite
19:08 en évitant de nommer, de regarder en face les sujets qui fâchent et en attaquant tous
19:12 ceux qui alertent, il faut que ça cesse aussi.
19:13 Il y a les valeurs de la République à préserver, à sanctuariser.
19:17 Hugo Michron m'a parlé des fausses infos des réseaux sociaux.
19:20 Il participe à diffuser des messages de haine qui peuvent provoquer un passage à l'acte.
19:23 On pense à ces vidéos de prise d'otages utilisées comme une communication par le
19:28 Hamas en Israël.
19:29 Les géants de l'Internet n'assument pas leurs responsabilités.
19:32 On ne peut rien faire.
19:33 Oui, c'est-à-dire que le problème est beaucoup plus large que la France et l'Europe.
19:37 Le problème, c'est le climat d'insurrection intellectuelle qui est boosté par les
19:42 algorithmes des réseaux sociaux.
19:43 Et là-dessus, il faut être très clair.
19:44 On parle beaucoup de régulation et on comprend.
19:46 Mais la réalité, c'est que l'Europe n'a pas de souveraineté algorithmique.
19:49 Donc, est-ce que vous voulez réguler quelque chose que vous ne possédez pas, que vous
19:51 ne contrôlez pas ? La réalité, c'est un message d'espoir.
19:54 Elle se situe dans l'innovation.
19:56 C'est-à-dire que l'Europe doit se doter d'une capacité souveraine pour agir sur ce
20:01 monde.
20:02 On se doute bien que si les réseaux sociaux avaient été européens, conçus par des
20:05 ingénieurs européens formés et dans un système, dans une vision du monde européen,
20:09 on n'aurait peut-être pas les mêmes problèmes aujourd'hui en termes de contrôle sur le
20:12 contenu.
20:13 Une modération automatique ?
20:14 Pas que de modération, c'est-à-dire aussi une vision du monde sur le rapport à ce qui
20:17 est vrai, ce qui est faux, qui n'est pas du tout la même entre l'Europe et les États-Unis.
20:21 Et de ce point de vue-là, si vous voulez, il faut la France à toutes les ressources
20:26 en termes d'ingénieurs pour former ces gens-là.
20:28 Et la réponse n'est pas que du côté celui d'ingénieurs dépolitisés.
20:31 Elle est aussi du côté d'ingénieurs qui sont conscients des enjeux.
20:36 Et donc, en fait, ce n'est pas une question technique.
20:38 C'est une question de démocratie, ça aussi.
20:39 Mais ça veut dire qu'il faut se les poser.
20:41 On a raté, si vous voulez, le train des réseaux sociaux.
20:43 Maintenant, il y a une autre évolution digitale qui est en train de se produire.
20:45 C'est celle de l'intelligence artificielle, notamment générative.
20:49 Et ça, la France est très bien équipée pour ça.
20:50 Mais ça veut dire qu'il faut le prendre, ce train.
20:52 Caroline Faurès ?
20:53 Oui, ça fait partie des choses qu'on peut faire.
20:54 Une des raisons pour lesquelles je pensais qu'il y aurait une attaque hier, c'est parce
20:57 que tous les comptes, par exemple TikTok, dont on sait qu'ils sont animés derrière
21:01 par les réseaux fréristes, qui avaient mené la campagne justement pour faire monter
21:04 la pression sur la Baïa, étaient passés depuis deux jours à des campagnes pour le
21:08 Hamas.
21:09 Et donc, on participait à exciter une certaine jeunesse.
21:12 Sur ça, on peut agir.
21:13 Ça va être long, mais on peut agir.
21:15 Il y a des choses qui sont faites depuis les derniers attentats.
21:17 Hier soir, je suis marraine du DU, du diplôme universitaire des formateurs des référents
21:22 laïcités dans les lycées.
21:23 Et j'ai vu ces professeurs qui s'engagent après la mort de Paty et qui disent « on
21:28 va prendre notre part ».
21:29 Qu'est-ce que vous leur dites ?
21:30 Je leur dis merci.
21:31 Je leur ai dit merci.
21:32 J'ai vu que le Canada Terre avait un message qui allait dans le même sens.
21:34 On leur disait tous « merci, merci d'avoir ce courage, merci d'y aller parce qu'il
21:38 n'y a que vous ».
21:39 Parce que ça ne va pas descendre.
21:40 Encore une fois, il ne faut pas tout attendre des autres.
21:42 Chacun prend sa part.
21:43 Et dans cette part, les premières lignes, ce sont les professeurs.
21:45 Lundi, il y aura une journée d'hommage à Samuel Paty dans les écoles, les établissements
21:49 scolaires, Hugo Michon.
21:51 Que diriez-vous à un enseignant pour qu'il participe et de la manière la plus utile
21:57 à cette journée particulièrement importante ?
22:00 Déjà, tout mon respect.
22:01 Je suis enseignant à Sciences Po.
22:03 C'est des conditions très différentes des collèges et des lycées de France.
22:06 Mais on récupère les très bons étudiants qui le forment.
22:09 Donc déjà, tout mon respect, surtout de ne pas lâcher.
22:11 Ce que je veux faire comprendre aussi, c'est la dimension historique de la période actuelle.
22:14 Le djihadisme que je montre, c'est que ça fait 30 ans que ça se construit.
22:17 Donc ça ne va pas disparaître en deux mois.
22:18 D'accord ? Donc tous ceux qui disent l'inverse et qui prônent des solutions radicales,
22:22 en fait, je pense, sont des menteurs.
22:24 Maintenant, la réponse, elle sera collective.
22:27 Et il se trouve que les enseignants sont aujourd'hui les maillons peut-être essentiels.
22:33 Et c'est pour ça qu'il faut réussir à penser les enjeux à la fois très, très locaux,
22:38 c'est-à-dire à l'échelle d'un collège, d'un lycée.
22:40 Et là-dessus, il y a quelque chose, une culture dans laquelle il faut sortir.
22:43 C'est celle du pas de vague.
22:44 Les rectorats, en fait, parce qu'il y a énormément de choses qui remontent.
22:46 Le pas de vague, c'est un mot d'explication ?
22:49 Le pas de vague, c'est si vous voulez, des enseignants qui se posent des questions
22:52 qui sont souvent très justes, qui font remonter ça au rectorat,
22:54 qui font remonter ça à des responsables administratifs,
22:56 qui pour des questions de carrière, il faut le dire ce qui est,
23:00 n'osent pas faire de bruit au cadre de la hiérarchie.
23:03 Oui, il faut réassurer toutes ces chaînes du courage,
23:05 des recteurs courageux, des présidents d'universités courageux.
23:08 Et dans les salles de prof, le pas de vague, ça se traduit par
23:10 lorsqu'un professeur fait son travail, essaie de transmettre l'esprit critique,
23:14 lorsqu'il est aussi courageux que ses mépathies, les autres lui disent
23:17 "tu nous mets en danger, ça, il faut que ça cesse, ça, ça nous fragilise".
23:19 Et très rapidement, parce qu'on arrive à la fin de cet entretien,
23:21 mais Hugo Michron, sur la question du suivi, puisque l'auteur de l'attentat était fiché S,
23:25 on avait un invité hier sur France Inter qui disait
23:28 "on ne peut pas mettre un policier derrière chaque personne fiché S,
23:31 il y a une part de violence incompréhensible".
23:33 En quelque sorte, c'était ça le message ?
23:34 Est-ce que rapidement, oui ou non ?
23:36 Non mais oui, sur cette phrase, par contre, excusez-moi,
23:38 il était fiché S depuis 11 jours, il y avait un appel au GIEAD global,
23:41 lui c'était, peut-être que lui, il aurait pu être suivi hier.
23:44 Mais bon, je suis souvent très très mesuré sur cette question,
23:47 mais là, sur ce cas précis, j'ai tendance à penser qu'il y avait peut-être autre chose à faire.
23:51 Merci infiniment à tous les deux d'avoir répondu à nos questions.
23:53 Caroline Fourest, France Tireur, fait donc cette semaine sa centième édition.
23:58 Et je rappelle, génie de la laïcité, ce numéro hors-série qui est consacré aux fake news.
24:02 Hugo Michron, vous avez publié "La colère et l'oubli, les démocraties face au djihadisme européen".
24:07 C'est chez Gallimard. Merci vraiment.

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