Le procès de Mehdi Nemmouche et quatre autres djihadistes, accusés d'avoir détenu et torturé des journalistes français, s'ouvre ce lundi à Paris. Nicolas Hénin, ancien journaliste et ancien otage en Syrie, dit sur France Inter vouloir "leur faire comprendre qu'ils ont perdu".
Retrouvez « L'invité de 7h50 » de Sonia Devillers sur France Inter et sur : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50
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00:007h48, Sonia De Villers, votre invité a été capturé en Syrie en 2013 par un groupe djihadiste
00:06et retenu en otage pendant 10 mois.
00:08Il a fait partie, Simon, d'un groupe de 25 détenus occidentaux, journalistes et humanitaires.
00:158 d'entre eux sont morts là-bas.
00:17Il aura fallu 9 ans d'enquête et 11 ans d'attente pour que s'ouvre enfin le procès
00:22de leurs geôliers, jugés pour enlèvement, séquestration, acte de torture et de barbarie
00:28en lien avec une entreprise terroriste.
00:30Bonjour Nicolas Hénin, vous êtes un ancien correspondant de Radio France en Irak.
00:35Il y aura donc des auditeurs pour reconnaître votre voix et se souvenir de votre nom.
00:39Deux de vos geôliers sont présumés morts en Syrie, mais trois seront face à vous.
00:44Les Français Abdelmalek Tannem et Mehdi Nemmouche et le Syrien Qaïs Al-Abdallah, les avez-vous
00:50déjà revus ?
00:51Alors Mehdi Nemmouche, oui je l'ai revu lors du procès de Bruxelles dans lequel il a été
00:57condamné pour avoir commis l'attentat au musée juif.
01:02Qaïs Al-Abdallah, je l'ai vu, revu, enfin je l'avais vu en Syrie, je l'ai revu dans
01:11le bureau du juge d'instruction pour une confrontation.
01:14Et quant à Abdelmalek Tannem, je ne l'ai jamais vu, donc je découvrirai son visage
01:20en vrai.
01:21J'ai de bonnes raisons de penser qu'il était présent parmi les geôliers francophones
01:29qui étaient autour de nous dans la partie alépine de notre captivité parce qu'on
01:33a été détenu entre Alep et Raqqa, il y a eu deux phases, sauf qu'il était systématiquement
01:42avec le visage couvert d'une cagoule.
01:44La plupart des geôliers avaient le visage couvert d'une cagoule et nous très souvent
01:49lorsque nous avions à interagir avec nos geôliers, et en particulier dès lors que
01:55nous étions sortis de notre cellule, nous avions les yeux bandés.
01:59Vous l'avez probablement croisé, mais sans avoir vu son visage.
02:06C'est ça.
02:07Médine Emmouch, vous l'avez dit, a été condamnée à perpétuité pour l'attentat
02:10du musée juif commis en 2014, il est alors resté totalement mutique pendant ce précédent
02:16procès.
02:17Est-ce que, Nicolas Hénin, vous attendez qu'il parle lui, et les autres accusés
02:22évidemment, qu'il s'explique ? Est-ce que vous voulez comprendre ce qui peut pousser
02:26des hommes jeunes à commettre des actes barbares ?
02:29Oui.
02:30Oui.
02:31J'ai envie qu'ils s'expriment, j'ai envie de les entendre, parce que ça fait
02:35partie de la manifestation, c'est nécessaire à la manifestation de la vérité.
02:42Il est toujours frustrant d'avoir une manifestation de la vérité qui ne vienne que du côté
02:47de l'accusation.
02:48On a aussi envie d'entendre, et on a besoin d'entendre, le point de vue de la défense,
02:54et autant que possible un point de vue qui soit aussi proche des faits que possible.
02:59Il faudra vous entendre vous aussi, Nicolas Hénin, il faudra dire publiquement ce que
03:06vous avez subi là-bas, notamment dans les sous-sols de l'hôpital ophtalmologique
03:10d'Alep, ce à quoi vous vous êtes refusé.
03:14Du moins, je vais dire médiatiquement.
03:16Pourquoi ?
03:17Pourquoi ça vous a été insupportable de raconter tout ça ?
03:20A la fois par pudeur et aussi parce que ça contribue à l'effet final recherché par
03:27les terroristes.
03:28Dans le mot terrorisme, il y a le mot terreur.
03:31Donc la terreur, c'est à la fois la racine du mot, c'est aussi le mode opératoire,
03:39et c'est enfin l'effet final recherché.
03:40Donc vous ne vouliez pas être le porte-voix ?
03:42Ce que veulent les terroristes, c'est que nous ayons collectivement peur.
03:47Ce qu'adoreraient les terroristes, c'est que je débarque à l'antenne de France Inter
03:52et que je vienne raconter par le détail leur sadisme.
03:55De façon à ce que chacun de vos auditeurs, dans sa salle de bain, dans sa voiture, ce
04:00matin, soit glacé d'effroi.
04:03Peu après votre retour, le reporter américain James Foley, l'un de vos co-détenus, a été
04:09décapité.
04:10Le premier d'une longue série, oui.
04:12Qui ont fait le tour du monde.
04:14Qu'est-ce que vous avez ressenti à ce moment-là ?
04:17Pour moi, c'était un choc émotionnel terrible.
04:20Normalement, quand on est pris en otage à l'étranger, le jour où on est libéré,
04:26on est libre.
04:27On laisse tout ce qui s'est passé derrière soi.
04:29Nous, nous quatre, Français, quand on a été libérés, on était dans une situation
04:36un petit peu particulière.
04:37D'une part, parce qu'on était au sein d'un groupe de, au total, 24-25 otages.
04:42Enfin, on était au courant de 24, il y en avait 25.
04:46Quelques-uns avaient été libérés, un exécuté déjà avant notre libération.
04:50Donc, on laissait derrière nous, au moment où il nous libérait, 15 personnes, 15 copains
04:57et autant de familles à prévenir, de nouvelles à donner, d'autorités étrangères à alimenter
05:07en information.
05:09D'une part.
05:10Et puis, d'autre part, normalement, quand on est pris en otage à l'étranger, nos
05:17ravisseurs, c'est un lointain souvenir qu'on laisse dans les sables du Sahel ou les montagnes
05:21d'Afghanistan.
05:22Là, un an et demi plus tard, ils étaient dans les rues de Paris.
05:27Ils sont revenus et ils ont commis les attentats.
05:31Et même bien avant, un an et demi plus tard, de fait, deux mois après, avec la Guinée-Mouche,
05:35Bruxelles.
05:37Et d'ailleurs, ce qui est absolument stupéfiant dans cette histoire, c'est que lorsque Médine
05:43et Mouche est arrêtée, peu après les attentats de Bruxelles, son identité, son portrait
05:47sont diffusés dans les médias.
05:49Et c'est là que vous le reconnaissez, c'est là que vous l'identifiez comme l'un de
05:54vos bourreaux.
05:55Et c'est vous qui appelez les services des renseignements extérieurs pour dire qu'il
06:00était en Syrie.
06:01Et nous, on l'appelait Abou Omar.
06:03C'est vous qui l'identifiez, c'est là le début de l'enquête.
06:07C'est un moment presque cinématographique, j'ai envie de dire, où le souvenir d'une
06:17nuit, d'abord cet attentat qui juste me choque, mais sans que je sois capable de faire
06:24la moindre connexion.
06:25Et puis les premiers portraits robots avec la qualité qu'on peut imaginer d'un portrait
06:31robot, donc très médiocre, qui passe dans les médias.
06:36Et puis tout de suite, ça m'interpelle, mais dans un premier temps, une forme de déni.
06:41Non, non, ça ne peut pas être lui, bien sûr que non, ça ne peut pas être lui.
06:44Et puis je passe la nuit sur cette image.
06:46Et puis, tôt le long de ma matin, j'en parle à mon épouse et puis je décroche mon téléphone
06:52et j'appelle en effet la DGSI et je leur dis « Désolé si je vous embête pour rien,
06:58mais est-ce que vous pourriez juste vérifier ce point de détail ? Est-ce qu'il est
07:03possible qu'il ait été en Syrie avec nous ? ». Je ne sais pas, je dois vérifier.
07:07« Est-ce que Sakounia, c'était Abou Omar ? ». Attendez, je vérifie, je vous rappelle
07:12une minute après.
07:13Monsieur Hénin, il faut que vous veniez à Paris tout de suite.
07:16Vous avez publié il y a quelques jours dans le journal Le Monde, un texte à la fois sidérant
07:22et extrêmement émouvant.
07:24Vous n'aurez ni ma haine, vous n'aurez ni ma peur.
07:28Dites-vous à vos bourreaux, à la première ligne, vous leur jetez à la figure « Je
07:32tiens à vous dire que vous avez perdu ». Et vous affirmez, Nicolas Hénin, que les terroristes
07:38ont échoué à fracasser notre société, que nous sommes restés solidaires et unis.
07:43Vous ne pensez pas que quelque chose pourtant a profondément changé depuis le Bataclan,
07:49depuis l'Hypercacher, depuis Charlie, que le 7 octobre a achevé de briser des liens,
07:54que la peur s'est répandue, que la haine de la République, la haine des Juifs, la
07:58haine de l'Islam vont bon train ?
07:59Alors, leur donner une victoire, certainement pas.
08:04Ce n'est pas du tout mon état d'esprit et je me bagarrerai y compris au tribunal
08:08pour leur faire comprendre, oui, qu'ils ont perdu.
08:11Après, oui, et y compris dans cette tribune, je constate qu'ils ont marqué des points
08:14et je les déplore.
08:15Ils ont marqué des points dans leur contribution à la division.
08:21La vague d'attentats qu'on a connue, notamment en 2015, a malgré tout creusé des sillons,
08:30creusé des divisions dans la société française.
08:33Le 7 octobre, on a creusé encore, oui, et je les déplore.
08:37Au moment où vous rentrez, il y a une image de vous qui est restée dans les mémoires.
08:43Vous êtes sur la base aérienne de Villacoublet, il y a François Hollande, il y a Laurent
08:46Fabius qui est au Quai d'Orsay à l'époque, il y a les trois autres journalistes français
08:49et vous portez deux petits enfants blonds dans vos bras qui sont collés contre vous,
08:53une fillette et un bébé.
08:55Comment ils vont aujourd'hui ?
08:56Ils vont bien.
08:57Ils vont bien, ils ont bien sûr été marqués, ils ont souffert comme tous mes proches de
09:02mon absence.
09:03Ils ont souffert comme tous mes proches de la préparation de ce procès parce que j'ai
09:07été un petit peu pénible à supporter ces derniers mois.
09:10Mais oui, ils vont bien et ils vont porter mon message encore.
09:15Je compte sur eux.
09:16Merci Nicolas Hénin, le procès s'ouvre aujourd'hui.
09:19Merci d'avoir été à l'antenne de France Inter.
09:21Et merci Sonia De Villers.