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Martin Hirsch, ancien directeur de l’AP-HP. Président de l’Institut de l’Engagement, vice-président de Galileo Global Education, auteur de "Les Solastalgiques" (Stock), est l'invité du Grand entretien. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-du-lundi-08-mai-2023-4146245

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00:00 Et avec Léa Salamé, nous recevons ce matin l'ancien directeur général de la PHP, il est aujourd'hui vice-président de Galileo Global Education,
00:09 il publie les Solastalgic aux éditions Stock qui sera en librairie après-demain.
00:16 Vos questions, amis auditeurs, au 01 45 24 7000 et sur l'application de France Inter.
00:22 Martin Hirsch, bonjour. Bonjour. Et bienvenue à ce micro, on vous retrouve dix mois environ après votre départ de la PHP.
00:31 Pour le grand public, vous avez été notamment pendant le Covid, monsieur hôpitaux public parisien, monsieur situation de crise.
00:39 On aurait pu attendre de vous un livre sur les huit ans que vous venez de passer à la PHP.
00:44 Eh bien non, c'est un roman, votre premier roman sur le changement climatique et l'angoisse qu'il génère.
00:50 Est-ce que vous comprenez notre étonnement ? Vous recherchiez cet effet de surprise, vous ne vouliez pas écrire ma vérité sur l'hôpital public ?
01:00 Je ne voulais pas écrire ma vérité. En fait, ma vérité sur l'hôpital public, j'ai essayé de l'écrire pendant que j'y étais.
01:04 Ça n'a pas eu de plus effets escomptés, mais pendant que j'y étais parce que je voulais que ça ait de l'effet.
01:09 Et en fait, j'espère que la surprise est bonne, mais c'est un livre auquel j'ai pensé quand j'étais là-bas, avant le Covid.
01:18 À l'époque, je pensais à un bouquin qui se serait appelé "Planète Blues" parce que j'étais déjà très marqué par ce que j'entendais,
01:28 la perspective du point de bascule, du turning point, comme dit le GIEC, et tous les gens qui soit n'y croyaient pas,
01:35 soit disaient "de toute façon, ça va arriver, on ne peut rien y faire", soit ne prenaient pas cela au sérieux.
01:41 Et puis cette montée sourde de l'angoisse chez les jeunes, puisque je m'occupe beaucoup de jeunes avec l'Institut de l'engagement,
01:47 et je voyais ce désarroi.
01:48 - Et ça donne le titre du livre "Les Solastalgiques", c'est-à-dire ces gens qui ont...
01:56 Enfin, c'est le joli mot de "éco-anxiété", c'est ça ?
01:59 - Oui, c'est même... Je trouve le mot très joli, effectivement, mais je pense qu'il est même plus profond.
02:04 C'est la douleur de la désolation.
02:08 C'est un sociologue australien qui a inventé ce mot en voyant ce qui se passait dans les populations à côté des mines de charbon à ciel ouvert en Australie.
02:17 Et qui voyait la perte de leur habitat, la perte de l'environnement, la perte de l'univers, un peu inéluctable, de la main de l'homme.
02:24 Et du coup, qui avait des symptômes qu'ensuite les psychiatres peuvent classer en dépression, anxiété, tout ce qu'ils veulent.
02:31 Mais c'est un concept plus large. C'est cette nostalgie du monde, non pas qui disparaît tout seul, mais que l'on fait disparaître.
02:36 - Et cette nostalgie et cette maladie touchent, vous le dites, de plus en plus les jeunes,
02:41 qui multiplient les rendez-vous chez les psy pour dire cette douleur-là, cette souffrance-là de voir ce monde-là disparaître,
02:49 et les plus âgés ne rien faire pour l'arrêter ?
02:52 - Alors, oui et non pour les jeunes. Je ne sais pas s'ils multiplient les rendez-vous chez les psychiatres, mais qu'ils soient touchés, c'est évident.
02:57 Moi, j'ai fait une conférence sur le sujet devant une promotion de jeunes engagés de l'Institut de l'engagement.
03:03 Et j'étais moi-même pris de court par leur réaction, c'est-à-dire par leurs larmes.
03:09 Je parlais de ce sujet et je disais « mais comment pouvez-vous, sans y apporter la solution, traiter notre angoisse ? ».
03:17 Et effectivement, notre génération ne brille pas par sa capacité à avoir stoppé le processus.
03:25 - Alors justement, votre roman, c'est la rencontre entre ces deux générations. Pour simplifier, la vôtre est celle des jeunes.
03:31 Vous imaginez dans le roman que de hauts responsables, bien établis professionnellement dans différents secteurs,
03:38 des psychiatres, des hauts fonctionnaires, se décident à agir pour lutter contre le changement climatique
03:44 et font le pont avec l'autre génération, celle des jeunes.
03:49 Parce que jusque-là, Martin Hirsch, ceux de votre génération, je vais le dire vulgairement, n'ont rien foutu, on peut le dire comme ça ?
03:56 - Alors, on peut un peu le dire comme ça, oui. - On peut le dire comme ça, allons-y comme ça.
04:01 Quand on voit nos comportements, quand on voit effectivement les tonnes de carbone.
04:08 Alors, ça dépend de quelle place sociale on a à la génération.
04:12 Il ne faut jamais oublier, et mon livre essaye de détruire, si je puis dire, ce concept d'écologie punitive
04:20 que je trouve l'un des éléments les plus cyniques du débat actuel.
04:23 - Pourquoi vous n'aimez pas cette expression ?
04:25 - Ah mais parce qu'elle est faite pour ne rien faire. Elle est d'une perversité extraordinaire.
04:30 Si je reviens à ce que je disais niveau social, quand on regarde, 10% des plus riches, c'est vrai pour la planète, c'est vrai pour la France,
04:37 provoquent 50% des émissions.
04:39 50% des plus pauvres, donc la moitié du monde,
04:42 et quand vous regardez les rapports du GIEC, vous allez parier à la moitié du monde qui est vulnérable au changement climatique,
04:47 ne produisent aussi que 10 à 15% des émissions.
04:51 Donc vous avez une partie de chaque génération, une partie de chaque pays, une partie du monde,
04:55 qui est quand même responsable de la moitié des effets terribles sur le climat.
05:00 Et cela, où intérêt à dire, chaque fois qu'une mesure arrive, en disant "Oh là là, on va punir les plus pauvres"
05:05 pour éviter, eux-mêmes, d'avoir à changer leur comportement.
05:09 Et c'est ça, j'avais vraiment envie de le démonter, parce que c'est tellement présent dans les discours.
05:13 Le discours sur la miche et "ça va bien comme ça avec l'environnement, ça commence à bien faire".
05:20 - "Ça commence à bien faire", ça c'était Nicolas Sarkozy, la miche c'est Emmanuel Macron.
05:23 - Oui, entre les deux, il y a Ségolène Royal qui dit "on en a marre de l'écologie punitive".
05:28 Donc il y a une sorte de consensus qui met échec à la taxe carbone,
05:32 qui met échec à tout autre mécanisme contraignant, parce qu'on sait sur qui pèseront les contraintes.
05:38 Et donc voilà, je pense que ces contraintes, il faut les faire peser,
05:41 sauf si on veut assister au turning point et à l'élément irréversible.
05:45 Et je ne pense pas...
05:48 - Mais les responsables politiques sont-ils seuls en cause ?
05:50 Ce que je veux dire, c'est que quand on voit les résultats des dernières élections,
05:53 vous avez l'impression qu'une majorité populaire est pour taxer davantage le carbone,
05:57 est pour limiter la vitesse sur l'autoroute ? Non !
06:00 - C'est une des questions que mes personnages de roman se posent,
06:03 en disant "qui on est, nous, sans légimité particulière ?"
06:07 Parce qu'ils passent à des actions qui ne sont pas complètement prévues par la loi pour pouvoir agir,
06:12 et puis ils sont torturés par cela.
06:14 Ils sont torturés en se disant "mais on fait ça, est-ce qu'on est exactement comme un petit groupe d'activistes ?
06:18 Est-ce qu'on est les nouvelles Brigades Rouges ?" Ils n'ont pas envie d'être cela.
06:21 Et ils se disent "comment on va chercher la légitimité ?"
06:24 Et les personnages du livre, un peu comme moi d'ailleurs, se nient,
06:28 mais on veut éviter ce qui peut se passer,
06:32 c'est-à-dire les uns et les autres qui diront plus tard "ah mais si j'avais su !"
06:37 "Ah mais si on m'avait dit, si j'avais su !"
06:39 - Oui mais alors ?
06:40 - Le point où je vais, c'est de dire, finalement, on vit dans une société dans laquelle on ne vous demande pas de choisir.
06:46 Effectivement, vous êtes contre la taxe carbone, beaucoup de gens sont contre la taxe carbone,
06:50 beaucoup de gens sont contre les contraintes, etc.
06:53 Mais sont-ils vraiment pour les 4°4, les 6 mètres de plus des mers,
06:59 la disparition de 20% des espèces, la disparition de 80% des insectes,
07:05 sont-ils pour cela la disparition de plus de la moitié des glaciers ?
07:08 Sont-ils pour cela ? Et donc comment la démocratie peut-elle s'organiser
07:12 pour mettre la population face à ses propres contradictions ?
07:16 Et on a un peu de mal aujourd'hui.
07:17 - Et bien du coup, vous justifiez les actions illégales de ce groupe, comme disait Nicolas.
07:21 - C'est un roman.
07:22 - Oui bien sûr, c'est un roman.
07:23 Oui mais c'est ça qui est intéressant, pour le coup, c'est que vous vous planquez derrière le roman pour dire des choses où on se demande...
07:28 - Non mais c'est...
07:30 - Non mais je me suis posé cette question-là.
07:32 J'ai choisi de ne pas faire un essai, je ne pense pas me planquer derrière le roman.
07:36 Je pense m'être dit que j'irais plus loin avec un roman.
07:40 - Mais d'ailleurs, vous allez plus loin, parce que je pense que Martin Hirsch,
07:44 au fonctionnaire qui écrirait un essai, ne pourrait pas pousser ou imaginer pousser aux actions illégales,
07:49 ce qui se passe dans votre roman, puisque c'est qu'un cas...
07:52 - Oui, mais Martin Hirsch, bénévole, a été président d'Emmaüs,
07:56 avec un abbé qui arrivait avec son panneau "permis de vivre" là où on lui refusait le permis de construire,
08:02 en disant "eh bien on va quand même construire et c'est la loi qui nous suivra".
08:07 - Mais alors quelle est la place de l'illégalité dans le débat que vous venez de décrire ?
08:12 - Alors très clair.
08:12 - Parce que dans ce livre, juste pour expliquer aux auditeurs qui ne l'ont pas lu,
08:17 ce groupe, comme disait Nicolas, de hauts fonctionnaires, de gens dont vous dites
08:21 qui ont fait leur vie dans le système, qui sont tout ce qu'il y a de plus honorable,
08:26 ces quinquas et ces sexas basculent soudainement dans l'illégalité.
08:30 Ils vont proposer...
08:31 - À cause d'un drame chez leurs enfants.
08:32 - Ils vont préparer des opérations illégales, et notamment des cyberattaques massives
08:36 contre des industries polluantes, qui est interdit par la loi.
08:39 Et on s'est demandé avec Nicolas si ce n'était pas un peu votre fantasme,
08:42 de basculer dans une forme d'illégalité ?
08:45 - Alors, je ne vais pas évoquer mes fantasmes, parce qu'il y a peut-être des auditeurs,
08:49 donc sans doute, je ne vais pas le faire.
08:52 Mais en fait, le raisonnement que j'ai essayé de conduire, c'est de dire
08:56 "c'est ce qui pourrait se faire si on ne fait rien".
08:59 Donc ça appelle à faire bouger les choses.
09:02 Et je pousse la chose par l'extrême ou par l'absurde, en disant
09:07 "finalement, si j'ai le choix entre le vrai renoncement et l'action..."
09:12 Alors, vous avez vu, ils ont plein de pudeurs de jeunes hackers,
09:17 ou de jeunes hackers, mais c'est que ça génère, mais qu'un qu'elle génère.
09:21 Ils disent "non, on ne fait pas de l'illégal, on fait du supralégal".
09:24 On se met sous le couvert, peut-être, du préambule de la Constitution,
09:29 de quelque chose qui dit qu'il faut quand même un peu sauver l'humanité.
09:33 Et puis par ailleurs, ils s'interrogent sur qu'aurait fait la génération...
09:36 Alors, j'ai deux générations, puis il y a en surplomb une troisième génération,
09:41 qui est la génération des résistants, qui se disent "ben voilà, est-ce que c'était légal d'agir..."
09:48 - Et Martin Hirsch en pense quoi alors de cette question-là ?
09:51 Il y a une vraie question de philosophie politique, et une vraie question aussi d'action.
09:56 - De philosophie politique... - Et d'action, et d'action aujourd'hui.
09:58 - Imaginez-vous que je suis... Quand j'écrivais le livre,
10:01 à la fin, je suis allé voir Bruno Latour, 15 jours avant sa mort.
10:05 Et je n'avais pas du tout pensé que dans mon livre, il y avait des éco...
10:08 Et Bruno Latour me dit "mais ce que tu prônes, c'est l'écoterrorisme, ça m'a terrifié !"
10:14 Je me suis dit "mais non, pas du tout !"
10:16 Non, en fait, donc Martin Hirsch, ce qu'il pense, c'est qu'il faut agir.
10:21 Et quand je dis "il faut agir", j'essaye, je m'inspire, j'ai lu beaucoup,
10:26 j'ai lu les rapports du Giac, j'ai lu un livre que j'aime beaucoup,
10:31 d'un garçon qui s'appelle David Van Rebroek, des "Columnes, disons l'avenir",
10:37 qui dit "c'est peut-être le temps de mettre la carte de crédit carbone".
10:40 Je vais vous donner juste un exemple.
10:43 On a accepté, il y a 20 ans, que la Constitution prévoit que quand on vote les lois de la sécurité sociale,
10:49 il y a un mécanisme qui dit, notamment pour l'assurance maladie,
10:52 qu'on n'a pas le droit de dépasser...
10:54 Voilà, quand on a décidé qu'il y aurait 193 milliards,
10:57 eh bien on soigne pour 193 milliards, quitte à faire baisser les tarifs.
11:00 C'est violent comme mécanisme, d'ailleurs les hôpitaux le contestent,
11:04 mais la démocratie a accepté de mettre cette contrainte-là.
11:09 Pourquoi est-ce qu'on ne met pas une contrainte pour fermer le nombre d'unités de carbone ?
11:12 En disant "quand le Giac dit qu'il faut faire -5%,
11:16 ce que vous pouvez consommer, c'est -5% par rapport à l'année précédente,
11:19 et pas +3% ou pas juste -1%".
11:22 Donc ces mécanismes-là, ils ont besoin d'une élaboration démocratique.
11:26 Et je dis, si cette élaboration ne vient pas,
11:29 eh bien d'autres se substitueront à cela.
11:32 - D'ailleurs, il y a une question intéressante que vous posez dans le livre,
11:35 c'est pourquoi tous ceux qui savent n'agissent pas ?
11:38 Pourquoi est-ce qu'ils ne font pas les -5% de carbone chaque année ?
11:42 Vous vous interrogez sur la psychologie de la non-action,
11:45 sur pourquoi ces cerveaux qui sont au pouvoir aujourd'hui,
11:49 qui sont parmi les mieux formés de la République,
11:51 qui savent les choses, qui savent les rapports du Giac, n'agissent pas ?
11:54 Est-ce que vous avez des explications ?
11:56 - Alors, effectivement, j'imagine une étude faite,
12:00 près de 200 personnes, randomisée, tout un truc bien sérieux,
12:05 mais qui n'existe pas aujourd'hui,
12:07 où les uns et les autres vont exprimer ce qui explique leur inaction.
12:13 Pour simplifier, il y en a une partie, et je pense que c'est vrai,
12:16 une partie qui dit "si moi je vais trop loin,
12:19 je vais être viré, je pourrai pas faire,
12:22 si je suis dans une entreprise, mes actionnaires me viront,
12:24 si je suis dans une position publique, mon président me virera, etc.
12:27 et on mettra quelqu'un de pire à ma place,
12:30 donc je viens sauvegarder les meubles".
12:31 Il y a une partie qui dit "effectivement, je fais peut-être pas très bien,
12:35 mais j'ai un scooter électrique et je mange vegan,
12:39 donc de ce point de vue-là, ça va".
12:40 Et puis il y en a une autre partie qui est un peu plus cynique
12:44 et qui se dit "le jour viendra où on nous interdira de faire ce qu'on fait,
12:48 et un jour ces régulations arriveront, et en attendant, faisons ce qu'on fait".
12:53 - Pourquoi faites-vous une analogie à la fin de votre livre avec la Shoah ?
12:56 - Alors c'est pas à la fin du livre,
12:59 puis exactement quand c'est dans un épilogue où on sort du livre.
13:03 Parce qu'effectivement, pourquoi je fais ça ?
13:05 Parce que, je dis, j'avais été beaucoup frappé par les documentaires
13:09 qui montraient la connaissance que pouvaient avoir Churchill et Roosevelt
13:14 de l'Holocauste avant d'agir.
13:18 Et je me dis, on n'a pas agi face à quelque chose d'inconcevable.
13:21 Et puis ensuite l'inconcevable a eu lieu,
13:23 et on s'est dit "plus jamais on laissera se produire quelque chose d'inconcevable".
13:27 Et le réchauffement climatique, le turning point, le passage à la chose irréversible,
13:31 quand je dis la chose irréversible,
13:34 c'est le moment où le point de bascule fait que c'est un milliard d'êtres humains,
13:40 ou deux milliards d'êtres humains,
13:41 qui se retrouvent dans la situation de ne plus avoir à manger,
13:44 de ne plus avoir un endroit où vivre,
13:46 de ne plus pouvoir supporter 40 ou 50 degrés tous les jours, etc.
13:50 Et donc, je me dis, des catastrophes humaines
13:53 d'ampleur dix fois plus importantes que ce qu'on a connu dans les grandes catastrophes,
13:57 la Première Guerre mondiale ou la Shoah.
14:00 Et je me dis, mais qu'est-ce qui fait qu'aujourd'hui,
14:02 on arrive encore à fermer les yeux devant l'inconcevable ?
14:06 - Question de Jean-Joseph dans l'application d'Inter,
14:11 que pensez-vous des activistes qui cherchent à alerter en s'en prenant aux œuvres d'art ?
14:16 - Je dirais comme Valéry Masson Delmotte en disant,
14:19 Valéry Masson Delmotte dit,
14:21 "Moi, je ne suis pas activiste, mais il y a probablement besoin des activistes."
14:24 - Mais ça veut dire quoi ?
14:26 - Alors, ça veut dire que, là aussi, j'essaye de le dire,
14:32 le peinture-lureur est probablement déraisonnable,
14:36 mais celui qui laisse l'autorisation des pesticides
14:40 et qui subventionne le pétrole,
14:43 aujourd'hui, le monde consacre un milliard de dollars
14:47 à subventionner les énergies fossiles,
14:49 celui-là est-il moins déraisonnable ?
14:51 Donc, dans la hiérarchie des déraisonnables, ça se discute.
14:54 - C'est ça, c'est-à-dire qu'en fait, vous vous demandez où est la raison, en fait.
14:57 Est-ce qu'elle est du côté des activistes qui envoient de la peinture sur les vitres de Van Gogh ?
15:01 - Probablement non. Est-ce que la probabilité de ceux qui laissent la maison brûler ?
15:05 Probablement non non plus. Voilà.
15:07 Donc, cherchons une autre raison ensemble.
15:09 - Allons au Standard Inter. Bonjour Chantal !
15:11 - Bonjour !
15:13 - Bienvenue, on vous écoute !
15:14 - Oui, merci de prendre ma question.
15:16 Il ne doit pas y avoir que moi qui ai concerné.
15:19 Je suis la mamie de petits-enfants qui sont dans l'adolescence
15:22 et donc maman d'enfants qui sont les parents de ces adolescents.
15:28 Effectivement, je remarque des secteurs de leur vie,
15:33 à ces jeunes, dans lesquels ils sont malheureux.
15:36 Ils tournent en rond, ils n'ont pas de réponse, ils sont anxieux.
15:40 Et les parents aussi sont anxieux par rapport à d'autres secteurs de leur vie
15:45 et aussi par rapport à leurs enfants.
15:47 Donc, il y a des anxiétés de la part des parents, des inquiétudes.
15:52 Or, les parents sont le mitan de ces jeunes,
15:56 entre la société et le mitan de la société des parents.
16:00 Et ils sont le mitan.
16:02 Alors, s'ils sont aussi dans des inquiétudes nouvelles
16:05 par rapport à des jeunes qui ont des inquiétudes nouvelles,
16:08 on fait comment pour soulager ces deux générations-là ?
16:12 Parce qu'ils ne savent plus comment ni à qui s'adresser.
16:17 Ils ne savent pas toujours le faire.
16:19 On fait comment ? Est-ce que Martin Hirsch s'est posé cette question ?
16:23 - Merci Chantal, merci. Martin Hirsch va vous répondre.
16:26 - Je me suis posé page par page, phrase après phrase, c'est exactement ça.
16:30 Et donc, au lieu d'opposer les générations, j'ai fait l'alliance des générations.
16:33 Et j'allais dire l'alliance des trois générations, comme je le disais tout à l'heure.
16:37 Les enfants, leurs parents et éventuellement leurs ancêtres résistants, si je puis dire.
16:43 Et donc ces générations, au lieu de mépriser l'angoisse des enfants,
16:47 au lieu de s'en nourrir eux-mêmes de manière inféconde, si je puis dire, infertile,
16:52 se disent "on va agir", quitte à prendre des risques.
16:55 C'est un éloge du risque, finalement.
16:58 Mieux vaut me mettre en danger moi-même que de voir la planète, encore une fois, franchir.
17:05 Je trouve franchir cela...
17:07 Et j'en ajoute, j'ai beaucoup vu de scientifiques avant et pendant l'écriture de ce livre
17:15 qui se posent ces mêmes questions, avec ce dilemme que j'essaye de reproduire aussi,
17:20 qui est "si je suis trop angoissant, je vais peut-être décourager l'action,
17:24 si je ne suis pas assez, je ne vais peut-être pas pousser à l'action, qu'est-ce que je fais ?"
17:28 Et ils sont torturés, mais de plus en plus torturés.
17:31 - C'est vrai que les scientifiques sont torturés quand on les reçoit, ils ne savent pas qu'elles...
17:36 Est-ce qu'on dit la vérité ou pas ?
17:38 - Oui, ce qu'ils vont dire dans le couloir, est-ce que je le dis dans le micro, est-ce que je le dis...
17:41 Torturés ! C'est d'ailleurs effrayant, c'est un des éléments les plus déclencheurs de cette histoire.
17:46 - Une question de Rosy, que vous reste-t-il des années auprès de l'abbé Pierre ?
17:50 - Énormément de choses.
17:53 Énormément de choses, je pense une capacité d'indignation.
17:58 Il me reste le fait qu'il y a une chose fabuleuse que j'ai appris quand j'étais à Emmaüs,
18:05 c'est qu'il n'existe pas de hiérarchie entre les hommes.
18:07 Ça paraît idiot de dire, mais de voir que l'homme qui était à la rue,
18:14 ou qui sortait de prison, et qui va se retrouver dans une communauté Emmaüs,
18:19 il sait toujours vous apprendre quelque chose sur la vie, que vous, vous ne savez pas.
18:23 - Le problème avec vous, Martin Rich, c'est que vous avez plusieurs vies et plusieurs casquettes,
18:27 donc il y a eu des années.
18:29 - Oui, une seule.
18:31 - Il y a une cohérence.
18:33 - J'espère, mais en tout cas nourri de la santé, les pauvres, le climat et les jeunes.
18:39 - Voilà, mais le problème pour nous, en fait, c'est qu'on a plein de questions à vous poser,
18:43 qui sortent en l'occurrence du livre et du climat.
18:46 Évidemment, on parle beaucoup du RSA en ce moment.
18:49 On rappelle que c'est vous qui l'avez mis en place en 2008, sous Nicolas Sarkozy,
18:52 ce revenu de solidarité active en remplacement du RMI.
18:55 Aujourd'hui, Emmanuel Macron veut le réformer en conditionnant le versement du RSA
18:58 à une quinzaine d'heures d'activité par semaine.
19:00 Cela devrait figurer dans la prochaine loi Plein emploi qui sera présentée en juin.
19:03 Quel regard vous portez sur cette réforme du RSA,
19:06 sur ce RSA désormais conditionné à plusieurs heures ?
19:10 - J'ai un regard un peu lointain.
19:12 Je me souviens, quand j'ai fait passer le RMI au RSA,
19:15 il y a quelqu'un que j'ai fait venir, la première personne que j'ai fait venir dans mon bureau,
19:18 c'est Michel Rocard.
19:19 En lui disant « Michel, tu as fait le RMI, je pense qu'il y a des choses qui ne marchent pas
19:24 et qu'il faut rectifier », il m'a dit « tu as tout à fait raison, on a fait le RSA avec lui. »
19:29 Et d'ailleurs, quand on l'a fait, il a dit « c'est ce que j'aurais souhaité faire ».
19:32 Là, on n'est pas dans ce même cas de figure.
19:34 - C'est-à-dire qu'Elisabeth Borne ne vous a pas appelé pour vous dire « tu as fait le RSA, qu'est-ce qu'on doit changer, qu'est-ce qu'on doit améliorer ? »
19:39 - Non, ce qui lui appartient totalement, mais ce qui me donne aussi la possibilité de porter un regard sur « ne vous trompez pas de cible ».
19:47 On dit « les allocataires du RSA ont du mal à retourner à l'emploi ».
19:53 Moi, je me souviens, il y a 6 ans, il y avait à peu près 400 000 emplois aidés,
19:57 des emplois un peu subventionnés pour les personnes dont la productivité est faible.
20:02 Aujourd'hui, je crois qu'il y en a entre 50 et 100 000, principalement sur les jeunes et pas du tout sur la population du RSA.
20:07 Est-ce que ça a un effet sur le retour à l'emploi des allocataires du RSA ?
20:10 Réponse « oui ».
20:12 Quand on regarde les dépenses d'insertion des départements, au cours des dernières années, elles ont baissé de 30 %.
20:18 Donc, est-ce qu'il y a moins d'efforts sur l'insertion de ces personnes ?
20:20 La réponse est « oui ».
20:22 Quand on regarde Pôle emploi, j'avais mis dans la loi, et c'était assez contre-intuitif si je puis dire,
20:28 l'obligation de Pôle emploi d'inscrire tous les allocataires du RSA.
20:32 Est-ce que ça a été fait ? « Oui » ou « non ».
20:34 Donc, je dis aujourd'hui, il y a effectivement un sujet,
20:37 mais la responsabilité, est-ce qu'il n'est pas plutôt du côté des organisations publiques,
20:41 de la manière dont on met en place ces instruments,
20:44 ou est-ce qu'il faut aller dire qu'on va obliger ?
20:46 Et ça me rappelle tellement le moment où je créais le service civique.
20:50 Et quand on créait le service civique, il y avait des gens qui disaient « il faut que ça soit obligatoire ».
20:53 Il y avait des élus qui disaient « oh regardez, les jeunes, ils ne veulent pas s'engager, ça doit être obligatoire ».
20:57 Je les appelais, je disais « mais, tu as fait un programme de service civique dans ta ville ou ta région ? »
21:00 « Ah ben non ».
21:01 « Et donc, tu as un seul jeune qui a refusé de le faire ? »
21:03 « Ben non, puisque je n'ai pas de programme ».
21:05 Oui, sauf que là, sur le RSA, les chiffres sont quand même têtus.
21:07 Les chiffres de la Cour des comptes, 7 ans après leur première inscription,
21:09 42 % de ceux qui touchent le RSA sont toujours au RSA.
21:14 Seuls 34 % ont trouvé un emploi 7 ans après.
21:17 Et combien ont été vus par Pôle emploi dans les 6 mois ?
21:20 En moyenne, le moment où vous percevez le RSA et le moment où vous avez un conseiller référent
21:26 qui vous dit comment je peux vous aider pour le travail, 6 mois.
21:29 6 mois dans la vie.
21:30 Vous savez, si votre portable est en panne, vous attendez combien de temps pour pouvoir appeler l'opérateur ?
21:34 6 minutes ?
21:35 Un mot à l'ancien directeur de la PHP, notamment sur la situation des urgences.
21:40 En allocution du 17 avril, Emmanuel Macron a promis de « désengorger les urgences » d'ici à la fin 2024.
21:47 Est-ce tout simplement faisable ? Est-ce que c'est crédible ?
21:50 Ça dépend ce qu'on appelle « désengorger les urgences ».
21:53 En fait, dans les urgences, il y a deux populations.
21:57 Il y a une population, souvent celle qui est visible,
22:01 qui sont des personnes qui n'auront pas besoin d'hospitalisation,
22:07 et pour lesquelles le manque de médecins généralistes est une explication,
22:13 ou le manque de centres de santé qui puissent être ouverts 24/24 est une des explications.
22:19 Et puis vous avez des gens qui sont sur leur brancard,
22:23 parce qu'il n'y a pas assez de lits en aval,
22:27 et cela, le désengorgement, si je puis dire, la prise en charge,
22:31 nécessite soit qu'on réussisse à réduire la durée de séjour des autres,
22:35 à les traiter mieux, plus rapidement, d'où l'intérêt de la chirurgie ambulatoire,
22:40 soit effectivement, là où c'est nécessaire, d'avoir suffisamment d'infirmiers et d'infirmières
22:47 pour avoir des lits d'aval pour eux.
22:49 Et donc ça n'est possible que si on redonne envie ou possibilité
22:52 aux infirmières et aux infirmiers de travailler à l'hôpital.
22:55 Ce qui n'était pas le cas ces dernières années, y compris quand on dirigeait la paix.
22:59 - Merci Martin Hirsch. - Merci Marc Steyer.
23:01 - L'Esso nostalgique, votre premier roman, publié chez Stock en librairie après-demain.
23:07 Merci encore d'avoir été à notre micro, il est 8h40.

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