Interview de Yannick Borde - Président de PROCIVIS réalisée par Stéphanie de Muru
Salon RENT 2023
Magazine Expression
Salon RENT 2023
Magazine Expression
Category
🗞
NewsTranscription
00:00 Nous sommes toujours sur le plateau du magazine Expression pour le salon RENT avec Yannick Borde, président de Procivis.
00:13 Bonjour Yannick Borde. Bonjour.
00:14 On est ravis de vous accueillir. Alors bon, pour ceux, les rares ici, qui ne connaîtraient pas votre activité assez tentaculaire de Procivis, on fait un petit pitch.
00:22 Alors Procivis, c'est un réseau de 46 sociétés de statut coopératif, promoteur immobilier avec une grande orientation accession sociale à la propriété, constructeur,
00:31 8 ou 10e promoteur suivant les années, 2e constructeur de maison individuelle, 4e réseau d'agence immobilière, derrière les 3 grands que tout le monde connaît.
00:39 Et puis la gouvernance aussi d'un ensemble d'organismes HLM. Donc on est sur beaucoup de champs du logement, pratiquement toute la chaîne du logement.
00:47 Et puis ce statut coopératif, il a aussi une particularité, c'est que bien évidemment nos activités s'inscrivent dans une performance de gestion, performance économique.
00:57 Mais le statut coopératif fait qu'on n'a pas d'actionnaire à prélever la performance et les résultats.
01:02 Donc ces résultats, ils sont bien évidemment, comme tout résultat, affectés pour partie au développement de nos activités, à sa croissance.
01:08 Et puis il y a des actions sociales dans le domaine du logement auprès des populations modestes, soit en accession à la propriété, soit en amélioration de l'habitat.
01:14 Ça fait combien de personnes, tout ça ?
01:16 3 500 collaborateurs et 1,6 milliard de chiffres d'affaires en 2022.
01:20 Effectivement. Vous venez de sortir un baromètre assez riche en enseignements.
01:24 On a donc depuis 2020 un baromètre qu'on construit avec Aris Interactive, qui est un gros baromètre, puisqu'il y a 10 000 personnes qui sont questionnées sur ce baromètre.
01:36 Ce baromètre, il est né en fin de compte, dans notre idée, à la sortie du premier confinement du Covid en juin, juillet 2020, où on annonçait plein de mutations dans le secteur du logement.
01:47 Des gens qui allaient partir à la campagne, des gens qui étaient en télétravail.
01:50 Donc quelque chose qui pouvait un peu télescoper notre secteur d'activité.
01:54 Et donc on a voulu, nous, on a senti ça, mais on a senti ça pas nécessairement de façon très structurante.
01:59 Donc on a voulu le mesurer. Et c'est comme ça qu'est né le baromètre.
02:01 Donc on est à sa quatrième édition et c'est un baromètre qui se découpe un peu en deux parties.
02:05 Il y a des parties qu'on retrouve systématiquement pour voir les évolutions de tendance.
02:08 Et puis il y a des focus chaque année sur des sujets un petit peu nouveaux.
02:11 Là, c'est notamment la précarité énergétique ou la dissociation foncier bâti pour la partie accession à la propriété.
02:16 Alors ce baromètre, il nous dit quelque chose à la fois d'intéressant, voire peut-être d'inquiétant.
02:22 C'est qu'il nous dit que les deux grandes aspirations des Français, en fin de compte, ne sont pas entendues par le gouvernement ou par les gouvernements successifs.
02:28 Ces deux grandes aspirations, c'est quoi ? C'est je souhaite être propriétaire de mon logement.
02:33 Quel que soit mon âge. Parce qu'à un moment donné, on nous disait que les jeunes vont être sur des réseaux de monde différents.
02:38 C'est absolument pas le cas. Donc il y a 60% des gens qui sont locataires aujourd'hui, que ce soit dans le parc privé, dans le parc social,
02:45 quel que soit le territoire, quelle que soit la transe d'âge, qui veulent être un jour propriétaires de leur logement.
02:51 Donc l'accession à la propriété reste une motivation très forte.
02:55 Une priorité. Donc ça, ça n'a pas changé, contrairement à...
02:58 Ça ne change pas, effectivement, même si on nous dit que parfois, il y a des évolutions. En tout cas, ce n'est pas marqué.
03:02 Et puis le deuxième sujet, qui est un sujet extrêmement polémique en ce moment, c'est le sujet de la maison individuelle,
03:07 qui est un peu récurrent, vous direz, depuis qu'un ministre ou une ministre, en l'occurrence, avait dit qu'il fallait arrêter la maison individuelle.
03:15 Elle s'est vite fait tapée sur les doigts, mais bon...
03:17 Elle a un peu corrigé ses propos. Je pense qu'il faut arrêter de caricaturer sur la maison individuelle.
03:22 C'est fini, la maison individuelle, sur 3,1 mètres carrés de terrain, comme on pouvait faire encore il y a 10 ou 15 ans dans certains territoires.
03:28 La maison individuelle a là aussi eu ses défauts.
03:30 Les gilets jaunes, on nous a dit, sont nés par les zones périurbaines, les gens qui étaient dans leur maison, certes, mais qui étaient un peu loin de tout.
03:36 La France périphérique.
03:37 La France périphérique. On a le droit au climat résilience, qui est avec notamment l'obligation du zéro artificiation net,
03:42 c'est-à-dire la lutte contre l'étalement urbain, contraire aussi la maison individuelle.
03:46 Et nous, on est plutôt favorables à cet objectif de limiter l'étalement urbain.
03:50 Mais par contre, ça nous amène sur une question qui est mal traitée aujourd'hui, qui est la densification des logements.
03:56 On ne fait plus de la maison individuelle sur 3,1 mètres carrés, comme je le disais.
03:59 On doit pouvoir en faire sur des... On en fait. Aujourd'hui, c'est parti sur des terrains beaucoup plus petits.
04:04 On arrive sur des nouvelles formes urbaines. On arrive sur de la densité.
04:07 Et puis, on arrive sur cette notion de densité qui fait peur, mais qui doit être aussi... Il faut arrêter de la caricaturer aussi.
04:13 Il faut la graduer. La densification à Paris, ce n'est pas la densification à La Rochelle.
04:18 Ce n'est pas la densification dans le Cantal. Par contre, dans toutes les communes de France et de Navarre, si je peux m'exprimer ainsi,
04:24 il faut aussi privilégier la reconquête des centres-villes et pas continuer d'étaler. Voilà. Donc, tout cet équilibre-là...
04:30 — Pour quelles raisons, vous dites ça ? Pour les transports aussi ? Pour...
04:34 — Oui. Moi, j'ai une casquette aussi d'élu local. Je vis ça en tant qu'élu local.
04:37 Étaler la ville, ça a des coûts. Ça a des coûts de transport. Ça a des coûts de réseau technique.
04:41 — Et de carburant. — Et puis, à un moment donné, quand vous créez des quartiers,
04:45 qu'est-ce qu'il faut y mettre comme service public si on est trop loin des écoles, de la mairie, de la poste et tout ça ?
04:50 Bon, voilà. Donc l'étalement urbain, il a un coût. Donc on est assez d'accord pour dire
04:54 « privilégions la reconquête des centres-villes, mais soyons pas non plus caricaturals avec le zéro maison individuelle ».
04:58 Et donc ce qui est inquiétant aujourd'hui, c'est qu'il n'y a pas grand-chose dans le projet de loi de finances concernant le logement.
05:03 — J'allais y venir, parce que... Mais même Emmanuel Macron, dans son mandat, j'ai envie de vous dire, un peu contre... Voilà.
05:11 — Le mandat d'Emmanuel Macron, il est marqué... — Il n'a pas été pro-immobilier.
05:15 — Il est loin d'être pro-immobilier. Je pense qu'on a un président de la rue qui a une relation particulière à l'immobilier un peu particulière.
05:22 Je suis très critique, moi, sur la façon dont a été conduite la politique du logement en construction depuis 2017.
05:28 Il y a eu une première mesure dramatique en 2018. C'est la suppression de l'appel à accession, qui ne coûtait pas grand-chose au budget de l'État.
05:32 Et ça a été dramatique à ce moment-là. Là, il y en a une dans le PLF qui est dramatique.
05:36 C'est l'évolution du Préalaté au zéro, qu'on va supprimer sur 90% du territoire, contrairement à ce que dit M. le ministre de l'Économie,
05:42 et concentrer sur ce qui reste uniquement sur le collectif et plus sur la maison individuelle. Donc là, c'est dramatique pour l'accession.
05:48 — Une bombe sociale, dit Doird Philippe. — Oui. Doird Philippe l'a repris. Olivier Klein l'avait dit quand il était ministre.
05:53 Il n'a pas été entendu. Voilà. Donc il y a un sujet extrêmement compliqué. Il n'y a rien dans la loi de finances sur le logement
05:59 sauf l'impact du Préalaté au zéro, ce qui est à mon avis dramatique. Et puis n'opposons pas construction neuve et réhabilitation.
06:05 Mais soulignons quand même que sur la partie réhabilitation, le gouvernement et le mandat précédent du président de la République actuelle
06:12 a aussi infléchi les choses plutôt dans le bon sens. Mais ça ne compensera jamais le déficit de construction de logements qu'on a.
06:19 Aujourd'hui, on a besoin de 3 000 à 400 000 logements neufs par an tous les ans. On en est très loin. Et on est dans un moment très très difficile.
06:25 — Avec aussi la question du zéro artificialisation des sols qui pose... — Oui, qui va limiter, avec aussi, je pense, un certain nombre de maires qui hésitent.
06:34 Je vais vous donner un chiffre qui est assez parlant. Aujourd'hui, toutes les communes de France doivent être dotées d'un programme local de l'urbanisme,
06:40 c'est-à-dire comment on construit, qu'est-ce qu'on autorise, les hauteurs, etc. Aujourd'hui, suivant une étude conduite par l'FPI, on ne construit que 70% de ce que les PLU permettent de faire.
06:49 Parce qu'on nous demande de descendre d'un étage, parce que le voisin d'à côté, il veut qu'on réduise la proximité par rapport à sa maison.
06:57 Et donc déjà, si on passait de 70% à presque 100%, on construirait 50% de plus qu'aujourd'hui dans ce qu'on fait, dans les programmes que l'on fait.
07:05 Donc il faut vraiment qu'on arrive à remettre au cœur de la politique la nécessité de construire, l'acte de construction, comme quoi c'est quelque chose de nécessaire.
07:15 Et dans le baromètre de l'année dernière, on avait posé la question à la population. « Est-ce que vous pensez qu'il faut construire en France ? ». La réponse est oui.
07:23 Si c'est à côté de chez vous, c'est un problème, la réponse est oui. C'est-à-dire que je veux bien qu'on construise, mais si possible, peut-être pas dans ma ville.
07:30 En tout cas, pas sur le terrain d'à côté de chez moi, peut-être pas dans ma ville. Donc ça, c'est un vrai sujet.
07:34 C'est ce à quoi sont confrontés les élus en permanence. Des règles, c'est pareil pour le logement social, des règles qu'on leur impose.
07:41 Et l'absurdité qui fait que vous n'arrivez pas à faire qu'il y ait l'aigle aussi.
07:46 À un moment donné, il faut peut-être passer un peu outre certaines considérations un peu trop individualistes.
07:52 Et ce qu'il faut aussi avoir à l'esprit, c'est qu'on ne réindustrialisera pas la France si on ne construit pas. Parce que partout, il manque de logement.
08:00 Bien sûr, ça a toujours été accompagné de la politique du logement.
08:02 Avant le Covid, on avait l'impression qu'il n'y avait que les grandes métropoles. Nous, on combattait ça sans trop de succès.
08:07 Maintenant, on est écouté, parce qu'aujourd'hui, on a l'impression qu'on arrive dans n'importe quelle ville de France, on a du mal à s'loger.
08:12 Même les villes de petite taille, les villes moyennes.
08:14 Donc ça, on a bien compris que, et moi je combats une notion qui est marché tendu, détendu, que je considère complètement absurde.
08:19 Parce qu'aujourd'hui, dans beaucoup de territoires dit secondaires comme ça, en approche, on a aussi des problèmes de logement qui peuvent être très différents quand vous êtes sur un littoral ou dans une ville très industrielle.
08:28 Mais ça, c'est vraiment un sujet qu'il faut remettre sur la table. Et puis l'autre démon important, où il faut convenir, je mélange un peu mon expérience immobilière et mon expérience d'élu.
08:37 C'est que pour maintenir la population dans une ville, il faut construire.
08:41 Parce que vous avez ce qu'on appelle le décerment familial. Un couple, vous êtes quatre, les enfants sont étudiants ou ils sont mariés, ils partent ailleurs, vous êtes plus que deux.
08:48 Les séparations, bien évidemment. La durée de vie, qui fait qu'on maintient un domicile.
08:53 Donc dans une commune, moi quand j'ai des maires qui me disent "je veux favoriser le développement économique, mais je ne veux pas construire", je leur dis que ça ne va pas être possible.
09:02 Il faut surtout avoir à l'esprit que nous on est sur des temps longs. C'est peut-être ça aussi un peu le problème par rapport aux politiques qui sont sur des temps beaucoup plus courts.
09:09 Moi je suis président du réseau depuis dix ans. Je ne sais pas à combien je suis rendu le ministre du logement, mais peut-être huit ou neuf à peu près. Je ne les ai pas comptés.
09:17 Mais on est sur des temps longs. Moi, quand un de mes collaborateurs sur le groupe que je dirige en Pays de la Loire regarde un foncier, un terrain ou amène une info sur un terrain,
09:26 si ce projet va au bout, il n'y aura des habitants que cinq ou six ans après. C'est ça notre cycle économique aujourd'hui.
09:34 Donc mécaniquement, on ne peut pas à la fois annoncer une réindustrialisation ou le développement d'industrie et puis satisfaire tout de suite les problèmes de logement.
09:46 Donc quand on a dit ça, peut-être que ce qui manque dans ce pays depuis pas mal d'années, c'est une vraie politique d'aménagement du territoire qui est assez inexistante.
09:53 Le logement doit en être une des composantes. Merci beaucoup. Merci.
09:56 [Musique]