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Depuis ces dernières semaines, c’est un nom et une voix qui apaise par la justesse de ses mots et la sincérité de son art : le dramaturge et metteur en scène israélien Yuval Rozman est l'invité de Mathilde Serrell ce matin.

Retrouvez Nouvelles têtes présenté par Mathilde Serrell sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/nouvelles-tetes

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Transcription
00:00 - Qu'en a-t-il de ce matin un metteur en scène et dramaturge qui défend l'art contre le slogan ?
00:05 Yuval Rosman est dans notre studio. Portrait sonore.
00:09 - Il a grandi sous les alarmes et les sirènes de la guerre du Golfe, à Herzliha, dans la banlieue de Tel Aviv.
00:19 Sa grand-mère, à rescapé d'Auschwitz, son père, chef de chantier et poète, sa mère, artiste peintre.
00:27 À 11 ans, sur une chorégraphie de "Like a Prayer" de Madonna, c'est la révélation.
00:42 Lui qui se rêvait volailleur ressent l'appel du spectacle vivant.
00:47 C'est son premier émoi, à la fois artistique et sensuel.
00:51 La même année, sa première prise de conscience politique.
00:54 - Le premier ministre a été débattu ce soir.
01:01 Il a quitté les meetings pour la paix à Tel Aviv.
01:04 Le pays vient d'éviter les chocs et les dismissions d'une femme qui faisait des efforts.
01:09 C'était totalement immédiat du processus de paix.
01:13 - Comme dans les autres manifestations, pour les accords d'Oslo, pour la paix entre Israël et la Palestine,
01:19 ce 4 novembre 1995, son père l'avait emmené défiler quand le premier ministre Yitzhak Rabin a été assassiné.
01:26 Depuis, c'est sur une scène de théâtre qu'il veut continuer à construire la paix.
01:31 Une première pièce à 21 ans, puis le service militaire, enfer et désertion.
01:40 Hommage au "Kabaret Dada" de Zurich dans l'entre-deux-guerres, il crée après cela sa deuxième pièce, "Kabaret Voltaire",
01:47 avec l'ami et acteur palestinien Mohamed Bakri.
01:51 Très critique du gouvernement, le spectacle rafle tous les prix, mais toutes les subventions sont coupées.
01:56 Il va alors s'exiler. A 39 ans aujourd'hui, il vit et crée depuis 9 ans en France
02:01 et présente le troisième volet de sa quadrilogie "De ma terre".
02:05 Yuval Rozman, bonjour. - Bonjour.
02:08 "Aouvi", ça veut dire "mon amour" en hébreu.
02:11 C'est cette nouvelle création que vous présentez à Paris au théâtre du Rond-Point depuis le 7 novembre.
02:16 Qu'ont-vous fait pour démarrer un 7 novembre ?
02:19 Des représentations un mois après les attaques effrayables du Hamas et le début des bombardements intenses à Gaza.
02:25 Avec beaucoup de larmes et de la culpabilité qui est très présente.
02:31 Parce que toute ma famille, mes amis réservistes, ou les gens, même des artistes qui travaillent dans la performance
02:39 ou travaillent maintenant dans la culture de la guerre en Israël.
02:41 Et moi je viens et je joue ma pièce sur les Champs-Elysées.
02:46 C'est très bizarre.
02:48 C'est la cohabitation de toutes ces différentes émotions qui font qu'on joue cette pièce.
02:54 Et la pièce parle de ça.
02:56 C'est la pièce la moins politique de la quadrilogie "De ma terre"
03:00 parce que c'est vraiment le volet de l'amour.
03:02 Le conflit israélo-palestinien est toujours très présent.
03:06 C'est une pièce qui raconte la dissolution d'un couple.
03:09 Elle est Amar, né à Jérusalem dans une famille israélienne.
03:11 Lui, Virgil, du sud de la France.
03:13 Ils se rencontrent un mois après les attentats du 13 novembre 2015.
03:17 La pièce ne parle pas du conflit mais il est là.
03:19 On écoute.
03:20 "T'as les gens, ils adorent les habits, le soleil, le truc.
03:22 Ils marchent, ils parlent tranquille et d'un coup t'as un camion qui arrive.
03:24 Du coup ils s'effondrent, ils envoient les avions, ils font...
03:28 "Ouais, Khalil, Khalil, il n'y a plus Khalil, c'est un Juif, salarable,
03:35 "Vous êtes le premier de mon élément"
03:38 Non mais j'adore la géopolitique, l'histoire et tout.
03:41 C'est un kit, c'est un kit.
03:43 C'est Virgil qui résume le conflit israélo-palestinien.
03:46 Quand ils rencontrent Tamar, ils seront très amoureux
03:49 et puis ça se passera très mal ensuite.
03:51 C'est une histoire de domination, de domination de laquelle elle va réchapper.
03:56 On arrive à rire sur le fil avec cette scène.
04:00 Yuval Rosman ?
04:02 Moi j'ai grandi là-dedans.
04:04 Israël, c'est aussi ma grand-mère qui, comme vous avez dit,
04:08 a rescapé de Auschwitz.
04:09 C'est elle toujours qui a fait des blagues sur la choix, sur Auschwitz.
04:11 C'est elle qui a perdu tout le monde dans les chambres à gaz.
04:13 Donc l'humour, en fait, c'est fondamental et c'est un choix politique
04:16 comme un mécanisme de défense, je ne sais pas.
04:19 Mais l'humour, le mauvais goût, l'amateurisme est très très présent.
04:22 Donc oui, on n'est pas des philosophes et j'ai envie de parler d'Israël,
04:26 de la Palestine, de mes amis israéliens et palestiniens
04:28 comme je l'avais grandi.
04:30 Oui, d'ailleurs, parlant de philosophie, il y a un philosophe qui fout le bordel
04:34 dans une émission de radio, dans votre deuxième volet de votre quadrilogie de matière.
04:38 Ça s'appelle "The Jewish Hour".
04:39 Vous deviez la jouer à envers.
04:41 L'équipe a annulé, de peur.
04:43 Et dans cette pièce, vous racontez finalement votre confrontation
04:47 avec la montée de l'antisémitisme en France.
04:50 Oui, en fait, c'est très bizarre parce que moi, d'abord,
04:54 quand je suis arrivé en France, je disais chaque fois,
04:56 même si mes cousins ou mes amis ont demandé "Alors, comment t'habites à Paris ?
05:00 Ça va, Isabelle Huppert, la Tour Eiffel ou le Croissant ?"
05:03 C'était pas ça, c'était "Ils sont comment les Français antisémites ?"
05:06 C'était la première question.
05:07 Et moi, chaque fois, je disais "Bah non, c'est juste, je suis dans le milieu
05:11 de spectacles vivants".
05:12 Puis, au fur et à mesure, surtout après 2015, j'ai commencé à sentir la peur.
05:18 Et maintenant, depuis un mois, comment la peur s'est glissée.
05:22 J'ai caché mon portable dans le métro si j'écris en hébreu.
05:25 Quand je parle avec ma mère en hébreu, je ne parle pas fort.
05:28 En bas de chez moi, il y a une école de petits-enfants juifs.
05:31 Il y a huit soldats devant pour les protéger.
05:34 Donc oui, c'était vraiment quelque chose que je ne voulais pas voir.
05:38 Et je trouve qu'il s'est glissé.
05:41 C'est une utopie de la France qui s'est écroulée pour vous ?
05:44 La question de l'utopie, oui.
05:47 Malheureusement, là, je parle plutôt de l'écrasement de l'utopie.
05:50 La France était un rêve pour moi, comme Israël était un rêve pour mes grands-parents.
05:54 Et puis là, je pense que la pièce parle aussi de l'écrasement de cette histoire d'amour.
06:00 Israël, France.
06:02 Alors, pardon, je sais que vous aviez envie de nous donner vos mots.
06:06 Vous avez préparé quelque chose pour nous, ce matin, Youval Roosman.
06:10 Je vous laisse, sujet libre.
06:14 Sur cette antenne, il y a déjà eu beaucoup de mots sur ce qui se passe chez moi en Israël,
06:18 sur Gazal, cet octobre, ce massacre monstrueux.
06:21 Je ne veux surtout pas rajouter d'huile sur cette pluie de feu et de sang.
06:25 Après cette tragédie dans laquelle la douleur est aiguë et terrible,
06:28 vient la suite, le moment où la plaie se recouvre de couches de réalité et de vie quotidienne.
06:33 Il y a des choses à faire, des spectacles à jouer, des blagues à réinventer.
06:36 Il y a tout le devoir de la vie et aussi leur joie.
06:39 Il y a toujours nos morts et il y a, au contraire, des nouveaux bébés nés dans des familles en deuil.
06:43 Il y a même des distractions à la douleur.
06:46 Parfois, dans la journée, on peut presque oublier ce qui est arrivé.
06:49 Il semble que la réalité étale tant sur notre blessure, sur notre abîme personnel,
06:54 une fine et souple toile sur laquelle nous apprenons à marcher.
06:57 Et nous marchons vraiment bien.
06:59 Héroïquement pourrait-on dire, et nous croyons que la fine toile ne se déchira pas.
07:03 Je dis abîme car je n'ai pas d'autre mot pour le décrire, ce vide absolu, ce vide mort.
07:07 C'est impossible à décrire et c'est impossible à comprendre.
07:10 Mais la vérité c'est qu'il n'y a pas de toile au-dessus de l'abîme.
07:13 Nous faisons comme s'il y en avait mais il n'y en a pas.
07:15 Et c'est peut-être ça la plus grande mission de notre vie, c'est d'apprendre à marcher sur la toile
07:19 qui nous empêche de tomber dans l'abîme et de savoir qu'il n'y a pas de toile qui nous protège.
07:24 Et pourtant, y marcher dessus et tomber encore et encore et aussi en tombant et dans l'abîme lui-même, marcher.
07:31 Saskia de Ville : Merci Yuval Rosman de Marchais.
07:34 Avec nous, votre nouvelle création "Auvis" s'est présentée jusqu'au 25 novembre au Théâtre du Rond-Point.

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