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00:00 L'invité éco, Isabelle Raymond.
00:04 Bonsoir à toutes et à tous. L'évasion fiscale des entreprises, des particuliers, que représentent-elles comme manque à gagner pour les Etats ?
00:11 On en parle ce soir avec l'économiste Gabriel Zuckman. Bonsoir.
00:14 Bonsoir.
00:15 Directeur de l'Observatoire européen de la fiscalité, vous publiez aujourd'hui le rapport mondial annuel sur la fiscalité.
00:22 Alors il y a du positif, du négatif et du très négatif. On va en parler.
00:26 Et on va commencer, si vous le voulez bien, par le verre à moitié plein. Il concerne les particuliers les plus fortunés.
00:32 L'argent caché en Suisse sur un compte bancaire opaque, c'est terminé ou presque ?
00:37 Il y a eu des gros progrès sur cette question de la dissimulation des patrimoines dans les paradis fiscaux depuis 2017.
00:44 Depuis la mise en œuvre d'un échange automatique de données bancaires, une forme de coopération internationale qui était jugée parfaitement utopique il y a encore une quinzaine d'années.
00:54 Avant cet échange de données bancaires, il était très facile de dissimuler des fortunes sur des comptes en Suisse ou à l'étranger.
01:02 Maintenant, c'est beaucoup plus difficile. On estime que cette nouvelle forme de coopération internationale a permis de réduire la fraude fiscale offshore de plus de moitié.
01:13 Donc c'est un gros progrès. Alors tous les problèmes ne sont pas résolus pour autant.
01:17 Mais on est incité à déclarer ce qu'on sort de son pays d'origine en gros.
01:21 C'est que les banquiers en Suisse, à Singapour, au Zillikaïman sont censés déclarer aux autorités fiscales compétentes tout ce qu'ils savent sur vos revenus, votre patrimoine, etc.
01:34 Alors bien sûr, ce serait un peu naïf de penser que les mêmes banquiers qui pendant des décennies ont aidé leurs clients à pratiquer l'évasion fiscale sont tous maintenant parfaitement honnêtes.
01:42 On n'en est pas là. Mais quand même, il faut saluer ce progrès parce que ça montre que l'évasion fiscale, ce n'est pas une espèce de loi de la nature.
01:51 Au contraire, c'est un choix de politique publique. Et on peut, si à la volonté politique, lutter contre l'évasion fiscale et faire des progrès en assez peu de temps.
02:00 Alors justement, on va en parler de la volonté politique. On va aborder maintenant la question des entreprises et surtout les plus grosses d'entre elles, les multinationales.
02:09 Une partie de leurs bénéfices échappent à l'impôt. Jusqu'à la moitié des profits réalisés à l'étranger pour les entreprises américaines.
02:16 Et vous chiffrez ce manque à gagné global à 1000 milliards de dollars en 2022. Est-ce que ce chiffre-là, il est en progression ?
02:23 Alors ça, c'est l'aspect moins positif des évolutions récentes. La délocalisation des bénéfices dans les paradis fiscaux continue.
02:33 Et les paradis fiscaux, ce n'est pas seulement les îles Caïman, les îles Vierges, c'est aussi en Europe, l'Irlande, les Pays-Bas ?
02:39 C'est beaucoup en Europe. Cette grande évasion fiscale des sociétés multinationales, elle représente une masse de bénéfices de l'ordre de 1000 milliards de dollars
02:49 qui sont réalisés en France ou dans les grands pays de l'Union Européenne, dans les pays en développement, aux Etats-Unis,
02:54 mais qui sont enregistrés d'un point de vue comptable dans des paradis fiscaux où ils sont imposés à des taux nuls ou presque.
03:01 A peu près la moitié de cette somme de 1000 milliards de dollars se retrouve dans des paradis fiscaux européens.
03:07 Ça va être l'Irlande, les Pays-Bas, le Luxembourg ou la Suisse. Donc le problème est vraiment au cœur de l'Europe.
03:13 Et le problème, c'est quoi ? C'est la rivalité entre les différents pays ? Elle est néfaste ?
03:18 Le problème, c'est qu'on a pris un certain nombre de mesures pour essayer de limiter cette délocalisation artificielle des bénéfices dans les paradis fiscaux,
03:27 mais jusqu'à présent, elles n'ont pas apporté leurs fruits. En 2021, il y a eu beaucoup d'espoir quand 140 pays se sont mis d'accord
03:35 sur le principe d'une taxe minimale à 15% sur les bénéfices des sociétés multinationales.
03:41 C'était vraiment un pas de géant parce que c'était la première fois qu'il y avait un accord international qui venait fixer un taux minimum d'imposition.
03:48 Alors certes, le taux était faible. 15%, c'est nettement plus faible que ce que doivent payer les PME, par exemple, en France.
03:54 Et ça rentre en vigueur au début de l'année prochaine.
03:57 Ça rentre en vigueur dans l'Union européenne à partir du 1er janvier 2024. Néanmoins, gros problème.
04:02 Au début, le taux était faible, mais au moins, il y avait la promesse qu'il serait appliqué de façon systématique.
04:08 Gros problème. Depuis 2021, cet accord a été en partie vidé de sa substance en raison de la multiplication des exonérations et des niches fiscales
04:17 qui, par rapport à ce qu'on pouvait espérer en 2021, vont réduire les recettes attendues de cette taxe minimale à peu près de moitié.
04:26 Et donc, ce ne sera pas 15%, ce sera beaucoup moins à cause des exonérations.
04:30 Alors maintenant, on en vient au point noir de ce rapport. Il concerne le club des particuliers les plus riches.
04:35 Ils sont moins de 3 000 dans le monde, dont 75 français.
04:39 Et là, les chiffres donnent le tournis puisqu'au global, ils détiennent, dites-vous, plus de 12 000 milliards de dollars.
04:45 Aujourd'hui, ils payent quasiment 0% de taxes sur le patrimoine. Comment est-ce possible ? Et comment est remédié ?
04:51 Ce sont les milliardaires. Donc, effectivement, il y a près de 3 000 milliardaires au niveau mondial.
04:56 Et quand on regarde leur taux effectif d'imposition, on se rend compte qu'il est très faible.
05:02 Non, mais vous dites zéro. Ce n'est pas très faible.
05:04 C'est entre 0 et 0,5% en pourcentage de leur fortune. Comment est-ce que c'est possible ?
05:13 C'est parce que quand vous avez une très grande fortune, c'est en fait assez simple, trop simple malheureusement,
05:19 d'organiser cette fortune de façon à ce qu'elle génère peu ou parfois pas du tout de revenus imposables.
05:26 La façon dont les milliardaires procèdent, c'est en utilisant des sociétés écrans,
05:30 en organisant leur détention patrimoniale via des sociétés holding. Il y a plein d'exemples en France.
05:37 Dites-nous, donnez-nous un seul.
05:39 Par exemple, si vous prenez la famille Arnault, actionnaire, propriétaire de LVMH.
05:46 En 2023, la famille Arnault a touché 3 milliards d'euros de dividendes au titre des bénéfices 2022 de LVMH.
05:54 En France, en principe, pour l'actionnaire Lambda, on paye 30% d'impôt sur les dividendes.
05:59 C'est la flat tax. Mais dans le cas de la famille Arnault, ils ne payent pas 30% sur ces dividendes
06:07 parce que les dividendes sont payés non pas en direct à ces personnes physiques,
06:11 mais à des sociétés écrans où ils ne sont pas soumis à l'impôt sur le revenu des personnes physiques.
06:17 Et donc vous vous proposez de mettre en place une taxe à 2% sur la fortune de ces 3 000 milliardaires ?
06:23 Ce serait la façon la plus simple de régler le problème.
06:27 Ce serait de dire, et c'est la préconisation principale qu'on formule dans ce rapport,
06:32 il faut une taxe minimale sur les milliardaires mondiaux.
06:36 On propose une taxe de 2%. Alors ça veut dire quoi 2% ?
06:39 Aujourd'hui, on l'a vu, ils payent entre 0 et 0,5% de leur fortune en impôts.
06:44 Donc 2% ce serait quand même plus que ça.
06:46 En même temps, ça resterait modeste par rapport au taux de croissance de la fortune des milliardaires
06:52 qui a été en moyenne de 7% par an depuis les années 1990.
06:55 Sauf que Gabriel Zuckman le tempresse.
06:57 Vous voyez bien que le débat politique n'est absolument pas mûr, notamment en France, sur ce sujet.
07:01 Il a quand même évolué.
07:04 Par exemple, ce qui me frappe, c'est ce qui s'est passé aux Etats-Unis.
07:07 En 2019-2020, pendant la campagne des primaires démocrates,
07:10 Joe Biden avait fait campagne contre les projets d'impôt sur la fortune de Bernie Sanders et Elizabeth Warren.
07:15 Une fois élu, il a introduit dans son propre budget un projet d'impôt minimum sur les milliardaires.
07:21 Donc on voit qu'en fait les attitudes peuvent évoluer assez vite sur cette question.
07:24 Merci beaucoup Gabriel Zuckman, professeur d'économie à Berkeley en Californie et à l'École d'économie de Paris,
07:30 coordinateur du rapport annuel sur l'évasion fiscale que vous pouvez retrouver en accès libre sur internet.
07:36 Merci.

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