Lilia Hassaine en toute transparence

  • l’année dernière
Lilia Hassaine présente "Panorama", édité chez Gallimard dans lequel elle dresse le tableau d'un monde où la transparence est la règle absolue, 20 ans après une révolution qui a transformé la France. Au nom de leur sécurité, les citoyens ont renoncé à leur intimité et accepté de vivre dans des maisons vivariums. Une vie en toute transparence où tout le monde se surveille et où il n’y a plus en apparence ni de crime ni de délit. On pourrait croire qu’on a atteint un modèle parfait, jusqu’au jour où une famille disparait sans que personne ne sache ce qu’il leur est arrivé. Une situation invraisemblable dans un tel monde où une héroïne va mener l’enquête. Un parcours qui nous fait réfléchir sur la notion de faille, de transparence et de violence qui peut ressurgir quant une société tombe dans une forme "d'intégrisme du bien" et en devient violente d'une autre manière. 

Category

📺
TV
Transcript
00:00 réalité n'est jamais aussi transparente qu'on le croit. Vous écrivez, Lili Hassen,
00:04 « Nous ne sommes pas transparents à nous-mêmes ». Qu'est-ce que ça veut dire ?
00:09 Ça veut dire qu'on a tous une forme de faille entre notre surmoi, notre moi, nos passions,
00:18 et que finalement, effectivement, on ne se connaît pas. Le fameux « connais-toi toi-même », on
00:26 découvre avec le temps qu'on est capable de se surprendre à tout moment aussi. C'est vraiment
00:34 le parcours de l'héroïne de mon livre. Elle pensait que la sécurité était une sorte de
00:40 valeur supérieure parce qu'elle avait subi des maltraitances pendant son enfance. Elle se rend
00:45 compte de ce qu'elle a perdu aussi en termes de liberté, de la manière dont la violence peut
00:49 ressurgir à travers tout un tas de notions positives, qu'une société qui tomberait dans
00:56 une forme d'intégrisme du bien, où toute négativité serait supprimée, serait une société
01:00 qui deviendrait violente d'une autre manière. Justement, quelle société ? C'est quand même
01:04 la question. Parce que le mot « transparent », transparence, on les entend tout le temps,
01:07 et on les entend déjà. Et depuis quelques années, en quoi est-vous le sentiment que la transparence
01:12 est déjà devenue une règle, ou en tout cas une exigence aujourd'hui ? Écoutez, chaque fois que
01:19 je vais acheter un produit au supermarché, il y a écrit « transparence » sur une bouteille d'huile
01:24 d'olive il n'y a pas longtemps. « Transparence et qualité », je ne sais pas ce que ça veut dire.
01:27 On peut parler des États-Unis, où dans certaines écoles, où il y a eu des tueries, on est passé
01:34 au sac à dos transparent. En France, sans aller aux États-Unis, les systèmes de notation, où les
01:39 parents ont accès aux notes de leurs enfants en avant-première, avant même les enseignants,
01:45 dans le domaine politique, la haute autorité pour la transparence qui s'est créée, ce mot de
01:50 transparence, il est partout, il est dans nos relations même amoureuses. On pense qu'on est
01:55 transparent les uns avec les autres. Et moi, c'est un mot qui m'effraie, parce que comme,
02:00 effectivement, toute valeur positive, on ne s'en méfie pas trop, parce que c'est une notion qui
02:05 est tellement associée aujourd'hui à nos démocraties. Mais c'est une notion dont je pense
02:09 qu'il faut se méfier. - Iméric Antelove ? - Non, je veux dire, la transparence, c'est aussi un vieux
02:13 rêve même du 19e siècle, parce que dans les phalanstères de Fourier, il y avait déjà cette
02:19 idée selon laquelle les habitations étaient transparentes à l'intérieur, pour qu'on puisse
02:23 se voir les uns les autres. Et je me demandais si c'était quelque chose qui vous avait inspiré
02:27 dans votre livre. - Exactement. Alors moi, je parle du panoptique de Jérémy Bentham, mais qui est un
02:32 peu, voilà, c'est un peu sur le même modèle. Et effectivement, transparence, c'est un mot très
02:37 intéressant, parce que c'est à la fois une sorte de vieux rêve pour les prisons, les hôpitaux, la
02:43 manière dont on contrôle avec un gardien central qui peut surveiller tout ce qui se passe sans
02:48 être vu. Donc il y a cette force de domination. Aujourd'hui, on est dans une forme de panoptique
02:52 digitale où il n'y a plus de dominance et tout le monde passe à la fois du côté de la victime,
02:56 du coupable. On s'observe les uns aux autres. Et en creux, c'est aussi la possibilité du refuge,
03:03 de la chambre à soi.

Recommandée