• il y a 2 mois
Pour la première fois, Agnès Jaoui prend la plume et raconte : l’amitié, d’abord, indéfectible mais aussi faite de rivalités, d’étonnements, de trahisons. L’apprentissage de son genre, joyeux ou angoissant, empreint de doutes et d’injonctions parfois douloureuses. Et les humiliations scolaires, les codes sociaux, le mépris de classe, tout ce qui a forgé sa personnalité convaincue et déterminée.

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Transcription
00:00Et vous en avez peut-être entendu parler de cette jeune autrice, elle s'appelle Agnès Jaoui.
00:04Et ce premier livre, je dois dire, il est extrêmement émouvant.
00:06Vous racontez en fait des bouts de votre enfance, depuis l'âge de 7 ans.
00:10On parlait tout à l'heure avec les deux philosophes qui vous ont précédé de l'importance de se raconter,
00:15pour donner justement un sens à sa vie.
00:18Qu'est-ce que ça vous a permis, vous Agnès Jaoui, de vous raconter ainsi aussi directement ?
00:23Parce que vous avez beaucoup écrit pour le cinéma, mais là c'est quand même la première fois.
00:28Oui, et puis c'est la première fois, c'est complètement autobiographique évidemment,
00:31ce qui n'est pas le cas quand j'écris des films.
00:34Et ça m'apporte...
00:37D'abord, c'était un plaisir de le faire avec Cécile Partouche, mon amie d'enfance,
00:42comme Isabelle Deveau, que j'ai connue quand on avait 7 ans,
00:46quand on s'est rencontré, et on est toujours amies.
00:48Et elle donne un sens à ma vie.
00:52Et d'ailleurs, je pense aussi que ce qui est bien dans la philosophie, dans tout ça,
00:58et dans s'écrire, c'est aussi d'avoir du recul en fait.
01:01Vous avez compris des choses sur vous en l'écrivant ?
01:04Je ne sais pas si j'ai compris des choses sur moi,
01:07parce que ça fait longtemps que je suis en thérapie,
01:10et que j'essaie de réfléchir et de trouver ce sens à ma vie.
01:16Mais en tout cas, ça fait quelque chose de mettre sur papier des souvenirs.
01:22Et oui, à partir du moment où on a un peu de recul et on peut les regarder de loin,
01:26ça prend un autre sens.
01:28D'autant qu'en vous lisant, on apprend que vous écrivez depuis longtemps, en l'occurrence.
01:32Je me suis mis à écrire dans mon journal qu'il y ait une trace, quelque part, de mon existence.
01:37Voilà ce que vous écrivez. Et à l'époque, vous êtes toute petite.
01:40Oui, mais je suis complètement obsédée par l'idée de la mort,
01:44et de la fugacité, de l'absurdité de nos vies.
01:48Il y a quoi dans ce journal ?
01:50Écoutez, la première phrase, c'est Agnès Jaoui,
01:54parce que j'écris à la troisième personne.
01:57Je me dis, autant faire une biographie tout de suite.
02:00On n'est pas à la première coquetterie.
02:02Alors, à l'encre violette, bien ronde, il est écrit,
02:05Agnès Jaoui est la plus jolie fille du lycée et tous les garçons sont amoureux d'elle.
02:08Alors, la méthode couée, c'est un peu plus tard, Agnès Jaoui.
02:11Je sais, mais d'ailleurs, ça n'a pas bien marché,
02:13parce qu'après, c'est raturé rageusement,
02:15il y a écrit moche à la place de jolie.
02:18Bref, j'ai 11 ans, donc j'en suis là, de mon recul sur moi-même.
02:22C'est intéressant, cette volonté de laisser une trace, d'écrire très jeune.
02:26Ça a quelque chose à voir, Valérie Perrin, Étienne Kern,
02:28avec le fait d'être romancier, vous pensez ?
02:31Retenir, ça a toujours été comme ça.
02:33Les Oubliés du dimanche, elle la retient sur un journal.
02:36Violette, dans son cimetière,
02:38elle écrit tout ce qui se passe au jour des funérailles,
02:40pour ceux qui ne peuvent pas y assister.
02:42Dans Troyes, il y a une narratrice,
02:45et il est évident que, oui, j'aime retenir.
02:48Il faut retenir.
02:49Moi, j'ai des obsessions comme vous, Agnès.
02:51Et vous, Étienne ?
02:53On entend la voix de l'enfance dans votre livre magnifique, Agnès,
02:56et on l'entendait tout à l'heure aussi avec Lankévitch.
02:58Je crois que finalement, la philosophie et la littérature se rejoignent
03:01dans cette convergence vers ce qui est le plus ancré, le plus ancien en nous.
03:05Et finalement, c'est une forme d'émerveillement.
03:07Aristote disait que la philosophie naît de l'étonnement ou de l'émerveillement,
03:11selon la traduction qu'on propose du verbe grec.
03:13Et je crois que c'est le point commun
03:15de toute forme d'interrogation sur le monde, et donc d'écriture.
03:19Et cette voix d'enfance est vraiment poignante dans votre livre,
03:23et n'empêche pas du tout une profondeur dans l'analyse,
03:27notamment des rapports sociaux,
03:29de la manière dont notre corps nous détermine.
03:32C'est à la fois un livre de petits bouts d'enfance, comme vous l'avez dit, Augustin,
03:36et une sorte de petit traité de sociologie, de psychologie,
03:40avec toute une sagesse.
03:42Qu'est-ce que vous nous avez offert-il ?
03:44Merci, je retourne au fond de mon fauteuil.
03:46Ah non, restez !
03:48Et d'ailleurs, y compris dans l'acte d'écrire.
03:50Moi, c'est ce qui m'a intéressé, et je pense à ce passage que j'adore.
03:53C'est au moment où vous évoquez votre père,
03:55qui à la mort de votre mère vous explique pourquoi il s'était séparé,
03:59en disant que c'était elle qui avait commencé à avoir des amants et des maîtresses.
04:03Et vous écrivez, alors ça c'est absolument génial.
04:05On fait tous ça, réinventer son passé,
04:08pour se présenter sous son meilleur jour,
04:10pour donner une cohérence à une vie qui, le plus souvent, n'en a aucune.
04:14Oui, on revient à notre conversation du début.
04:17C'est qu'effectivement, on aimerait bien que ce soit comme dans les romans pour enfants,
04:23ou dans les films hollywoodiens,
04:25où les méchants sont punis,
04:27les gentils sont récompensés,
04:29et puis voilà, un, deux, trois, et tout va bien.
04:31Mais c'est ce que vous faites aussi, vous, en écrivant,
04:33vous réécrivez le passé, en lui donnant une autre couleur,
04:36un meilleur jour.
04:39Je ne crois pas que j'essaie de me présenter sous un meilleur jour,
04:43j'essaie d'être le plus honnête possible,
04:46et le plus fidèle à mon souvenir.
04:50Mais bon, je prends du recul encore une fois, forcément.
04:53En tout cas, vous le faites avec beaucoup de délicatesse,
04:55beaucoup de philosophie, je suis tout à fait d'accord,
04:57dans ce livre qui s'appelle donc « La taille de nos seins »,
04:59où vous parlez entre autres de vos premiers émois amoureux,
05:01de l'évolution de votre corps,
05:03de votre découverte de cet étrange sentiment qu'est le cafard,
05:06des injustices sociales que vous ressentez,
05:09sans vraiment savoir encore à quoi elles tiennent.
05:11Et ce livre, je le disais, il est illustré par votre amie de toujours,
05:14Cécile Partouche, et c'est important de le signaler,
05:16parce que Cécile, c'est un personnage du livre,
05:18vous le disiez au même titre qu'Isabelle,
05:20et en fait, ce sont vos deux meilleurs amis,
05:22ce sont presque des co-autrices, j'ai l'impression,
05:24de ce livre, au fond.
05:26Et vous avez dit quelque chose qui m'a beaucoup touchée tout à l'heure,
05:28elle donne un sens à ma vie.
05:30En quoi l'amitié, ça donne un sens à la vie, Agnès Jaoui, pour vous ?
05:34Parce que c'est comme l'amour,
05:38c'est essentiel,
05:42ça prouve qu'on existe,
05:45c'est la connaissance de l'autre,
05:48et c'est un amour peut-être encore plus grand,
05:50parce qu'il n'est pas possessif, a priori,
05:53et donc,
05:56en tout cas, moi, elles me sont essentielles.

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