• l’année dernière
Augustin Trapenard part à la rencontre de Thomas Pasquet. A 45 ans, dans une autobiographie intitulée "Ma vie sans gravité" aux éditions Flammarion, et qu’il présente comme un roman d’aventure, le spationaute préféré des Français raconte autant sa formation et ses missions, que ses péchés mignons, ses émotions, ses failles, devant la beauté du monde. 
L’animateur a emmené l’astronaute en expédition à la Bibliothèque Nationale de France, pour explorer des mondes de papiers, pour déchiffre des manuscrits ou pour dénicher quelques trésors… 

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Transcription
00:00 [Musique]
00:22 Bonjour Thomas Pesquet.
00:23 Bonjour.
00:24 Vous avez voyagé partout, dans le monde entier.
00:26 Vous avez voyagé surtout dans l'espace.
00:28 On est au Terra Incognita.
00:30 On est dans la grande salle de la Bibliothèque Nationale de France.
00:33 Rudry Chollieux, c'est vous qui avez choisi cet endroit. Pourquoi ?
00:36 Parce que moi j'ai un vrai amour pour les livres, vraiment.
00:39 J'ai grandi en allant dans pas mal de bibliothèques locales, régionales, départementales.
00:44 Et ici c'est quand même un endroit absolument fantastique.
00:46 Moi ça me fascine. Je rêverais d'avoir ça chez moi.
00:48 Des livres partout sur les murs, jusqu'au plafond, des auteurs comme ça.
00:51 Et je trouve que l'endroit est beau et il a une belle signification.
00:54 Vous n'étiez jamais venu ?
00:55 Non, jamais. C'est la première fois.
00:57 Quelles sont vos bibliothèques, justement, auxquelles vous pensez tout de suite ?
01:00 Moi je pense au Centre d'Action Culturelle de Dieppe, où j'ai passé vraiment beaucoup de temps.
01:05 Et c'est vraiment marrant. Mes parents, mes profs m'emmenaient là-bas pour découvrir.
01:08 Alors ça avait des bandes dessinées, des choses plus sérieuses.
01:11 Mais c'est vraiment là-bas que j'ai fait, on va dire, mes arts.
01:13 Mais ça a commencé aussi localement à Offay, petite ville de 2000 habitants.
01:16 Ma mère était responsable de la bibliothèque le samedi après-midi. J'y ai passé des heures.
01:20 Bénévole. Vous avez découvert quels livres là-bas ?
01:22 Joseph Conrad, des histoires de bateaux, des histoires de montagnes, des histoires de jungle, des histoires d'exploration.
01:27 C'était ça qui me fascinait.
01:28 Ce n'est pas étonnant parce que votre livre, justement, que vous publiez, qui s'appelle « Ma vie sans gravité »,
01:32 n'est pas quelque chose du roman d'aventure. C'est comme ça que vous l'avez pensé aussi ?
01:35 Je pense, oui. Moi je me suis rendu compte que je racontais beaucoup d'histoires,
01:38 de petites histoires de cette grande histoire de mes missions,
01:41 et que j'avais envie de les fixer quelque part, qu'il y ait un endroit un peu référence.
01:44 On se dit « voilà, maintenant, elles sont racontées pour l'éternité », même si c'est bien un roman.
01:49 Vous pensez à quoi ? Qu'est-ce que vous ne voudriez jamais oublier ?
01:52 C'est des sentiments, en fait. C'est comment je me suis senti quand je suis arrivé dans la station spatiale.
01:56 C'est aussi des sentiments pas forcément positifs. Ça peut être toute la difficulté qu'il y a eu, les sacrifices.
02:02 Il y a tellement d'images d'épinales dans le métier d'astronaute que là, je me disais « bon, voilà,
02:06 c'est vraiment comme ça, les gens qui ont envie d'avoir la vraie version, elle est là, quelque part ».
02:10 En exargue de ce livre, vous avez placé une citation de l'usage du monde de Nicolas Bouvier. Pourquoi lui ?
02:16 Parce que c'est vraiment un voyage qui me fait fantasmer. C'est un peu l'opposé de ce que moi j'ai vécu.
02:19 Moi, j'étais 28 000 km/h en 10 minutes New York-Paris, dans la station spatiale.
02:23 Là, c'est un peu l'autre bout du spectre du voyage et c'est pour ça que je voulais lui faire un petit clin d'œil.
02:27 Vous l'avez lisé, cette citation ?
02:29 Et surtout, il y a le bleu. Il faut venir jusqu'ici pour découvrir le bleu.
02:33 Ça, c'est magnifique parce que c'est ça, dans la station spatiale.
02:36 Quand on voit la Terre de là-haut, cette lueur, ce n'est pas juste une couleur, c'est une lueur.
02:40 Ça brille, mais vraiment, il y a cette lueur du bleu que je n'arrive pas à décrire autrement que comme une lumière.
02:45 C'est à la fois une couleur et une lumière.
02:47 Thomas Pesquet, on est dans la galerie Mazarin de la Bibliothèque nationale.
03:04 On est devant ce globe, qui est un globe céleste du XVIIe siècle, qu'on doit aux cartographes et cosmographes Vincenzo Cornelli.
03:12 Qu'est-ce que ça vous évoque tout de suite ?
03:14 Je trouve ça incroyable d'avoir à cette époque, déjà ce niveau de détail, ce niveau de représentation.
03:19 Il y a à la fois de l'art et beaucoup de technique et beaucoup de science là-dedans qui se mélangent pour faire un objet très beau que je n'avais jamais vu.
03:26 J'essaie de retrouver mes petits. Alors attention, où sont les constellations ?
03:33 On est représentés en fait par des personnages mythologiques, ce qui traduit quand même une forme de fascination et de terreur aussi du ciel.
03:40 Oui, bien sûr, mais on va essayer de donner du sens à tout ça.
03:43 En fait, à une époque où on n'avait pas les connaissances astronomiques qu'on a aujourd'hui, évidemment,
03:46 on a quand même trouvé du sens pratique à la navigation qui s'est faite aux étoiles depuis très très longtemps,
03:51 qu'on fait encore parfois aujourd'hui sur les satellites.
03:54 On peut s'orienter avec des cartographies d'étoiles, donc on fait ni plus ni moins ce que faisaient nos ancêtres il y a des milliers d'années.
03:59 Mais le côté un peu poétique aussi, raconter des histoires dans le ciel, ça, ça me fascine.
04:03 Quand on regarde les images de Hubble ou du James Webb, Space Telescope, les gens sont fascinés,
04:08 pas parce que c'est l'espace, mais parce que c'est beau, ça les touche, c'est comme un tableau.
04:12 Et on retrouve un peu ça dans les ciels de nuit, dans la Lune, dans les aurores boréales.
04:18 [Musique]
04:29 Qu'est-ce que ça a fait de voir ce travail de chercheurs de l'époque,
04:34 qui mine de rien ont permis aussi que vous y ayez ?
04:38 C'est super important, pour moi c'est un peu la base de tout, on l'oublie,
04:41 mais ça c'est la base aussi de la manière dont on voit le monde.
04:44 Tout d'un coup, l'homme n'est plus le centre du monde.
04:47 C'est pas que de la géographie, c'est de la philosophie, c'est plein de choses.
04:51 C'est ce qu'on essaye aussi nous de faire dans l'espace, on essaie de prendre ça encore un peu plus loin
04:54 et de dire, regardez, oui, non seulement on n'est pas le centre du monde, mais en plus, le monde est infini.
04:59 Est-ce que c'est vrai que vous recopiez à l'époque les cartes de Tolkien ?
05:03 Oui, c'est vrai, de Tolkien ou d'autres bouquins.
05:05 Chaque fois qu'il y avait des cartes, j'aimais bien les refaire, et parfois j'extrapolais un peu
05:08 en essayant de créer des espèces de monde à moi, des petites cartes qui seraient de mon fait.
05:13 C'est une estampe qu'on doit au peintre et buriniste français Claude Mélen au milieu du 16e siècle.
05:21 À partir de cartes très détaillées, effectivement, de la Lune, c'est assez impressionnant.
05:24 Oui, on voit les impacts de cratères, effectivement, j'ai dû passer des nuits entières à l'observer.
05:29 Ça a encore de la magie. Moi, je pense que quand on ira poser le pied sur la Lune
05:32 pour la première fois à ce siècle, depuis l'émission Apollo, là, on verra bien la fascination que ça provoque.
05:37 Regarder la Terre de loin comme une petite boule bleue qui flotte dans le ciel, ce sera incroyable.
05:42 Tu sais pour quand la Lune ?
05:44 L'année prochaine, fin d'année, première mission habitée autour de la Lune,
05:48 et ensuite, on pense 2026-2027 peut-être, à l'unissage, le premier depuis l'émission Apollo.
05:53 Ensuite, on veut construire une base au Pôle Sud, là où il y a l'espèce de petite marque rouge,
05:58 exactement là, parce que c'est là qu'on a des ressources, on a de l'eau sous forme de glace
06:01 qui pourra nous aider, on veut faire une base là-bas, et une petite station autour de la Lune.
06:06 Pour nous, c'est vraiment un symbole et c'est une étape sur la route de l'exploration,
06:10 c'est-à-dire que quand on ira sur la Lune, on se baisse, on ramasse une pierre qui a 4 milliards d'années
06:14 et qui nous raconte l'histoire de la Terre, c'est absolument incroyable.
06:16 Sur Terre, on ne peut pas faire ça, il y a la tectonique des plaques, tout s'efface en permanence.
06:20 Sur la Lune, c'est un livre ouvert sur l'histoire de la Terre, c'est incroyable.
06:24 Ça vous dit qu'on va voir deux, trois manuscrits tous les deux ?
06:28 Oui, oui, oui.
06:29 Alors on en a choisi spécifiquement pour vous. Normalement, on n'a pas le droit de les voir.
06:32 D'accord.
06:33 La Bibliothèque Nationale a accepté. Je soupçonne que ce soit pour vous, moi, ça me fait ma journée.
06:38 [Musique]
06:57 Est-ce que vous savez qui c'est ?
06:58 C'est Voltaire.
07:00 C'est une statue de Voltaire et elle a quelque chose d'assez extraordinaire. Est-ce que vous pouvez deviner ce que c'est ?
07:04 [Musique]
07:08 Le vrai cœur de Voltaire ?
07:09 Oui, là, il y a le cœur de Voltaire, effectivement.
07:12 Qui était autopsié ?
07:13 Oui, exactement. Et qui est à la Bibliothèque Nationale ?
07:18 [Musique]
07:20 Alors, qu'est-ce que ça vous évoque, ça, tout de suite ?
07:23 Alors ça, le système solaire, encore, avec les planètes, on les a dans l'ordre.
07:28 Mercure, Vénus, la Terre, ici.
07:31 La Terre est en bois.
07:32 Il manque un petit morceau, non ?
07:34 [Musique]
07:36 Quand vous avez vu cette Terre presque phosphorescente avec cette fine couche d'ozone, vous vous êtes dit, il faut garder ça, il faut préserver ça ?
07:45 Il faut préserver ça et puis surtout, on n'a rien d'autre. C'est surtout ça, la réalisation. C'est cette oasis dans le rien. C'est la seule chose qu'on ait.
07:54 On n'est que ça.
07:55 On n'est que ça. Et il n'y a pas d'alternative. Ici, sur Terre, tout est infini, à mon échelle. Tout ce que je peux percevoir, c'est de l'infini.
08:04 L'océan, autant que je puisse en juger à la nage, c'est infini. Mais de le voir, de le percevoir, cette finitude, ça fait toute la différence.
08:14 [Musique]
08:21 Alors, c'est le manuscrit autographe de Notre-Dame de Paris. C'est celui que Victor Hugo a envoyé à l'imprimeur.
08:28 J'ai écrit les trois, quatre premières pages de Notre-Dame de Paris le 28 juillet 1830. La révolution, en juillet, m'interrompit.
08:37 Puis, ma chère petite Adèle vint au monde.
08:42 Oh, sa fille !
08:43 Qu'elle soit bénie.
08:44 Alors, ce qui est intéressant, c'est qu'il n'y a pas de rature. Tout de suite, moi, c'est ce qui me frappe.
08:47 Victor Hugo l'écrit en quatre mois, dans une forme d'urgence, pressé également par son éditeur.
08:53 Et ce qui est complètement faux, c'est qu'on voit que c'est une rédaction fluide.
08:57 Oui, voilà, ça lui vient. Il n'y a pas d'aller-retour, on a l'impression. Notre-Dame de Paris, ça m'avait impressionné.
09:03 Cette espèce de fourmillement et de richesse qui est…
09:07 De détail, aussi.
09:08 De détail. C'est de ce mot qu'on a fait, ce livre.
09:13 Ça, c'est somptueux.
09:14 Et là, on est…
09:17 On est au Paraguay, on est à l'Hôtel des Lagos, à San Bernardino.
09:22 Direction telegraphique.
09:24 Et c'est un texte d'Antoine de Saint-Exupéry.
09:27 Incroyable.
09:28 Alors, c'est le manuscrit de Vol de nuit.
09:30 Vol de nuit, pour moi, c'est le côté un petit peu héroïque et poétique du vol.
09:36 Antoine de Saint-Exupéry travaillait à l'aéropostale.
09:38 Exactement.
09:39 Et on a vraiment une image de l'aventurier qu'il était. Parce que vous voyez, là, c'est un entête…
09:43 Oui, c'est ça.
09:44 D'hôtel.
09:45 Exactement. On imagine sur son petit bureau d'hôtel…
09:47 C'est-à-dire que c'est l'aventurier jusqu'au bout.
09:49 Avec encore son écharpe de pilote autour du cou et les bottes au pied.
09:52 Vous êtes un aventurier, vous ?
09:54 Parfois, je n'ai pas l'impression. Comparé à ça, non.
09:57 Je me dis, nous, on a une aventure très contrôlée, on nous aide beaucoup.
10:01 On a une aventure, je ne vais pas dire aseptisée, mais qui est tellement technologique et technique
10:06 qu'on n'a pas toujours le côté vraiment…
10:08 On va se lancer tout seul et se confronter aux éléments.
10:11 Parfois, ça manque un petit peu.
10:13 Et vous m'avez même confié que vous l'aviez emmené dans l'espace.
10:15 Je l'ai emmené dans l'espace, oui. Les œuvres complètes, en fait. La pléiade de Saint-Axe.
10:19 Le Petit Prince dans l'espace, ça donne quoi ?
10:21 Le Petit Prince dans l'espace, ça a une signification particulière,
10:24 parce que c'est un conte qui se passe dans l'espace.
10:27 Quand on lit dans l'espace, on a l'impression de faire partie de l'histoire.
10:29 [Musique]

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