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Retrouvez Nouvelles têtes présenté par Mathilde Serrell sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/nouvelles-tetes

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00:00 place aux nouvelles têtes Mathilde Serrel ce matin, une dessinatrice qui fait de l'anthropologie
00:06 au feutre. Chloé Wary est dans notre studio Portrait sonore.
00:10 Si c'était une héroïne, ce serait celle d'un film de Miyazaki. Le maître de l'animation
00:21 japonaise et plutôt princesse mononoké pour sa révolte contre les humains, destructeurs
00:27 du vivant. Elle n'est pas une louve, mais a grandi dans ce qu'on appelle le zoo urbain.
00:42 Son territoire, les grands ensembles, les terrains vagues, les palissades devant les
00:47 projets de logements toujours plus neufs et toujours aussi la promesse d'un meilleur accès
00:51 au transport. C'était jour de fête à Boissy, à Neugent et à la Nation, comme pour toutes
00:57 les inaugurations. Derrière cette carte, la vie de dizaines de milliers de gens qui
01:01 va être bouleversée. C'était en 1969. Elle est là à 12 ans quand elle apprend à dessiner
01:07 à la MJC de son quartier. Son rêve, devenir mangaka. Comme dans les shoujo, les mangas
01:13 jeunes adultes, elle raconte d'abord son quotidien, mais l'émancipation pointe au
01:16 bout du feutre et l'emmène plus loin. Si c'était un hymne, ce serait « Bad Girls »
01:34 de M.A.A. Après sa BD sur le combat des femmes pour conduire en Arabie Saoudite, elle s'est
01:39 intéressée à une équipe de foot féminine, la Saison des Roses, qui lui vaut le prix
01:43 du public au festival d'Angoulême. A 28 ans, elle poursuit avec Rossini Zou, déjà
01:47 en lice pour le prix BD des Unrock. Chloé Oari, bonjour !
01:50 Bonjour Mathilde, merci !
01:51 Ça va ? Une petite réflexion sur les transports peut-être ?
01:55 Ouais, quel enfer !
01:56 Ça a été galère pour nous rejoindre à nouveau.
02:00 Ouais, c'est ça, pour rentrer, pour partir, c'est jamais simple.
02:03 Est-ce que vous avez envie de dessiner le ciel ce matin ?
02:05 Ouais, ouais, ouais. D'ailleurs, c'est ce que je me suis dit, ça m'a apaisée dans
02:09 ma colère contre les retards. Heureusement que le ciel au lever du soleil est toujours
02:13 là, dans les couleurs.
02:14 Alors, je le montre dans le studio et vous irez voir, les auditeurs, ce qui frappe d'abord
02:19 dans votre travail, Chloé Oari, ce sont ces couleurs au feutre, extrêmement vibrantes
02:24 même pour un ciel souvent gris. Il y a du gris jaune, du gris rose, du gris bleu, du
02:28 gris gris. C'est pas comme ça qu'on représente la banlieue habituellement aussi colorée.
02:33 Ouais, mais bon, je crois que pour moi, ça a toujours été évident. Le ciel en couleurs
02:39 et puis même ses habitants. La couleur, ça donne de la vie et ça donne du réel, je
02:44 trouve, en fait.
02:45 Vous avez été marquée par le fauvisme, quand même. Ça a dû jouer. C'est une école
02:48 de peinture du début du XXe avec Sonia Deloney, entre autres, qui en fait partie. Matisse,
02:54 qu'est-ce que ça a amené dans votre travail ?
02:56 Eh ben, je sais pas, être décomplexée, d'avoir une palette assez dense et des tableaux toujours
03:07 très pétillants, une envie en fait, du coup, de charger la feuille. Je fais un peu pareil
03:15 au feutre.
03:16 Et c'est tellement fort au feutre que certains comparent vos dessins à des aquarelles.
03:20 Il y a une telle intensité, il y a un tel mélange aussi parfois entre les couleurs.
03:24 Votre BD, elle s'ouvre sur une citation des rappeurs PNL. "La misère est si belle, zo".
03:29 Quel sens vous lui donnez ?
03:31 C'est la dernière chanson de l'album "Deux frères". Pour moi, il y a un peu tout dans
03:39 cette chanson. Il y a la mélancolie qui est très présente, je trouve, quand je suis
03:45 dans un état contemplatif des paysages et de la banlieue. Et en même temps, une espèce
03:49 de colère un peu sourde qui s'éveille pour eux dans le rap et dans la musicalité et
03:56 pour moi qui prend sens dans le dessin.
03:58 Vous dites que vous avez pris ce chemin artistique par goût de la revanche.
04:02 Oui.
04:03 Ça vous anime toujours ?
04:04 Oui, carrément. Je pense que c'est à la fois très intime et personnel vis-à-vis
04:09 de ma famille, mon père qui est un grand mélomane et qui nous a toujours fait baigner
04:15 comme ça dans l'art et la musique et qui n'en a jamais fait sa vie. Et pourtant, ça
04:20 a toujours été très présent. Et du coup, je crois que moi, dans le dessin, il y avait
04:22 cette envie d'accomplir un truc, d'aller au bout.
04:25 Vous avez grandi à Chili-Mazarin dans l'Essone, vous habitez à Savigny-sur-Orne.
04:29 Voilà deux albums que vous situez l'intrigue et les personnages dans une banlieue imaginaire
04:33 qui s'appelle "Rossini sur scène".
04:35 Comment vous l'avez conçu, cet espace imaginaire ?
04:38 C'est un mélange, comme vous le dites, du 91, là où j'ai grandi.
04:42 Un mélange aussi de ce que j'ai pris dans mes résidences, à Ville-Tanneuse en particulier,
04:48 où j'ai rencontré beaucoup de jeunes, j'ai fait beaucoup d'ateliers, maison de quartier,
04:51 en médiathèque.
04:52 Et donc pour moi, c'est des décors qui m'inspirent beaucoup.
04:56 Et Rossini, c'est un peu un mélange de ça.
04:58 Rossini Zoo, après l'équipe de foot féminine qui habite aussi à Rossini-sur-Scène, ce
05:04 sont des groupes de danseurs de breakdance, une jeune fille qui se bat contre la fermeture
05:08 de l'association Coeur de Cité, un jeune homme intérimaire de chantier.
05:11 Vous avez quoi en vous dans ces personnages ? Qu'est-ce que vous y avez mis ?
05:16 Un peu différentes périodes de ma vie.
05:19 Un peu des copains, des proches.
05:20 Mon homme, ma sœur.
05:22 C'est eux qui m'inspirent.
05:25 Je leur pique un peu d'expérience et je le mets dans ma fiction.
05:30 Et aussi, quelque chose de très important pour vous, c'est la destruction d'une maison
05:34 des jeunes et de la culture, une MJC.
05:36 Quand vous avez 16 ans, ça se passe dans la BD mais aussi dans votre vie.
05:39 Qu'est-ce qui est arrivé ? Qu'est-ce que ça a déclenché ?
05:41 Je pense que ça déclenche mon premier positionnement politique.
05:45 Clairement, c'est la destruction de cette MJC.
05:49 C'est ce qui enclenche mon premier esprit rebelle et puis ancré dans la réalité.
05:56 Alors, vous allez décider de nous produire le dessin de cette MJC fantôme ce matin.
06:02 C'est ça.
06:03 Du coup, cette MJC, aujourd'hui, il n'y a plus rien.
06:06 C'est un terrain vague qui est clôturé.
06:09 Il n'y a pas grand-chose mais il y a quand même une clôture.
06:11 Du coup, je redessine ce bâtiment qui n'existe plus et qui a été pour moi le premier rapport
06:21 au dessin.
06:22 Quand j'avais 7 ans, j'entre dans le cours de Suzanne Sarrazin.
06:26 Je me souviens que Suzanne m'a beaucoup inspirée pour dessiner le personnage de Yolande dans
06:30 Rosé Nizou.
06:31 Je me rappelle, je sortais du 297, j'allais à la MJC, premier cours de BD.
06:39 Il y avait Pascal, le secrétaire à l'entrée, qui nous accueillait, toujours la clope au
06:43 bec, un Chiroquois pur souche.
06:46 Ce sont des souvenirs très émouvants.
06:52 Ça a été très violent, la destruction.
06:57 C'était vraiment un conflit politique très moche.
07:01 Détruire pour détruire, je crois.
07:03 Il y avait tellement de vie dans ce lieu que je me demandais à ce moment-là quel est
07:09 le sens de détruire un lieu qui fait vivre tant de passion.
07:13 C'est en souvenir de vos années BD à la MJC de Chill, Mazaraz nous avait dessiné
07:19 ce matin.
07:20 Merci Chloé Oari.
07:23 Rosé Nizou s'est publiée aux éditions Fleubleu.
07:26 Je les félicite.
07:27 Ils habitent à Poitiers.
07:28 C'est une maison d'édition indépendante.
07:30 Big up !
07:31 Et merci Mathilde.