L'invité des Matins de France Culture.
Comprendre le monde c'est déjà le transformer(07h40 - 08h00 - 3 Octobre 2023)
Retrouvez tous les invités de Guillaume Erner sur www.franceculture.fr 0
Comprendre le monde c'est déjà le transformer(07h40 - 08h00 - 3 Octobre 2023)
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00:00 Les Matins de France Culture, Guillaume Erner.
00:06 Avec un invité exceptionnel dans ce studio, bonjour Ahmad Massoud.
00:09 Good morning, thank you so much for having me.
00:14 Vous êtes le fils du commandant Massoud, vous êtes porteur de la mémoire de votre
00:19 père, résistant de l'oppression des talibans, vous êtes une sorte de symbole aujourd'hui
00:27 de la résistance afghane contre les talibans.
00:30 Et la première question que j'ai envie de vous poser, Ahmad Massoud, c'est tout simplement
00:35 comment va l'Afghanistan aujourd'hui ? Quelle est la situation de votre pays ?
00:39 Eh bien malheureusement, après l'effondrement du gouvernement afghan, et je dois le dire,
00:52 le retrait irresponsable des troupes américaines d'Afghanistan, l'Afghanistan est un pays
01:03 plus grand que la France géographiquement, et pour la première fois de l'histoire de
01:07 l'humanité, ce pays est entre les mains entières du terrorisme international, et
01:13 plus particulièrement du régime terroriste taliban.
01:16 Les droits des femmes sont complètement opprimés, et l'Afghanistan est devenu une véritable
01:23 prison pour ses citoyens, et un havre pour les terroristes.
01:28 Comment les nouvelles vous arrivent-elles d'Afghanistan ?
01:30 Il faut voir qu'il y a encore des milliers de gens à l'intérieur du pays qui résistent
01:40 de différentes façons.
01:41 Il y a des femmes très courageuses qui se battent en manifestant dans la rue ou qui
01:47 élèvent leur voix, et puis il y a des hommes très courageux qui se battent dans les montagnes.
01:53 Il y a quelque 43 millions d'habitants qui sont évidemment malheureux sous la coupe
02:01 terroriste des talibans.
02:03 Je voulais évoquer la mémoire de votre père, le commandant Massoud, qui a été assassiné
02:11 par les terroristes vietnamistes en 2001, quelques jours avant le 11 septembre.
02:17 Nous avons retrouvé cet archive.
02:18 Il était interviewé au journal Dantène 2.
02:21 C'était en 1989.
02:23 Quand les soviétiques étaient là, nous étions dans une position défensive.
02:31 Après leur départ, il faut du temps pour passer à l'offensive.
02:35 Sous des pressions diplomatiques, certains groupes de Moudjahidines se sont lancés trop
02:40 vite dans une guerre de position à laquelle ils n'étaient pas préparés.
02:45 Amad Massoud, quel type d'homme était votre père, le commandant Massoud ? Vous en parlez
02:51 dans ce livre que vous publiez, « Notre liberté aux éditions bouquins ». Si vous deviez
02:56 le présenter à un auditeur trop jeune, peut-être pour le connaître, que diriez-vous ?
03:02 Bien sûr, c'était un père, un enseignant, un modèle pour n'importe quel fils.
03:19 Amad Massoud était un homme qui figurait parmi les dirigeants exceptionnels, qui avait
03:26 une vision pour son pays.
03:28 Une vision qui a cruellement manqué à notre pays depuis une vingtaine d'années.
03:33 C'est un homme visionnaire qui a su, et c'est tout à fait exceptionnel, sauver
03:40 son pays de deux régimes totalitaires, le régime soviétique et les talibans, qui sont
03:46 une autre forme d'extrémisme, ce qu'on n'avait pas réussi à faire au cours des
03:51 vingt dernières années, avec pourtant des milliards de dollars et des soutiens internationaux.
03:56 C'est cet homme visionnaire qui nous manque cruellement.
03:59 Aujourd'hui, à mon sens, il pourrait y avoir toutes sortes de leaders, de dirigeants,
04:06 des managers, des gestionnaires, de troupes militaires, mais un visionnaire c'est quelque
04:11 chose de très rare, et lui c'était un visionnaire.
04:13 Vous le décrivez comme un guerrier malgré lui, Amad Massoud.
04:17 Comment est-il devenu un chef militaire alors qu'apparemment il se destinait à tout autre
04:22 chose ?
04:23 Oui, effectivement, mon père, avant de se retrouver au stade où il se rendait compte
04:36 qu'il n'avait pas d'autre choix que de prendre les armes, était ingénieur.
04:40 Mon père était ingénieur, il avait étudié à l'école française, à Kaboul, et il
04:46 n'avait jamais eu l'intention de se battre ou de résister.
04:50 D'ailleurs lui-même, à de nombreuses reprises, a répété que la guerre lui avait été
04:54 imposée.
04:55 De même que pour moi, les questions, disons, de résistance militaire ne font pas partie
05:03 de mon expertise non plus, mais nous n'avions pas le choix, ni mon père, ni moi-même.
05:07 Et d'ailleurs, il en va de même pour tout le peuple afghan qui s'est retrouvé contraint
05:11 d'aller à la guerre après l'invasion russe.
05:14 Mon père n'avait d'autre choix que de se tourner vers la résistance.
05:18 Justement, comment vous racontait-il tout d'abord cette première guerre, la guerre
05:22 contre les Russes, contre l'Union soviétique ?
05:25 La lutte contre les soviétiques et la lutte contre les talibans présentaient des ressemblances
05:39 et des différences.
05:40 Pour ce qui est des soviétiques, ce qui est important de voir, c'est que le peuple
05:45 afghan à l'époque et l'invasion russe, tout cela a tiré évidemment l'attention
05:55 du monde entier, en Europe, aux États-Unis, dans le monde arabe.
06:00 Tout le monde était derrière le peuple afghan, tout le monde a appuyé le peuple afghan.
06:06 Mais dans la lutte contre le terrorisme, et d'ailleurs c'est l'une des raisons
06:09 pour laquelle mon père s'est rendu en France en 2001, beaucoup de gens minimisaient l'importance
06:16 de cette lutte contre le terrorisme à proprement parler.
06:19 Et dans cette deuxième partie de la guerre, lorsqu'il a fallu s'armer contre le terrorisme,
06:24 ils étaient seuls les Afghans.
06:25 Et mon père s'est battu contre cette mouvance terroriste pendant les années 90.
06:31 Donc la différence entre l'invasion soviétique et la lutte contre le terrorisme, c'est
06:35 que dans un premier cas, il y avait le soutien d'un communauté internationale et pas dans
06:38 l'autre.
06:39 Il y avait aussi l'idée folle des soviétiques qu'ils allaient pouvoir s'emparer de l'Afghanistan
06:45 et ça aussi c'est ce qu'on retient de cette époque à Masoud.
06:49 Oui, vous avez des puissances qui sont venues, d'ailleurs il y a de nombreuses puissances
06:58 qui sont venues essayer d'envahir l'Afghanistan et sont reparties.
07:01 C'est un peuple qu'on ne peut pas conquérir, même si les talibans pensent qu'ils vont
07:05 pouvoir mettre la main sur le pays, c'est un mirage, ça n'arrivera jamais.
07:11 L'Afghanistan ne peut pas être conquis par les puissances, même les superpuissances
07:16 étrangères.
07:17 C'est un pays en quelque sorte invincible et c'est ce que nous ont appris les guerres
07:23 et ces jeux géopolitiques en Afghanistan doivent s'arrêter.
07:26 Les pays, les puissances régionales, les superpuissances doivent se rendre compte de
07:31 la situation et l'importance de la paix dans ce pays.
07:34 Oui, puisque les Anglais, les Russes bien sûr, les Américains d'une certaine manière
07:39 n'ont pas réussi à rester en Afghanistan.
07:41 Si vous deviez nous décrire ce pays, nous sommes à la radio, mais quelques images de
07:47 votre pays, un pays qu'on imagine très montagneux avec des régions difficiles d'accès,
07:54 si vous deviez le dire à Manmassoud.
07:56 Je crois que ce que constatent les forces quand elles arrivent dans notre pays, elles
08:13 n'arrivent pas à lire les intentions, la détermination du peuple afghan, ce que veut
08:20 le peuple afghan.
08:21 Par exemple, en 2001, lorsque mon père s'est rendu en France, il avait un message pour
08:29 l'Occident, pour le monde entier, sur ce qui devait être fait en Afghanistan, mais
08:34 personne ne l'a écouté.
08:36 Et donc, il y a eu des événements tels que le 11 septembre et tout cela.
08:40 Mais après cela, malheureusement, et contrairement à tout ce qu'il préconisait, tout ce qu'il
08:45 disait, on a eu des troupes qui sont venues dans notre pays, au lieu d'appuyer le peuple
08:54 afghan qui voulait se battre contre le terrorisme.
08:57 D'ailleurs, nous avons là aussi une archive où votre père, le commandant Massoud, était
09:03 venu en France, c'était le 4 avril 2001, quelques mois avant son assassinat.
09:09 En réaction à l'ingérence pakistanaise et au comportement chaque jour plus injuste
09:16 des talibans, la résistance s'organise de plus en plus au sein du peuple afghan, toutes
09:21 les ethnies confondues, tadjik, azara, pachtoun, usbek, et bientôt vous serez témoin d'un
09:27 soulèvement populaire contre les talibans.
09:29 Alors, tout est dit dans cette brève archive Ahmad Massoud.
09:35 Tout d'abord, le régime des talibans, est-ce que les talibans étaient déjà comme ils
09:41 sont aujourd'hui ? Étaient-ils pires ? Est-ce qu'on peut parler d'évolution de ce régime
09:46 ou bien les talibans restent-ils ce qu'ils ont toujours été ?
09:49 Justement, c'est malheureusement l'un des éléments clés de l'accord conclu avec
10:00 les talibans à Doha.
10:02 On a en quelque sorte blanchi les talibans au cours des dernières années, on les a
10:07 appelés modérés, les talibans 2.0, etc.
10:11 Alors que ce message de mon père Massoud a été porteur dans tout l'Afghanistan et
10:21 on en a la preuve concrète, les talibans n'ont pas changé d'un iota, au contraire,
10:27 ils se sont même empirés.
10:28 Et à titre d'exemple, il ne faut pas oublier la guerre qu'ils ont menée contre les femmes
10:35 en Afghanistan.
10:36 D'abord c'était une guerre militaire, maintenant qu'ils sont arrivés au pouvoir et qu'ils
10:43 dominent Kaboul, cette guerre contre les femmes s'est devenue des politiques systématiques
10:51 allant contre des femmes.
10:52 Donc les choses sont bien pires maintenant qu'elles ne l'étaient auparavant et de
10:56 ce point de vue-là, elles ne se sont pas améliorées au cours des deux dernières
10:59 années.
11:00 Et puis votre père dans cet archive, le commandant Massoud, parlait du Pakistan.
11:06 Pourquoi le Pakistan est-il impliqué de manière directe et indirecte dans la situation en
11:13 2001 de l'Afghanistan et puis encore aujourd'hui ?
11:17 Eh bien malheureusement, le Pakistan, déjà dans la guerre contre les soviétiques, mais
11:28 également dans la lutte contre le terrorisme dans les années 1990, le Pakistan s'est
11:36 dit que le monde devait passer par lui pour traiter avec l'Afghanistan, qu'il était
11:42 un intermédiaire incontournable et que c'était au Pakistan de définir les politiques en
11:46 ce moment et ce, au nom du monde entier.
11:50 Alors mon père avait un message très clair par rapport à cela.
11:56 L'Afghanistan est un pays indépendant, un pays souverain et le Pakistan doit respecter
12:01 ce pays comme bon voisin en quelque sorte.
12:05 Il doit cesser de se mêler des affaires de l'Afghanistan.
12:08 Mais malheureusement, à l'époque, le Pakistan a refusé de se retirer.
12:14 Au contraire, le Pakistan a investi très lourdement dans les talibans.
12:19 Il y avait des milliers de soldats et même de simples citoyens pakistanais qui se battaient
12:25 aux côtés des talibans contre nous.
12:28 Ce qui montre l'implication du Pakistan dans cette guerre contre nous.
12:34 On voit cette présence systématique du Pakistan avec les talibans.
12:41 Maintenant, ça se retourne contre eux d'ailleurs.
12:42 Il y a eu quelques 90 attentats tous les jours sur le sol pakistanais.
12:49 C'est le retour du bâton.
12:50 Amad Massoud, fils du commandant Massoud, est avec nous.
12:54 On se retrouve dans une vingtaine de minutes pour évoquer le message que vous êtes venu
12:58 apporter aux Occidentaux.
13:01 Votre vision de la situation de votre pays, l'Afghanistan.
13:05 Votre livre "Notre liberté" est publié aux éditions Bouquin.
13:08 6h39, les matins de France Culture.
13:14 Guillaume Erner.
13:15 Amad Massoud, vous êtes en visite en France.
13:17 Vous venez de publier "Notre liberté" aux éditions Bouquin.
13:20 Nous sommes en duplex avec Michael Barry.
13:23 Bonjour.
13:24 Michael Barry, vous êtes écrivain et universitaire spécialiste de l'art islamique et du Proche-Orient,
13:30 professeur à l'Université américaine de Kaboul.
13:33 On vous doit notamment le cri afghan à l'Asiatech, publié en 2021.
13:39 Amad Massoud, pouvez-vous nous expliquer pourquoi les talibans, ce régime dont on voit les
13:45 exactions chaque jour, dont on voit quel sort il a réservé aux femmes et plus généralement
13:51 au peuple afghan, pourquoi les talibans se maintiennent-ils au pouvoir ?
13:55 Merci de votre invitation.
14:03 D'ailleurs, je tiens à saluer mon ami, un personnage extraordinaire, Michael Barry,
14:09 que vous avez en ligne et je tiens à lui adresser tous mes voeux.
14:14 Pour votre question maintenant, les talibans, malheureusement, arrivent à se maintenir
14:20 au pouvoir pour diverses raisons.
14:22 L'une de ces raisons, c'est que le monde s'est détourné de l'Afghanistan, a décidé
14:32 d'ignorer la situation dans notre pays.
14:35 Et puis, en raison des jeux géopolitiques et géostratégiques entre les puissances
14:41 régionales et les superpuissances, on instrumentalise ces extrémistes justement pour jouer à ces
14:51 jeux géostratégiques.
14:53 Et puis enfin, le peuple afghan ne veut pas des talibans.
14:59 Il va résister, il s'est battu jusque dans les montagnes, au cœur des vallées de l'Afghanistan,
15:04 mais le peuple est seul, comme dans les années 90.
15:07 Si on vous dit par exemple que les talibans mènent aujourd'hui une politique atroce,
15:14 mais que celle-ci a au moins une vertu pour certains afghans, c'est le retour de la sécurité.
15:19 Que diriez-vous, Ahmad Massoud ?
15:22 Pour ce qui est de la sécurité dans notre pays, je crois que c'était Abraham Lincoln
15:34 qui disait que si l'on sacrifie la liberté pour la sécurité, au bout de peu de temps,
15:41 on ne se retrouvera ni avec l'une ni avec l'autre.
15:44 Alors peut-être que les talibans, en mettant en place un régime entièrement totalitaire
15:51 et avec un système tyrannique, peut-être que dans une certaine mesure, les talibans
15:59 ont réussi à faire régner une forme de sécurité.
16:02 Mais en fait, à ce compte-là, c'est la Corée du Nord qui est un endroit le plus
16:07 sûr du monde.
16:08 La Corée du Nord est un exemple, il en va de même de tous les états tyranniques.
16:13 Là, vous avez les talibans qui, eux, ont provoqué l'instabilité en Afghanistan et
16:20 qui maintenant se présentent en garant de la sécurité.
16:23 En fait, non.
16:24 Il y a des bandits, des voleurs partout.
16:27 Si on mettait les bandits à la tête de la police, est-ce que ça changerait les choses ?
16:34 Non, ça rendrait le vol systématique, c'est tout.
16:36 Michael Barry, vous êtes un universitaire, un grand connaisseur de l'Afghanistan.
16:40 Si vous deviez resituer justement le pouvoir des talibans dans l'histoire afghane, que
16:46 diriez-vous ?
16:47 Je répéterais une vérité atroce parce que si souvent vérifiée, il est des mouvements
16:59 politiques qui expriment une véritable résistance quelquefois, mais qui s'avèrent en même
17:06 temps des mouvements épouvantablement réactionnaires.
17:10 Je prendrais un des exemples les plus cruels, la minorité allemande de Tchécoslovaquie
17:19 en 1938 qui était ouvertement hitlérienne parce qu'elle projetait son salut politique,
17:27 son identité ethnique dans un pareil mouvement.
17:32 La conjonction terrible d'un mouvement de résistance et d'un projet politique réactionnaire
17:40 existe.
17:41 Cela ne veut pas dire que les talibans représentent l'ensemble de la population afghane, bien
17:47 au contraire puisqu'ils oppriment la moitié de la population afghane, c'est-à-dire les
17:53 femmes.
17:54 Mais il n'empêche que comme d'autres mouvements extrémistes qu'on a vus dans l'actualité,
18:01 même la plus récente, ils peuvent compter sur l'adhésion ou l'acceptation ou la complaisance
18:12 d'une assez grande partie de la population.
18:15 Par exemple, l'oppression des femmes en Afghanistan ne rencontre pas suffisamment de rejets de
18:23 la part d'une pluralité de mâles afghans, même s'ils sont d'une autre ethnie que
18:28 les talibans.
18:29 C'est là que je crois que nous arrivons à un problème central qui est, avec toutes
18:39 les dissensions internes que connaît l'Afghanistan comme d'autres pays en connaissent, il reste
18:45 que l'élite gouvernementale afghane pendant le temps de l'occupation américaine n'a
18:52 pas su convaincre l'opinion mondiale que le combat contre les talibans était véritablement
19:00 un combat pour les droits universels de l'humanité.
19:05 Et aujourd'hui, le défi prodigieux auquel se confrontent les amis de monsieur Massoud
19:13 et tous les Afghans qui refusent ce régime doit être de convaincre une humanité distraite
19:21 par tant d'autres problèmes que le combat contre les talibans pour les droits de la
19:27 moitié de l'humanité concerne l'ensemble de l'humanité, puisqu'il s'agit de
19:32 rien de moins qu'un combat contre l'esclavage des femmes.
19:36 C'est ce qui nous choque quotidiennement, Ahmad Massoud, lorsqu'on a des images ou
19:41 des témoignages venus d'Afghanistan.
19:43 Comment expliquer à la fois cette politique vis-à-vis des femmes et la manière, je ne
19:50 sais pas quel verbe utiliser, mais dont celles-ci semblent tolérer, comme le disait en substance
19:55 d'ailleurs Michael Barry ?
19:57 Écoutez, il ne faut pas oublier quand même que l'Afghanistan a connu plus de 50 ans
20:13 de guerre.
20:14 Ces guerres ont eu un prix terrible pour la société afghane en général.
20:24 Et au cours des 20 dernières années, malheureusement, alors qu'il y avait une opportunité de développement
20:30 dans notre pays, de nombreux facteurs, et là je rejoins tout à fait Michael Barry,
20:37 les politiques des 20 dernières années n'ont pas réussi à atteindre les aspirations
20:45 du peuple afghan.
20:47 Mais les guerres qui ont éclaté, dans une certaine mesure, ont rendu impossible la réalisation
20:55 de ces objectifs.
20:57 Pour autant, le peuple afghan, et disons que cette idéologie talibane, est en fait
21:08 étrangère à la plupart des Afghans.
21:11 C'est la raison pour laquelle mon père résistait, c'est pourquoi nous résistons,
21:15 pourquoi ? Parce que nous, nous croyons en l'égalité des droits pour les hommes et
21:20 les femmes, nous croyons en la liberté, la démocratie, etc.
21:27 Et ça c'est quelque chose qui est partagé par nombre d'Afghans, c'est une opinion
21:33 quand même heureusement répandue.
21:35 Mais là, on peut le dire, au cours des 20 dernières années, qu'est-ce qu'on a vu ?
21:40 Au cours des 20 dernières années, certes on a vu des filles aller à l'école, des
21:44 jeunes femmes à l'université, il y a eu des réalisations quand même qu'il ne faut
21:47 pas oublier, mais la reprise du pouvoir par les Afghans nous a ramenés 50 ans en arrière.
21:54 Vous-même, vous avez étudié la religion, Ahmad Massoud, est-ce qu'il y a une spécificité
21:58 de l'islam afghan qui pourrait expliquer cette manière que les talibans ont d'envisager,
22:06 par exemple, le statut des femmes ?
22:08 Ce que disent les talibans, c'est que leur idéologie est celle de l'islam et celle
22:20 du peuple afghan.
22:21 C'est ce qu'ils affirment, mais moi ce que je peux vous dire en toute certitude, c'est
22:25 que ce n'est absolument pas le cas, c'est un mensonge pur et simple.
22:28 Cette idéologie, cette version extrémiste de l'islam est arrivée en Afghanistan pendant
22:33 la guerre froide.
22:34 C'était un instrument très utile dans les jeux géopolitiques contre les soviétiques.
22:42 Mais même avant cela, même au Pakistan, le Pakistan n'était pas extrémiste à ce
22:49 point-là, mais pendant la guerre froide contre les soviétiques, il y a eu des écoles religieuses,
22:58 des madrasas, qui ont été créées notamment en Afghanistan et au Pakistan pour lutter
23:02 contre les soviétiques.
23:03 Cette mesure tactique qui a consisté à se servir de cet outil de l'extrémisme islamique
23:10 à des fins géopolitiques, en lui laissant les mains libres, a pu créer l'instabilité
23:17 en Afghanistan.
23:18 Et lorsque les talibans sont arrivés, au départ, il y avait un espoir de voir évoluer
23:27 les choses, mais très vite, les gens ont bien compris que la nature talibane est complètement
23:33 étrangère à la mentalité afghane.
23:38 On n'avait pas une telle oppression des femmes, on n'avait pas cette version extrémiste
23:43 de l'islam en Afghanistan avant ça.
23:45 Et au cours des 21e années et pendant l'époque de mon père, justement, on a dénoncé l'idéologie
23:51 talibane.
23:52 Aujourd'hui, les talibans, évidemment, sont dans une situation confortable pour eux parce
23:59 qu'ils ont isolé le peuple afghanistan, les talibans ont torturé, emprisonné, ont
24:06 commis des atrocités contre les femmes au cours des deux dernières années.
24:11 Et pendant ce temps-là, le monde n'a pas condamné les talibans.
24:15 Non seulement ça ne s'est pas arrêté là, mais en plus de cela, ils reçoivent des subventions
24:20 à hauteur de 50 millions de dollars chaque semaine.
24:23 Alors mettez-vous à la place d'un homme ou d'une femme en Afghanistan.
24:26 Vous avez tous ces jeux politico-financiers.
24:30 Les gens, lorsque la communauté internationale traite avec des criminels à Doha, et les
24:39 femmes dans toutes les négociations n'avaient même pas le droit de citer dans les accords
24:44 conclus à Doha avec les talibans, pas un mot sur les femmes.
24:48 Et là, on en est à se battre pour l'égalité des femmes, la démocratie.
24:51 C'est le peuple entier afghan, là, qui est derrière ça.
24:54 - Michael Barry, qu'est-ce que vous en pensez de la manière dont les talibans aujourd'hui
24:59 incarnent une forme d'islam radical, obscurantiste, alors que celui-ci n'est pas a priori dans
25:08 la tradition afghane ? Qu'est-ce qui s'est passé ?
25:10 - Ce qui s'est passé d'abord, c'est que les talibans ont été créés comme instrument,
25:18 puisqu'on parle de géostratégie, comme instrument de la politique pakistanaise.
25:25 Le Pakistan, depuis sa création en 1947, a considéré l'Afghanistan, qui était à
25:33 l'époque pro-indien et même pro-soviétique, et en tout cas irrédentiste pour essayer
25:41 de récupérer certains territoires devenus pakistanais.
25:45 Ce Pakistan a misé sur un extrémisme islamiste sunnite pour porter celui-ci au pouvoir à
25:55 Kaboul et faire de Kaboul un allié, pour ne pas dire un vassal, du gouvernement pakistanais.
26:02 Cela a été une politique cynique, mais ouvertement soutenue tant par la Chine que
26:11 par les États-Unis pendant l'occupation soviétique dans les années 1980, à soutenir
26:17 une mouvance extrémiste sunnite, alors qu'environ 20% de l'Afghanistan est chiite.
26:25 C'était une sorte de garantie offerte par le Pakistan à Washington et à Pékin qu'un
26:34 futur Afghanistan post-soviétique ne glisserait jamais sous influence iranienne.
26:41 C'était pour véritablement desserveler un Afghanistan plutôt enclin à des politiques
26:49 laïques depuis 1919.
26:51 C'était pour véritablement river sur l'Afghanistan une dictature obscurantiste pour assurer aux
27:00 généraux pakistanais que l'Afghanistan post-soviétique ne redeviendrait plus jamais
27:06 un État souverain viable et capable de nouveau de se rapprocher de l'Inde.
27:13 C'est ce jeu terrible qui a expliqué la montée au pouvoir des talibans, lesquels
27:20 ont été alimentés du point de vue militaire et financier jusqu'à leur victoire par
27:26 les services pakistanais.
27:28 - Si on suit Michael Barry et Ahmad Massoud, la malédiction de l'Afghanistan c'est le
27:34 Pakistan.
27:35 Le Pakistan n'a pas que des amis, je pense notamment à l'Inde qui vient d'être évoquée.
27:40 Quelle possibilité aujourd'hui face à ce régime ? Comment peut-on imaginer le futur ?
27:47 Est-ce qu'il faut nécessairement s'attaquer au Pakistan ? Ou bien aujourd'hui est-ce
27:52 que les talibans ont suffisamment de pouvoir pour agir de manière autonome ?
27:56 - D'abord, pour la question précédente évoquée par le professeur Michael Barry,
28:07 il a présenté les choses de manière très claire et très juste.
28:11 Vous avez un peuple afghan innocent, pour ainsi dire.
28:15 Vous avez des jeux géopolitiques régionaux et internationaux qui ont mis le chaos dans
28:25 notre pays.
28:26 Alors se retourner contre le Pakistan, la solution ne sera pas là.
28:30 Mon sens, la solution consiste plutôt à dissoudre ou à résoudre la rivalité entre
28:40 les puissances régionales et les Etats-Unis.
28:42 C'est surtout là que tout se joue.
28:44 On a vu l'évolution des relations entre les deux grands rivaux, l'Iran et l'Arabie
28:49 Saoudite.
28:50 Ce rapprochement a eu une incidence considérable au Yémen.
28:53 Moi, je me dis qu'une réconciliation entre l'Iran et les puissances régionales, même
28:59 la Russie et les Etats-Unis, là, il y aurait une incidence palpable en Afghanistan.
29:06 Mais à l'échelle locale, au terrorisme, il faut quand même se rappeler que les talibans
29:11 ont fait de l'Afghanistan un terrain fertile pour le terrorisme régional et international.
29:19 Alors, je vous parle, il y a 21 groupes terroristes qui circulent librement en Afghanistan.
29:25 Et regardez Boko Haram en Afrique, ils s'appellent les talibans d'Afrique.
29:31 Et depuis la prise du pouvoir des talibans à Kaboul, leur organisation sœur au Pakistan
29:40 a gagné en puissance.
29:43 Donc, il y a vraiment un intérêt à lutter contre ces mouvements terroristes et autoritaires.
29:50 Notre obligation, c'est ensemble, je ne dis pas que le monde entier ou l'Occident
29:55 doit renvoyer des troupes, mais au moins appuyer les forces démocratiques.
29:59 Pensez-vous, Ahmad Massoud, que les talibans soient en quelque sorte un modèle pour toutes
30:04 les organisations terroristes du monde entier, celles qu'on voit agir par exemple au Niger
30:10 ou ailleurs ?
30:11 Absolument.
30:12 Je vais vous donner des exemples de cela.
30:16 Dans les années 90, lorsque les talibans sont arrivés sur la scène, comme l'a souligné
30:23 Michael Byrd de manière très précise, il n'y avait pas les talibans du Pakistan, par
30:31 exemple, ça n'existait pas.
30:32 Il n'y avait pas les talibans du Tadjikistan, qui s'appellent maintenant les talibans du
30:37 Tadjikistan.
30:38 Il n'y avait pas les Boko Haram, ces autres groupes.
30:43 Il n'y avait pas l'ISIS non plus, il n'y avait pas Taïch.
30:51 Les talibans étaient seuls, mais ils ont été donc instrumentalisés dans ces jeux
30:55 géopolitiques et ils sont devenus effectivement un modèle pour les organisations terroristes
31:01 du monde entier.
31:02 Michael Barry, ça veut dire qu'il y a eu une véritable transformation de la société
31:06 afghane ?
31:07 On a d'ailleurs envie de dire, au vu de la situation, hélas, qu'il y a une sorte
31:13 d'enfoncement et on ne voit pas aujourd'hui comment cette société pourrait retrouver
31:22 une vision plus pacifique des choses, faire en sorte que ceux qui la gouvernent ne soient
31:30 pas les talibans.
31:31 Vous qui connaissez parfaitement la culture afghane, qui avez enseigné à l'université
31:36 américaine de Kaboul, qu'en pensez-vous ?
31:37 Je pense que la génération montante de garçons scolarisés selon le curriculum des talibans
31:52 va présenter un défi régional et mondial.
31:56 Les talibans veulent susciter une nouvelle génération entièrement acquise à leurs
32:03 idées, une génération masculine bien sûr, et un des fondements de ce régime, c'est
32:11 précisément l'esclavage des femmes.
32:13 J'emploie le terme à dessein, esclavage des femmes, et je tire une comparaison qui
32:21 est terrible pour mon propre pays, les États-Unis.
32:24 Il est vrai que la confédération esclavagiste du 19e siècle s'est perpétuée dans certaines
32:32 mentalités jusqu'à nos jours, parce qu'après tout, elle faisait appel à certains éléments
32:39 culturels qui existaient bien aux États-Unis.
32:42 C'est pour ça que le racisme a été perpétué.
32:44 Et cela existe dans la société afghane.
32:47 Et le défi, je crois, pour monsieur Massoud et tous ses amis, c'est de contrecarrer cet
32:55 enracinement culturel que veulent assurer les talibans.
32:59 Ahmad Massoud, qu'est-ce que l'on peut faire pour vous, pour vous aider ? Vous êtes en
33:04 France depuis quelques jours, vous avez vu beaucoup de gens.
33:07 Est-ce que vous avez l'impression que le gouvernement français est prêt à vous aider ?
33:11 En tout cas, je l'espère.
33:18 Mais vous savez, je suis ici pour dire que le peuple afghan, depuis quelques années,
33:28 a pu démontrer qu'il était prêt à résister devant ces régimes terroristes.
33:35 Comme Michael Berry l'a dit, les talibans ont dit publiquement qu'ils allaient construire
33:40 cinq madrassas djihadiques.
33:42 Je ne parle pas d'écoles religieuses classiques.
33:46 Il y a des écoles qui ont ces religions.
33:49 Mais les madrassas, les écoles de djihad sont là pour créer et mener des guerres fanatiques.
33:55 C'est ça leur objet.
33:56 Ils vont construire cinq établissements de ce type dans chacun des districts d'Afghanistan.
34:01 Il y a pour l'instant 400 districts, ce qui veut dire qu'il y aura 2000 madrassas djihadiques,
34:10 5 fois 400, qui vont former des milliers, voire des millions de jeunes fanatiques qui
34:16 vont imposer leur idéologie à l'Afghanistan.
34:19 Ils le font, pourquoi ? Parce qu'évidemment, le peuple afghan ne croit pas aux talibans.
34:23 Le peuple afghan a rejeté les talibans, a rejeté les talibans par la voie électorale.
34:30 Donc, ils n'auront jamais l'assentiment du peuple, ni par les élections, ni par la
34:36 violence.
34:37 Donc, maintenant, ils cherchent tous les moyens, les formes militaires.
34:40 Mais maintenant, c'est l'endroit culturel qui est utilisé.
34:43 C'est la raison pour laquelle on a besoin d'aide de l'extérieur, comme l'a souligné
34:47 Michael Berry.
34:48 Malheureusement, même pour ces talibans.
34:51 Et ça ne concerne pas que l'Afghanistan.
34:53 Il y a trois grands éléments qui sont en jeu.
34:55 D'abord, vous avez des groupes terroristes internationaux qui sont complètement alignés
35:00 sur les talibans.
35:01 Deuxièmement, et ça, c'est le narcotrafic, le trafic de drogue qui est complètement
35:07 lié aux talibans à l'échelle mondiale.
35:09 Et puis, encore une fois, en raison de ces jeux géopolitiques, les grandes puissances
35:14 se servent d'eux comme instruments.
35:17 Et c'est la raison pour laquelle on a besoin d'amis internationaux qui croient en la démocratie
35:21 pour appuyer, pour nous accompagner.
35:24 Ce qui ne veut pas dire, encore une fois, d'envoyer des troupes.
35:26 Il y a suffisamment de militaires en Afghanistan.
35:30 Non, c'est un soutien politique, militaire, financier, culturel pour accompagner les forces
35:38 démocratiques d'Afghanistan et dans le monde entier.
35:41 Parce que sinon, c'est la démocratie qui sera en retrait, en régression.
35:45 Et ce sera le totalitarisme et le terrorisme qui seront au pouvoir.
35:49 Un dernier mot, Michael Barry.
35:51 Est-ce que cela signifie aujourd'hui que le monde peut encore aider l'Afghanistan ?
35:59 Bien sûr que le monde peut aider l'Afghanistan.
36:02 Je dirais même que le monde doit aider l'Afghanistan.
36:06 Mais le défi que confrontent M.
36:12 Massoud et ses amis, c'est de convaincre le monde qu'aider l'Afghanistan, ce n'est
36:18 pas seulement aider une faction dans une guerre régionale, c'est aider une cause qui concerne
36:26 l'humanité entière.
36:27 C'est ce que vous nous avez expliqué.
36:29 Merci beaucoup, Michael Barry.
36:31 Votre dernier livre, Le Cri afghan.
36:33 Merci à Mme Massoud de nous avoir rendu visite.
36:35 Notre liberté, c'est le livre que vous avez publié aux éditions bouquins et vous étiez
36:40 traduit ici par Robert Wolfenstein.
36:43 Dans quelques instants, l'info et juste après l'info, mes camarades Lucille Comot et François Saltiel.