Pauline Scherer, sociologue, membre du collectif Territoires à VivreS et co-pilote de l'expérimentation de la caisse alimentaire commune qui se déroule depuis un an à Montpellier.

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Pauline Scherer, sociologue, membre du collectif Territoires à VivreS et co-pilote de l'expérimentation de la caisse alimentaire commune qui se déroule depuis un an à Montpellier.
Le collectif organise une assemblée citoyenne samedi à partir de 14 heures au parc Sophie Desmarets à Montpellier.

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00:00 Il est 8h moins le quart, nous parlons ce matin alimentation, précarité, gaspillage.
00:05 Et on vous pose cette question Claire Moutarde, mangez-vous moins bien, faute d'argent ?
00:09 Oui, on veut savoir comment vous vous alimentez. Est-ce que la baisse du pouvoir d'achat influe sur votre manière de vous nourrir ?
00:16 Sur l'appli Ici ICI, vous répondez oui à 54%. Vous mangez moins bien, faute d'argent.
00:23 Mais vous êtes aussi nombreux à nous expliquer que vous mangez surtout moins, moins en quantité et autrement avec plus de faits maison par exemple.
00:32 Bonjour Pauline Scherrer, vous êtes sociologue, membre du collectif Territoire à vivre et copilote de l'expérimentation de la Caisse Alimentaire Commune qui se déroule depuis un an à Montpellier.
00:43 Alors avant d'évoquer dans le détail cette expérimentation, est-ce qu'on peut dire que oui, la baisse du pouvoir d'achat incite à la malbouffe ?
00:51 Est-ce que l'argent détermine finalement notre manière de nous nourrir ?
00:55 Alors oui, c'est un élément très important. C'est peut-être le premier frein que rencontrent les personnes autour de l'accès à l'alimentation.
01:03 Et qui plus est à une alimentation saine et de qualité. Mais ce n'est pas le seul.
01:07 Et aujourd'hui, on sait aussi qu'on peut transformer nos pratiques alimentaires. C'est ce que dit un peu votre sondage aussi.
01:12 Et donc il y a aussi une ingéniosité des gens à transformer leur manière de se nourrir.
01:16 Oui, le frein financier est un frein absolument majeur. Et on a une problématique de précarité alimentaire qui monte en France.
01:22 Pas uniquement sur la question alimentaire. C'est-à-dire que, en gros, le budget alimentaire, c'est la variable d'ajustement dans le budget des gens.
01:29 Et vu que les autres dépenses augmentent, le loyer, l'énergie, etc.
01:32 Bah, qu'alimentation, on fait comme on peut. Et donc on baisse effectivement notre budget alimentaire.
01:37 D'où, entre autres, cette expérimentation de Caisse Commune Alimentaire.
01:41 On va essayer d'expliquer simplement en quoi ça consiste, Pauline Scherer.
01:45 La Caisse Alimentaire Commune, ce qu'il est important de dire, c'est que c'est une expérimentation.
01:49 Ça fait un an, maintenant.
01:50 Voilà, on a démarré il y a un peu plus d'un an.
01:53 En gros, c'est un système assez simple. La Caisse, c'est un budget.
01:57 Chacun cotise en fonction de ses moyens tous les mois, pour qu'au final, l'ensemble des participants dispose d'un budget équivalent à 100 euros par mois.
02:05 100 euros de budget alimentaire à dépenser dans un circuit de distribution, donc des points de vente,
02:11 qui sont conventionnés par un comité citoyen de l'alimentation.
02:15 Puisque finalement, ce qui est le cœur de l'expérimentation, c'est l'idée qu'on doit faire aujourd'hui de l'alimentation un sujet de démocratie.
02:21 Et qu'on doit se remettre un petit peu autour de la table, en discussion, en débat,
02:25 entre mangeurs, producteurs, acteurs de la chaîne alimentaire, politiques, publics également,
02:30 sur la manière dont on veut se nourrir, la manière dont on veut que notre alimentation soit produite.
02:35 Puisqu'on a finalement aujourd'hui un système alimentaire qu'on subit un petit peu, qui nous est imposé.
02:39 On fait 70% de nos courses au supermarché, c'est pratique, etc.
02:43 Mais ça pose tout un tas de questions sur le système alimentaire, et notamment sur sa forte industrialisation.
02:49 - Vous avez aujourd'hui, au bout d'un an, 350 participants, c'est ça ?
02:53 Vous dites, chacun cotise, alors ça va être combien à combien en fait ?
02:56 - Alors, voilà, pour toucher ces fameux 100 euros en monnaie alimentaire,
02:59 on a des personnes qui vont cotiser 1 euro, d'autres 10 euros, 50 euros,
03:02 et donc vont pouvoir cotiser 120, 130, jusqu'à 170 euros.
03:07 On a des cotisants à 170 euros par mois.
03:09 - Est-ce que vous avez, effectivement, dans les 350 participants,
03:13 on va dire, une représentativité de la population montpelier-arène, en tout cas ?
03:17 - Absolument. On s'est basé sur la population de la métropole,
03:20 puisqu'on a plutôt une échelle territoriale de la métropole pour ce projet.
03:24 Et donc on a constitué un échantillon représentatif de la population en termes d'âge et de revenus.
03:29 Donc on a, entre guillemets, 12 catégories d'habitants,
03:33 qui sont réparties comme ça, en fonction de leurs revenus.
03:36 C'était important pour nous de faire une expérimentation,
03:39 un petit peu dans le monde réel, de la répartition des revenus,
03:42 puisque, comme on le disait tout à l'heure, on a un taux de pauvreté à Montpellier
03:46 qui est assez important par rapport à la moyenne nationale.
03:48 - 26% dans la ville de Montpellier.
03:50 Vous avez aussi une représentativité géographique,
03:55 c'est-à-dire que vous avez, grosso modo, tous les quartiers représentés.
03:58 Est-ce qu'on mange différemment selon les quartiers à Montpellier ?
04:03 - Oui, c'est vrai que dans ce qu'on appelle les inégalités sociales liées à l'alimentation,
04:08 on a parlé du frein financier dans l'accès à cette alimentation de qualité,
04:12 mais on pourrait aussi parler d'un frein géographique,
04:15 puisque, en fonction du quartier où l'on vit, on n'a pas accès aux mêmes choses,
04:19 on n'a pas le même environnement ou paysage alimentaire autour de nous,
04:22 on n'a pas les mêmes commerces.
04:23 - Par exemple ?
04:24 - Par exemple, si on habite en centre-ville ou si on habite à la Mosson,
04:27 on n'a pas le même paysage alimentaire autour de nous.
04:30 Et ça, ça joue.
04:31 Et ce qui est important dans cette idée d'environnement géographique,
04:35 c'est montrer que finalement, on s'attarde beaucoup sur le consommateur,
04:39 sur ses pratiques individuelles,
04:41 mais finalement, si on change l'environnement,
04:43 si on change l'organisation de l'alimentation,
04:45 si on change l'offre, les pratiques vont changer aussi.
04:48 - C'est ça l'idée, finalement, de cette expérimentation ?
04:50 - C'est les deux, c'est-à-dire que ce qu'on va observer,
04:53 donc nous, en tant que conseil scientifique,
04:55 on a une dizaine de chercheurs impliqués sur le projet,
04:58 de Labo à Montpellier,
05:00 on va regarder bien sûr ce que ça change au niveau des pratiques individuelles des personnes,
05:04 avant tout en termes de sécurité alimentaire aussi, ce que ça peut induire,
05:08 d'avoir ce budget alimentaire garanti,
05:10 mais on va regarder aussi l'impact éventuel de ce dispositif
05:13 sur cette offre alimentaire, les paysages.
05:16 Et peut-être que je ne l'ai pas assez dit aussi,
05:18 on s'intéresse aux pratiques des gens, à la précarité,
05:21 mais on s'intéresse aussi à la vie des producteurs, des agriculteurs,
05:24 des acteurs de la chaîne alimentaire,
05:26 puisqu'aujourd'hui on a une précarité finalement
05:28 qui s'étale un petit peu tout au long de la chaîne.
05:30 Les producteurs ont du mal à avoir le juste prix,
05:34 justement, de leurs produits, à pouvoir vivre de leur métier,
05:37 notamment ceux qui s'engagent dans des transitions.
05:39 - Vous le disiez, il y a une convention,
05:41 enfin tous ces gens, ces 350 participants se réunissent
05:45 et choisissent en fait où ils achètent avec cette monnaie, c'est ça ?
05:48 - Alors, sur les 350...
05:50 - Vous avez des critères précis ?
05:52 - En gros, sur les 350 participants,
05:54 aujourd'hui il y en a une cinquantaine de personnes
05:56 qui participent au comité citoyen.
05:58 Donc cette instance qui est comme,
06:00 voilà, une instance qui gouverne la caisse,
06:03 qui décide des choix qu'on va faire,
06:05 à la fois en termes de taux de cotisation,
06:07 puisque chacun cotise librement actuellement,
06:09 il n'y a pas de contrainte en fonction des ressources, etc.
06:12 et qui décide également ces fameux points de vente,
06:14 quels sont-ils ?
06:16 Aujourd'hui on a une quarantaine de points de vente conventionnés,
06:19 dont une trentaine de producteurs en direct,
06:22 qui sont présents sur des marchés, sur des AMAP, des choses comme ça.
06:25 Et donc effectivement, ils élaborent des critères de qualité.
06:28 Qu'est-ce qui fait qualité de l'alimentation, pour vous, pour moi ?
06:31 On n'a pas tous la même vision,
06:33 on n'a pas tous le même parcours, le même rapport à l'alimentation,
06:35 et par contre, on a des chiffres,
06:37 on a des données scientifiques sur l'impact environnemental,
06:39 par exemple, du système alimentaire,
06:41 sur l'impact santé de notre alimentation.
06:44 Et donc on croise un peu tout ça,
06:46 du subjectif, de l'objectif,
06:48 et on définit des critères, donc qualité environnementale,
06:51 qualité en termes de santé, prix,
06:53 accessibilité géographique,
06:55 le côté pratique, voilà.
06:57 Et ils font des arbitrages comme ça,
06:59 et petit à petit, on va avoir une carte des points de vente conventionnés,
07:02 qui va s'établir sur le territoire.
07:04 Donc vous avez une approche économique, écologique, démocratique,
07:08 puisque c'est de la démocratie participative aussi,
07:11 autour de l'alimentation,
07:14 vraiment le cœur c'est l'alimentation, c'est ça ?
07:17 C'est ce qui est innovant dans votre expérimentation, finalement ?
07:20 Oui, je pense que c'est une autre manière d'interroger le problème.
07:24 Aujourd'hui, comme je disais tout à l'heure,
07:26 on a une hausse de la précarité alimentaire,
07:28 la réponse aujourd'hui majeure, c'est l'aide alimentaire,
07:30 avec les grandes associations, on en a beaucoup parlé ces derniers temps,
07:33 qui est un système qui aujourd'hui est un peu à bout de souffle,
07:37 touche un peu à ses limites, enfin touche depuis un moment à ses limites,
07:40 et donc on est un peu en train d'essayer d'imaginer
07:42 comment on pourrait répondre un peu différemment à ces questions-là,
07:45 sans les dissocier de la question écologique.
07:47 En gros l'idée c'est de dire, les questions sociales et les questions écologiques,
07:50 ce n'est pas deux problèmes différents,
07:52 c'est un seul et même sujet qu'on doit traiter ensemble.
07:54 Et l'alimentation se retrouve finalement un peu au carrefour de tous ces sujets-là,
07:58 et donc c'est pour ça qu'on pousse cette idée
08:00 de faire de l'alimentation un sujet de démocratie,
08:03 et d'imaginer peut-être des comités citoyens de l'alimentation,
08:06 un peu dans tous les territoires.
08:07 Vous parlez de la sécurité sociale de l'alimentation aussi ?
08:10 Oui, absolument.
08:11 C'est quoi ça ?
08:12 Donc ça c'est le concept, c'est une idée politique
08:15 qui a germé il y a quelques années maintenant
08:17 dans la tête d'un collectif national,
08:19 dans lequel vous allez retrouver différentes organisations,
08:21 et qui consiste justement à partir de tous les constats
08:24 qu'on a un peu abordés ce matin,
08:26 à dire qu'on devrait aujourd'hui protéger finalement l'accès à l'alimentation,
08:30 et de revendiquer un peu plus ce droit à l'alimentation pour tous et pour toutes,
08:34 qui est pourtant reconnu au niveau international,
08:36 mais qui n'est pas appliqué.
08:37 Et donc leur idée c'est de dire,
08:39 on va ajouter une branche au régime général de la sécurité sociale,
08:43 et ça nous permettrait quelque part d'avoir une sorte de carte vitale de l'alimentation
08:47 pour l'ensemble de la population.
08:49 Donc l'idée c'est plus un dispositif pour les plus précaires,
08:52 c'est vraiment un droit pour tous.
08:54 Maëlle, on fait un appel peut-être aux auditeurs, dites-nous ?
08:58 04-67-58-6000, est-ce que vous, vous mangez moins bien, faute d'argent ?
09:02 Vous pouvez nous appeler, profitez-en,
09:04 04-67-58-6000 pour donner votre avis sur France Bleu Héro.
09:07 Votre expérimentation, elle attire beaucoup de curiosités,
09:11 vous vous êtes appelée par des maires, par des députés,
09:15 comment vous expliquez ça ?
09:17 C'est une idée d'avenir, ça, une mutualisation, une caisse commune ?
09:21 Ce qu'on observe, c'est qu'effectivement,
09:23 et on ne s'y attendait pas forcément quand on a lancé ça,
09:25 qui est quand même à petite échelle,
09:27 on est à 350 personnes à Montpellier,
09:29 on ne s'attendait pas forcément à cet écho,
09:31 mais je pense que c'est un sujet qui est en train de remonter un peu sur l'agenda.
09:36 On a très peu de politiques publiques alimentaires en France,
09:40 on a des politiques agricoles, on a des politiques sociales,
09:42 mais des politiques publiques de l'alimentation, c'est assez faible.
09:45 Et comme je disais tout à l'heure, vu qu'on se retrouve finalement
09:47 au carrefour de différents enjeux qui sont quand même de plus en plus importants,
09:52 oui, je pense que ça commence à intéresser nos élus, nos représentants,
09:57 après, ça reste encore un sujet qui ne fait pas la lune des journaux tous les jours,
10:03 mais il y a un intérêt, et ça c'est bien,
10:06 et nous on essaye de prendre la suite de ça et de diffuser nos idées.
10:11 - Merci beaucoup Pauline Scherrer,
10:13 on va se dire au revoir en rappelant que vous avez une après-midi demain,
10:19 Assemblée citoyenne au parc Sophie Desmarais,
10:22 dans le quartier de la Paillade à Montpellier, à 14h, c'est quoi l'idée ?
10:25 - C'est vraiment un grand rassemblement citoyen, justement,
10:28 pour échanger sur cette expérimentation,
10:30 sur les espoirs qu'on peut y placer, les attentes qu'on peut en avoir,
10:33 avoir des regards critiques également,
10:35 c'est une sorte d'agora un peu,
10:37 - Des bars où on mange quand même, j'espère,
10:40 - Et on cuisine ensemble !
10:42 - D'accord, merci à vous, bonne journée demain,
10:45 et très bonne journée, merci d'être venu sur France Bleu Héro !

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