• il y a 2 ans
Les coups d’Etat en Afrique s’enchaînent mais ils ne se ressemblent pas toujours. Tantôt fondés sur des difficultés économiques face à un pouvoir prédateur, tantôt secoués par des affrontements ethniques ou les groupes terroristes, nombreux sont les pays du continent à ne pas parvenir à endiguer une instabilité chronique. Une constante demeure toutefois : la responsabilité de la France dans ces affaires est systématiquement pointée du doigt.
Pour ce Samedi Politique, Charles Onana, docteur en science politique et essayiste prolixe, (Lire "Rwanda, la vérité sur l’opération turquoise" ou "Holocauste au Congo" chez L’Artilleur, ou "L’Afrique face au terrorisme de Boko Haram" chez Duboiris) revient en toute liberté sur les causes et les origines des maux africains que l’on attribue trop souvent à la France et pas assez clairement aux dirigeants Français servant des intérêts privés bien éloignés des intérêts du pays.
L’occasion d’évoquer honnêtement les différents défis qui se dressent face à l’Afrique : depuis les enjeux économiques et de la jeunesse - conduisant indubitablement à la question migratoire - aux transformations géopolitiques poussant la Chine à s’implanter durablement sur les territoires riches en matières premières.
Une émission qui fait fi des tabous et des raccourcis pour aller de l’avant !

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Transcription
00:00:00 [Générique]
00:00:20 Bonjour à tous, je suis ravie de vous retrouver. Merci d'être toujours aussi nombreux au rendez-vous.
00:00:25 Cette semaine, je vous l'avais annoncé déjà la semaine dernière, on va s'attaquer à la question du continent africain.
00:00:31 Huit coups d'État en moins de trois ans, les derniers en date évidemment le Niger et le Gabon.
00:00:36 Alors pourquoi cette instabilité ? Quelles sont les responsabilités de la France ?
00:00:40 Quelles conséquences pour le monde de demain ? C'est tout cela que nous allons voir dans un instant.
00:00:45 Mais avant, comme chaque semaine, vous le savez, n'oubliez pas de commenter cette émission, de la partager,
00:00:50 et puis bien entendu de cliquer sur le pouce en l'air. C'est parti à l'attaque.
00:00:53 [Générique]
00:01:04 Et à mes côtés pour cette émission, Charles Onana. Bonjour monsieur, merci beaucoup d'être avec nous.
00:01:08 – Oui, bonjour. – Alors, vous êtes docteur en sciences politiques
00:01:11 et alors auteur fort prolixe, puisque si je compte le nombre de vos ouvrages, c'est assez incroyable.
00:01:16 Je vais citer toutefois quelques-uns d'entre eux.
00:01:19 Le "Rwanda, la vérité sur l'opération turquoise", c'est chez l'artilleur.
00:01:23 Et puis également cet ouvrage "L'Afrique face au terrorisme de Boko Haram, Cameroun, Nigeria, Niger".
00:01:29 "Tchad", c'est aux éditions du Boaris, votre maison d'édition.
00:01:33 Alors pour commencer, Charles Onana, on dit que ces récents coups d'État ont des causes différentes,
00:01:40 vous allez sans doute y revenir, mais leurs racines, elles, sont-elles les mêmes ?
00:01:44 – Oui, les racines sont les mêmes, parce que ce dont il s'agit aujourd'hui,
00:01:48 c'est tout simplement la question du désespoir de la jeunesse africaine,
00:01:53 de l'absence de perspective sur le plan économique, sur le plan intellectuel,
00:01:57 parce que vous avez des diplômés qui sortent aujourd'hui dans la plupart de ces pays
00:02:00 sans perspective de travail, et ce qui envoie beaucoup d'entre eux à immigrer,
00:02:04 à aller vers la France, vers l'Europe, etc.
00:02:07 Et donc les pays africains ou les dirigeants africains ne veulent pas parler de cet aspect des choses,
00:02:13 parce que ça relève d'abord essentiellement de leur responsabilité.
00:02:16 Et je pense qu'il y a d'autres aspects qui sont plus spécifiques à chacun de ces pays,
00:02:22 notamment la question de la lutte contre le terrorisme, la question de l'instabilité interne,
00:02:28 parce qu'il y a des tas de conflits armés, etc.
00:02:31 Mais globalement, la question essentielle reste quand même cette question de la jeunesse africaine
00:02:38 qui demande des réponses à ces questions.
00:02:40 – Alors souvent, on a coutume de parler, quand on parle de l'Afrique, de conflits ethniques.
00:02:44 Alors évidemment, avec le Rwanda, on se rappelle bien sûr l'opposition entre les Tutsis et les Hutus.
00:02:49 Mais j'irais peut-être jusqu'à dire un peu dans la provocation
00:02:53 qu'on pourrait parler de conflits identitaires.
00:02:55 Néanmoins, quand on regarde une carte de l'Afrique, c'est assez criant.
00:02:58 On a l'impression que certaines frontières ont été tirées vulgairement à la règle
00:03:02 sans prendre conscience des réalités du territoire.
00:03:04 C'est d'ailleurs, je crois, un peu ce que relevait l'africaniste Bernard Lugand.
00:03:08 Quel est votre point de vue là-dessus ?
00:03:11 Comment expliquez-vous que finalement,
00:03:14 on est toujours à faire au même problème depuis des années ?
00:03:18 – Alors, vous posez une question essentielle
00:03:20 à laquelle ni les Africains ni les Occidentaux ne veulent répondre de façon honnête.
00:03:24 Pourquoi ? Parce que quand vous parlez de la question des frontières,
00:03:28 évidemment la conférence de Berlin 1885 avait vocation à tracer des frontières
00:03:33 qui correspondaient un peu à ce qu'on appelle le partage colonial,
00:03:37 c'est-à-dire le partage du gâteau.
00:03:38 Parce qu'on considérait effectivement l'Afrique comme un réservoir de matières premières
00:03:42 et donc cela a amené les grandes puissances à découper les morceaux qui les intéressaient, etc.
00:03:48 Bon, la dimension humaine avait été fortement oubliée.
00:03:51 Sauf que des années après, les Africains se sont un peu habitués avec ces systèmes.
00:03:57 L'EUA d'abord, puis l'Union africaine ensuite,
00:04:01 ont consacré en quelque sorte l'intangibilité des frontières héritées de la colonisation.
00:04:05 Donc vous vous retrouvez parfois avec des groupes de population qui parlent la même langue,
00:04:11 qui sont d'un côté de la frontière et de l'autre côté de la frontière.
00:04:14 Bon, cela jusque-là s'est passé à peu près normalement.
00:04:18 Sauf que quand vous ajoutez à cela la dimension géopolitique,
00:04:22 c'est-à-dire la bataille d'intérêts entre les grandes puissances,
00:04:26 vous recréez encore des problèmes qui n'étaient pas complètement résolus,
00:04:30 mais qui peuvent être réactivés du fait d'une nouvelle conflictualité.
00:04:34 – Et on imagine que les problèmes économiques eux aussi attisent ces conflits.
00:04:38 – Bien entendu, parce qu'aujourd'hui, la plupart des régimes
00:04:41 s'accaparent quand même des ressources économiques des pays africains
00:04:45 et donc abandonnent quasiment l'ensemble de la population.
00:04:49 Et donc là, encore une fois de plus, parfois les régimes alimentent aussi les questions ethniques,
00:04:55 parce que quand quelqu'un arrive au pouvoir, il essaye d'installer sa famille,
00:05:00 ses belles-sœurs, ses belles-mères, etc. à tous les postes de pouvoir.
00:05:04 Et donc c'est l'ethnie, le groupe particulier qui devient propriétaire du pays.
00:05:09 Et donc ça c'est très choquant, quand vous avez 400 ethnies dans un pays,
00:05:13 vous pouvez être sûr que les 400 ethnies ne vont pas apprécier
00:05:17 cette façon de vous accaparer le pays.
00:05:20 – Alors si j'énumère les derniers coups d'État des trois dernières années
00:05:23 que j'ai rapidement évoqués, donc le Gabon et le Niger en dernier,
00:05:26 le Burkina Faso et le Mali juste avant, le Soudan, le Guinée,
00:05:29 la Guinée, pardon, est-ce que finalement, on voit bien que tous ces pays
00:05:34 sont des anciennes colonies françaises ?
00:05:35 Est-ce qu'il y a un lien avec ça ou est-ce que ça n'a rien à voir ?
00:05:39 – Oui, sauf le Soudan.
00:05:41 Oui, bon alors, le problème des anciennes colonies françaises,
00:05:45 c'est que là encore, comme je vous ai dit en début d'émission,
00:05:49 ni les Africains ni les Français ne veulent regarder les choses en face.
00:05:52 Pourquoi il y a ces coups d'État ?
00:05:54 Il y a eu au moment des indépendances, des coups d'État,
00:05:57 du fait de la situation de la guerre froide,
00:06:00 où il y avait une bataille géopolitique entre l'Occident et l'URSS,
00:06:07 qui voulait effectivement chacun avoir ses zones d'influence
00:06:10 et surtout la France qui voulait garder ce qui était son précaré,
00:06:14 donc les pays francophones.
00:06:15 Donc il fallait avoir des chefs d'État qui étaient plus proches
00:06:18 et fidèles à la France dans ces pays-là.
00:06:21 Et l'URSS voulait, sachant qu'il y avait la question de la bataille
00:06:27 pour la prise de pouvoir et aussi le fait que ceux qui étaient proches
00:06:31 de la France ou des États-Unis n'étaient pas bien vus par les services de renseignement
00:06:36 qui combattaient ces mouvements qu'on appelait les mouvements nationalistes,
00:06:40 eh bien l'URSS a commencé à appuyer aussi ces mouvements
00:06:44 pour les arracher en quelque sorte des griffes de l'Occident.
00:06:48 Donc les premiers coups d'État, on a vu les premiers coups d'État se sont faits
00:06:51 à ce moment-là, notamment celui qui s'est passé aux Aïrs de Mobutu
00:06:57 où effectivement la CIA était derrière ce coup d'État.
00:07:02 On a vu le coup d'État par exemple chez Bokassa dans les années 70
00:07:08 qui lui était, je dirais, un ancien militaire français,
00:07:13 un ancien officier de la France libre, qui d'ailleurs, il faut le dire,
00:07:16 a pris le pouvoir en République Centrafricaine en tant que coopérant français.
00:07:20 Mais très peu de gens le savent.
00:07:22 Quand il était arrivé, il partait de la France,
00:07:24 il avait été désigné comme directeur de cabinet du président Dacau
00:07:28 et il a constaté qu'il y avait effectivement des problèmes de favoritisme,
00:07:32 un dysfonctionnement des institutions.
00:07:35 Il a fait le coup d'État alors qu'en fait il était coopérant français.
00:07:38 Et Bokassa est devenu président de la République.
00:07:40 À l'époque, les gens ont dit que c'était la France qui avait soutenu Bokassa.
00:07:43 Non, la France n'a jamais soutenu Bokassa pour faire le coup d'État.
00:07:46 Mais en revanche, la France a apprécié le fait que ce soit un pro-français
00:07:50 qui prenne le pouvoir en République Centrafricaine.
00:07:53 – La différence est ténue.
00:07:54 – Oui absolument.
00:07:55 Donc ce qui fait qu'effectivement, on a vu une grande partie de ces coups d'État
00:07:59 qui se faisaient dans le cadre de la guerre froide.
00:08:02 Mais les coups d'État auxquels on a affaire aujourd'hui sont des coups d'État
00:08:05 qui sont en quelque sorte la manifestation des Gilets jaunes africains.
00:08:09 Parce que c'est de ça dont il est question.
00:08:10 C'est le rejet d'un système politique qui a persécuté les populations
00:08:15 pendant des années.
00:08:17 On a vu, on a entendu qu'il fallait apporter de l'aide au développement,
00:08:20 qu'il fallait faire…
00:08:21 Mais aujourd'hui, on est obligé de constater qu'il n'y a pas de résultat concret,
00:08:24 pertinent, sur lequel on peut s'appuyer comme un bilan positif.
00:08:27 Et donc c'est ça qui génère aujourd'hui les coups d'État.
00:08:30 Et c'est très intéressant parce que la plupart de ces coups d'État
00:08:33 sont la manifestation des militaires qui appartiennent à l'appareil
00:08:38 du pouvoir politique et donc qui apparaissent à l'appareil d'État.
00:08:42 Ce ne sont pas des rebelles, des gens qui sont venus de l'extérieur.
00:08:44 Ce sont des gens qui sont à l'intérieur très souvent,
00:08:46 très proche du président de la République.
00:08:48 – Et alors quel est leur objectif ?
00:08:49 Est-ce que c'est tout simplement de la prédation financière, j'allais dire ?
00:08:52 Est-ce que c'est "si je montais à une marche, tant pis,
00:08:54 s'il faut faire un coup d'État, j'en aurais plus pour moi" ?
00:08:56 – Alors là, les choses commencent à se différencier.
00:09:01 Parce que vous allez avoir par exemple en Afrique de l'Ouest,
00:09:04 beaucoup ont considéré que, que ce soit au Burkina Faso, au Mali,
00:09:10 on a considéré que les chefs d'État ne réglaient pas la question
00:09:13 de la lutte contre le terrorisme, qui était pourtant le cheval de bataille
00:09:16 des dirigeants qui étaient au pouvoir à ce moment-là.
00:09:19 Mais dans le cas du Gabon par exemple, c'est autre chose.
00:09:22 On considère que le président Ali Bongo,
00:09:25 qui lui-même a hérité du pouvoir de son père,
00:09:28 s'est accaparé, enfin les Bongo se sont accaparé le pouvoir au Gabon
00:09:34 pendant plus de 40 ans. Et donc, ça, personne ne le supporte.
00:09:39 Même si le nouveau président qui vient de prêter serment,
00:09:44 on considère qu'il appartient encore au clan Bongo,
00:09:47 mais je crois qu'on peut appartenir au clan Bongo
00:09:50 et faire quelque chose de différent.
00:09:52 Donc je pense qu'il est très tôt aujourd'hui pour tirer des conclusions
00:09:56 totales et définitives sur le régime gabonais.
00:09:59 Il faut attendre de voir ce qui va se passer
00:10:01 dans les semaines et les mois qui viennent.
00:10:03 – Sur la question gabonaise, c'est très intéressant
00:10:05 parce qu'on a vu le chef de la diplomatie, Joseph Borrell,
00:10:08 qui a pris beaucoup de pincettes pour parler de ce coup d'État,
00:10:11 précisément en expliquant que les élections avaient été truquées,
00:10:15 sans avoir véritablement de preuves.
00:10:17 Et en Occident, ça fait beaucoup rire, parce qu'il y a toujours
00:10:19 la suspicion parfois sur des scrutins.
00:10:21 On l'a vu, la foire d'Empogne autour de celle
00:10:24 qui se sont déroulées aux États-Unis par exemple.
00:10:27 Et là, c'était amusant de voir que là, on avait tout à fait le droit
00:10:30 de remettre en cause la régularité d'un scrutin,
00:10:33 puisqu'il était africain en fait.
00:10:34 – Oui, mais en général, les élections sont globalement truquées.
00:10:37 Quelles sont les élections ?
00:10:38 Les élections qui sont déroulées au Gabon depuis de nombreuses années
00:10:41 ont été systématiquement truquées, puisque plusieurs opposants
00:10:44 n'ont jamais réussi à accéder au pouvoir.
00:10:46 – Bien sûr.
00:10:47 – Donc l'argument…
00:10:49 – Non mais il y a d'autres élections truquées
00:10:50 qu'on ne dit pas tout ouvertement truquées.
00:10:52 Et même d'ailleurs qu'on félicite, on considère que c'est…
00:10:54 – Oui mais d'accord.
00:10:55 – Bon, Shokagami au Rwanda, on a toujours considéré que…
00:10:57 Bon, il est élu en plus avec des scores soviétiques,
00:11:00 mais on considère que ce n'est pas très grave,
00:11:03 parfois c'est très bien.
00:11:04 Donc je pense que ça fait partie, si vous voulez,
00:11:08 de cette mauvaise appréciation des situations
00:11:13 ou d'une appréciation à géométrie variable
00:11:16 qui devient un peu irrationnelle quand on fait de la politique étrangère
00:11:20 et quand on fait de la politique tout court.
00:11:22 Et donc je pense que l'époque où on pouvait tenir
00:11:25 ce genre de discours est révolue.
00:11:27 Aujourd'hui les gens ont besoin de vérité, tout simplement.
00:11:29 Et ça je crois que c'est la difficulté
00:11:31 que les dirigeants politiques français ont à avoir
00:11:33 par rapport à ce qui se passe au Gabon.
00:11:35 Il y a quand même une centaine d'entreprises françaises au Gabon.
00:11:38 Alors un petit pays comme le Gabon,
00:11:39 on fait à peu près 4 millions, 5 millions de personnes.
00:11:43 Quand vous avez une centaine d'entreprises françaises au Gabon,
00:11:45 ça signifie qu'ils vont là-bas pour chercher, pour faire des affaires.
00:11:49 Donc c'est important de le souligner et aussi parce que la Chine,
00:11:53 vous aurez remarqué que la Chine a réagi immédiatement.
00:11:56 C'est d'ailleurs la seule grande puissance qui a réagi
00:11:58 à la suite du coup d'État à Gabonais.
00:12:01 Mais parce que c'est un concurrent très sérieux de la France
00:12:04 qui est là-bas et des autres puissances.
00:12:05 Donc il faut parler de ce pour quoi on s'investit au Gabon,
00:12:09 ce pour quoi on est au Gabon,
00:12:11 et pas des élections ou de s'éterre et de faire semblant
00:12:15 de ne pas comprendre ce qui se passe.
00:12:16 En tout cas pour les Gabonais et pour les observateurs,
00:12:19 on sait exactement ce qui se passe
00:12:20 et il faut que les hommes politiques commencent à avoir le courage de s'exprimer.
00:12:23 – Alors j'ai relevé un terme qui m'a fait, qui m'a surprise.
00:12:28 Saïd Bouamama, c'est un sociologue qui contribue à InvestigAction,
00:12:32 le collectif fondé par Michel Collomb,
00:12:34 il explique d'emblée la situation actuelle en Afrique
00:12:37 comme une crise de l'impérialisme français en Afrique.
00:12:40 Et je trouve ça assez intéressant parce que finalement
00:12:42 dénoncer une crise de l'impérialisme français,
00:12:44 on pourrait presque croire qu'il appelle de ses voeux
00:12:47 une remise à plat de l'impérialisme français.
00:12:51 – Écoutez, je suis un peu plus nuancé sur cette approche des choses.
00:12:54 – Ou ça ne sera pas difficile.
00:12:55 – Oui, parce que ça donne l'impression que tous les problèmes de l'Afrique,
00:13:00 c'est seulement uniquement la France qui en est responsable.
00:13:02 La France a des responsabilités lourdes et écrasantes
00:13:04 sur ce qui se passe en Afrique.
00:13:06 Et d'ailleurs c'est pour cette raison que je suis surpris
00:13:09 que les dirigeants politiques français ne veuillent toujours pas
00:13:12 mettre sur la table les problèmes, les grièves qui leur sont posées,
00:13:16 notamment la question du soutien systématique à des dictateurs africains
00:13:20 qui jamais n'ont apporté le développement dans leur pays
00:13:23 et qui bénéficient du soutien, de l'aide financière de la France
00:13:26 pendant des années.
00:13:27 Donc ça, ce sont des vraies questions.
00:13:29 – Mais si je peux me permettre, pardon de vous couper,
00:13:31 mais il y a une différence entre la responsabilité de la France
00:13:33 et la responsabilité de l'impérialisme français.
00:13:36 – Oui, mais si vous voulez, ça revient à peu près au même…
00:13:39 si on veut dire les choses de façon un peu plus précise.
00:13:44 Bon, l'impérialisme français, c'est fait par la France,
00:13:47 c'est fait par les Français.
00:13:49 – Oui, mais on a le sentiment qu'il est un peu révolu,
00:13:50 l'impérialisme français quand même.
00:13:52 – Non, mais je veux dire, dans l'esprit de ceux qui formulent
00:13:54 les choses de cette façon-là, c'est comme ça qu'ils voient les choses.
00:13:57 C'est-à-dire que c'est la France qui est derrière
00:13:58 ce qu'on appelle l'impérialisme français.
00:14:00 Mais si je vais être très précis sur ce point-là,
00:14:02 puisque vous me poussez un peu dans les cordes,
00:14:05 c'est que moi je ferais une différence
00:14:08 entre les hommes qui ont constitué et qui n'ont pas disparu
00:14:13 un réseau franco-africain d'affaires,
00:14:16 qui se sont gavés, qui se sont goinfrés en Afrique
00:14:21 beaucoup avec les dirigeants en place.
00:14:23 Ces gens-là appartiennent au monde politique,
00:14:26 au monde économique, au monde des affaires, etc.
00:14:30 Et ce sont ces gens-là qui sont aujourd'hui,
00:14:32 en fait qui ont pris les institutions françaises en otage,
00:14:35 qui font quasiment la politique de la France.
00:14:39 Il y a d'ailleurs un rapport des sénateurs français
00:14:42 qui a été publié en 2013, qui évoquait effectivement cela
00:14:46 de façon très claire.
00:14:47 Donc ça c'est le grand tabou en France,
00:14:49 il ne faut pas surtout parler de ça.
00:14:50 Mais la question qui est celle de savoir
00:14:54 si on peut parler de l'impérialisme français
00:14:58 au sens de l'État français, moi je mettrais encore des nuances.
00:15:02 Pourquoi ? Parce que quand on regarde
00:15:04 c'est qui la présidence de François Hollande par exemple.
00:15:08 Bon François Hollande a fait des choses extrêmement banales en Afrique,
00:15:12 il n'y a pas eu grand-chose.
00:15:13 Il y a eu son spectacle au Mali où il disait qu'il allait
00:15:17 ramener la paix et la lutte contre le terrorisme.
00:15:21 – Ça a très bien marché oui, comme le reste du quinquennat.
00:15:24 – Mais lui par exemple, il n'a pas fait grand-chose,
00:15:26 on ne peut pas reprocher à l'État français à ce moment-là grand-chose.
00:15:29 Mais en revanche, quand on regarde tous les réseaux
00:15:32 qui ont été créés par Sarkozy et les réseaux qu'on voit actuellement
00:15:36 en train de s'aborder en quelque sorte la réputation de l'État français,
00:15:42 et bien je crois que là on a affaire à des gens
00:15:44 qui s'accaparent l'appareil politique français
00:15:47 et qui mènent des actions sur le terrain
00:15:50 qui sont de nature totalement privée, avec des groupes totalement privés.
00:15:55 – Alors lors de son premier quinquennat,
00:15:56 Emmanuel Macron a fait un voyage notamment au Burkina Faso.
00:15:59 Il y a eu des images très très fortes à ce moment-là.
00:16:03 Je vous propose de les regarder et puis après on va en parler.
00:16:06 – Moi je ne veux pas m'occuper d'électricité dans les universités au Burkina Faso.
00:16:11 C'est le travail du président.
00:16:13 [Rires]
00:16:15 Du coup il s'en va à Astana.
00:16:17 [Rires]
00:16:19 Du coup il est parti réparer la climatisation.
00:16:22 [Musique]
00:16:26 – Honnêtement, quand on voit ça, on a honte d'être français.
00:16:32 – C'est évident, ce n'est pas François Mitterrand,
00:16:36 ce n'est pas le général de Gaulle, ce n'est même pas Jacques Chirac.
00:16:39 Jacques Chirac était très très chaleureux, mais il avait un peu de tenue.
00:16:44 Et en plus devant des étudiants, ça ne fait pas très sérieux.
00:16:49 Et je crois que, en plus sur le plan diplomatique,
00:16:52 ce n'est pas très élégant.
00:16:53 – C'est moins de plaisir.
00:16:54 – On ne va pas parler comme ça à un chef d'État.
00:16:57 Même si vous avez un profond mépris pour lui et pour son pays,
00:17:01 vous essayez quand même de mettre des formes.
00:17:03 Et on sait que la France, la tradition de la diplomatie française
00:17:07 a toujours été d'avoir de l'élégance.
00:17:08 Même les partenaires français, historiquement,
00:17:11 reconnaissent que les Français en matière de diplomatie sont très élégants.
00:17:14 Mais là, on a quand même affaire à un truc qui se passe de commentaire.
00:17:19 – Alors il faut préciser d'ailleurs que le président, dont se moque littéralement
00:17:22 Emmanuel Macron, le président Caboret, lui a été renversé au Burkina Faso.
00:17:25 – Oui, alors là, lui, il a été renversé par contre pour de très bonnes raisons.
00:17:29 C'est-à-dire que même si ce n'était pas logique de le renverser,
00:17:33 je veux dire qu'à partir du moment où le Burkina Faso est entré
00:17:36 dans une logique d'accession au pouvoir par des élections libres et démocratiques,
00:17:41 le coup d'État n'est pas vraiment la chose la plus appropriée.
00:17:46 Mais en revanche, là encore une fois de plus,
00:17:49 il serait quand même intéressant que M. Macron s'exprime sur l'action
00:17:53 qui a été celle de la France qui a soutenu le G5 Sahel,
00:17:57 dans laquelle Burkina a été impliqué.
00:17:59 Quels sont les résultats de cette action de coopération
00:18:03 dans la lutte contre le terrorisme, puisque le président Caboret a été renversé
00:18:06 par son incapacité à lutter contre le terrorisme.
00:18:09 C'est ça la question.
00:18:10 Et donc, sur cette question-là, M. Macron aurait été mieux inspiré
00:18:15 de répondre à cet aspect et aussi le président Caboret de répondre à cette question-là.
00:18:20 – Alors, il faut préciser quand même que l'opération antiterroriste au Sahel,
00:18:23 c'est l'opération Serval puis Barkhane, c'est 60 soldats français qui ont perdu la vie.
00:18:28 – Mais oui, alors là, vous touchez une question qui fait partie des tabous en France.
00:18:33 C'est-à-dire que quand vous avez des soldats français qui meurent en Afrique,
00:18:36 en général on dit "ce sont des patriotes, ils sont tombés sur le champ d'honneur", etc.
00:18:41 Mais pour quels intérêts ils sont morts ?
00:18:43 Est-ce que c'est pour les intérêts français ?
00:18:45 – Qui peut créer le résultat, pardon.
00:18:46 – Oui, d'abord, est-ce qu'ils sont morts pour les intérêts français ?
00:18:48 Parce que ça, c'est une question très importante à laquelle personne ne veut répondre.
00:18:52 Et d'ailleurs, on ne veut pas que le débat se fasse sur cet aspect.
00:18:54 Mais moi, je peux en parler librement parce que je pense qu'il y a des intérêts privés
00:18:59 qui sont en général ceux pour lesquels on envoie les soldats français se battre,
00:19:04 mais qui n'ont absolument rien à voir avec l'État français.
00:19:07 Pourquoi ? Parce que quand vous envoyez des soldats se battre,
00:19:10 c'est parce que soit vous avez des rapports économiques avec un pays
00:19:16 et que ce pays-là ne respecte plus vos rapports économiques,
00:19:19 les rapports, les accords que vous avez signés ensemble, etc.
00:19:23 Mais là, on va voir des gens qui vont, on va dire qu'ils vont au Sahel,
00:19:27 ils vont au Sahel à la lutte contre le terrorisme.
00:19:29 Mais si déjà en France, il y a des questions de lutte contre le terrorisme qui s'opposent,
00:19:33 qui s'opposent vraiment de façon sérieuse,
00:19:35 mais comment on peut aller à des milliers de kilomètres seulement pour combattre le terrorisme ?
00:19:39 Ce n'est pas crédible comme argument quand on veut.
00:19:43 Donc c'est important de dire qui sont les gens ou les entreprises
00:19:47 qu'on défend sur ce terrain-là et qu'est-ce que ces entreprises-là rapportent en France
00:19:52 comme, je dirais, retour sur le plan économique,
00:19:57 parce que les entreprises qui opèrent là-bas sont supposées créer des emplois en France.
00:20:01 Mais est-ce que c'est vraiment le cas ? Non, je ne crois pas.
00:20:04 Il y a beaucoup d'entreprises qui opèrent là-bas qui ne créent pas des entreprises en France.
00:20:07 On a même vu qu'il y a des entreprises qui gagnent énormément d'argent là-bas,
00:20:11 mais qui délocalisent des emplois ailleurs, dans les pays d'Asie,
00:20:16 ou en plus qui vont défiscaliser en quelque sorte leurs revenus.
00:20:23 Donc tout cela, l'argent ne rentre pas dans le trésor français systématiquement.
00:20:27 Donc cette question-là en France est une question importante qu'il faudrait poser.
00:20:31 Donc je ne suis pas sûr que les soldats français qui meurent au Sahel
00:20:34 ou qui meurent en Afrique meurent toujours pour la défense des intérêts français.
00:20:39 Ce n'est pas vrai.
00:20:40 Donc il faut qu'aujourd'hui on apprenne à dire la vérité aux Français,
00:20:44 quand les gens meurent, qu'on sache exactement pourquoi et pour qui ils sont morts en Afrique.
00:20:49 – Ce que vous êtes en train de me dire, en réalité, Charles Onana,
00:20:52 c'est que finalement l'armée française fait office de société paramilitaire privée
00:20:56 pour des intérêts privés qui ne contribuent même pas au florissement de la France.
00:21:02 – Donc il faut que les hommes politiques français aient le courage
00:21:05 de mettre la question sur la table.
00:21:07 Je vous prendrai un exemple très simple.
00:21:10 Vous savez, en Côte d'Ivoire, en 2004-2005, il y a eu 9 militaires français qui ont été tués
00:21:18 à la suite d'un bombardement de ce qu'on appelait le camp militaire français de Boîtquet.
00:21:22 Ce dossier avait mis en cause Mme Michèle Alliomarie
00:21:28 qui a menti tranquillement devant les juges qui l'ont interrogée,
00:21:33 parce que j'ai eu ses auditions.
00:21:35 À l'époque, le ministre togolais, l'intérieur du Togo, j'avais été en contact avec lui,
00:21:42 il avait fait arrêter les biolorusses qui avaient commis le bombardement.
00:21:49 Et qu'est-ce qui s'est passé ?
00:21:51 Ces gens ont été incarcérés à l'OME.
00:21:53 Et le ministre m'a dit, j'ai appelé le ministère de la Défense, le ministère de l'Intérieur,
00:21:58 le ministère de la Justice, le ministère des Affaires étrangères,
00:22:01 pour leur dire que je vais vous estrader.
00:22:03 – Français ? – Oui, français !
00:22:04 Pour dire, on va vous estrader.
00:22:06 Ces gens qui sont supposés avoir commis un attentat contre des soldats français à Boîtquet,
00:22:11 et tout le monde a refusé de faire venir des biolorusses.
00:22:14 Il a été obligé de les libérer.
00:22:16 Donc vous voyez, ça c'est un exemple très important.
00:22:18 Et ces militaires français sont morts.
00:22:20 Aujourd'hui, leurs familles ne savent toujours pas la vérité.
00:22:23 Mais c'est important qu'on pose ces questions.
00:22:26 C'est pour ça que je vous prends cet exemple-là, parce qu'il est passé,
00:22:29 j'ai travaillé dessus, mais je ne suis pas sûr,
00:22:32 et c'est pour ça que j'ai dit, je ne suis pas sûr
00:22:34 que tous les militaires français qui meurent en Afrique
00:22:36 meurent pour la défense des intérêts de la France
00:22:38 et pour la défense des intérêts de la nation, pour la dignité de la France.
00:22:42 Non, je ne crois pas.
00:22:43 – Alors, j'ai évoqué tout à l'heure tous les pays
00:22:45 qui avaient été secoués par des déstabilisations récentes.
00:22:48 Beaucoup parlent des prochains candidats, j'allais dire,
00:22:51 au coup d'État ou à la déstabilisation politique.
00:22:54 Et ils évoquent souvent le Tchad et le Sénégal.
00:22:56 Quel est votre point de vue ?
00:22:58 – Vous allez constater que, au Tchad par exemple,
00:23:02 il y a eu un coup d'État, vous vous souvenez ?
00:23:04 Enfin, il y a eu l'assassinat d'un président, du président Idriss Déby.
00:23:09 Son fils est arrivé, et le président Macron était le seul président français,
00:23:13 le seul chef d'État occidental qui s'est retrouvé là.
00:23:16 Bon, on ne doit pas le lui reprocher,
00:23:19 si c'est sa préférence, ce n'est pas une mauvaise chose en soi.
00:23:22 Sauf qu'il y a eu également un débat qui s'est ouvert
00:23:26 avec les opposants tchadiens.
00:23:28 Et le débat, moi j'avais considéré peut-être qu'à l'époque,
00:23:33 que la France allait profiter de son influence sur le Tchad
00:23:37 pour essayer d'aider les Tchadiens à avoir un débat national
00:23:43 pour permettre non seulement le changement des institutions,
00:23:45 mais l'amélioration des institutions,
00:23:47 et puis permettre à ce que le Tchad ne se retrouve plus
00:23:50 dans une guerre de lutte interne violente, c'est-à-dire par les armes,
00:23:55 où les opposants sont obligés de prendre les armes pour accéder au pouvoir.
00:23:58 Et ça, c'était une occasion qui était extraordinaire,
00:24:01 mais ce n'est pas exactement ce qui s'est passé.
00:24:03 Donc, quand on regarde cette situation,
00:24:07 on est obligé de se dire que les dirigeants africains
00:24:10 doivent apprendre à vivre aussi avec leurs opposants
00:24:14 de façon digne et honorable,
00:24:16 parce que vous n'êtes pas destiné à contrôler le pays
00:24:19 pendant 40 ans, pendant 50 ans, de génération en génération,
00:24:22 de père en fils, etc.
00:24:23 Donc, c'est un vrai problème.
00:24:26 Et donc, si on ne règle pas ces questions-là,
00:24:28 il est évident que les coups d'État vont continuer.
00:24:30 Au Sénégal, on a vu, tout le monde sait quand même
00:24:33 que le Sénégal, jusqu'à présent, n'a réussi à avoir des alternances
00:24:37 que sur le plan politique et qu'il n'y a jamais eu de violence,
00:24:41 en fait, au Sénégal pour accéder au pouvoir.
00:24:43 Mais on a vu ces derniers temps qu'il y a un opposant sénégalais
00:24:46 qui a quand même été brutalisé, violenté, etc.
00:24:49 Son avocat français qui était allé là-bas,
00:24:52 Wanbranco, a été arrêté, incarcéré et arrêté en Mauritanie,
00:24:57 pour être libéré après, après des accusations
00:25:01 qui étaient quand même extrêmement graves portées contre lui.
00:25:03 Donc, tout le monde savait que tout ça était politiquement fabriqué,
00:25:07 que ce n'était pas très crédible,
00:25:09 mais les Français, face à ça, n'ont pas beaucoup parlé.
00:25:14 Vous avez un Français qui est arrêté dans des conditions,
00:25:17 comme celle-là, moi je me demande si c'était un pays comme le Mali
00:25:22 qui avait arrêté Wanbranco,
00:25:24 on aurait eu un tollé au niveau national.
00:25:27 Mais là, comme c'est le Sénégal, on n'ose pas trop dire grand-chose,
00:25:31 alors qu'en fait, ce truc-là est une violation grave des règles de la défense.
00:25:37 C'est-à-dire qu'un avocat a parfaitement le droit d'aller voir son client,
00:25:41 de discuter avec son client,
00:25:43 plutôt que d'être arrêté, incarcéré et humilié,
00:25:45 comme cela a été le cas avec Wanbranco.
00:25:47 – Alors, j'ai reçu, il y a quelque temps, François Asselineau,
00:25:50 et je l'avais interrogé justement sur le comportement d'Emmanuel Macron
00:25:53 à l'égard de l'Afrique, je vous propose de l'écouter, c'est très court.
00:25:55 – Le problème de Macron, ce qu'il n'a pas bien compris,
00:25:58 c'est que le problème numéro 1 de la France en Afrique, c'est lui-même.
00:26:03 C'est-à-dire que les Africains ne le supportent pas plus,
00:26:08 si vous voulez, que beaucoup de Français.
00:26:10 [Générique]
00:26:16 – Alors, au-delà de la plaisanterie, est-ce que c'est vrai ?
00:26:19 – Oui, c'est vrai, c'est vrai.
00:26:21 Moi, j'ai discuté avec beaucoup de chefs d'État,
00:26:23 ou d'anciens chefs d'État, ou d'anciens ministres,
00:26:25 qui disent que le comportement de l'actuel président français est indécent,
00:26:30 et qu'il leur parle, ou il se comporte avec eux,
00:26:36 comme s'ils étaient des enfants, alors que beaucoup d'entre eux sont…
00:26:39 on peut avoir l'âge du père d'Emmanuel Macron, ou même de son grand-père,
00:26:42 pour certains qui sont restés très longtemps au pouvoir,
00:26:46 qui ont connu les tyrans, etc.
00:26:48 Donc, je crois que le président Macron, peut-être,
00:26:53 il pense qu'il est très intelligent,
00:26:55 c'est peut-être quelqu'un d'être très intelligent,
00:26:57 mais il y a aussi une tradition dans la diplomatie française,
00:27:02 je crois qu'il serait bon qu'il s'en imprègne suffisamment
00:27:07 pour avoir la distance que pouvait avoir le général de Gaulle,
00:27:11 que pouvait avoir Mitterrand, et même la courtoisie,
00:27:14 ou l'extrême proximité que M. Chirac avait avec les dirigeants africains,
00:27:18 il ne parlait pas de cette façon-là.
00:27:20 – Alors, vous avez évoqué tout à l'heure la présidence de Nicolas Sarkozy,
00:27:23 évidemment, un des points qui a beaucoup marqué l'Afrique
00:27:25 au moment du quinquennat Sarkozy, c'est bien entendu le discours de Dakar,
00:27:29 de ce fait, comment l'avez-vous interprété à cette époque-là ?
00:27:33 Et puis surtout, est-ce que finalement, le problème de la France avec l'Afrique
00:27:38 et de l'Afrique avec la France, il remonte à cette période-là ?
00:27:42 – Je pense que, pour dire, le discours de Dakar
00:27:47 était un discours de quelqu'un qui apparaissait comme un ignorant
00:27:52 dans les relations franco-africaines.
00:27:55 – Ça prend plaisir, celui qui l'a écrit.
00:27:57 – Je ne sais pas qui l'a écrit, mais je me dis que si il y a quelqu'un
00:28:03 qui avait parlé à Dakar, c'est quoi Dakar ?
00:28:08 Dakar 1942, 1940 pardon, c'est la bataille de Dakar
00:28:16 entre les forces de M. Boisson et le général de Gaulle,
00:28:20 c'est-à-dire que la bataille de Dakar a été une bataille extrêmement féroce
00:28:25 entre la France libre et ce qu'on considérait comme les pétainistes.
00:28:31 Donc c'est là-bas que vous avez eu aussi les plus grands, les tirailleurs
00:28:38 ou ce qu'on appelait les ressortissants des quatre communes qui étaient français,
00:28:42 qui se sont levés pour entrer dans les forces françaises libres
00:28:46 pour venir se battre aux côtés des troupes en métropole
00:28:50 pour libérer la France de l'occupation nazie.
00:28:53 Donc quand on va à Dakar pour dire ça et qu'on ne sait pas
00:28:58 ce qui s'est passé à Dakar entre 1940 et 1945,
00:29:01 c'est une ignorance crière de l'histoire française.
00:29:05 Donc je reviens sur la dimension d'aujourd'hui, c'est que le président Macron,
00:29:11 tout comme les dirigeants africains, ne peuvent pas continuer à faire semblant,
00:29:15 d'ailleurs le discours de Dakar, les dirigeants africains
00:29:18 ne sont pas beaucoup prononcés, ce sont les intellectuels qui ont réagi.
00:29:21 Donc là, encore une fois de plus, je pense que l'attitude du président Sarkozy
00:29:28 en Afrique depuis ces dernières années a été, je dirais que c'est lui
00:29:32 qui a ouvert la porte à la disqualification dans l'opinion publique africaine de la France.
00:29:41 Parce que son intervention en Côte d'Ivoire a été lamentable,
00:29:46 c'est-à-dire qu'aucun dirigeant français avant Sarkozy
00:29:49 ne serait allé mener un coup d'État en Côte d'Ivoire
00:29:54 pour déstabiliser et placer quelqu'un qui lui était favorable.
00:29:59 Comme ça a été fait, d'autant plus que sous le président Laurent Gbagbo,
00:30:03 les intérêts français n'ont pas été menacés en Côte d'Ivoire.
00:30:06 Il faut dire les choses de façon objective, aucune entreprise française n'a été menacée
00:30:10 ou a été appelée à déguerpir.
00:30:13 Donc je ne comprends pas pourquoi il y a eu cette mobilisation,
00:30:17 mais vraiment extrêmement violente.
00:30:18 D'ailleurs j'avais discuté avec certains ministres français à l'époque
00:30:22 pour leur demander "mais qu'est-ce qu'il vous a fait Laurent Gbagbo
00:30:25 pour que vous soyez aussi violent, aussi agressif à son endroit ?"
00:30:30 Alors les arguments qui m'ont été souvent donnés n'étaient pas consistants.
00:30:34 Donc il ne s'est pas arrêté là M. Sarkozy.
00:30:37 M. Sarkozy est allé en plus, peu de temps après la Côte d'Ivoire,
00:30:43 il est attaqué la Libye.
00:30:44 Alors que manifestement, il avait accueilli,
00:30:48 le même Sarkozy qui allait attaquer la Libye avait accueilli M. Kadhafi.
00:30:52 Je me souviens d'ailleurs à l'époque de sa secrétaire d'État aux affaires étrangères,
00:30:57 Mme Ramayad, qui disait qu'on ne pouvait pas, on ne devait pas accueillir M. Kadhafi.
00:31:03 Bon ça a fait un tollé au sein du gouvernement et au sein du parti.
00:31:08 On disait que non, le président de la République a raison.
00:31:11 Mais tout d'un coup, tout le monde s'est tué quand M. Sarkozy est allé attaquer la Libye.
00:31:15 Qu'est-ce que la Libye lui a fait ?
00:31:16 – Alors l'argument avancé, vous le savez bien,
00:31:18 c'est que Benghazi allait être en proie à une attaque de Kadhafi absolument meurtrière.
00:31:25 – Et actuellement qu'est-ce qui se passe en Libye ?
00:31:28 – Ça vaut une pitié.
00:31:29 – Donc il est allé pour faire ce qui se passe aujourd'hui,
00:31:32 où les armes, bon Kadhafi on peut tout lui reprocher,
00:31:36 sauf que quand même c'est quelqu'un qui a combattu les djihadistes,
00:31:40 de façon efficace.
00:31:42 Et donc on est obligé de constater aujourd'hui que les armes qui sont sorties de Libye
00:31:48 ont été abandonnées aux mains des djihadistes
00:31:52 et que les Français qui vont combattre le djihadisme meurent au Sahel.
00:31:57 Vous comprenez pourquoi je vous ai dit qu'il est important
00:31:59 que les soldats français qui meurent en Afrique, qu'on vienne nous expliquer,
00:32:03 qu'on explique qu'il y a un débat en France pour expliquer pourquoi ces gens-là meurent.
00:32:07 Est-ce qu'ils meurent véritablement pour les intérêts de la France ?
00:32:09 Donc quelqu'un qui est venu en France, qui a été bien accueilli par Nicolas Sarkozy
00:32:14 et qui est bombardé le lendemain et qui est tué dans les conditions
00:32:17 dans lesquelles il a été tué, là c'est suffisant.
00:32:20 – Proche de celle employée par les terroristes, il faut être honnête.
00:32:22 – Mais… c'est lamentable ce qui se passe.
00:32:29 Vous savez, j'ai trouvé un élément important, une note très importante en 1993,
00:32:36 il y a maintenant 30 ans, de l'ancien monsieur Afrique de l'Élysée,
00:32:45 sous François Mitterrand, qui dit ceci en parlant de l'Afrique.
00:32:48 – Qui était ? Son nom ?
00:32:49 – Monsieur Bruno Delay, qui dit "en Afrique, on en est au point
00:32:54 de préférer un minimum de bordel et de casse à l'affirmation
00:32:59 des principes démocratiques et à la transparence", il y a 30 ans.
00:33:03 Donc quand vous voyez ce qui se passe aujourd'hui,
00:33:05 le diagnostic de la situation africaine est clair.
00:33:08 C'est-à-dire qu'il n'y a plus de politique, depuis 30 ans,
00:33:12 il n'y a plus de politique africaine en France du tout.
00:33:15 Les gens naviguent à vue, chacun vient faire son numéro de claquette
00:33:20 en espérant tirer le maximum de bénéfices ou de dividendes,
00:33:24 mais dans tous les cas de figure, il faut que les Français comprennent
00:33:29 que ce pays n'a plus de politique africaine du tout.
00:33:33 – Alors quand on regarde une carte d'Afrique du début du XXème siècle,
00:33:38 on s'aperçoit quand même que la France n'est pas la seule
00:33:41 à avoir colonisé l'Afrique, on peut citer bien sûr l'Angleterre,
00:33:44 le Pays-Bas, l'Allemagne, le Portugal, l'Espagne et aussi la Belgique.
00:33:48 Pourquoi cette impression, d'ailleurs vous allez peut-être me dire
00:33:52 que je me trompe, mais pourquoi cette impression que c'est toujours
00:33:55 la France qui est ciblée quand il s'agit de critiquer le passé
00:33:59 du continent africain et accessoirement aussi l'actualité du continent africain ?
00:34:03 – Mais c'est tout simplement parce que les dirigeants,
00:34:06 comme je vous le disais tout à l'heure, d'ailleurs je remets en cause
00:34:12 une formule que j'entends beaucoup dans la bouche des éditorialistes
00:34:15 et du président Macron qui a parlé de sentiments anti-français en Afrique,
00:34:19 que le sentiment anti-français est grandissant, ce n'est pas vrai.
00:34:22 Les Africains ne sont pas contre les Français,
00:34:25 les Africains ne détestent pas les Français, ils ne haïssent pas les Français.
00:34:29 Les Africains rejettent la politique des dirigeants français
00:34:33 avec leurs potentats ou leurs amis locaux qui sont au pouvoir depuis 30-40 ans,
00:34:38 qui ont entraîné, je dirais, la catastrophe sur le plan économique,
00:34:44 l'absence de perspective pour les jeunes, la dégradation du niveau de vie,
00:34:49 la perte du pouvoir d'achat, etc.
00:34:52 Donc c'est ça que les Africains ne veulent plus voir.
00:34:56 Et aujourd'hui, quand je disais tout à l'heure,
00:34:58 je vais vous lire ce que disait un rapport sénatorial
00:35:07 qui a été fait par des sénateurs français, etc.
00:35:10 sur la situation que nous décrivons.
00:35:12 "Au Gabon ou au Congo-Brazzaville, au Togo, au Burkina,
00:35:15 face au Cameroun, au Tchad ou encore en Centrafrique,
00:35:18 une débuleuse d'acteurs disposant des réseaux de connaissances personnelles
00:35:22 où se côtoyaient dirigeants politiques, hommes d'affaires,
00:35:26 agents de renseignement, militaires ou mercenaires,
00:35:28 a trouvé dans les réseaux de la France Afrique
00:35:31 de quoi dévoyer la politique africaine de la France,
00:35:35 parfois au nom de la raison d'État,
00:35:37 souvent dans la défense d'intérêts particuliers, privés ou partisans,
00:35:42 avec son lot de scandales dont le plus connu est l'affaire ELF."
00:35:47 Donc vous voyez que même les sénateurs français
00:35:50 ont pointé du doigt ce qui se passe aujourd'hui,
00:35:54 mais ceci n'a jamais fait l'objet d'un débat en France,
00:35:58 avec d'ailleurs les Africains,
00:35:59 parce que quand vous allez réunir des Africains à Montpellier
00:36:02 pour faire le numéro de claquette qui a été fait là,
00:36:05 ce n'est pas très sérieux.
00:36:06 Et en plus vous prenez qui parmi les gens que vous prenez
00:36:09 pour venir parler de la politique africaine de la France ?
00:36:12 Vous parlez des gens qui ne connaissent pas les dossiers franco-africains.
00:36:15 Donc ce n'est pas très sérieux.
00:36:17 Je n'ai rien contre les historiens qui ont été appelés là-bas,
00:36:20 ils sont certainement de bons historiens,
00:36:21 mais on sait qu'il y a des gens, dans ce que ce soit en Afrique ou en France,
00:36:24 qui maîtrisent très bien ces dossiers-là,
00:36:26 et quand vous voulez régler le problème,
00:36:28 vous faites venir en face de vous des gens qui connaissent les dossiers.
00:36:31 Et je comprends que…
00:36:33 – Même moi c'est ce que j'essaie de faire.
00:36:35 – Oui, vous le faites d'ailleurs très très bien,
00:36:38 et d'ailleurs c'est pour cette raison qu'on peut, sur votre chaîne là,
00:36:41 avec les questions que vous posez, on peut aller au fond des choses.
00:36:44 C'est-à-dire que là, il faut cesser de développer,
00:36:47 dans l'opinion française, ces discours un peu vénimeux,
00:36:51 qui consistent à dire qu'il y a un sentiment anti-français.
00:36:54 Non, vous avez des Français qui ont des familles en Afrique,
00:36:57 qui vivent là-bas, ils n'ont pas de problème.
00:36:59 Vous avez des entreprises françaises qui sont là-bas, installées là-bas,
00:37:02 les hommes d'affaires français qui font leurs affaires là-bas,
00:37:03 ils n'ont pas de problème.
00:37:04 Mais ce qui n'est plus acceptable, c'est justement ce qui est tabou en France,
00:37:09 c'est-à-dire le débat sur les groupes d'intérêt
00:37:12 qui travaillent à la fois contre l'État français et contre les États africains.
00:37:16 – Et contre les peuples africains.
00:37:18 – Et contre les peuples africains, et qui travaillent aussi contre le peuple français.
00:37:22 Parce que très souvent, vous aurez remarqué que le contribuable français
00:37:26 met de l'argent dans ce qu'on appelle l'aide aux devants les plus pauvres.
00:37:30 – Bien sûr.
00:37:31 – Mais où passe cette aide-là ? Pourquoi ?
00:37:34 Et ça, ça se fait même avant ma naissance,
00:37:36 j'entends déjà qu'on aidait beaucoup l'Afrique,
00:37:38 mais l'Afrique devrait être…
00:37:39 quand vous avez l'aide de la France, l'aide de l'Union européenne,
00:37:42 l'aide des États-Unis, etc., l'Afrique devrait déjà être surdéveloppée.
00:37:46 Mais comment se fait-il que…
00:37:48 quand vous entendez les sommes qui sont englouties dans l'aide au développement,
00:37:52 mais c'est hallucinant, c'est des milliards et des milliards d'euros.
00:37:57 Mais ça va où ? Ça produit quoi ? Etc.
00:38:00 – Je vous dis en passant, je fais une incise,
00:38:03 mais bon, on a vu que sur 1,8 milliard donnés à l'Ukraine par l'EFMI,
00:38:07 il y a 900 millions qui ont disparu.
00:38:09 Donc ça donne une piste de réflexion.
00:38:11 – Mais c'est pour cela qu'il faut un peu de transparence
00:38:13 et il faut dire un tout petit peu la vérité.
00:38:16 – La semaine dernière, à votre place, Charles Onana,
00:38:18 je recevais l'économiste Jacques Sapir, que vous devez bien entendu connaître.
00:38:22 Je vous propose d'écouter ce qu'il me disait au sujet de l'Afrique.
00:38:25 – L'une des bases de la reconstruction d'une politique française
00:38:29 par rapport à l'Afrique de l'Ouest serait de dire,
00:38:31 ces gens comptent, bien sûr que, économiquement, c'est très faible,
00:38:36 mais ces gens comptent parce que ce sont des gens qui méritent le respect.
00:38:39 – Oui, puis exister économiquement n'est pas une fin en soi, accessoirement.
00:38:42 – Tout à fait. Donc, à partir de là, nous devons avoir une véritable politique
00:38:49 qui les aide à construire des États, qui les aide à construire des unités nationales,
00:38:56 parce que ces pays sont aussi très fracturés à l'intérieur,
00:39:02 et c'est plutôt dans ce sens-là qu'il faut orienter notre politique.
00:39:07 [Générique]
00:39:14 – Qu'est-ce que vous pensez de ces déclarations ?
00:39:16 Parce que sincèrement, elles sont bienveillantes.
00:39:18 – Oui.
00:39:19 – Mais il ne suffit pas d'être bienveillant pour ne pas être paternaliste ?
00:39:22 – Tout à fait. Bon, j'ai beaucoup d'estime pour Sapir,
00:39:27 pour cet imbriante économiste, etc.
00:39:29 Mais je pense qu'aujourd'hui… d'ailleurs, c'est un discours
00:39:32 que beaucoup de chefs d'État français ont tenu pendant des années,
00:39:35 y compris des chefs d'État africains eux-mêmes,
00:39:37 qui disaient que "on veut que la France nous aide à construire des ponts, etc."
00:39:41 mais ce n'est pas à la France de vous aider à construire des ponts.
00:39:43 Vous avez des écoles d'ingénieurs, vous devez faire travailler vos ingénieurs,
00:39:48 par rapport à la situation locale.
00:39:50 Donc, aujourd'hui, on est dans une situation où, effectivement,
00:39:53 ce poker menteur a assez duré et c'est pour cela que les résultats ne sont pas concluants.
00:40:01 Donc, il est important que les Français, d'abord, disent qu'ils ne viennent pas en Afrique
00:40:06 pour les questions de démocratie, des droits de l'homme, etc.
00:40:08 Ce n'est pas vrai.
00:40:09 Ils viennent parce qu'ils ont, comme la Russie, comme la Chine, comme les États-Unis,
00:40:15 des intérêts, des marchés qu'ils veulent conquérir.
00:40:18 Et quand vous venez sur ces bases-là, vous mettez ça sur la table,
00:40:21 le débat est beaucoup plus sérieux et vous vous débrouillez à avoir quand même
00:40:24 des interlocuteurs sérieux.
00:40:25 Donc, vous ne pouvez pas, d'un côté, vouloir que la France gagne des marchés,
00:40:29 mais en même temps, vous entretenez des rapports un peu incestueux
00:40:33 avec des gens très incompétents, très faiblards, etc.
00:40:37 mais qui peuvent vous arranger toutes les choses à tout moment,
00:40:40 et en même temps, vouloir avoir à la fois des États africains compétitifs,
00:40:45 compétents et une économie française dynamique.
00:40:48 J'ai une seule observation sur ce point-là.
00:40:50 Comment vous expliquez que la France,
00:40:54 qui a eu les colonies les plus riches en termes de ressources,
00:41:00 le Gabon, le Congo, où il y a eu les scandales d'Elf, etc.
00:41:07 et tout ça, vous allez prendre toutes les colonies françaises
00:41:11 qui sont vraiment considérées comme riches en ressources.
00:41:15 Comment est-ce possible que la France puisse se retrouver,
00:41:18 des années après, n'est plus dans le peloton de tête des pays de l'Union européenne,
00:41:24 alors que l'Allemagne a eu, finalement, après la seconde guerre mondiale,
00:41:28 a perdu toutes ses colonies.
00:41:30 Et puis l'Allemagne se retrouve en tête et donne des ordres à la France, etc.
00:41:34 Ce qu'il y a là en problème, qui est de cohérence, je veux dire,
00:41:37 et en termes de performance, c'est quelque chose
00:41:40 qui devrait interpeller les Français et même les Africains.
00:41:43 Et puis la deuxième chose, c'est que, moi j'ai vu par exemple
00:41:47 qu'il y a beaucoup d'Africains qui ont travaillé chez Renault,
00:41:52 chez Peugeot, etc. pendant des années en France, etc.
00:41:56 Bon, à quel moment est-ce qu'il est arrivé à la France de penser,
00:42:00 peut-être que dans un avenir proche ou lointain de compétition internationale
00:42:05 dans le monde de l'automobile, je pourrais délocaliser quelques entreprises
00:42:10 dans les pays africains où je suis, effectivement, très apprécié, très respecté,
00:42:15 et amener les gens qui ont travaillé en France à les former,
00:42:19 d'autres personnes là-bas sur place, pour pouvoir développer l'automobile française.
00:42:24 Vous pensez bien que les Africains consommeraient le Peugeot et Renault.
00:42:28 Mais aujourd'hui, les Africains consomment Toyota, Nissan, etc.
00:42:32 Donc ce sont des situations sur le plan politique et économique
00:42:36 qui devraient poser question aujourd'hui aux dirigeants français.
00:42:39 Et moi j'avais posé cette question-là, il y a quelques années,
00:42:42 à un haut responsable français, il n'avait pas de réponse à cette question-là.
00:42:46 Donc on parle de la question du migratoire, etc.
00:42:48 Je dirais encore, là je ne vous dévance pas parce que vous allez revenir là-dessus,
00:42:51 mais il est quand même surprenant que la plupart des étrangers
00:42:56 qui venaient en France dans les années 60-70 avaient presque tous vocation à rentrer,
00:43:02 parce qu'ils considéraient que leur avenir était en Afrique, etc.
00:43:07 Mais on a maintenant un phénomène inverse où les gens fuient l'Afrique pour venir en France.
00:43:12 Donc est-ce que les dirigeants français ne devraient pas se poser la question ?
00:43:16 Et jamais à aucun moment pendant, quand vous prenez ces phénomènes migratoires,
00:43:20 vous n'aurez constaté que ce sont des gens qui respectaient les institutions françaises,
00:43:23 qui n'avaient pas de problème de violence ou d'incivisme en France.
00:43:28 Tous ces gens-là, mais qu'est-ce qu'on a fait de ce rapport,
00:43:35 ce que moi je pouvais considérer comme un rapport pertinent,
00:43:38 parce qu'il était fondé sur la coopération universitaire, etc.
00:43:42 Aujourd'hui, il y a beaucoup d'universitaires de l'Afrique francophone
00:43:45 qui préfèrent aller aux États-Unis ou à Londres,
00:43:47 parce qu'ils vont avoir des problèmes de visa à l'ambassade de France,
00:43:51 parce qu'en plus les Français se sont débrouillés à mettre dans les consulats et les ambassades
00:43:55 les Français les plus médiocres, c'est-à-dire que ce qu'ils ne sont pas capables
00:43:58 d'analyser c'est quelle est la politique étrangère de leur pays,
00:44:02 parce qu'un étudiant ou surtout un chercheur qui est déjà chef de département là-bas,
00:44:07 quand il va prendre un visa, ce n'est pas parce qu'il ne veut pas venir rester en France,
00:44:10 il vient travailler avec ses collègues français et il repart là-bas pour faire ses recherches.
00:44:13 Mais lui, on lui refuse un visa et on va donner le visa à quelqu'un
00:44:16 qui n'a ni le certificat d'études primaires, élémentaires, etc.
00:44:20 et on va se plaindre qu'il y a de l'immigration.
00:44:22 Donc même sur ce sujet-là, les gens n'ont pas le courage de dire les choses sainement,
00:44:26 n'ont pas le courage et le temps de regarder les choses dans le calme
00:44:31 et d'analyser sereinement la situation.
00:44:34 – Alors la question de l'immigration que vous venez d'évoquer
00:44:37 est très souvent liée aussi à la démographie africaine
00:44:39 qui est, on ne sait rien de le dire, beaucoup plus efficace que sur le continent européen.
00:44:45 Est-ce que c'est un sujet d'inquiétude pour les Africains d'abord ?
00:44:48 – Non, pas du tout, pas du tout.
00:44:50 Ça devient un sujet d'inquiétude pour les dirigeants africains.
00:44:53 Pourquoi ? Parce qu'évidemment pendant 30 ans ils n'ont rien fait
00:44:57 pour développer leur pays, ou 40 ans ils n'ont pas développé leur pays,
00:45:02 ils n'ont pas créé des conditions avec des perspectives intéressantes pour leur jeunesse.
00:45:06 Et aujourd'hui vous avez 60% de la jeunesse africaine
00:45:09 dans la plupart des pays francophones qui a moins de 25 ans.
00:45:12 Donc qu'est-ce que vous faites avec ces gens-là ?
00:45:14 Donc parmi eux, vous avez certains qui ne peuvent pas aller à l'école
00:45:18 parce que les infrastructures ne sont pas adaptées
00:45:21 et vous avez parmi eux aussi certains qui ont eu des masters etc.
00:45:24 et il n'y a pas de perspective d'emploi.
00:45:26 Il y en a qui deviennent chauffeurs des taxis,
00:45:28 moi je n'ai rien contre le fait d'être chauffeur des taxis,
00:45:31 mais quand vous avez fait un master en informatique
00:45:39 et que vous devenez chauffeur des taxis,
00:45:41 le pays doit quand même considérer que c'est un échec.
00:45:44 Et donc on est devant une situation où la question migratoire…
00:45:48 Vous aurez remarqué que les dirigeants africains sont silencieux.
00:45:51 Il n'y en a aucun qui parle de la question migratoire
00:45:54 des Africains qui quittent le continent pour aller en Europe.
00:45:58 – Alors si, l'Afrique du Nord, le Maghreb, mais on va y venir.
00:46:00 – Oui, mais l'Afrique subsaharienne, en tout cas,
00:46:03 ils sont tous silencieux, c'est comme s'ils n'étaient pas concernés,
00:46:05 c'est comme s'ils ne sont même pas leurs ressortissants.
00:46:07 Bon, donc on a entendu, sous Léonel, je ne sais pas si vous avez entendu,
00:46:11 la question du co-développement,
00:46:13 enfin une formule creuse qui aujourd'hui…
00:46:15 – A montré ses failles.
00:46:17 – A montré ses limites.
00:46:19 – Ça ne veut rien dire.
00:46:20 – Mais l'histoire du co-développement,
00:46:21 où d'ailleurs on avait envisagé de donner un peu d'argent,
00:46:24 ce qui a d'ailleurs été fait, on donnait un peu d'argent à certains
00:46:27 pour aller créer des entreprises, etc.
00:46:29 Je considère que ce n'est pas tout, c'est quelqu'un qui a une fracture,
00:46:33 vous prenez une pommade, vous mettez dessus,
00:46:36 vous mettez un sparadrap et vous dites que c'est bon.
00:46:39 Non, ce n'est pas très sérieux, ni du côté des Africains,
00:46:41 ni du côté des Français.
00:46:42 Et s'ils veulent que la situation entre l'Europe et ces pays-là
00:46:51 reprenne sur des bonnes bases, il faut qu'ils aient le courage
00:46:54 de poser les vrais sujets sur la table et qu'on les purge.
00:46:58 – Alors on a constaté justement ces derniers mois
00:47:02 des mouvements de population, des mouvements de colère,
00:47:05 notamment au Maroc, en Tunisie également,
00:47:08 avec un président tunisien qui est très tonique
00:47:11 à l'égard de l'immigration subsaharienne justement,
00:47:14 et qui met en garde les Européens en demandant presque de l'aide
00:47:17 pour contenir les flux migratoires, parce que sinon,
00:47:20 ces flux migratoires vont bien entendu, après,
00:47:22 arriver sur les côtes européennes.
00:47:23 Comment voyez-vous ça ? Est-ce que c'est une bombe à retardement ?
00:47:26 – Non mais c'est déjà la réalité, c'est déjà en fait,
00:47:29 ce qu'appelaient les Européens à l'aide, etc.
00:47:32 mais c'était déjà ce que Kadhafi faisait.
00:47:35 Kadhafi faisait déjà ça, il le faisait encore mieux, sans tapage.
00:47:40 Bon voilà, donc voilà comment on a récompensé un partenaire
00:47:43 qui était très bon dans la lutte contre l'immigration subsaharienne.
00:47:47 Et puis Kadhafi avait beaucoup d'argent,
00:47:49 donc quand il voyait que les pays africains étaient mal à l'aise,
00:47:54 il arrosait les dirigeants africains en leur disant
00:47:57 "Bon écoutez, ne vous inquiétez pas, on peut régler ci, etc."
00:48:00 Bon donc, je pense aujourd'hui que cette question-là,
00:48:05 et d'ailleurs vous aurez remarqué que c'est après la mort de Kadhafi
00:48:08 que l'Europe s'est retrouvée assaillie par l'Italie
00:48:12 qui s'est mise à se plaindre de flux migratoires,
00:48:16 mais très importants comme l'Europe n'en a jamais connu.
00:48:18 Donc ça c'est les conséquences de la mauvaise politique
00:48:22 qui a été pratiquée par M. Nicolas Sarkozy,
00:48:24 et il faut que les Français lui demandent des comptes,
00:48:26 avec d'ailleurs M. Bernard Rilevi qui a accompagné M. Sarkozy
00:48:30 dans ce périple libyen.
00:48:32 Donc, je pense que la question migratoire aujourd'hui,
00:48:36 telle qu'elle est posée, elle n'est pas bien posée.
00:48:38 Parce que la question n'est pas de contenir des populations
00:48:42 qui existaient déjà, qui ont 20, 20, la question est de savoir
00:48:46 est-ce qu'on est en capacité aujourd'hui de redéployer des moyens,
00:48:50 que ce soit en termes d'aide au développement ou je ne sais pas quoi,
00:48:54 dans ces pays-là pour qu'on puisse avoir des gens
00:48:58 qui sont formés sur place et qui travaillent dans l'intérêt
00:49:03 de faire progresser leur pays.
00:49:04 Et puis il y a aussi des gens, je sais qu'il y a par exemple
00:49:09 des gens, que ce soit en France, des Africains,
00:49:12 qui ont réussi dans leur carrière en France, aux États-Unis ou ailleurs,
00:49:16 qui ont envie de faire des choses, parfois bénévolement,
00:49:19 pour aider au redressement de ces pays-là.
00:49:21 Mais ils sont combattus férocement par les amis que les Français soutiennent
00:49:26 au pouvoir qui restent là pendant 30, 40 ans.
00:49:28 Donc qu'est-ce que vous voulez ? On est là en train de tourner en rond
00:49:32 alors que tout le monde sait à peu près où sont les vraies solutions
00:49:35 et comment les mettre à exécution.
00:49:37 – Alors quand on vous écoute, Charles Nona, évidemment,
00:49:40 on s'amuse un peu de voir l'État français systématiquement pointer du doigt
00:49:43 aujourd'hui la responsabilité de la Russie dans la perte, j'allais dire,
00:49:47 d'influence de la France sur le continent.
00:49:50 On a beaucoup parlé de l'établissement de la société paramilitaire Wagner
00:49:54 sur le continent africain.
00:49:56 Comment analysez-vous ces accusations ? Je vois que ça vous fait rire en tout cas.
00:49:59 – Oui, mais parce que ça participe du déni.
00:50:02 Les Russes ont dépensé combien de milliards de roubles
00:50:05 pour faire la campagne contre la France en Afrique.
00:50:09 Donc moi j'ai écouté les médias français, tous les jours,
00:50:13 il ne s'est pas passé un jour où un seul grand média français ne parle de Wagner.
00:50:18 Donc à l'époque, vous vous souvenez, au Mali, ils étaient quoi, à peu près 300 hommes.
00:50:23 Donc 300 hommes de Wagner ont réussi à faire fuir 5 000 militaires français du Mali.
00:50:28 Mais il y a un problème là.
00:50:30 Donc je ne peux pas imaginer qu'on soit aujourd'hui
00:50:34 en train de vouloir porter la faute sur la Chine ou sur la Russie,
00:50:41 alors qu'on a un bilan, comme je l'ai dit tout à l'heure,
00:50:44 qui est fait par les sénateurs français.
00:50:46 Un bilan qui est quand même catastrophique.
00:50:48 C'est ça le sujet.
00:50:49 Pourquoi il est catastrophique ?
00:50:51 Mais parce que les gens ont privilégié des intérêts personnels,
00:50:54 des intérêts particuliers, des intérêts privés,
00:50:57 et pas les intérêts d'État.
00:50:58 Aussi bien les dirigeants africains que les dirigeants français.
00:51:01 Donc les Russes et les Chinois se sont engouffrés sur une brèche
00:51:07 parce qu'ils ont constaté que les Africains,
00:51:10 la jeunesse africaine rejetait de plus en plus cette politique-là.
00:51:14 Mais ils se sont engouffrés là, mais tranquillement, sans effort.
00:51:18 Donc je ne comprends pas pourquoi, jusqu'à présent,
00:51:21 et d'ailleurs ce n'est pas fini, ce n'est pas fini,
00:51:24 la situation au Gabon, vous avez la Chine qui est en train
00:51:28 de vouloir construire des ports un peu partout.
00:51:31 Traditionnellement, parce qu'il faut dire encore une petite chose
00:51:34 pour que les Français comprennent très bien la mécanique.
00:51:37 Vous savez, le Sénégal, la Côte d'Ivoire, le Mali,
00:51:43 le Gabon, c'était des pays où la France était adulée,
00:51:48 admirée, préférée. C'est-à-dire que vous êtes russe,
00:51:52 vous êtes américain, vous êtes, je ne sais pas, chinois,
00:51:55 vous venez, vous êtes en compétition avec un Français,
00:51:58 on va courir d'abord chez le Français.
00:52:00 Parce que d'abord, on parle la même langue, et puis on va préférer,
00:52:03 on dit, on connaît les Français, vous, on ne vous connaît pas.
00:52:05 Mais comment les Français expliquent qu'un pays comme le Mali,
00:52:09 qui est même au niveau du phénomène migratoire,
00:52:13 c'est les Maliens qui sont la communauté la plus importante,
00:52:15 d'après ce que disent les statisticiens et les spécialistes
00:52:19 des questions de population, la communauté la plus importante
00:52:22 en France, comment ces gens peuvent se retrouver du jour au lendemain
00:52:25 en train de chasser la France du Mali ?
00:52:28 Mais il y a là une question fondamentale qu'il faut se poser
00:52:31 avant de parler de Wagner. Un pays où vous étiez aduré,
00:52:34 adulé, admiré, préféré, on dit "Français dehors, abat la France",
00:52:40 mais il y a quelque chose qui s'est cassé.
00:52:42 Où s'est trouvé, à quel moment ça s'est passé ?
00:52:45 Et ça, personne ne veut chercher cela.
00:52:47 Et donc on fait aujourd'hui, et c'est pour ça, vous comprenez
00:52:49 pourquoi je vous ai dit, il n'y a pas de sentiment anti-français.
00:52:52 Contrairement, mais ça c'est un peu le discours des politiciens,
00:52:56 quand ils ont échoué, ils appellent le peuple français au secours
00:53:00 en disant "on déteste les Français".
00:53:02 Non, non, non, on ne déteste pas les Français.
00:53:04 Les Français ont des familles en Afrique,
00:53:06 et les Africains ont des familles en France.
00:53:08 Donc il n'y a pas de haine là, sur ce terrain-là.
00:53:10 Mais par contre, il y a un rejet, mais je dirais profond,
00:53:13 de la politique, je dirais d'incurie,
00:53:16 qui a été pratiquée ces dernières années.
00:53:19 Et il faut avoir le courage d'ouvrir calmement ce dossier
00:53:22 avec des gens sérieux, pour que, évidemment,
00:53:26 on voit quelles peuvent être des solutions,
00:53:28 à la fois qui peuvent être bonnes pour les uns et les autres,
00:53:30 mais on ne peut pas rester comme ça, à se renvoyer les anathèmes, etc.
00:53:34 Ce n'est pas, enfin, ce n'est pas ma démarche à moi.
00:53:36 – À plusieurs reprises, vous avez parlé de la défense des intérêts privés
00:53:39 au lieu de l'État français.
00:53:41 On évoque souvent la question des matières premières présentes en Afrique.
00:53:44 Je pense notamment à l'uranium au Niger,
00:53:46 mais également au cobalt dans d'autres parties, notamment la RDC,
00:53:50 le cobalt qui est essentiellement exploité par les Chinois d'ailleurs.
00:53:53 Comment expliquez-vous finalement, c'est un secret de Polychinelle,
00:53:57 tout le monde sait que l'Afrique est riche,
00:53:59 en termes de matières premières et de ressources premières,
00:54:03 dont les Européens ont besoin, dont le commerce même, j'allais dire, a besoin.
00:54:07 Et pour autant, en France, c'est quelque chose presque de tabou, là encore.
00:54:12 – Bien sûr, c'est tabou.
00:54:14 Parce que, comme je vous disais tout à l'heure,
00:54:16 si vous avez une grande entreprise française,
00:54:19 prenons n'importe laquelle, qui fait de grandes affaires en Afrique,
00:54:25 qui gagne énormément d'argent, etc.
00:54:27 Si on vous donne son chiffre d'affaires à la fin de l'année,
00:54:30 les Français vont regarder, est-ce qu'ils vont créer des emplois ici,
00:54:35 est-ce qu'ils vont permettre que les Français qui sont au chômage
00:54:39 puissent retrouver, puisqu'ils ont gagné, ils ont fait de bonnes affaires là-bas, etc.
00:54:44 On ne veut pas de ça, parce qu'effectivement,
00:54:46 on sait que ces gens-là ne créent pas des emplois en France.
00:54:50 Et on sait que ce qu'ils récoltent en Afrique,
00:54:52 ils ne réinvestissent pas ça dans le tissu économique français.
00:54:55 C'est ça la question.
00:54:56 J'ai une autre note, toujours de l'Élysée, qui date de 1993.
00:55:02 Vous avez parlé du président Mubutu.
00:55:05 Au moment où les Américains font pression sur la France,
00:55:09 parce que j'ai oublié de dire tout à l'heure que l'un des problèmes
00:55:13 que ont les dirigeants français, c'est qu'ils ont décidé
00:55:16 de ne pas avoir de politique autonome,
00:55:19 ils se sont alignés sur la politique des États-Unis.
00:55:21 Ou bien ils ont décidé de servir bénévolement aux États-Unis
00:55:28 pour une récompense que je ne connais pas.
00:55:30 Alors, au moment où les Américains font pression sur la Belgique,
00:55:33 sur la France, en disant "Bon, écoutez, il faut renverser le président Mubutu",
00:55:37 qui, à la fin de sa vie, n'avait plus que pour seul soutien la France.
00:55:42 Et les Français ont été incapables, j'ai dit bien incapables,
00:55:45 de s'appuyer sur cette situation du président Mubutu
00:55:49 pour prendre pied aux Haïrs.
00:55:51 Qu'est-ce qu'ils ont fait ?
00:55:52 Ils ont laissé les Américains piloter le dossier
00:55:54 et aujourd'hui ils ont décidé d'aller au Rwanda soutenir Kagame
00:55:58 pour essayer de reprendre pied aux Haïrs.
00:56:00 Mais, que dit la note à laquelle je vous fais allusion aujourd'hui ?
00:56:03 C'est que, c'est M. Bruno Deley encore,
00:56:06 qui fait la note, une note au président de la République,
00:56:08 qui lui dit "un consultant actif", je laisse son nom,
00:56:15 "un consultant actif sur l'Angola, proche de François Léotard,
00:56:18 il a fait un déplacement à Kinshasa pour le compte du Parti Républicain,
00:56:22 quelques hommes d'affaires, il met "hommes d'affaires" entre guillemets,
00:56:25 proche du RPR à la recherche de contrats".
00:56:27 – Oui, d'accord.
00:56:28 – Bon, bon, bon, c'est une note du 22 septembre 1993.
00:56:33 Donc, voilà des gens qui, au lieu d'aller dans un pays qui,
00:56:38 comme vous avez parlé du Kobalt, un pays qui est l'une des premières,
00:56:42 je dirais la plus grosse réserve mondiale de Kobalt et qui est la RDC,
00:56:47 eh bien, à ce moment-là, au lieu d'aller discuter avec le président Mobutu
00:56:52 et de voir comment vous pouvez pacifier ce pays
00:56:55 qui est sous la menace militaire des États-Unis avec le Rwanda de Kagame,
00:57:00 vous allez individuellement négocier des contrats personnels
00:57:04 auprès du président Mobutu, qui va être renversé.
00:57:07 Et vous, vous croyez que, une fois qu'il sera renversé,
00:57:10 vos contrats vont continuer.
00:57:11 Eh bien non, les contrats ne vont jamais continuer,
00:57:14 eh bien, c'est Kagame et tous les autres qui sont venus prendre les contrats
00:57:17 que les Français auraient pu négocier à ce moment-là de façon solide
00:57:20 s'ils avaient empêché que Washington ne dirige la situation dans ce pays-là.
00:57:26 Donc voilà, il faut reconnaître qu'aujourd'hui,
00:57:28 il y a des hommes politiques français qui sont, je dirais, parfois un peu faiblards
00:57:33 et qu'ils ont eu, je dirais, une vision extrêmement courte
00:57:38 de ce qu'aurait pu être la politique de leur pays.
00:57:42 Donc aujourd'hui, ils payent tout simplement la facture de cette incurie,
00:57:45 de cette incompétence ou même parfois d'essayer de l'acheter.
00:57:48 – Alors, en parlant de facture, justement, il y a un point qui est très fréquemment évoqué,
00:57:51 c'est la question du franc CFA, qui est quand même très, très majoritairement
00:57:56 développé sur le continent africain.
00:57:58 Quel est votre point de vue sur cette monnaie ?
00:58:01 Est-ce que c'est un outil de domination ?
00:58:03 Est-ce que c'est une tentative plutôt avortée de stabilisation ?
00:58:07 Comment voyez-vous ça ?
00:58:09 – Alors, l'histoire du franc CFA a été négociée dans les années 60,
00:58:12 au moment où les pays africains accédaient à l'indépendance,
00:58:16 parce que les Français avaient appelé une union monétaire.
00:58:22 Il fallait créer une union monétaire avec les pays d'Afrique de l'Ouest,
00:58:25 dont les pays qui sont maintenant en train de chasser la France,
00:58:29 le Mali, le Sénégal, le Burkina Faso, etc.
00:58:35 Donc le problème c'est que, comme les colonies rapportaient quand même,
00:58:40 parce que j'ai souvent entendu dire que les colonies ne rapportaient rien,
00:58:43 mais si les colonies ne rapportaient rien, je ne sais pas pourquoi les gens sont allés là-bas.
00:58:47 – C'est l'altruisme.
00:58:49 – Non, je ne crois pas en relations internationales, pas d'intérêt, pas d'action.
00:58:54 Donc ces colonies rapportaient quand même beaucoup d'argent,
00:58:57 notamment aux compagnies, vous avez vu que par exemple la Côte d'Ivoire,
00:59:01 le principal produit agricole de la Côte d'Ivoire, c'était le cacao.
00:59:05 Le cacao qui était uniquement destiné à l'exportation.
00:59:08 Les Ivoiriens ne mangent pas le cacao.
00:59:13 Donc même le chocolat qui est issu du cacao,
00:59:18 il est importé des pays occidentaux.
00:59:21 Donc je veux dire que la question du France-EFA est aujourd'hui une absurdité.
00:59:26 Pourquoi ?
00:59:27 Parce que le terme d'ailleurs France-EFA, c'est "France des colonies françaises d'Afrique".
00:59:32 C'est ça le terme.
00:59:34 Donc déjà avec la période d'aujourd'hui, garder même encore ce sigle et cette dénomination est anachronique.
00:59:41 La deuxième chose c'est que les billets du France-EFA sont fabriqués à Malière, ici en France.
00:59:47 Or la monnaie est un outil de souveraineté.
00:59:51 Comment vous pouvez avoir des pays qui se disent souverains
00:59:54 quand leur monnaie physiquement est fabriquée ailleurs que chez eux ?
00:59:59 Donc là encore une fois de plus, il n'y a pas eu d'anticipation,
01:00:03 d'analyse que finalement ce France-EFA est un boulet qui risque de nous poser des problèmes.
01:00:12 Vous savez quand la France est passée du franc à l'euro,
01:00:17 bon il était très difficile, vous ne pouviez pas changer,
01:00:21 vous pouviez avoir des France-EFA, un million de France-EFA,
01:00:24 vous ne pouviez pas changer ça en euros, c'était impossible.
01:00:26 Pire encore, les gens qui avaient le France-EFA en Afrique centrale
01:00:30 ne pouvaient pas changer le France-EFA en Afrique de l'Ouest et inversement.
01:00:34 Alors que vous êtes supposé appartenir…
01:00:37 – À la même union monétaire.
01:00:38 – À la même union monétaire.
01:00:40 Mais je pense qu'aujourd'hui la question que les intellectuels,
01:00:43 moi je parle davantage des intellectuels,
01:00:46 je veux dire les gens qui sont préoccupés par la réflexion rigoureuse et sérieuse,
01:00:51 la question que les intellectuels, que ce soit français ou africain,
01:00:55 posent sur la question du France-EFA, c'est la question de l'anachronisme
01:00:59 et de, je dirais, quelque chose qui privilégie encore les financiers français,
01:01:05 du réseau français.
01:01:07 Parce que quand je dis encore les financiers du réseau français,
01:01:10 c'est encore en plus une question d'intérêt privé.
01:01:13 – Bien sûr.
01:01:14 – Voilà.
01:01:16 – Alors, j'ai jamais posé cette question sur la question du France-EFA,
01:01:18 parce que c'est quelque chose qui revient assez souvent à l'économiste Philippe Béchade,
01:01:22 et on va l'écouter, c'est très court, attention.
01:01:24 – Le France-EFA, oui bien sûr, est une façon d'exercer au moins une surveillance
01:01:31 sur ce qui se passe en Afrique.
01:01:34 – Et il y aurait des alternatives aujourd'hui
01:01:36 que l'Afrique pourrait mettre en place facilement ?
01:01:38 – Oui, le Yuan.
01:01:40 [Générique]
01:01:46 – Alors ça, il me semble que c'est très intéressant,
01:01:49 et que c'est à la fois aussi très parlant.
01:01:51 C'est particulièrement intéressant en ce moment,
01:01:54 puisqu'on a vu un sommet des brix à Johannesburg,
01:01:57 on a vu l'Éthiopie rejoindre les brix,
01:02:00 on a vu l'Égypte rejoindre les brix,
01:02:02 et on a parlé tout à l'heure de l'incursion de plus en plus visible
01:02:06 des Chinois sur le continent.
01:02:08 Est-ce que finalement l'Afrique ne va pas passer d'un Suzan à un autre ?
01:02:11 – Ah oui, là vous posez une très bonne question
01:02:15 que certains Africains commencent à se poser.
01:02:18 En fait, c'est pour cela que j'ai dit que c'est toujours important
01:02:22 à un moment donné, bon vous pouvez avoir des gens médiocres,
01:02:25 des amis que vous placez, etc.
01:02:27 Mais quand les choses deviennent sérieuses à un moment donné,
01:02:29 vous avez aussi besoin d'avoir des gens sérieux,
01:02:31 qui peuvent tout simplement être efficaces dans ce que vous recherchez.
01:02:35 Les Africains n'ont pas soldé le franc CFA
01:02:38 qu'ils ont appelé maintenant par les brix.
01:02:41 Est-ce qu'ils sont prêts ? Je ne crois pas.
01:02:43 Je ne crois pas qu'ils sont prêts.
01:02:45 Mais est-ce que les Français ont anticipé, eux,
01:02:48 l'arrivée des brix pour se dire, écoutez,
01:02:51 on a, comme disait l'intervenant tout à l'heure,
01:02:55 mis en place un système de surveillance,
01:02:58 et pas seulement d'un système de surveillance,
01:03:00 c'est un système de pression économique et financière.
01:03:02 C'est-à-dire que, quand Sarkozy a organisé la situation,
01:03:09 le coup d'État contre Backbore en Côte d'Ivoire,
01:03:12 la Société Générale, la BNP, un certain nombre de banques françaises
01:03:16 qui sont supposées être apolitiques,
01:03:18 sont entrées dans la vision de l'Élysée et du Quai d'Orsay
01:03:23 pour exercer des pressions sur les banques locales ivoiriennes,
01:03:30 au point que la plupart de ces banques,
01:03:32 les fonctionnaires des pays de la Côte d'Ivoire,
01:03:35 avaient tous des comptes, que ce soit la Société Générale
01:03:38 ou dans les banques françaises.
01:03:40 Et donc, ces gens se sont retrouvés en situation
01:03:43 d'être mis sous pression de ne pas retirer leur salaire
01:03:46 pour qu'ils se révoltent contre le président Backbore
01:03:48 que la France voulait chasser.
01:03:50 Donc, on est là, clairement, dans une situation
01:03:53 de non plus de surveillance, mais de pression
01:03:55 et d'influence dans les affaires de politique intérieure.
01:03:58 Et donc, ça, le problème, c'est que les dirigeants français
01:04:01 étaient tellement sûrs d'avoir cette épée d'amoklès
01:04:06 sur la tête des dirigeants africains
01:04:08 qu'ils n'ont pas vu, qu'ils n'ont pas eu le temps
01:04:10 d'anticiper sur les BRICS.
01:04:12 Et aujourd'hui, la question des BRICS se pose à eux
01:04:14 comme la fin, effectivement, de leur système d'influence
01:04:17 sur ces pays-là. Sauf que je ne suis pas tout à fait certain
01:04:20 que les pays africains sont totalement prêts.
01:04:23 Ils ont l'enthousiasme d'y aller, mais il va falloir d'abord
01:04:26 régler le problème du France-EFA avant de passer aux BRICS
01:04:30 d'une manière ou d'une autre, parce qu'il s'agit là d'accords
01:04:33 qui ont été scellés entre les uns et les autres.
01:04:36 S'ils veulent mettre un terme à ces accords-là,
01:04:38 il faut que ce soit fait dans la transparence.
01:04:40 Mais je doute que les Français ou les Africains
01:04:43 auront droit à avoir ce débat-là de façon objective.
01:04:49 Et je doute même que les chiffres qui peuvent sortir
01:04:52 d'un état de lieu de la situation-là
01:04:54 puissent être rendus publics.
01:04:56 – Et alors sur la question de passer d'une forme de domination
01:04:58 à une autre, c'est-à-dire de l'Europe, de la France,
01:05:01 on va dire pour ce qu'on a évoqué majoritairement
01:05:04 dans cette émission, à la Chine ?
01:05:06 – Vous savez, les Africains sont très contents
01:05:10 de recevoir l'argent cash de la Chine, parce que la Chine,
01:05:17 les Chinois ont eu cette intelligence de s'adapter,
01:05:20 ils savent s'adapter à tous les environnements,
01:05:23 j'étais d'ailleurs surpris de voir comment ils se sont adaptés à Naples.
01:05:28 J'allais souvent en Italie à Naples pour voir,
01:05:31 mais une grande partie de l'industrie du cuir en Italie
01:05:38 a été démantelée et ce sont les Chinois qui ont le contrôle maintenant
01:05:42 de la fabrication des chaussures là-bas.
01:05:44 Donc c'est évident qu'ils s'adaptent à tout.
01:05:46 Donc les Africains étaient très contents de voir les Chinois
01:05:49 venir avec du cash, mettre à leur disposition,
01:05:52 mais ce qu'ils n'ont pas prévu, c'est qu'une fois que les Chinois
01:05:55 vont s'imposer chez eux, il sera quand même difficile de leur dire de partir.
01:06:01 Donc à quel moment ils s'organisent pour gérer leur partenariat ?
01:06:07 Avant, ils avaient un seul partenaire, bon,
01:06:10 ils n'étaient pas toujours très commodes les Français,
01:06:13 bon, maintenant ils ont 5, 6 partenaires, il y a les Turcs également qui arrivent,
01:06:17 il y a les Qataris, il y a les Saoudiens, il y a tout le monde
01:06:20 qui fera pas la porte des Africains.
01:06:23 Il va leur falloir prendre aujourd'hui des gens sérieux
01:06:27 pour travailler sérieusement pour que leur pays entre dans les BRICS
01:06:31 avec des capacités sur le plan économique, au niveau des infrastructures et autres
01:06:36 qui leur permettent, je ne dirais pas d'être compétitifs,
01:06:39 mais de jouer dans la cour des grands, parce que c'est de ça dont il est question.
01:06:42 C'est qu'ils partent de nulle part à devoir jouer à la cour des grands
01:06:45 parce que les BRICS rivalisent avec l'Occident, avec les États-Unis, l'Europe occidentale.
01:06:53 C'est ça le sujet.
01:06:55 – Je vous remercie infiniment, Charles Onana, d'être venu sur le plateau de TVL
01:06:58 pour cet exposé particulièrement éclairant.
01:07:01 Merci beaucoup d'être venu.
01:07:03 Je rappelle le nom de cet ouvrage, "L'Afrique face au terrorisme de Boko Haram,
01:07:06 Cameroun, Nigeria, Niger, Tchad", c'est disponible aux éditions du Boiris.
01:07:11 J'espère que cette émission vous a plu,
01:07:13 en tout cas je vous donnerai rendez-vous pour la semaine prochaine.
01:07:16 On recevra un invité que vous appréciez également souvent.
01:07:19 N'oubliez pas, si vous ne l'avez pas déjà fait,
01:07:21 de laisser votre commentaire juste en bas,
01:07:23 de partager cette émission au plus grand nombre
01:07:25 et puis bien sûr le fameux pouce en l'air pour améliorer le référencement.
01:07:28 C'est un peu neuneu, mais ça fonctionne.
01:07:30 Rendez-vous la semaine prochaine, en attendant, prenez soin de vous.
01:07:33 À bientôt.
01:07:34 [Musique]

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