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Écrivain, éditeur, bretteur, baroudeur, Dominique de Roux (1935-1977) fut l’homme des fulgurations, celles du style, des idées, de la pensée. Des Cahiers de l’Herne à Exil (H), de Mademoiselle Anicet au Cinquième empire, de la Saintonge à l’Angola, de Céline à Gombrowicz, il arpenta les chemins buissonniers de la littérature et d’une politique rêvée, refusant les compromis, la tiédeur et la médiocrité.
Avec Didier Da Silva, universitaire, auteur de "Politique de Dominique de Roux" (Au Signe de la Licorne) et de nombreux articles sur l’auteur d’Immédiatement, ainsi qu’Olivier François, chroniqueur à Eléments, animateur du "Plus d’Éléments" sur TVL et directeur du volume "Dominique de Roux parmi nous" (Pierre-Guillaume de Roux, 2018).
Transcription
00:30Générique
00:32...
00:57Bienvenue dans cette nouvelle émission des idées à l'endroit.
01:01Écrivain, romancier,
01:03brêteur,
01:05baroudeur à Saint-Azegar, Dominique de Roux était un écrivain, était un homme
01:11mercuriel,
01:12insaisissable.
01:13Il serait donc absurde de vouloir
01:17l'assigner à quelque résidence que ce soit, mais peut-être ne l'est-il pas
01:22d'essayer d'approcher ce qui constitue le sel,
01:26l'esprit même de son oeuvre multiple et de saisir quelques-uns de ses déplacements, de ses cheminements,
01:34non seulement dans la littérature, mais dans l'espace de la Saint-Onge au Mozambique,
01:40de Charles de Gaulle à Jonas Savimbi, de Céline à Gombrowicz.
01:45Dominique de Roux nous ouvre un univers littéraire, politique,
01:51métapolitique, éminemment poétique.
01:54Celui-là même peut-être de l'aventurier par excellence et d'un grand aventurier du XXe siècle.
02:01C'est cela que nous allons essayer d'explorer aujourd'hui.
02:05Cette émission est dédiée au fils de Dominique de Roux, Pierre-Guillaume de Roux, qui nous a quittés en
02:122021.
02:13Il nous manque beaucoup. Il fut lui-même un grand éditeur, un passionné de littérature, un fou de littérature pourrait-on dire.
02:21Et nous avons tous à coeur de célébrer sa mémoire.
02:27Je salue également Jacqueline de Roux, l'épouse de Dominique de Roux et la mère de Pierre-Guillaume de Roux, qui devait être des nôtres aujourd'hui,
02:34mais qui, hélas, a été empêchée.
02:37Donc pour évoquer cet itinéraire de Mercuriel, d'un homme vif-argent,
02:43Didier Da Silva. Bonjour. Bonjour. Didier Da Silva, vous êtes universitaire.
02:47Vous êtes évidemment un grand connaisseur, un grand lecteur de Dominique de Roux, sur qui vous avez publié un certain nombre d'articles.
02:54Je citerai en particulier le volume que vous avez dirigé, que vous avez coordonné, qui s'intitule
03:00« Le politique de Dominique de Roux ». C'est aux éditions du Signe de la... au Signe de la Licorne,
03:05exactement. Vous avez également collaboré à un recueil collectif
03:11dirigé par notre autre invité, Dominique de Roux, parmi nous, en publiant un article intitulé « Dominique de Roux, le Portugal » ou « La tentation sébastianiste ».
03:21Avec nous également, précisément, Olivier François. Bonjour Rémi. Bonjour Olivier. Bien connu des téléspectateurs de TV Liberté, puisque vous co-animez avec notre ami Patrick Luzinki
03:31l'excellente émission « Le Plus d'Eléments ».
03:34Revu. Plus exactement, c'est Patrick. Nous avons deux émissions à éléments. Cette année-là, qui est dirigée par Patrick Luzinki.
03:39Exactement, vous avez raison. Et « Le Plus d'Éléments ». Et dans mon esprit, effectivement, les deux vont tellement en amble que je les associe. Pardonnez-moi.
03:48Non mais c'est pas grave.
03:49Et vous êtes également responsable, avec Jacqueline de Roux et d'autres, d'une association « Exil H » qui perpétue, vous allez nous en parler bien sûr, l'esprit de Dominique de Roux.
04:00Et vous avez donc dirigé ce volume collectif dont je parlais à l'instant en présentant Didier Dacileva, « Dominique de Roux parmi nous », qui a été publié aux éditions de la Nouvelle Librairie en 2018.
04:09Alors, non, ça a été publié aux éditions Pierre-Guillaume de Roux.
04:12Ah, c'est Pierre-Guillaume de Roux !
04:13En 2018, en effet.
04:14Alors, décidément.
04:14Et alors, ce sont les actes d'un colloque que la revue « Éléments » et l'association « Exil H » avaient organisé à l'occasion du 40e anniversaire de Dominique de Roux, que vous avez organisé, je crois, le 10 juin 2017.
04:25Tout à fait. Colloque, d'ailleurs, auquel j'assistais, ce qui rend mon erreur de moins pardonnable.
04:29Vous êtes tout pardonné.
04:30Il y a dans ces confusions un esprit de famille qui peut justifier des raccourcis et une certaine vitesse, vitesse et rapidité, dont on sera peut-être amené à souligner les vertus d'une certaine manière.
04:45Alors, messieurs, Dominique de Roux, précisément, est un homme fulgurant.
04:50J'ai parlé d'esprit mercuriel, d'esprit vif-argent.
04:53C'est un homme de la rapidité.
04:57C'est un homme pressé à certains égards, entendons le titre de l'ouvrage de Paul Morand.
05:02Il me paraît intéressant de circonscrire, pour des raisons purement, j'allais dire, pédagogiques,
05:09mais de circonscrire son existence, pour commencer, bien sûr, entre deux moments clés, le début de son existence littéraire, la fin de son existence littéraire,
05:18à travers deux revues qui ont été essentielles dans l'histoire littéraire de notre pays.
05:23La revue Lerne, devenue rapidement les Cahiers de Lerne.
05:27J'imagine que cela parlera à l'esprit de nombre de téléspectateurs.
05:31Et puis, à l'issue de son existence, la revue Exil H, le titre que vous avez repris pour l'association Exil H.
05:39Dominique de Roux était, je l'ai dit, un romancier, un polémiste, un pamphlétaire, un essayiste.
05:45C'était aussi un homme de revue.
05:47Pour quelles raisons, d'après vous, l'esprit de la revue lui importait à ce point-là ?
05:52Qu'est-ce qu'il devait transmettre dans une revue ?
05:55Est-ce que la revue elle-même est une manifestation d'un art poétique, d'une esthétique même,
06:03dans le sens, justement, de cette brièveté, de cette fulgurance, de ce goût des formes brèves ?
06:09Comment interpréter ?
06:10D'abord, quelles ont été ces revues ?
06:12Quel est leur sens ?
06:13Enfin, qu'a-t-il voulu faire ?
06:15Et en quoi elle participait-elle de sa propre œuvre littéraire ?
06:19Vous avez dit que Dominique de Roux était un homme pressé.
06:22Il est pressé par son destin même,
06:24puisqu'il sait très vite que son destin est tragique,
06:28que la mort va venir très vite.
06:30Il est mort prématurément.
06:32Juste 1935-1977.
06:35Il meurt à 41 ans le 29 mars 1977.
06:38Il y a cet aspect-là qui est très important,
06:40qui explique d'ailleurs la forme brève et ce style, comment dirais-je, cravaché.
06:45Par la mort, par l'idée de la mort.
06:47L'urgence.
06:48Par l'urgence, exactement.
06:49Ensuite, il y a aussi le fait que, vous l'avez un petit peu laissé entendre,
06:54que Dominique de Roux est un autodidacte.
06:55Il vient d'une grande famille bourgeoise.
06:57Son père était, je crois, directeur de la Banque d'Algérie.
07:00Mais très vite, les études n'intéressent peu Dominique de Roux.
07:04Il lit de manière d'ailleurs désordonnée à la fois la Bibliothèque d'Action Française,
07:08Léon de Démoraz, Bainville.
07:10Alors c'est la famille de Marie de Roux.
07:12Le grand avocat d'Action Française.
07:14Et puis aussi des poètes.
07:16Évidemment, toute la poésie romantique, toute la poésie du XIe siècle.
07:19Évidemment, Valéry Larbeau.
07:21Et donc il a une culture faite un peu de briquet de broc.
07:25J'aime pas ce terme-là qui pourrait être péjoratif.
07:27Mais de Roux est un homme curieux, qui prend les livres rapidement,
07:31qui lit parfois d'ailleurs les livres de manière sans page.
07:34Et puis on passe à autre chose.
07:35Et sa curiosité est toujours aiguisée.
07:38Et je pense que de ce fait, la revue est pour lui quelque chose d'attirant.
07:43Elle lui permet d'exprimer sa curiosité.
07:46Et puis cette urgence qui l'anime.
07:48Autre chose, je pense aussi que...
07:50Vous savez, il y a cette formule de Charles Bégui qui disait
07:53« Mieux vaut les fatras vivants que les ordres morts ».
07:56Je pense que, et on va retrouver ça quand on évoquera peut-être Gombrevitz et ses deux Roux,
08:00il y a une détestation des ordres morts.
08:03Et d'un certain classicisme à la française.
08:06Il disait d'ailleurs dans un très bel entretien
08:08qu'avec l'association ExilH, nous avions mis en ligne,
08:11qui est l'entretien qu'il donne en 1973 à la RTBF, à Christian Bussy,
08:15il dit « Il n'est plus le temps pour nous de marcher en talons rouges
08:19sur les parquets cirés de Versailles ».
08:22Et l'esprit de Versailles, Dominique Deroux n'aimait pas.
08:26Bien qu'il soit d'ailleurs aussi très enraciné dans la tradition française.
08:29Deroux est un homme à la fois tourné vers l'extérieur,
08:33bien qu'il sache que Paris n'est plus la capitale du monde
08:36et qu'il faut essayer de recharger un petit peu la littérature
08:39en lisant Pound, en s'intéressant à la littérature américaine,
08:42Borges, etc. On en parlera.
08:44Cette ouverture à l'étranger est essentielle chez lui.
08:46Essentielle, mais justement pour sortir de ses scléroses
08:49et d'un classicisme français qu'il pense être à bout de souffle.
08:53Dîtes-le à Sylvain, ce goût des revues.
08:55Oui, je partage ce que dit Olivier
08:57et je complète en disant que
08:59pour Dominique Deroux, la création d'une envue est une aventure personnelle.
09:02D'autant plus quand elle prétend porter
09:05une forme de renouvellement de la pensée critique
09:08sur la littérature française et étrangère
09:11au XXe siècle en essayant de montrer une littérature cachée
09:14ou en tout cas pas connue du grand public.
09:17C'est une aventure personnelle, c'est une aventure faite avec des jeunes.
09:20Au moment où il lance les Lernes, il a quelque chose comme 21, 22 ans.
09:24Il est très très jeune.
09:26La légende dit qu'il aurait vendu les boucles d'oreilles en or
09:29de la tente de l'Estapi pour financer les premiers numéros.
09:34Et puis, ce qu'on se disait avant de commencer l'émission,
09:38c'était que très vite, Dominique Deroux est un homme de réseau.
09:41Très vite, il atterre à lui des talents, des personnalités.
09:44Il a une bande de copains,
09:47il connaît énormément de monde.
09:49Il a un charisme particulier, pour parler de la littérature.
09:52Et donc, une revue lui permet
09:55de répondre à ce côté syncopé de son existence,
10:00à ce côté, ce que j'appelle moi à titre personnel, le côté sautillant
10:03de Dominique Deroux, une idée à la minute,
10:06un projet à la minute, etc.
10:08Il est plus facile de proposer à des gens d'un même réseau
10:12de publier dans une revue, ça peut être un poème,
10:14ça peut être un petit article, ça peut être une étude critique,
10:16ça peut être un petit pamphlet,
10:18plutôt que de commencer par leur proposer d'éditer des livres.
10:21Donc, je crois que ça correspond à la fois à une aventure humaine,
10:25à un moyen de faire vivre un réseau littéraire
10:29des idées, des valeurs,
10:31des conceptions déjà très arrêtées quand il est jeune sur la littérature.
10:34Il y a déjà une certaine forme de liberté
10:36par rapport aux pontes des années 50.
10:41Et en même temps, ça lui permet
10:44d'être dans une espèce de jeu de ping-pong littéraire
10:48en disant, tiens, je vais te publier le prochain numéro,
10:51même si on ne vend que peu d'exemplaires, ce n'est pas grave.
10:53Et puis, un tel, il pourra publier dans le numéro 2, etc.
10:56Comme ça, ça lui permet d'entretenir son réseau.
10:58Et puis, de lever cette toile de talent
11:03et de le suivre, finalement, jusqu'à exil, jusqu'à la fin de sa vie.
11:07Est-ce que je peux ajouter juste quelque chose, cher Rémi ?
11:09Je pense aussi que quand ils fondent la revue de Lerne,
11:12on est en 1956-57, c'est encore l'ère des grands récits.
11:15Dominique de Roux est un anti-idéologue par excellence.
11:19Et j'ai retrouvé d'ailleurs, c'est Pierre-Guillaume de Roux
11:23qui disait que son père appréciait beaucoup cette phrase de Thomas de Quincé
11:27que j'aimerais citer.
11:29Une forme de la vérité, non pas une vérité cohérente et centrale, mais bien latérale et divisée.
11:33Et je trouve que c'est une formule qui exprime très bien l'esprit de Dominique de Roux.
11:37Oui, c'est le fragment et la polyphonie.
11:39Le fragment et la polyphonie.
11:40C'est ce qui nous permet précisément de saisir l'objet sous toutes ses facettes.
11:44À la force de l'idéologue qui n'en voit qu'un versant.
11:47Alors sur cette question des revues, c'est aussi, dans l'histoire littéraire du XXe siècle,
11:51les revues ont évidemment, et avant moi aussi bien sûr,
11:54mais enfin, ont une importance essentielle.
11:57Est-ce qu'il y a, en particulier dans le Dominique de Roux et d'Exil H,
12:01une volonté de s'inscrire en faux contre une certaine conception de la littérature
12:08qui sera défendue par, par exemple, Philippe Solaire,
12:12alors vu tel qu'elle, devenue ensuite l'infinie.
12:15C'est la même génération.
12:16Solaire c'est né en 1936, Dominique de Roux en 1935.
12:19Est-ce que c'est une façon d'affirmer, indépendamment des ponts que l'on peut établir entre les deux,
12:23Solaire c'est un grand lecteur de Céline Desrapins, bien entendu.
12:26On y reviendra aussi à propos de tout ce que Dominique de Roux a fait pour,
12:30mais est-ce que c'est une façon de se positionner aussi
12:33contre cet autre versant de la littérature française et des revues françaises ?
12:37Est-ce qu'on peut le dire ?
12:39Ah oui, moi je pense qu'enfin, ce que je trouve intéressant, c'est que les,
12:42on parlait tout à l'heure de Lerne, là on parle d'Exil.
12:46Lerne, c'est la revue du jeune homme.
12:49C'est la revue qui est publiée, je crois, deux ou trois ans avant son premier roman,
12:53Mademoiselle Anisset, en 1960.
12:56Exil, c'est celui que les spécialistes disent de l'homme fini, Dominique de Roux.
13:02Il a été éjecté du bébé qu'il avait créé.
13:06Il a publié immédiatement, qui a été très mal reçu en 1971.
13:10Il est dans une espèce de tourmente personnelle.
13:13Et c'est par la revue qu'il termine finalement à nouveau son existence.
13:17Je voulais donner ces petits éléments de contexte,
13:20parce qu'ils mettent bien en perspective la trajectoire à la fois personnelle et littéraire de Dominique de Roux.
13:27Ce n'est pas tout à fait le même homme, mais c'est le jeune homme,
13:31et à la fin, l'homme qui n'a plus rien à perdre.
13:34Qui a brûlé ses vaisseaux.
13:36Exactement, qui a brûlé ses vaisseaux, qui n'a plus rien à perdre,
13:38et qui du coup, a toute une marge de manœuvre,
13:43qui justement, pour lui, pouvait être limitée par une sorte de littérature officielle.
13:48Disons, pompidolienne, giscardienne, je ne sais pas trop comment là.
13:52Structuragiste, paraphrodienne, étouffante.
13:56Il n'est pas du tout dans ce registre là.
13:59Ce qui est étonnant, c'est qu'il le lance de Suisse, de Genève,
14:03et au moment même où il trouve dans le Portugal et le Ve Empire, on en parlera probablement.
14:08Il n'y a pas deux pays plus opposés, je pense, que la Suisse.
14:11Et le Portugal est dans l'esprit, est dans l'histoire, est dans l'ouverture, etc.
14:15Et pourtant, c'est de là qu'il lance cette dernière charge
14:20contre les littératures pompidoliennes et officielles sans intérêt.
14:23Et c'est malheureusement là qu'effectivement, il est rattrapé par sa destinée,
14:28qui était de mourir jeune, éternellement jeune.
14:30Puisque vous parlez de charge, il y a dans le dossier H consacré à Dominique Deroux,
14:35un entretien que Philippe Solaire s'avait donné, je crois, dans la revue Ligne de risque,
14:39à Yannick Henel et François Méronis, où il explique sa position,
14:42avec un peu de mauvaise foi, à mon avis, d'ailleurs, par rapport à Dominique Deroux.
14:45Mais il dit une chose intéressante, c'est que, évidemment, Philippe Solaire,
14:48c'était un stratège chinois qui attendait le bon moment pour parler de Céline et de Pande.
14:54Et il dit, oui, mais malgré tout, je regardais Dominique Deroux
14:58comme on regarde un hussard qui part sabre clair chargé l'armée adverse.
15:04Et avec cette volonté chez Dominique Deroux, et je cite Pierre-Guillaume Deroux,
15:10qui nous a donné un très beau texte sur, justement, l'aventure de l'herbe
15:13dans Dominique Deroux parmi nous,
15:15essayer d'établir de nouveaux liens, faire ressurgir les impardonnables,
15:18les malcommodes, les solitaires.
15:20Et en effet, pour faire ressurgir ces impardonnables,
15:23d'ailleurs, ça nous fait penser aussi à un texte qui nous est cher,
15:27les impardonnables, je crois, de Victoria, non, pas Victoria Ocampo,
15:31Christina Ocampo, évidemment, eh bien, il faut être un peu un hussard.
15:36Bien que, d'ailleurs, le rapport, puisqu'on parle des hussards,
15:38le rapport de Dominique Deroux à la littérature est en rupture aussi,
15:42bien qu'il les ait fréquentés au moment du cahier de l'Ernst-Séanin,
15:45avec les hussards, Nimier, Laurent, Déon,
15:48qu'il qualifiait de l'ancien du ressentiment bourgeois.
15:51Alors, l'œuvre, disons, directement romanesque,
15:56vous avez évoqué Didier d'Asileva, le premier roman, Mademoiselle Anisset,
16:00il sera suivi de nombreux autres ouvrages de type romanesque.
16:03D'ailleurs, la question du genre littéraire est aussi problématique
16:07chez Dominique Deroux.
16:09L'Harmonie Katsouk, donc, d'autres maisons jaunes,
16:12Le Cinquième Empire, bien entendu.
16:15Comment peut-on qualifier cet art romanesque de Dominique Deroux ?
16:20Vous avez évoqué, Olivier François, une forme de classicisme,
16:25en particulier dans Mademoiselle Anisset, le premier roman,
16:28mais qui est très rapidement dépassée par un rythme,
16:33par un mouvement, vous parliez de Dominique Deroux sautillant,
16:38bondissant, par des raccourcis.
16:40Le style nerveux, rapide de Dominique Deroux,
16:43c'est un style qui procède par ellipses.
16:46C'est un style, au fond, très poétique.
16:48Comment pourrait-on le comprendre ?
16:51Pour des lecteurs qui ne seraient jamais plongés dans les romans de Dominique Deroux,
16:55à quoi doivent-ils s'attendre et quelle est leur selle ?
16:58Quelle est cette vivacité qui peut les séduire ?
17:02Du point de vue du style, Dominique Deroux est un grand sélinien.
17:05On peut même dire qu'il a été une des pièces essentielles pour les séliniens
17:10et pour la défense de l'œuvre de Céline.
17:12Mais je pense que son style relève, avec des chaos que ses auteurs n'avaient pas forcément,
17:17mais relève davantage de celui de Paul Morand et de Valéry Larbaud que de celui de Céline.
17:21D'abord parce que Dominique Deroux a un style, il n'emploie pas ni d'argot,
17:25la langue est très rapide, c'est presque de l'aphorisme d'ailleurs,
17:28et qu'il y a cette rapidité, ce côté déstabilisant qu'on retrouve d'ailleurs plus chez Larbaud que chez Morand,
17:35mais qu'on retrouve aussi chez le Morand, notamment d'hiver caraïbe ou des voyages comme ça,
17:39avec parfois des phrases apparemment saugrenues, mais qui ont toujours un sens.
17:43Et il aime, tout d'un coup, je pense que Dominique Deroux dans son style, c'est un style très visuel.
17:49On voit tout de suite, ça fait naître des images, des chimères.
17:52Oui, c'est le versant poétique, justement l'image poétique qui surgit.
17:57Il l'est partout, et même en politique d'ailleurs.
18:00Moi j'ai commencé par lire immédiatement, qui a été un choc, je devais avoir 24 ou 25 ans.
18:07Au début, en lisant le livre, je me suis dit, il écrit au fil de la plume.
18:15C'est vraiment la première sensation que j'ai eue de la lecture de Dominique Deroux.
18:20En fait, en lisant après « Ouverture de la chasse », « Cinquième empire », etc.,
18:24c'est toujours la même technique de l'image immédiate, du sentiment immédiat, du coup de sang.
18:32Il y a un humour féroce chez Dominique Deroux, qui se prête très bien à ces différences,
18:39à ces aphorismes, à cette manière d'écrire, alors qu'en fait c'est très construit,
18:44c'est très élaboré, c'est très fin, et on sort d'une lecture, d'un livre de Dominique Deroux,
18:53que ce soit un roman ou des écrits politiques, avec le sentiment d'avoir trouvé un écrivain qui a son style.
19:02C'est ce que disait Céline quand il avait participé à cette émission de télévision en 1951 ou en 1952,
19:08et que finalement le journaliste qui l'interrogeait disait « Oui, un style, bon, oui, d'accord »,
19:13et Céline lui dit « Ah, mais c'est rare un style, monsieur ». Je ne sais pas si vous avez l'image en tête.
19:18Et en lisant Dominique Deroux, j'essaye d'être un grand lecteur, de lire des choses très diverses,
19:25je ne pourrais citer peut-être que quatre ou cinq auteurs qui m'ont bouleversé d'un point de vue du style
19:30et de l'originalité du style que Dominique Deroux, effectivement.
19:34Et James Joyce, Fernando Pessoa, effectivement, en sont d'autres, mais Dominique Deroux, on sort presque le cœur léger.
19:42Je trouve que ce n'est pas un auteur pessimiste ou qui donne pesamment à réfléchir.
19:48On ressort plutôt Guy Ray d'immédiatement.
19:51Ça m'avait passionné et je me disais « Tiens, si on peut à la fois mélanger le style, l'humour féroce et une certaine forme d'art du pamphlet,
20:00eh bien, moi ça me régale et moi ça me convient ».
20:03J'ajouterais malgré tout que ce style et l'œuvre de Dominique Deroux, vous avez dit Guy Ray,
20:08mais elle est quand même hantée par le sentiment de la fin des choses, d'un temps qui se termine.
20:13Il y a quelque chose d'apocalyptique même, employons ce mot peut-être un peu fort, d'apocalyptique.
20:18Une forme d'eschatologie que l'on verra ressurgir d'ailleurs dans ce que vous avez appelé la tentation sébastienniste.
20:25Il y a aussi cette fin du monde suspendue mais comme horizon exemple de polémique, en tout cas d'humour de Dominique Deroux.
20:33On en a beaucoup parlé, il s'est attaqué dans immédiatement, livre important bien sûr.
20:36Par exemple à Maurice Genevoix qui est qualifié d'écrivain pour Mulot et à Roland Barthes, qualifié de bergère.
20:43Et d'ailleurs je crois qu'il y a eu même un procès.
20:48Cher Rémi, je peux peut-être donner un exemple du style de Dominique Deroux dans un texte magnifique,
20:53puisque Dominique Deroux a voyagé en Roumanie dans les années 60 et il aimait évidemment cette Roumanie,
20:58territoire ambigu, un peu zone grise entre le monde slave, la latinité.
21:04Carrefour des empires morts.
21:06C'est Lucien Romier qui disait ça.
21:08Voilà comme il parle des femmes roumaines notamment.
21:11Avant de connaître la mer noire, j'ai connu l'été à Bucareste, cette chaleur atomique, irradiante,
21:16qui donne aux maisons la netteté de la lumière, aux femmes cette saillie du buste et la démarche souveraine des lynx, des carpates,
21:22qui cherchent un chemin à travers le feuillage, comme les belles roumaines à travers le canyon des nuits, des rues,
21:28quand tout en habit flottant, elles ne s'arrêtent pas immédiatement, par ruse, et c'est tout.
21:33On parlait de Dominique Deroux, poète, c'est du poiement prose, c'est tout à fait cet esprit-là.
21:41Dominique Deroux, je l'ai présenté comme bretteur, je crois que ça s'impose, enfin un polémiste ou ponflétaire,
21:48on l'a vu avec Roland Barthes, vous avez évoqué Elisa Silva à la France pompidolienne.
21:52Quels sont les adversaires de Dominique Deroux ? Contre qui va-t-il ferrailler au premier chef ?
21:59Est-ce une certaine bourgeoisie ? Est-ce, j'allais dire, Servan-Schreiber, pour donner un nom, avec le contre Servan-Schreiber ?
22:06Si oui, alors que signifie le nom de Servan-Schreiber aujourd'hui ? On croit que...
22:12Le maquereau des années 70 !
22:14Voilà, exactement, c'est ce que j'allais dire, on le pense mort, mais non, en fait.
22:18L'esprit perdu.
22:21Voilà, exactement, c'est toujours actuel.
22:23Il s'élève contre quoi ? Il s'élève contre une forme de médiocrité, il s'élève donc contre une forme de bourgeoisisme,
22:30comme dirait Peggy, le Peggy des cahiers de la quinzaine.
22:33Vers qui dirige-t-il ces traits, en particulier ?
22:39Moi, je pense qu'il dirige ces traits, il faut dire quand même d'où il vient.
22:42Il vient d'une famille d'action française, il a longtemps été proche de ces milieux-là,
22:46qu'il n'a jamais complètement renié, même s'il a pris ses distances avec son milieu d'origine.
22:51Il faut rappeler quand même que les premiers articles qu'écrit Dominique Dehaut hors des cahiers de la Revue de l'Irde,
22:57c'est dans l'esprit public, ce qui marque quand même un homme,
23:01qui est une revue donc proche de l'OS, c'est avant...
23:03Oui, c'est la revue d'Algérie française.
23:05C'est la revue d'Algérie française.
23:06Pierre Boutang, Jacques Laurent, Philippe Ariès, etc.
23:10Enfin surtout d'ailleurs Laurent Mabir aussi, qui fait ses premières armes à l'esprit public.
23:14Donc voilà, il est quand même marqué par cette droite non-conformiste et cette droite radicale,
23:19mais en même temps, très vite, il veut en sortir.
23:22Il veut se détacher du poids et du caractère parfois un peu sclérosant des positions de cette droite-là.
23:29On l'a dit, c'est un esprit curieux.
23:31Et Dominique Dehaut, quand on regarde qui il a publié, c'est l'homme, on en riait tout à l'heure,
23:35qui fait le lien entre André Gluckspan, dont il a publié le premier texte, et Arnaud Brecker,
23:41parce qu'il est fasciné par tous ces maudits...
23:43Un bon raccourci.
23:44Voilà, par tous ces maudits de l'époque 39-45.
23:48En n'ayant aucune d'ailleurs complaisance pour ces maudits-là.
23:51Mais il est fasciné.
23:53Et je pense que les ennemis de Dehaut, outre la gauche, au fond la gauche des flics,
23:57la gauche des universitaires, la gauche des idéologues,
24:00une certaine droite ne lui plaît pas.
24:02La droite bourgeoise.
24:03La droite orléaniste.
24:04La droite orléaniste.
24:05On peut dire d'ailleurs que ce n'est pas...
24:07C'est éloquent que Dominique Dehaut consacre un des premiers cahiers de l'herbe à Bernanos.
24:11Et encore plus étonnant, c'est une question que je pensais vous poser,
24:15et puis on est passé à autre chose.
24:17Le premier cahier de l'herbe, c'est René Guicadou.
24:19René Guicadou.
24:20Parce que je pense qu'il y a chez Dehaut aussi un attachement à cette France non parisienne,
24:26cette France provinciale.
24:28La brière de René Guicadou n'est pas très loin de la Saint-Onge et de l'Occitanie d'ailleurs.
24:33Plus au sud de Dominique Dehaut.
24:35Mais il aime aussi cela.
24:38Il aime la glèbe.
24:39J'aime pas le terme terroir qui est maintenant trop galvaudé.
24:44Mais c'est un homme aussi, ce qu'on en disait en préparant cette émission,
24:48que chez Dominique Dehaut, c'est aussi un homme fidèle, j'aime beaucoup cette expression de Bernanos,
24:53au doux royaume de la terre.
24:55Et d'où aussi cette langue, chez Dominique Dehaut, colorée, charnelle.
25:01La terre est là, les oiseaux sont là, chez Dominique Dehaut.
25:05Les ciels.
25:06C'est un homme très incarné et très visuel, comme vous le disiez.
25:09Et très visuel.
25:10Et donc ses ennemis, c'est l'ennemi principaux de Dominique Dehaut.
25:13Dominique Dehaut, j'aimerais quand même citer, parce que je trouve cette formule intéressante,
25:18dans le départ, qui est le texte qui ouvre comme un éditorial, en quelque sorte,
25:23le premier numéro de l'orvue Exil,
25:25Dominique Dehaut dit
25:27« Exil sera une cité de résistance païenne contre les institutions de l'oppression et du paraître. »
25:32Voilà.
25:33Je pense que les choses sont dites.
25:34Donc le paraître.
25:35Et Dieu sait si dans les années 60, le paraître s'impose,
25:39que ce soit le spectacle.
25:41Vous savez, d'ailleurs, Jacqueline Deroux m'avait avoué à mi-mot
25:44qu'il y a eu des rencontres entre Dominique Dehaut et Guy Debord.
25:48En tout cas, que Dominique Dehaut s'intéressait beaucoup à l'international situationniste.
25:51Oui, ça n'a rien d'étonnant.
25:52Et ce qui n'a rien d'étonnant, d'ailleurs,
25:53c'est que Debord et que les gens de Champs-Libre, à l'époque,
25:57qui n'étaient pas encore Gérard Lebovici,
25:59allaient aux éditions de Lerne.
26:01Notamment parce qu'ils s'intéressaient au travail que Dominique Dehaut faisait sur la bi-dégénération.
26:06Il y a une formule aussi qui, à mon avis,
26:08on ne va pas faire que des citations,
26:10mais je trouve que c'est une citation d'abord que j'aime et qui est très forte
26:13et qui, à mon avis, correspond très bien à Dominique Dehaut,
26:16à l'esprit de Dominique Dehaut.
26:17C'est la formule de Maurras qui dit
26:20« Il n'y a point de futurisme qui n'a pas essayé ce mardant, n'est d'abord animé. »
26:23Excellent.
26:24C'est dans des textes historiques, une préface aux œuvres historiques,
26:27dans les œuvres capitales de Maurras.
26:29Et je trouve que ça résume bien chez Dehaut,
26:30parce que Dehaut est à la fois un homme d'avant-garde,
26:32on connaît toutes les ambiguïtés des avant-gardes par rapport à la modernité,
26:36mais il est avant-gardiste parce qu'il est profondément passéiste et anti-moderne.
26:40Ce qui va l'intéresser, d'ailleurs, chez Kerouac,
26:43ou chez Ginzberg,
26:45ou chez Piellieu et tous ces gens,
26:48c'est que ce sont des gens qui sont de la longue mémoire.
26:52Vous voyez, c'est ça, c'est ce que j'allais dire.
26:54Oui, je comprenais.
26:55Effectivement, c'est des ennemis qui sont déclarés,
26:58Olivier les a très bien cités,
27:01mais c'est aussi Dominique Dehaut, l'homme du pas de côté.
27:04C'est-à-dire que là où il y a de l'originalité,
27:06là où il y a un ferment de contestation,
27:08là où il y a un ferment, finalement,
27:10d'art et de culture et de liberté,
27:13il n'hésite pas à y aller.
27:15On a abordé la question de la beat-génération,
27:18Dominique Dehaut a été l'un des premiers
27:21à publier les auteurs en France.
27:24Après, évidemment, il y aurait les éditions du Sagittaire
27:26orientées un peu différemment,
27:28mais à la fin des années 60,
27:30il faut être capable de dire
27:31là il y a quelque chose d'intéressant.
27:33Kerouac, Ginsberg, Harry Snyder,
27:35Grégory Canceau, etc.
27:37Je trouve qu'il a fait un travail, certes,
27:39d'éditeur en faisant cela,
27:41mais il faut être capable de le faire,
27:42vu de là où il vient.
27:44Puis il y a un autre auteur,
27:46on a parlé de Céline tout à l'heure,
27:47C'est Gombrovitch.
27:48Voilà encore un pas de côté
27:50qu'il a été capable de faire et d'accompagner.
27:52C'est justement un point sur lequel
27:55je souhaitais venir maintenant,
27:57c'est Dominique Dehaut, éditeur.
27:59Vous en avez déjà parlé.
28:01Cette grande ouverture aux littératures étrangères.
28:05Il y a également Borges.
28:07Qui est venu à Paris.
28:09Il y a bien sûr Ezra Pound.
28:11Cette appétence, ce désir qu'il a des littérateurs.
28:17Vous avez parlé de la Beat Generation,
28:19un certain nombre de noms ont été donnés.
28:21Cette ouverture-là, Gombrovitch disait
28:23être français, c'est prendre en considération
28:25autre chose que la France.
28:27Le grand français qui était Dominique Dehaut,
28:29ô combien enraciné dans la vieille Occitanie,
28:31a pris en considération autre chose que la France.
28:34Là encore, comment comprendre
28:36cette immense ouverture ?
28:38Est-ce parce qu'il était animé
28:40d'une curiosité sans borne ?
28:42Est-ce parce qu'il avait le sentiment
28:46d'une unité civilisationnelle européenne ?
28:49Quoique Borges vienne évidemment de l'Amérique latine.
28:52Mais enfin, les liens de Borges avec Genève
28:54et la Suisse sont également importants.
28:56Comment expliquer ce désir d'aller voir ?
28:58Est-ce que c'est aussi pour des raisons esthétiques ?
29:01Allons voir à l'étranger
29:04ce qui contribue à révolutionner
29:06l'art romanesque ou l'art poétique ?
29:08C'est un peu tout ça, j'imagine.
29:10Recharger les formes mortes,
29:12ça c'est une formule très Gombrovitchienne.
29:15C'est-à-dire que pour Gombrovitch,
29:17les formes, la forme qui en sert,
29:19qui sclérose, on répète souvent
29:21ce terme de scléroser, mais Dominique Dehaut
29:23est l'antisclérose par excellence.
29:25Et je pense que sa curiosité s'explique aussi
29:28par son aristocratisme.
29:30L'aristocrate européen,
29:32on pourrait parler du prince de lignes,
29:34qui est aussi un grand cosmopolite,
29:36est un homme qui est tellement raciné...
29:38C'est un mot que je n'ai pas osé prononcer.
29:40Mais cosmopolite aujourd'hui, malheureusement,
29:42est encore un terme galvaudé
29:44qui flatte certains
29:46qui se croient pour des cosmopolites
29:48alors qu'ils ne le sont pas, ils sont simplement des mondialistes.
29:50Mais Dominique Dehaut est un cosmopolite
29:52parce qu'il est tellement raciné dans cette vieille Europe
29:54à la Paul Morand là aussi.
29:56Il est tellement raciné
29:58qu'il peut se permettre,
30:00et avec son regard, d'aller voir ailleurs.
30:02Et d'aller voir ailleurs,
30:04là on est dans les altitudes,
30:06quand c'est Pande, quand c'est Borges, quand c'est...
30:08Moi je vais lâcher un vilain mot,
30:10mais je vais dire Dominique Dehaut
30:12c'est un côté anarchiste de droite.
30:14Il n'aurait pas forcément aimé,
30:16c'est pour ça qu'il est anarchiste de droite aujourd'hui.
30:18C'est toujours délicat comme formule,
30:20mais il y a de cela.
30:22Il y a un côté aristocratique.
30:24Fais attention à ce terme d'anarchiste de droite,
30:26qui maintenant, malheureusement pour beaucoup,
30:28fait davantage penser aux tontons-flingueurs et à Michel Sardou
30:30qu'à Dominique Dehaut.
30:32François Richard a publié de beaux livres sur les anarchistes de droite,
30:34mais évidemment dans le sens littéraire également.
30:36Mais il y a ce côté aristocratique,
30:38de prince en exil,
30:40comme on dit,
30:42de liberté parfaitement assubie,
30:44un côté ménéfré,
30:46comme on dit en italien, je m'en fous.
30:48Il y a un côté, je fais ce que j'ai à faire,
30:50si Borges est bon
30:52pour la littérature mondiale
30:54et si j'y trouve mon compte,
30:56j'y vais. Parce que ça lui a coûté cher
30:58en termes d'amitié et en termes
31:00de réseau, d'aller voir
31:02dans certains recoins de la littérature mondiale
31:04des gens qui disaient, mais pourquoi il va là ?
31:06En quoi c'est intéressant ?
31:08On parlait de beat generation, c'était ça.
31:10Il y a des gens dans son entourage qui disaient,
31:12tout ça, tous ces types imbibés
31:14de drogue et d'alcool, un peu en rupture de banc,
31:16en quoi ça peut bien
31:18ressembler à quelqu'un comme Dominique de Roux
31:20qui habitait le 7ème arrondissement,
31:22mais il y avait cette liberté de ton
31:24et de dire, non, moi je m'en fous,
31:26moi j'estime que là, il y a de la création,
31:28il y a de la vie, il y a de l'originalité,
31:30il y a de la liberté, donc j'y vais.
31:32Disons aussi que même si Dominique de Roux
31:34avait pu avoir des mots très durs pour la génération
31:36des Hussards, qu'il suit aussi le travail
31:38entamé par Roger Nimier
31:40et par Michel Mor. C'est-à-dire que
31:42Michel Mor,
31:44cet écrivain hanté quand même
31:46par les vaincus et par
31:48la choinerie, est aussi l'homme
31:50qui va introduire
31:52Faulkner en France.
31:54Je sais d'ailleurs que
31:56Dominique de Roux a eu des liens avec Michel Mor
31:58au moment où il s'intéressait à la bite génération.
32:00Le Nimier
32:02des journées de lecture
32:04est aussi un homme ouvert sur la littérature étrangère
32:06et notamment sur la littérature américaine.
32:08Et il faut inscrire aussi Dominique de Roux
32:10dans cette tradition,
32:12bien qu'il va encore un peu plus loin,
32:14en s'intéressant à des auteurs
32:16qu'on va considérer comme des avant-gardistes.
32:18De Roux, en France,
32:20va aussi défendre des gens comme Pierre Guyota.
32:22Le jeune Guyota
32:24est édité
32:26à Lerne.
32:28Je crois que c'est celui-là.
32:30Qui a été...
32:32Tombeau, c'est ça.
32:34Et d'ailleurs, de ce point de vue-là,
32:36il mène un travail parallèle
32:38à tel quel.
32:40Solaire, c'est un ennemi fraternel.
32:42Voilà, c'est ça.
32:44D'ailleurs, Solaire,
32:46on connaît ses défauts, mais il a quand même
32:48de nombreuses qualités,
32:50a rendu hommage à Dominique de Roux
32:52quelques temps après sa mort, je crois,
32:54par un grand article qui s'appelle Le Cavalier,
32:56je crois, dans les années
32:581982 ou 83.
33:00C'est bien vu, Le Cavalier, le condottier.
33:02Il y a de cela chez lui, pour se référer au registre italien.
33:04Alors, il y a une autre dimension
33:06mais qui est liée à cette dimension
33:08éditoriale, que je résiste
33:10encore à l'idée de qualifier de cosmopolite,
33:12mais Olivier François nous a expliqué
33:14qu'on pouvait le faire exceptionnellement.
33:16C'est cette ouverture
33:18formidable de cet homme enraciné
33:20à une géographie,
33:22on pourrait presque dire
33:24une métagéographie
33:26qui s'inscrit elle-même dans une
33:28métapolitique que vous avez en particulier
33:30beaucoup étudiée, Didier Da Silva,
33:32et dont l'épicentre est
33:34le Portugal. Pourriez-vous
33:36nous dire, Didier Da Silva, ce qu'a
33:38représenté Lisbonne,
33:40éventuellement la révolution des œillets,
33:42Dominique de Roux est le seul à être
33:44à ce moment-là à Lisbonne, mais
33:46au-delà, le Portugal,
33:48ses colonies africaines
33:50et la grande rêverie
33:52sébastianiste, vous allez m'expliquer.
33:54Est-ce que
33:56cela s'inscrit dans cette
33:58rêverie eschatologique
34:00apocalyptique
34:02de Dominique de Roux ?
34:04Est-ce que cela s'inscrit dans un parcours aussi
34:06plus politique ?
34:08Dominique de Roux a été
34:10proche de certains services
34:12gaulliens. Lui-même
34:14a écrit un ouvrage intitulé L'écriture de Charles
34:16de Gaulle. Comment pourrait-on
34:18introduire les téléspectateurs
34:20à cette métapolitique
34:22de Dominique de Roux qui s'inscrit
34:24à la fois dans un gaullisme un peu
34:26mythique ou mystique
34:28et un sébastianisme
34:30éminemment poétique ?
34:32C'est une question
34:34qui est intéressante parce qu'elle touche
34:36finalement la fin de la vie de
34:38Dominique de Roux. Elle correspond
34:40à ce qu'on disait au début
34:42de notre entretien,
34:44c'est-à-dire qu'elle correspond
34:46à la fin que Dominique de Roux
34:48pressentait de sa vie
34:50et de sa destinée.
34:52Pour comprendre ça,
34:54faire un petit peu d'histoire
34:56et revenir
34:58aux sources
35:00de ce mythe qu'on appelle le sébastianisme
35:02qui est né à la fin
35:04du XVIe siècle lorsque
35:06le roi du Portugal Sébastien Ier
35:08lors d'une expédition,
35:10d'une croisade
35:12menée contre des rois
35:14morts dans le nord de l'Afrique
35:16en fait il l'a fait
35:18parce qu'il ne voulait pas être enserré
35:20entre l'Espagne toute puissante
35:22de Charles Quint
35:24et puis les musulmans au Sud
35:26donc il a dit il faut que je brise
35:28cette tenaille.
35:30Je vais porter le fer
35:32en Afrique, rétablir un certain nombre
35:34de colonies. C'est un roi
35:36qui
35:38n'a pas d'équivalent
35:40dans le reste
35:42des
35:44différentes lignées de rois
35:46qui ont régné sur le Portugal.
35:48D'abord, il n'a pas le physique
35:50qui va avec, c'est-à-dire il est grand, blond
35:52avec les yeux bleus, sa mère est allemande
35:54il a 24 ans
35:56on le dit
35:58instable, on le dit immature
36:00on le dit
36:02pas très intéressé par les filles
36:04pas pressé de se marier
36:06c'est son côté Louis II de Bavière
36:08absolument, dont parlera
36:10plus tard Eduardo Lorenzo
36:12en parlant de Fernando Pessoa
36:14et je trouve que cette corrélation est assez intéressante
36:16donc c'est un roi immature
36:18qui veut ressembler à son père
36:20qui était un grand guerrier, qui avait gagné beaucoup de batailles
36:22il engage
36:24les meilleures troupes portugaises, néerlandaises
36:26allemandes
36:28il a fait appel
36:30à tout un tas de
36:32mercenaires européens
36:34il emmène avec lui la fine fleur
36:36de la noblesse portugaise
36:38et patatras
36:40il perd cette bataille
36:42qui a coûté très très cher
36:44la fine fleur de la noblesse portugaise
36:46à cheval
36:48en armure
36:50est anéantie
36:52pendant un certain temps, on n'a pas réussi à retrouver son corps
36:54alors qu'en fait on le sait
36:56et de là, que se passe-t-il ?
36:58n'ayant pas d'enfant
37:00n'étant pas marié
37:02quasiment par contrat
37:04il était question que si la royauté portugaise
37:06n'était pas capable de perpétuer
37:08la monarchie
37:10et bien le Portugal tombait
37:12avec ses colonies dans l'escarcelle
37:14espagnole
37:16de là, la perte
37:18comment peut-on passer, si on imagine en termes
37:20métapolitiques, comment peut-on passer
37:22de quasiment la première puissance mondiale
37:24à finalement, une colonie
37:26de la deuxième puissance mondiale
37:28ou de la première, ça dépend de quel point
37:30on se met
37:32et là, il y a une espèce de fracas
37:34philosophique
37:36métaphysique
37:38pour les élites portugaises
37:40et de là, va naître le mythe
37:42du retour de ce roi
37:44dont Sébastien
37:46qui, d'après la légende
37:48un jour, remontrait
37:50l'estuaire du tage à pied
37:52drapé dans un manteau de velours
37:54et viendrait redonner
37:56sa place à l'empire
37:58portugais.
38:00Alors comment s'inscrit Dominique de Roux ?
38:02Dominique de Roux, c'est intéressant, c'est que
38:04je trouve que dans l'histoire des lettres
38:06il est pratiquement le seul écrivain
38:08français d'importance qui a eu
38:10autant de lien avec
38:12le Portugal et qui a aussi bien
38:14compris l'âme portugaise
38:16et l'histoire
38:18du Portugal. Le sébastianisme
38:20finalement, qu'est-ce que c'est ?
38:22C'est
38:24quitter les oripeaux, j'allais dire
38:26du réel, pour aller vers
38:28une mystique et une spiritualité
38:30finalement éternelle.
38:32On en revient au
38:34Vème Empire.
38:36Grand texte de Dominique de Roux.
38:38Qu'est-ce que c'est que le Vème Empire ?
38:40C'est une vision
38:42de l'histoire de l'humanité
38:44et de l'histoire des temps et de la fin des temps
38:46qui a été plus ou moins
38:48élaborée par un prêtre et
38:50diplomate qui s'appelait Vieira
38:52au XVème siècle
38:54et qui prétendait
38:56expliquer que, après l'Empire
38:58Assyrien, l'Empire Perse,
39:00l'Empire grec, l'Empire romain,
39:02ce serait l'Empire portugais
39:04dans sa spiritualité, dans ses colonies
39:06qui
39:08réussirait cette fusion inédite
39:10de tous les savoirs rationnels
39:12avec toute la spiritualité
39:14en menant le monde vers
39:16des trajectoires inconnues,
39:18philosophiques,
39:20spirituelles, etc. Et c'est là
39:22que, finalement, Dominique
39:24de Roux a donné cette dimension
39:26sébastianiste à son existence.
39:28C'est que
39:30un mythe, par définition, ne repose
39:32pas sur grand-chose. Donc,
39:34il avait fait ce qu'il avait à faire en tant qu'éditeur.
39:38Il avait été mis en
39:40minorité aux éditions
39:42de Lerne qu'il avait créées.
39:44Immédiatement, il l'avait mis en délicatesse.
39:46Il n'a plus rien à perdre.
39:48Que lui reste-t-il, si ce n'est l'esprit ?
39:50Et de se raccrocher à cette dimension
39:52finalement mystique,
39:54mythique, qui ne repose
39:56sur rien, mais où tous les possibles
39:58sont possibles, justement.
40:00Alors, si tout est fini,
40:02à Paris, tout peut
40:04recommencer ailleurs. Et c'est là qu'il trouve,
40:06dans l'Empire portugais,
40:08inutile de dire que, dans les années 72,
40:1073, 74, au moment
40:12où Dominique Deroux
40:14apparaît sur la scène
40:16portugaise,
40:18l'Empire portugais est en train de se
40:20défaire. C'est le
40:22dernier empire
40:24à s'être maintenu
40:26aussi longtemps.
40:28Qu'est-ce que ça peut bien représenter
40:30pour lui ? C'est l'éternel recommencement.
40:32À nouveau,
40:34est-ce que c'est vraiment
40:36sérieux de parler
40:38comme ça,
40:40d'une spiritualité éternelle,
40:42d'un éternel
40:44retour, etc. Alors que
40:46on a fait tout ce qu'on avait à faire, pour Dominique
40:48Deroux, oui, c'est le cas.
40:50Olivier François ?
40:51Il y a aussi un autre aspect, si on parle de Dominique
40:53Deroux et la politique.
40:55Il y a ce tournant de 1968,
40:57qui préparait d'ailleurs, quelques temps avant,
40:59par ses rencontres, je crois, dès 66,
41:01avec Olivier Germain-Thomas.
41:03La rencontre se fait un peu
41:05avant 68. Dominique Deroux,
41:07il vient quand même d'une droite plutôt
41:09anti-gaulliste, mais
41:11il est marié avec une
41:13femme, Jacqueline Brusset.
41:15La fille du député Max
41:17Brusset, gaulliste.
41:19Au mariage de Jacqueline et de Dominique, il y a Pompidou,
41:21il y a des barons du gaullisme.
41:23Mais ça, c'est le gaullisme institutionnel.
41:25Au fond, ça ne va pas vraiment intéresser
41:27Dominique Deroux.
41:29Mais je pense que Dominique Deroux,
41:31comme beaucoup à l'époque, comme Pierre Boutan,
41:33par exemple, va être
41:35enthousiasmé, ou en tout cas très intéressé
41:37par l'effort de relèvement
41:39national du
41:41général de Gaulle,
41:43par sa politique étrangère,
41:45surtout sa politique étrangère pour
41:47Dominique Deroux, et par cet geste
41:49qui essaye de rompre,
41:51de chercher une troisième foi
41:53pour casser le duopole
41:55américano-soviétique.
41:57Il s'inscrit dans cette filiation-là.
41:59Il s'inscrit aussi dans cette filiation.
42:01D'ailleurs, avant le Portugal, Dominique Deroux va faire des voyages
42:03au Moyen-Orient. On sait très bien, Michel Marmat
42:05avait fait rééditer à l'âge d'homme un texte inédit
42:07de Dominique Deroux sur Gabal Abdel Nasser.
42:09Qui va d'ailleurs
42:11transformer presque en disciple de René Guénon.
42:13C'est tout à fait surprenant.
42:15Il y a aussi la rencontre
42:17évidente avec deux personnalités
42:19qui ont compté, qui vont avoir une influence
42:21sur la vision politique de Dominique Deroux
42:23que sont Jean Parvulesco
42:25et Abélio.
42:27Et ça, je pense que
42:29il y a cette recherche. Justement, on disait,
42:31de ressortir de cette droite
42:33un peu sclérosée
42:35qui ne fait que répéter, mal d'ailleurs,
42:37parfois, Maurras
42:39ou le ressentiment des vaincus de la libération
42:41pour dire, bon, il faut aller de l'avant.
42:43On a ce professeur
42:45d'énergie qui est le général de Gaulle
42:47et allons-y. Et c'est là que ça va
42:49quand même transformer la vision politique
42:51de Dominique Deroux.
42:53Oui, cette troisième voie...
42:55Il n'en reste pas moins que cette troisième voie
42:57imaginée à travers
42:59l'Empire portugais est assez
43:01étonnante, complètement originale.
43:03Alors, certes, il y avait eu
43:05des liens
43:07intellectuels, philosophiques
43:09entre les deux pays, mais pour autant
43:11imaginer que l'Empire
43:13portugais, le général Spinola,
43:15les reportages qu'il a fait
43:17au Mozambique avec Maurice Roné,
43:19etc., enfin, il est en train de s'inventer
43:21à la fois une nouvelle
43:23vie, c'est-à-dire, il devient
43:25journaliste, producteur,
43:27il tourne des documentaires, il va
43:29sur le terrain. On peine un peu
43:31quand même à imaginer un Dominique Deroux
43:33si frêle et pourtant homme d'action.
43:35Il suit Savimbi, il va dans
43:37la jungle, il est conseiller
43:39politique de Savimbi.
43:41Les maquis angolais.
43:43Il ne craint pas hutte, peut-on dire.
43:45Je disais qu'il était baroudeur, mais il a baroudé, véritablement.
43:47Complètement. Et là, il trouve une espèce
43:49de porte de sortie à la fois mystique,
43:51spirituelle et tangible
43:53et guerrière
43:55qui est assez étonnante.
43:57C'est un autre Dominique Deroux, mais c'est celui de la fin
43:59et il le sait. C'est ça qui est intéressant.
44:01Et c'est peut-être là que Lisbonne,
44:03on ne va pas sortir les poncifs
44:05habituels, les stéréotypes, mais c'est vrai
44:07que c'est une réflexion sur la saoudade, il y a beaucoup de saoudade
44:09dans les numéros d'exil.
44:11Il y a ce sentiment de perte, d'éternel retour,
44:13etc. Et je trouve que
44:15pour moi, c'est Deroux le magnifique,
44:17c'est Dominique Deroux le magnifique.
44:19C'est l'apothéose. C'est l'apothéose, absolument.
44:21Il y a l'intérêt de Dominique Deroux pour les affaires militaires.
44:23C'est ce qui se développe. Quand on regarde
44:25d'ailleurs les sommaires d'exilage à l'époque,
44:27il fait intervenir, moi, quelqu'un qui m'est
44:29très cher, qui est Jean-Jacques Landgendorf.
44:31Il fait écrire, il publie
44:33les écrits militaires de Trotsky.
44:35Il publie un livre à Lerne,
44:37à peu près un peu avant les années 70,
44:39sur la stratégie militaire
44:41des Arabes, la guerre selon les Arabes.
44:43Donc il y a tout cet intérêt, ce qui lui
44:45permet d'ailleurs de sortir aussi du milieu
44:47parisien pour la guerre,
44:49l'action, voire
44:51l'activisme, d'ailleurs. Je sais qu'il s'intéresse
44:53beaucoup. D'ailleurs, dans l'exilage, il y a
44:55un texte de Von Salomon,
44:57ce qui est quand même... Même si je pense qu'il
44:59avait lu, évidemment, les Réprouvés
45:01bien avant. Mais
45:03c'est en rupture avec le
45:05jeune, de ce point de vue-là, avec le jeune Dominique Deroux,
45:07avec le Dominique Deroux
45:09d'avant la mort de Louis Ferdinand. Il y a vraiment de plus
45:11en plus, à la fin de sa vie, un intérêt
45:13pour les affaires militaires. Et je sais
45:15que peu de temps avait mourir. C'est Alain de Benoît qui
45:17me l'avait confié. Dominique Deroux avait
45:19le projet de créer une revue géopolitique.
45:21Mais c'est ce que disait Olivier. C'est une manière
45:23de sortir du parisianisme.
45:25C'est une manière de sortir du quartier latin.
45:27Et c'est une manière de peser sur les événements.
45:29Être conseiller politique de Jonas Savimbi,
45:31qui était aidé par les Américains,
45:33qui fait une guerre réelle. Il y a des
45:35embuscades, il y a des morts autour de Dominique Deroux.
45:37Les armes parlent, oui.
45:39Les armes parlent. Et là, il sait
45:41qu'en côtoyant Spinola,
45:43qu'en côtoyant Othello de Carvalho,
45:45qu'en regardant
45:47ces jeunes militaires
45:49faire la révolution,
45:51il pèse sur les événements. Et ça,
45:53c'est un événement qui est relativement
45:55nouveau dans la vie de Dominique Deroux.
45:57C'est un homme assumé
45:59dans toutes ses dimensions de radicalité.
46:01Une dimension de radicalité littéraire,
46:03de radicalité personnelle et puis de radicalité
46:05guerrière, comme dit Olivier.
46:07Et qui est pris très au sérieux
46:09à l'époque, à la mort de Dominique Deroux.
46:11Jonas Savimbi envoie un communiqué, une lettre
46:13à Jacqueline en lui disant, nous perdons l'un des plus grands
46:15penseurs de la cause angolaise. Parce que
46:17parfois, on a l'impression que c'est simplement
46:19une sorte de voyage un peu littéraire.
46:21Dominique Deroux va être très très engagé.
46:23Va faire beaucoup pour Jonas Savimbi.
46:25Il organise des rencontres quand
46:27Savimbi vient en Europe avec des hommes politiques
46:29de poids, à travers l'Europe,
46:31aux Etats-Unis, en Italie.
46:33Et ça, c'est important de le
46:35noter. C'est que Dominique Deroux
46:37ne va pas regarder les choses
46:39à distance. Il va s'engager,
46:41il va mettre sa peau sur la table.
46:43J'avais travaillé sur
46:45politique de Dominique Deroux. J'avais travaillé sur un certain
46:47nombre d'articles de la presse portugaise.
46:49Des années 75-76,
46:51Dominique Deroux
46:53est identifié comme un agent de l'étranger.
46:55Notamment par la presse de gauche
46:57qui dit, regardez,
46:59il y a des agents français
47:01infiltrés dans notre pays
47:03qui essayent de déstabiliser
47:05la nouvelle démocratie,
47:07le nouveau Portugal
47:09libre et indépendant.
47:11Et il y a un long article où on dit
47:13attention, cet homme travaille pour les services secrets.
47:15Repris d'ailleurs d'une manière assez dégueulasse,
47:17il faut bien le dire, par Libé.
47:19Le journal Libération, à l'époque,
47:21on est habitué à son complotisme antifasciste
47:23qui va attaquer
47:25Dominique Deroux en lui prétendant
47:27une fonction de
47:29grand ordinateur d'un ordre
47:31noir.
47:33Et là, d'ailleurs, Dominique Deroux avait
47:35fait un procès à Libération qu'il avait gagné.
47:37Et ça, c'est bien de souligner
47:39ce complotisme pseudo antifasciste
47:41que Libération avait déjà à l'époque.
47:43Mais pour répondre à votre
47:45question, je pense que
47:47Dominique Deroux a trouvé dans le Portugal
47:49la fin de l'Empire portugais,
47:51dans la Saouda, dans le sébastianisme,
47:53quelque chose qui correspondait finalement
47:55à ce qu'il ressentait comme étant
47:57sa propre vie. C'est-à-dire ce sentiment
47:59tragique de la vie,
48:01pour reprendre Unamuno,
48:03c'est bientôt la fin, je mets toutes mes
48:05forces dans la bataille et je deviens qui je suis.
48:07À un moment donné, il y a quelque chose qui se révèle
48:09dans Dominique Deroux. Il y a un côté cathartique
48:11dans ce qu'il vit le 25
48:13avril 1974 à Lisbonne.
48:15Il faut rappeler que c'était le
48:17seul journaliste présent à Lisbonne
48:19au moment où la révolution
48:21des œillets commence, qui lui a
48:23permis de tisser une toile de
48:25relations et de réseaux au sein
48:27des élites portugaises absolument phénoménales.
48:29Il y a encore aujourd'hui beaucoup de gens
48:31qui parlent de Dominique Deroux
48:33dans certains milieux au Portugal.
48:35Eh bien, il s'assume, il n'a plus rien à perdre.
48:37Il devient qui il est.
48:39Et ce sentiment tragique de la vie, de la brièveté
48:41de sa vie, il n'en a plus rien
48:43à faire et il devient guerrier, qui aurait
48:45imaginé, en lisant Mademoiselle Anisset,
48:47que l'auteur
48:49de ce premier roman
48:51deviendrait un guerrier assumé, un conseiller
48:53politique intelligent.
48:55Comme disait Olivier,
48:57à travers Savimbi
48:59qui a reconnu sa
49:01valeur, honnêtement Savimbi aurait pu être conseillé
49:03par d'autres personnes
49:05probablement plus qualifiées.
49:07Eh bien, c'est Dominique Deroux qu'il choisit
49:09et qui fait bien son travail, si on devait,
49:11j'allais dire, équivaloir
49:13son apport
49:15à la révolution
49:17menée par Savimbi. Il a fait le job,
49:19comme on dit.
49:21Alors, notre émission est en passe de
49:23s'achever. On va
49:25terminer sur ces quelques mots.
49:27Me paraît frappant également
49:29l'actualité, le caractère évidemment
49:31vivant de Dominique Deroux.
49:33À chaque génération de jeunes gens,
49:35quand on a 20 ans, à un moment
49:37ou à un autre, on rencontre
49:39Dominique Deroux. Tous ceux
49:41qui ont un esprit, tous ceux qui d'une
49:43certaine manière se sentent en exil, pourrait-on dire
49:45dans la France contemporaine, dans l'Europe contemporaine,
49:47rencontrent Dominique Deroux.
49:49Qu'est-ce que vous
49:51pourriez, respectivement, dit Dida Silva
49:53ou Olivier François, quel est le titre de
49:55Dominique Deroux que vous pourriez conseiller
49:57à un jeune lecteur aujourd'hui de 20 ans
49:59ou de 15 ans
50:01de lire ? Par où
50:03découvrir Dominique Deroux ?
50:05A titre personnel, je dis ce que j'ai dit tout à l'heure,
50:07je propose de commencer par
50:09immédiatement, d'abord parce que c'est
50:11la forme brève, n'importe
50:13où on ouvre immédiatement, on lit
50:152-3 aphorismes et on est heureux.
50:17On jubile !
50:19On jubile, d'autant plus aujourd'hui
50:21dans l'amorosité
50:23du temps, dans ce que Jean-René Huguenin
50:25la banalité des jours, pour
50:27dire justement de cette France si
50:29ennuyeuse des années
50:31du début des années,
50:33de la fin des années 50, de la fin de la 4ème République.
50:35Moi je conseillerais
50:37immédiatement, j'ai commencé par ça
50:39et je trouve que dans l'amorosité ambiante
50:41c'est un auteur qui fait du bien.
50:43Je me demande même si le fait de pouvoir
50:45formaliser le fait
50:47qu'à chaque génération il y a de nouveaux lecteurs
50:49n'est pas la marque, finalement, d'un grand écrivain.
50:51Je vous dirais à peu près la même chose
50:53que notre ami Didier, évidemment
50:55immédiatement, aussi l'Harmonie casude
50:57parce que je trouve que c'est un grand texte où
50:59d'ailleurs Dominique Deroux fait naître
51:01vraiment sa langue.
51:03Mademoiselle Aynissé est un très beau roman d'amour
51:05mais il y a dans l'Harmonie casude qu'on assiste à la
51:07naissance d'une langue, de la langue de Dominique Deroux.
51:09Évidemment relire tous ses cahiers
51:11de Lerne, tous les cahiers de Lerne
51:13pour lesquels il a travaillé.
51:15Qu'il a dirigé ou qu'il a impulsé.
51:17Revoir aussi
51:19certains entretiens que nous avons mis en ligne
51:21parce que ce qui est assez fascinant, notamment dans l'entretien
51:23de l'RTBF, c'est qu'on voit que Dominique
51:25Deroux parle comme il écrit ou écrit comme il parle.
51:27Il y a des formules
51:29qu'il jette comme ça et qui
51:31font mouche, évidemment.
51:33Et vous savez, puisque vous parlez de
51:35la jeunesse, Dominique Deroux savait très bien
51:37qu'il écrivait pour la jeunesse. Il sait qu'on s'en est
51:39souvent ouvert à Jacqueline en disant
51:41je serai lu toujours par des garçons
51:43de 20 ans, des garçons et des filles de 20 ans.
51:45Vous avez raison de terminer
51:47sur cette question des livres parce que
51:49l'un des événements capitaux de ma vie
51:51c'est d'avoir pu voir la bibliothèque de Dominique Deroux.
51:53Un homme de livres.
51:55Et cette muraille de livres m'a profondément
51:57impressionné.
51:59La rue de Bourgogne reste un appartement mythique.
52:01Absolument.
52:03Didier Dassilva, Olivier François, je vous remercie.
52:05Merci aux téléspectateurs de
52:07TV Liberté. J'espère qu'Olivier
52:09François, Didier Dassilva, je n'en doute pas
52:11vous auront donné l'envie de
52:13découvrir cet esprit,
52:15cet aventurier de la langue, cet aventurier
52:17de la politique et de l'esprit
52:19également. Nous nous retrouvons
52:21d'ici un ou deux mois
52:23pour de prochaines émissions des idées à l'endroit.
52:25Merci de votre fidélité. A très bientôt.

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