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Journaliste, membre du collectif WeReport, Mathieu Périsse, publie "Le prix du berceau, ce que la privatisation des crèches fait aux enfants", avec Daphné Gastaldi aux éditions du Seuil (en librairies le 8 septembre).
Regardez L'invité de RTL du 06 septembre 2023 avec Amandine Bégot.

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00:02 RTL matin
00:06 RTL 7h43, excellente journée à vous tous qui nous écoutez. Amandine Bégaud, vous recevez donc ce matin notre confrère Mathieu Péris.
00:12 Mathieu Péris, vous êtes journaliste et vous publiez donc "Le prix du berceau". Le livre sort vendredi après-demain aux éditions
00:18 du Seuil. C'est une vaste enquête sur les crèches privées
00:22 qui accueille, il faut le rappeler, aujourd'hui en France un bébé sur cinq, à peu près 20% des bébés. Vous avez recueilli avec
00:28 Daphné Gastaldi près de 200 témoignages des parents des professionnels de crèches.
00:33 Témoignages édifiants, franchement pas vraiment rassurant et on va y revenir dans le détail. Vous parlez de bétaillières, d'usines à bébés.
00:40 D'abord le point de départ de cette enquête c'est ce drame
00:43 survenu à Lyon en juin 2022. Un bébé de 11 mois qui meurt dans une crèche privée.
00:48 Une salariée lui avait fait boire de la soude caustique, un produit pour déboucher les canalisations. C'est de là que vous partez.
00:53 Oui, ça c'est un drame qui a été un déclic pour nous mais aussi pour tout le secteur. Ça a été un électrochoc
00:59 qui a abouti au lancement de premières enquêtes journalistiques.
01:04 Moi j'avais commencé à travailler sur le sujet pour le site Mediacité
01:09 en lançant un appel à témoignages. Et puis ensuite c'est aussi ce drame qui a donné lieu au rapport de l'IGAS,
01:16 de l'inspection générale des affaires sociales, qui est sorti au printemps dernier, qui a documenté un peu plus largement, très largement, le phénomène
01:23 de maltraitance. Et ce drame lyonnais, il est à la fois
01:27 comment dire...
01:30 c'est à la fois un déclic et en même temps il est assez hors norme dans le sens où nous on a voulu assez rapidement
01:37 dépasser ce simple fait là pour documenter ce que nous on qualifierait plutôt de maltraitance économique. C'est à dire que c'est pas forcément
01:45 des gestes aussi violents ou aussi dramatiques qui aboutissent là au décès d'un enfant, mais c'est plutôt
01:53 des petites maltraitances quotidiennes qui portent sur l'encadrement, sur les fournitures, etc.
01:58 On va y revenir, mais ce drame est rare ici, mais heureusement
02:01 vous avez quand même rencontré par exemple une directrice de crèche qui vous a dit "on est nombreux à cette redis, ça aurait pu se passer dans ma crèche".
02:07 Oui parce que c'est un drame qui s'est passé dans une crèche,
02:11 micro crèche du groupe People and Baby à Lyon. Les micro crèches ce sont des petits établissements qui accueillent 10 enfants, 12 maintenant.
02:18 Et en fait très souvent ces crèches peuvent ouvrir ou fermer par exemple avec un seul
02:25 salarié. Alors ça ne sera plus le cas bientôt justement parce qu'il y a eu une réforme à ce niveau là.
02:31 Et on imagine très bien que du coup un salarié tout seul
02:34 avec huit enfants, parce que c'est le maximum légal quand il est seul,
02:39 s'il y a un problème, si ce salarié est peut-être aussi en souffrance personnelle à côté de ça,
02:44 il n'y a aucun garde-fou pour protéger les enfants. Donc en ça c'était
02:48 assez révélateur des dysfonctionnements, mais il y en a beaucoup d'autres.
02:51 Alors justement, venons à ces témoignages que vous avez recueillis. Il y a par exemple ces parents d'une crèche des Bouges-du-Rhône qui retrouvaient le soir leurs
02:57 enfants affamés. Ils manquaient trois à cinq repas deux jours par semaine.
03:02 Oui alors ça c'est
03:04 quelque chose qui est... comment dire... c'est les parents qui ont joué le rôle de lanceurs d'alerte en fait finalement dans cette histoire.
03:09 Aujourd'hui c'est une affaire qui est
03:11 au pénal. Il y a une enquête qui a été ouverte, il y a neuf plaintes de familles qui ont été déposées.
03:17 Et en fait l'histoire c'est des familles qui
03:20 se rendent compte individuellement que leur enfant quand il rentre le soir a faim tout simplement.
03:26 Alors qu'il est censé déjà avoir pris son goûter ou alors pour son goûter il va
03:30 prendre deux gâteaux au lieu d'un seul habituellement. Et puis un beau jour une des mères de famille
03:36 envoie un message sur le groupe WhatsApp, vous savez les groupes WhatsApp un petit peu de
03:40 des parents de crèche,
03:44 et leur dit "mais vous aussi votre enfant a faim" et là elle se reçoit...
03:47 Donc ils aperçoivent que finalement la crèche fait des économies sur la nourriture de leurs enfants. On sert pas tous les repas,
03:53 enfin on commande pas tous les repas histoire de faire des économies c'est ça ? C'est ça et en fait
03:57 cette insuffisance de commande de repas elle a été reconnue par l'entreprise qui est le groupe "Les petits chaperons rouges"
04:04 qui l'a reconnu devant les familles après plusieurs réunions houleuses.
04:10 Et le groupe dit c'est un dysfonctionnement
04:13 localisé, c'est une erreur humaine, en gros c'est la faute de la directrice qui d'ailleurs a été
04:18 écartée.
04:21 Sauf que nous ce qu'on dit c'est que
04:23 globalement dans ce secteur
04:26 il y a quand même tout est fait pour
04:28 réaliser des économies notamment sur les repas mais pas seulement, beaucoup aussi sur le personnel
04:32 présent sur place parce que c'est ça qui représente le poste. Sur les couches on change pas un pipi, je vais être très basique mais...
04:38 On retarde en tout cas...
04:40 On coupe une omelette, il y a une salariée qui raconte qu'elle était obligée de couper une omelette en quatre pour les petits, d'autres qui confient
04:45 être allé chercher des yaourts à la super-aide du coin...
04:47 Le nombre de gens qui nous ont dit
04:49 "je suis allé au supermarché à la super-aide à côté pour acheter quatre yaourts parce qu'on n'en avait pas assez"
04:53 mais alors là on se focalise sur les repas, effectivement...
04:56 Enfin sauf que des enfants de six mois c'est le moment le plus important où il faut les nourrir.
05:01 Evidemment, évidemment et une carence alors après est-ce que c'est suffisant pour provoquer des carences alimentaires ?
05:05 Je dirais peut-être pas jusque là parce que c'est quand même peut-être quand même trop ponctuel
05:10 mais en tout cas c'est pas ce qu'on attend d'un service d'accueil pour des enfants.
05:14 Il y a aussi ces établissements qui pratiquent du surbooking, comme dans les avions, c'est-à-dire qu'ils anticipent d'éventuelles absences
05:20 et accueillent plus d'enfants qu'ils n'en ont droit.
05:22 Et puis ce rapport, vous le disiez, de l'IGAS qui est complètement
05:27 dingue, vous dites et vous écrivez "la lecture de certaines pages du rapport sont insoutenables"
05:31 je vais vous lire juste quelques extraits "des bébés jetés dans leur lit, des brûlures causées par des radiateurs ou des biberons trop chauds,
05:37 des gamins soulevés par les cheveux à hauteur d'adultes,
05:40 attachés à une chaise en guise de punition" on parle d'enfants de moins de trois ans je vous le rappelle
05:44 "sans parler des menaces et des insultes du genre vient la mocheté"
05:48 L'IGAS c'est l'Institut Général des Affaires Sociales
05:51 on ne peut pas dire que l'État ne sait pas ce qui se passe dans ces crèches.
05:55 Non désormais c'est un problème qui est clairement documenté
05:59 par contre il faut aussi s'interroger sur les causes, comment est-ce qu'on est arrivé là et nous ce qu'on fait avec notre livre
06:04 c'est aussi finalement le bilan de 20 années de
06:08 privatisation ou en tout cas de montée en puissance du secteur privé lucratif
06:12 dans la petite enfance. Il faut bien comprendre qu'il y a 20 ans des crèches privées lucratives ça n'existait pas.
06:18 En fait là c'est comme le problème des EHPAD, ce sont des grands groupes qui gèrent ces crèches et pour certains il faut faire
06:24 du fric, de l'argent à tout prix
06:26 c'est leur raison d'être, ce sont des entreprises privées qui doivent générer un certain rendement, c'est évident notamment que
06:33 plusieurs de ces gros groupes ont des fonds d'investissement
06:38 qui sont entrés dans leur capital, qui attendent une certaine rentabilité
06:41 et donc le problème c'est que cette rentabilité là
06:45 les crèches c'est pas un business qui rapporte normalement parce que on parle de services à la personne, c'est coûteux
06:50 en salaire notamment, il faut beaucoup de personnel et donc pour arriver à dégager
06:56 quelques points de marge supplémentaires il faut renier sur tout ce qu'on peut, il faut remplir
07:01 à outrance certains créneaux horaires, on parle de surbooking, c'est un surbooking et là où c'est intéressant c'est qu'il y a une responsabilité quand même
07:08 des pouvoirs publics parce que c'est un surbooking qui est en partie autorisé par la CAF
07:13 qui subventionne... - Et voilà parce qu'en fait ces crèches elles coûtent souvent très cher et par ailleurs elles sont en partie financées par l'état
07:19 via la CAF effectivement qui rembourse une partie ou prend en charge auprès des parents
07:22 ça veut dire que c'est nous, c'est nos impôts qui payent ça. - Il y a des crédits d'impôt aussi pour les réservataires
07:27 - J'imagine que tous les parents, pardon Mathieu Pérys, qui nous écoutent et qui
07:31 pour certains vont justement déposer leurs enfants à la crèche dans les minutes qui viennent
07:34 s'inquiètent et il y a de quoi, ça ne concerne pas toutes les crèches privées on est d'accord ? - Non bien sûr. - Et les crèches publiques elles sont épargnées ?
07:41 - Non, il y a aussi des dysfonctionnements des crèches publiques, en fait le secteur de la petite enfance, des crèches en particulier
07:47 est un secteur en crise on peut le dire, il y a une pénurie de personnel notamment énorme qui
07:52 impacte l'ensemble du secteur parce que du coup on n'arrive pas à avoir suffisamment de bras
07:57 mais il y a pour nous le fonctionnement des établissements privés et lucratifs, donc pas associatifs
08:05 rajoute en fait une couche de pression, une couche d'injonction à la rentabilité, une couche de petites économies qui sont parfois
08:14 presque mesquines quand on parle d'un tapis de jeu
08:18 qui est tout troué, que nous on a des témoignages de gens qui nous disent mais on mettait des bouts de scotch, on l'a signalé à
08:23 notre direction et on a attendu six mois avant d'en avoir un nouveau
08:26 - Sauf que c'est dangereux parce qu'un bébé met un bruit à la bouche - On parle de quelque chose qui coûte 50 euros, enfin quelques centaines d'euros
08:30 - Manque de contrôle, vous dites en 2020 moins de 10 % des établissements d'accueil du jeune enfant étaient
08:36 contrôlés, 1 sur 10 seulement effectivement ça fait pas beaucoup, le gouvernement annonce vouloir créer
08:40 200 000 places d'accueil d'ici 2030
08:43 vous dites quoi c'est impossible dans les conditions actuelles ? - C'est un chiffre qui aux yeux de tous les acteurs et y compris d'ailleurs les représentants
08:50 des grands groupes privés semblent complètement irréalistes. Aujourd'hui donc on manque déjà de personnel,
08:55 ça se forme pas comme ça,
08:58 une éducatrice de jeunes enfants c'est deux ou trois ans d'études, une auxiliaire c'est un an etc.
09:03 Donc on voit mal comment on pourrait créer 100 000 places d'ici 2027, c'est demain
09:07 et par ailleurs
09:11 chaque gouvernement lance des grands plans, annonce depuis 20 ans
09:16 100 000, 200 000 places de crèches créées et ces objectifs ne sont jamais tenus, ils sont
09:22 contractualisés lors d'engagement entre l'état et la CNAF, la caisse nationale de l'assurance
09:28 - Des assurances familiales
09:31 - Et ces objectifs ne sont jamais tenus lors du dernier plan, on prévoyait d'en créer 30 000, on n'en a créé que 15 000
09:38 donc ça paraît complètement irréaliste et surtout ça fait encore passer cette idée que c'est le quantitatif qui compte
09:44 alors qu'il faudrait se concentrer sur la qualité justement.
09:46 - Merci beaucoup Mathieu Périsse et donc je rappelle ce livre "Le prix du berceau" ça sort vendredi, c'est publié aux éditions du CERN.
09:53 - Merci.
09:54 [SILENCE]

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