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L'ex-secrétaire général au ministère de l'Immigration, Patrick Stefanini, était l’invité de #LaMatinale sur CNEWS.

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Transcription
00:00 Bonjour Patrick Stefanini, merci d'avoir accepté notre invitation.
00:04 Je le disais donc, pour commencer ce nouveau drame dans la Manche,
00:07 pour bien comprendre déjà, pour poser un petit peu l'effet,
00:11 pourquoi le Royaume-Uni est jusque-là la destination prioritaire
00:15 de ces personnes qui fuient leur pays ?
00:17 Parce que ces hommes et ces femmes viennent de pays
00:21 qui sont souvent d'anciennes colonies britanniques,
00:24 je pense au Pakistan, je pense à l'Afghanistan,
00:27 je pense à une série de pays africains,
00:30 mais situés sur la côte est de l'Afrique,
00:32 ou sur ce qu'on appelle la corne de l'Afrique.
00:35 Et donc ces migrants, ils ont aujourd'hui au Royaume-Uni
00:40 des personnes qu'ils connaissent, des membres de leur famille,
00:42 des cousins, des oncles, parfois des parents,
00:45 qui vivent au Royaume-Uni, qui y ont un travail.
00:49 Et la présence de ces importantes diasporas
00:53 constitue un aimant formidable sur ces candidats
00:57 à la migration clandestine.
00:58 Moi, lorsque j'étais secrétaire général du ministère de l'Immigration,
01:02 je me suis rendu à plusieurs reprises à Calais,
01:04 j'ai dialogué avec ces personnes.
01:06 Ce sont souvent des personnes diplômées,
01:10 diplômées de l'enseignement supérieur,
01:12 pratiquant parfaitement l'anglais,
01:14 ne parlant pas français en revanche,
01:16 et leur souhait, c'est vraiment d'aller vivre au Royaume-Uni.
01:20 Nous avions essayé, nous, de leur proposer la possibilité
01:24 de demander l'asile en France, mais ça ne les intéressait pas du tout.
01:27 Donc voilà, ce qui les intéresse, c'est d'aller vivre au Royaume-Uni
01:30 pour rejoindre une partie de leur famille.
01:33 Et tant qu'on n'aura pas pris en compte cette réalité,
01:37 on risque d'assister à la répétition de drames
01:41 du type de celui qui s'est produit dans la nuit de samedi à dimanche.
01:44 Alors j'ajoute que les gouvernements ont essayé dans un premier temps
01:51 d'interdire le franchissement du port de Calais.
01:55 Et la mission a été accomplie, c'est-à-dire qu'aujourd'hui,
01:58 le port de Calais, c'est un port à haute intensité technologique,
02:01 si j'ose dire, équipé par des matériels et notamment des scanners
02:05 qui ont été payés par les Britanniques,
02:07 qui permettent de savoir avec beaucoup de précision
02:11 ce qui est contenu dans les cargos qui montent à bord des ferrées.
02:16 Donc aujourd'hui, franchir le port de Calais pour un migrant clandestin,
02:22 c'est devenu quasiment impossible.
02:24 Et c'est ce qui explique que depuis trois ou quatre ans,
02:26 les migrants et les passeurs ont changé de technique
02:30 et que désormais, ils essayent de traverser la Manche à bord de petits bateaux.
02:34 Et on a assisté en trois ans à une augmentation exponentielle
02:38 du nombre des traversées ainsi réalisées.
02:42 On est passé de 8 000 en 2020 à près de 50 000 en 2022.
02:48 Et malheureusement, ces tentatives de franchissement de la Manche
02:52 s'accompagnent de drames.
02:53 Je rappelle qu'il y a eu 39 morts en 2021.
02:58 Et puis, il y a eu le drame qui est survenu dans la nuit de samedi à dimanche.
03:02 Alors, le Premier ministre britannique change de ton.
03:05 Il exhorte les migrants à ne pas traverser la Manche.
03:08 La coopération entre la France et le Royaume-Uni, dans ce contexte,
03:12 on le comprend, elle est primordiale pour lutter contre cette immigration incontrôlée.
03:16 Mais cette coopération, elle semble assez peu efficace au fond aujourd'hui.
03:21 Pour quelle raison ?
03:24 D'abord, c'est extraordinairement difficile de contrôler des dizaines de kilomètres de côte.
03:32 Alors, ce contrôle, il incombe pour l'essentiel aux forces de police
03:36 et surtout à la gendarmerie nationale française,
03:40 puisqu'on est en zone de gendarmerie très souvent.
03:44 Donc, contrôler des dizaines de kilomètres de côte
03:47 sur lesquels les migrants cachent pendant la nuit,
03:51 ils cachent les petits bateaux sous le sable.
03:54 Et puis, au matin ou pendant la nuit même,
03:58 ils les déterrent et ensuite, ils les font partir.
04:01 Donc, la France n'a absolument pas les moyens.
04:03 Il faut être lucide.
04:04 Le gouvernement fait tout ce qu'il peut.
04:07 Gérald Darmanin a modernisé les accords de coopération
04:10 que nous avons avec le Royaume-Uni.
04:13 Il y a désormais des avions qui survolent la Manche.
04:16 On a recours aux drones.
04:18 Mais, comment dire, on ne réussira jamais à faire de cette frontière
04:23 une frontière infranchissable,
04:25 parce qu'encore une fois, elle s'étend sur des dizaines de kilomètres
04:28 et qu'il faudrait installer à demeure
04:32 des centaines d'effectifs policiers ou gendarmes.
04:35 La France n'en a pas les moyens.
04:37 La Grande-Bretagne, pas davantage.
04:40 Donc, ce qu'il faudrait, c'est changer de paradigme.
04:42 Vous voyez, je vais prendre l'exemple des États-Unis.
04:44 Aux États-Unis, le président Biden a décidé il y a six mois
04:48 que les demandeurs d'asile devraient déposer leur demande à la frontière,
04:53 à la frontière entre le Mexique et les États-Unis,
04:57 et que leur demande serait instruite à la frontière
05:01 et que tout demandeur qui aurait franchi irrégulièrement la frontière
05:07 avec les États-Unis et qui déposerait sa demande d'asile
05:10 aux États-Unis, sur le territoire des États-Unis,
05:12 sans avoir respecté cette procédure,
05:15 verrait sa demande rejetée,
05:16 et même verrait sa demande regardée comme irrecevable,
05:19 c'est-à-dire qu'elle ne serait même pas examinée.
05:22 Eh bien, nous serions bien sages de nous inspirer de l'exemple américain.
05:27 Alors, ça n'est pas simple à mettre en œuvre,
05:29 mais vous voyez, ces migrants qui tentent à tout prix d'aller en Grande-Bretagne,
05:35 ils n'arrivent pas de n'importe où.
05:36 Avant d'arriver à Calais, ils ont franchi plusieurs pays européens,
05:40 ils sont venus par la voie terrestre.
05:44 Dans ces pays européens, le Royaume-Uni dispose de consulats,
05:47 dispose d'ambassades dans lesquelles les demandes des intéressés,
05:51 qu'il s'agisse de demandes de type de séjour ou de demandes d'asile,
05:54 pourraient être examinées et traitées.
05:57 Donc, moi, j'appelle à un changement de paradigme,
06:00 parce que si on ne regarde pas la réalité en face,
06:04 si on n'accepte pas de considérer qu'une bonne partie de cette immigration
06:10 est provoquée par des motifs économiques
06:12 et par la présence au Royaume-Uni d'une diaspora très importante
06:16 qu'on ne va pas dissoudre comme ça du jour au lendemain,
06:19 eh bien, on ne saura pas prendre la mesure de ce phénomène.
06:22 Inspirons-nous de l'exemple américain.
06:24 Je ne crois pas aux solutions qui consisteraient à renvoyer ces migrants
06:30 dans des pays comme le Rwanda.
06:32 D'ailleurs, la Cour suprême britannique a condamné cette tentative.
06:38 Donc voilà, ce qui pose problème, ce n'est pas l'immigration en soi.
06:43 Ce qui pose problème, c'est l'immigration non organisée,
06:46 c'est l'immigration désorganisée.
06:48 Alors, bien sûr, il faut lutter contre les passeurs.
06:51 Bien sûr, il faut contrôler les côtes françaises,
06:54 mais le gouvernement français le fait.
06:56 Les forces de police et de gendarmerie le font.
06:58 Mais si on ne change pas de paradigme,
07:00 si le gouvernement britannique n'accepte pas l'idée
07:04 qu'il y a un minimum d'immigration légale qui se produira chaque année
07:08 et qu'il faut simplement l'organiser,
07:10 eh bien, on risque la répétition de semblables aux drames dans la Manche,
07:15 comme c'est le cas malheureusement aussi sur une toute autre échelle en métée dernière.
07:19 Vous parliez de l'attractivité économique.
07:22 Alors, justement, en France, à la rentrée, le projet de loi immigration
07:25 sera de retour dans les débats.
07:27 La régularisation des travailleurs sans papier dans les métiers en tension,
07:32 c'est une proposition de l'exécutif.
07:34 Justement, est-ce que l'on peut y voir un appel d'air pour les migrants ?
07:38 C'est ce que craignent certains, notamment à droite.
07:44 Oui, en effet, il faut sans doute fixer des règles
07:49 très strictes pour cette régularisation,
07:53 et sans doute plus strictes que celles qui figuraient initialement
07:56 dans le projet de loi déposé par Gérald Darmanin
08:00 et par M. Dussopt il y a maintenant plusieurs mois.
08:03 Mais ça, c'est le rôle du Parlement de le faire.
08:05 Lorsque le texte viendra notamment au Sénat où la droite est majoritaire,
08:10 elle aura le loisir d'amender ce texte.
08:13 En revanche, je considère que le principe,
08:18 c'est-à-dire l'idée qu'il faut prendre en compte cette réalité économique,
08:22 alors la France est dans une situation démographique
08:25 qui est meilleure que celle de beaucoup d'autres pays européens,
08:29 mais néanmoins nous savons qu'il existe aujourd'hui des tensions
08:32 sur le marché du travail dans toutes les régions françaises
08:36 et dans tous les secteurs de l'économie.
08:37 C'est ça qui est nouveau.
08:38 Vous voyez, moi j'ai été secrétaire général du ministère de l'Immigration
08:43 il y a maintenant plus de dix ans,
08:45 mais à l'époque il y avait des tensions sur certains marchés du travail
08:49 dans certaines zones géographiques en France.
08:51 Aujourd'hui il y a des tensions sur le marché du travail
08:54 dans tout le pays et dans tous les secteurs de l'activité économique.
08:59 Donc il faut prendre en compte cette réalité.
09:01 Ça ne veut pas dire faire n'importe quoi,
09:02 ça ne veut pas dire régulariser n'importe qui.
09:05 Il faut fixer des conditions exigeantes
09:08 et la droite parlementaire au Sénat aura l'occasion de durcir ce texte
09:13 si elle le souhaite.
09:13 Il nous reste un peu plus d'une minute, Patrick Stefanini.
09:16 Peut-être cette dernière question liée à la situation au Niger.
09:19 Le ministre des Armées Sébastien Lecornu l'a affirmé,
09:24 ce nouveau coup d'État affaiblit la France
09:27 et la lutte contre le terrorisme au Sahel,
09:30 favorisait la renaissance d'un foyer terroriste en bordure de la Méditerranée.
09:34 Terrorisme, vague migratoire,
09:36 quelles conséquences très concrètes pour la France selon vous
09:39 après ce coup d'État au Niger ?
09:41 Sachant qu'il y avait un partenariat de confiance entre nos deux nations.
09:47 Alors écoutez, là-dessus je tiens à un discours assez nuancé
09:51 parce que nous avons l'exemple du Mali,
09:57 qui est le théâtre de phénomènes djihadistes ou terroristes
10:01 depuis maintenant une dizaine d'années,
10:04 avec la succession de l'opération Serval puis de l'opération Barkhane
10:09 et la dégradation de la situation sécuritaire au Mali
10:12 n'a pas entraîné une explosion des flux migratoires à destination de la France.
10:19 Donc il faut rester prudent.
10:23 Ce qui est vrai en revanche, c'est que le risque existe pour la France
10:29 s'il s'installe non seulement à Bamako,
10:32 non seulement à Ouagadougou, mais aussi à Niamey,
10:37 des régimes qui seraient hostiles à la France,
10:41 des régimes dont la proximité avec la Russie
10:45 et avec le groupe Wagner serait très forte.
10:47 Le risque existe que ces régimes ne se servent de larmes migratoires
10:53 comme d'une forme de chantage à l'égard de la France,
10:58 qui n'était pas le cas jusqu'à une date récente,
11:02 notamment avec le Niger, qui était un des meilleurs alliés
11:05 de la France dans cette région du monde.
11:07 Donc voilà, c'est ça le risque.
11:09 Le risque, c'est que les gouvernements de ces pays
11:13 encouragent les passeurs, encouragent la migration clandestine.
11:18 Mais il faut réaliser que cette migration clandestine,
11:21 elle reste extraordinairement difficile.
11:23 Quand vous êtes dans le nord du Mali,
11:25 dans le nord du Burkina Faso ou du Niger
11:28 et que vous voulez rejoindre la Méditerranée,
11:30 il faut traverser le Sahara.
11:32 Et ce n'est pas une partie de plaisir.
11:34 Merci beaucoup Patrick Stefanini d'avoir accepté notre invitation
11:38 ce matin dans la matinale de CNew.
11:40 Je le rappelle, vous êtes ex-secrétaire général
11:42 du ministère de l'Immigration.
11:44 Sous-titrage Société Radio-Canada
11:46 [Générique de fin]

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