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Nous recevons Vincent Hugeux, journaliste, auteur de l'ouvrage "Tyrans d'Afrique Les mystères du despotisme postcolonnial"  et enseignant à Sciences Po pour revenir sur les évènements récents au Niger après le coup d'État militaire. 

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Transcription
00:00 Bonjour Vincent Hugeux, bienvenue sur le plateau de Télématin.
00:03 Bonjour.
00:03 On va revenir avec vous sur les événements de ces derniers jours au Niger.
00:07 En quelques mots, des militaires ont pris le pouvoir et renversé le président Basoum qui avait été élu en 2021.
00:13 La France et l'Union européenne ont décidé de suspendre toutes leurs aides au Niger.
00:17 Vincent Hugeux, une semaine après ce coup d'État,
00:20 on voit que la France a commencé cette nuit à rapatrier ses ressortissants.
00:23 Est-ce que ça veut dire qu'il y a un risque que ça dégénère ?
00:27 Principe de précaution, lorsque vous avez une situation d'extrême tension comme celle-là,
00:32 il est préférable de s'engouffrer dans la fenêtre de tir que vous offre une accalmie relative, ce qui était le cas.
00:38 Et au fond, plus une opération d'évacuation s'étire dans le temps, plus les risques d'accrochage locaux,
00:44 donc ensuite d'embrasement, sont grands.
00:47 C'est la raison pour laquelle on s'efforce toujours.
00:49 Vous savez, l'évacuation c'est un peu comme la guerre, c'est un artout d'exécution.
00:52 Donc la France sait faire, elle a une expertise éprouvée en la matière.
00:56 Et donc c'était l'idée de faire en sorte d'une part d'éviter d'exposer des ressortissants français,
01:03 civils en l'occurrence, ça ne concerne pas les 1 500 militaires.
01:06 Mais je crois que de manière subliminale, c'est aussi une manière d'envoyer un message au poutchiste,
01:11 comme si l'on voulait dire, il y a une menace, non pas de la France bien sûr,
01:15 mais des instances ouest-africaines d'une intervention militaire,
01:19 puisqu'un ultimatum a été lancé jusqu'à dimanche par la CDAO,
01:23 donc la Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest.
01:26 Et donc le message c'est celui-ci, lorsque précisément se profile une opération militaire,
01:32 pour la crédibiliser, on retire les ressortissants qui pourraient être les plus exposés,
01:38 ce qui est une façon encore une fois d'asseoir la possibilité de cette intervention militaire.
01:43 On a l'impression que ce coup d'État ça a été un peu une surprise pour tout le monde,
01:47 pourquoi est-ce qu'on ne l'a pas vu venir ?
01:49 Alors c'est évidemment une bonne question, si vous voulez.
01:52 La difficulté de l'exercice cette fois-ci, c'est que c'est avant tout l'aventure d'un homme seul.
01:57 Ce fameux général Abderrahmane Tiani, qui est le chef de la gare présidentielle depuis 2011,
02:03 infiniment choyé par le prédécesseur du président Mohamed Basoum,
02:07 président élu qui a été démis, en tout cas à ce stade.
02:11 Et donc ce n'est pas, si vous voulez, un de ces coups d'État qui est précédé
02:15 de conciliabule dans une salle de café qui permet à des capteurs locaux,
02:19 dont le métier est le renseignement, de collecter des indices et ensuite de les analyser.
02:25 Pour autant, les fragilités du Niger étaient connues.
02:28 Il y a d'abord des questions qui sont liées à l'identité même du président Basoum.
02:34 J'ai eu l'occasion d'en parler avec lui à plusieurs reprises.
02:36 Il vient d'une tribu arabe minoritaire et lors de la campagne électorale, voilà deux ans,
02:41 certains de ses opposants les plus farouches mettaient en doute sa nigérianité
02:45 et donc sa légitimité à abriguer la magistrature suprême.
02:49 Un argument parfaitement spécieux et assez détestable,
02:52 mais il a pu percoler dans une partie de l'opinion, et puis surtout,
02:55 surtout, et c'est plus important, il apparaît aux yeux des Nigériens,
02:59 des Sahéliens en général, comme en quelque sorte le bon élève de la classe Barkhane,
03:03 donc l'allié le plus loyal et le plus fiable de la France,
03:07 et à ce titre dans un contexte d'extrême francophobie,
03:10 il va de soi qu'on ne lui a pas rendu un grand service
03:12 en lui tressant des couronnes de laurier toutes les semaines.
03:14 Alors vous en parliez, la CDAO a fixé un ultimatum d'une semaine à la jeune
03:18 pour un retour complet à l'ordre constitutionnel.
03:21 Concrètement, ça veut dire quoi ?
03:23 Alors, en théorie, ça signifie que si à l'échéance de dimanche,
03:27 les poutchistes qui entourent ce général Tiani
03:31 ne restituent pas le pouvoir au président élu,
03:35 il y aura une intervention d'une force panafricaine.
03:38 Les chefs d'État-major des pays de la CDAO se réunissent là dans quelques heures
03:42 pour mettre en place la logistique…
03:45 Elle existe cette force panafricaine ?
03:47 Non, c'est toute la difficulté de l'exercice.
03:49 Très souvent, la CDAO apparaît comme une institution
03:51 qui énonce de grands principes nobles et qui brandit son sabre de bois
03:55 mais qui ne passe pas à l'acte.
03:56 Là, si vous voulez, la CDAO joue sa crédibilité.
03:59 Son président d'exercice, qui est le nouveau chef d'État du Nigeria,
04:03 Bola Tinubu, s'est engagé en juin, lorsqu'il a pris ses fonctions,
04:07 à faire en sorte que son mandat soit celui de la fin des coups d'État militaire vintage,
04:12 comme je l'appelle, un peu anachronique,
04:14 où vous voyez comme ça un sous-officier venir anonner,
04:17 de manière un peu grandiloquente, toujours le même texte,
04:19 en disant que c'est une faillite sur le point sécuritaire
04:21 et que la gouvernance est médiocre.
04:24 Donc, si vous voulez, la difficulté, c'est que, à l'automne dernier,
04:27 la CDAO a décidé de mettre en place cette force.
04:31 Mais pour le moment, c'est un projet, c'est une virtualité.
04:34 Donc, il y a quoi ? Ça va être des pressions économiques, du coup ?
04:36 Alors, l'idée est quand même, encore une fois,
04:38 de crédibiliser l'hypothèse d'une intervention,
04:40 parce que c'est tout à fait faisable, si vous voulez,
04:42 notamment parce que le Nigeria a une armée puissamment équipée,
04:45 il suffirait d'avoir deux, trois bataillons,
04:46 puis vous y associez d'autres forces, etc.
04:49 Mais il faut un calendrier, il faut une logistique,
04:51 et puis surtout, c'est d'un maniement très délicat, l'intervention.
04:54 Alors là, on ne parle pas du tout d'intervention post-coloniale,
04:56 de type Colvésie, quand la Légion y sautait il y a quelques décennies,
05:00 mais même si c'est une intervention panafricaine,
05:03 vous courez le risque de souder la population du Niger,
05:06 qui a été chauffée à blanc par la propagande locale et extérieure,
05:10 autour des poutchistes.
05:11 Alors justement, avant de parler de cette propagande,
05:13 on a vu des images d'une foule en colère,
05:16 avec des messages de haine contre la France.
05:18 Pourquoi est-ce que ça se cristallise contre la France ?
05:21 On n'est pas les seuls à être présents au Niger.
05:22 Non, il se trouve simplement que la France, c'est la puissance coloniale,
05:26 en sachant ce qu'on appelle le fameux précaré africain de la France.
05:31 Paris n'a jamais véritablement réussi à solder ses arriérés coloniaux.
05:35 Il y a eu la perpétuation, via ce qu'on appelle par communauté
05:37 la France-Afrique, de relations assez incestueuses
05:40 avec des régimes qui d'ailleurs étaient souvent impopulaires.
05:42 Et n'oublions pas que pendant des décennies,
05:44 les interventions militaires françaises n'avaient pas vocation
05:47 à sauver des démocraties, mais au contraire à conforter
05:50 des tyrans indéfendables sur leur trône.
05:52 Et donc la France a été perçue comme l'alliée des tyrannies.
05:56 Alors, les temps ont changé, mais ce type de persistance rétinienne
06:00 a un effet sur des générations qui en plus sont extrêmement frustrées.
06:03 Et là, il faut insister dix secondes sur un élément qui est essentiel
06:06 dans cette francophobie, ce que j'appelle moi le ressentiment anti-français,
06:11 c'est que les sociétés africaines, j'ai eu l'occasion de discuter
06:13 au fil de mes reportages avec des tas de gens,
06:16 ne peuvent pas comprendre que la cinquième ou sixième armée du monde
06:19 ait été incapable d'éradiquer le fléau djihadiste.
06:22 Et vous passez très vite de l'incompréhension à la suspicion
06:24 et de la suspicion au complotisme.
06:26 Alors justement, on sait que le Niger, c'est un partenaire très important
06:29 pour la France et pour l'Europe dans la lutte contre le djihadisme.
06:32 Quelles peuvent être les conséquences pour l'Europe, justement, avec ce coup d'État ?
06:35 Les conséquences, elles sont quasiment mécaniques, si vous voulez.
06:38 C'est la suite d'un processus, à mon avis inéluctable et inexorable,
06:43 qui conduit la France à se désengager durablement du Sahel d'abord
06:47 et d'Afrique ensuite.
06:49 Mais c'est aussi, ne l'oublions jamais, une excellente nouvelle pour les djihadistes.
06:53 Parce qu'au fond, c'est aussi le fruit d'un travail de sape
06:55 qui a été entrepris il y a plus de dix ans,
06:57 à la fois par la nébuleuse Al-Qaïda et par la nébuleuse État islamique.
07:02 Et pendant ce temps-là, les djihadistes disent qu'ils peuvent
07:05 poursuivre leur progression vers les pays côtiers.
07:08 Et vous avez des inquiétudes palpables aujourd'hui dans des pays
07:10 comme le Togo, le Bénin, le Ghana, la Côte d'Ivoire et le Sénégal.
07:14 Donc on peut imaginer aussi un départ des militaires français, si ça dégénère ?
07:18 Je ne vois pas très bien comment ils resteraient,
07:21 même si les choses s'apaisent en ce qui concerne les relations bilatérales.
07:25 On sait qu'il y a eu une coordination pour que cette évacuation réussisse,
07:28 parce que de vrai, c'était l'intérêt des poutchistes qu'elles ne partent pas en vrille.
07:32 Mais vous avez eu un désengagement subi et c'est ça la difficulté, si vous voulez.
07:37 C'est que la France rêvait d'une sorte de réduction de voilure ordonnée, méthodique et graduelle.
07:43 Mais là, c'est un peu la débâcle.
07:44 Et puis l'autre grand paradoxe de cette histoire, c'est que, au fond,
07:48 l'influence véritable de la France, politique, économique, militaire,
07:51 n'a jamais été aussi faible depuis les années 1960 qu'aujourd'hui.
07:54 Et ce ressentiment anti-français n'a jamais été aussi vif.
07:58 Merci beaucoup, Vincent Hugueux, pour votre décryptage.
08:00 Je rappelle que vous êtes l'auteur de "Tyrant d'Afrique, les mystères du despotisme postcolonial".
08:04 Merci d'être venu sur le plateau de Télémathas.

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