• l’année dernière
Le 27 novembre 2019, Laurence Dezélée perd sa défunte maman pour la deuxième fois. Quatre ans plus tôt, sa mère l’avait avertie, voyant sa mort imminente, qu’elle souhaitait faire don de son corps à la science, loin d’imaginer ce qu’il pourrait arriver à sa dépouille. En effet, avec la médiatisation du charnier de l’Université de médecine de Paris-Descartes, Laurence Dezélée découvre avec effroi le scandale sanitaire et éthique qui se déroule depuis des décennies dans le grand immeuble de la rue des Saints-Pères dans le 6ème arrondissement de Paris. Les conditions de conservation des corps sont innommables, le respect dû aux dépouilles vole en éclat, certains cadavres sont rongés par les rats, en état de putréfaction avancée… D’autres sont démembrés, dissociés, mélangés. Pire, certains préparateurs s’adonnent à un véritable trafic de dépouilles… vendues à des anonymes, et parfois même à l’étranger.
Horrifiée, Laurence Dezélée décide de rendre justice à sa mère. Elle dépose plainte et rencontre des témoins de scènes épouvantables. Près de quatre ans après les révélations du scandale, personne n’a encore été jugé… Avec "Pardon Maman pour ce qu’ils t’ont fait" chez Plon, Laurence Dezélée rend hommage à sa maman et espère que justice sera rendue, avec des condamnations exemplaires pour tous les responsables, y compris les plus hauts placés !

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Transcription
00:00 Votre mobilisation est réelle, mais pas encore suffisante.
00:05 Aidez-nous, vraiment, maintenant.
00:07 Finance ITVL, c'est essentiel.
00:09 D'avance, merci à tous.
00:11 [Générique]
00:36 Bonjour à tous pour le Zoom.
00:37 Aujourd'hui, je reçois Laurence Deselé.
00:40 Bonjour madame.
00:41 Bonjour.
00:41 Merci beaucoup d'être avec nous pour parler d'un sujet particulièrement délicat.
00:44 On va le comprendre tout de suite.
00:45 Vous nous présentez votre ouvrage "Pardon, maman, pour ce qu'ils t'ont fait".
00:49 C'est aux éditions Plon, disponible sur la boutique TVL.
00:52 Lien sous-titre "Le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort".
00:57 C'est un article du Code civil, tout simplement.
01:01 Vous allez nous raconter tout de suite ce qu'il s'est passé
01:04 et ce dont vous vous êtes rendu compte ce fameux 27 novembre 2019.
01:09 Le 27 novembre 2019, je suis en train de préparer le déjeuner
01:13 pour mes enfants qui rentrent de l'école
01:14 et j'ai sur mon téléphone des notifications.
01:17 Quand une info importante tombe, ça sonne.
01:19 Donc, machinalement, je prends le téléphone, je regarde
01:22 et je vois "CDC".
01:25 "CDC", ça me dit quelque chose, mais comme ça, pas tout de suite.
01:29 Je me dis "oui, je connais ça, "CDC", ça me dit quelque chose".
01:32 Je vois "Descartes", là, ça me dit vraiment quelque chose.
01:35 Et je continue à lire et je découvre
01:37 qu'au centre du don des corps de Paris-Descartes, rue des Saint-Père,
01:40 en plein Paris, dans les quartiers chics, au 5e étage,
01:43 où se trouvait donc le centre du don des corps, "CDC",
01:47 il y avait un charnier qui a été découvert
01:49 et qui était là depuis une trentaine d'années.
01:51 Je vois qu'on y trouve des corps noircis, en décomposition,
01:54 des chambres froides qui ne réfrigèrent plus,
01:56 des corps grignotés par des rats, par des souris,
01:59 des préparateurs de corps qui démembrent les corps
02:02 qui arrivent à même le couloir, qui n'ont pas de pièce pour ça,
02:06 qu'il y a un trafic qui s'organise en parallèle.
02:09 Et je vois tout ça et je me dis "ben oui, il n'y a rien à faire,
02:12 c'est bien là que ma mère a donné son corps en 2015".
02:15 Parce qu'effectivement, en 2015, vous perdez votre maman
02:18 qui vous fait savoir qu'elle souhaite offrir son corps à la science.
02:22 Comment avez-vous reçu cette information
02:24 quand elle vous l'a donné, quand elle vous l'a annoncé ?
02:26 J'ai été très surprise.
02:28 Très surprise et contrariée.
02:31 Comme elle était malade, je n'ai pas trop voulu polémiquer, bien sûr.
02:34 Donc je lui ai simplement dit "c'est très beau ce que tu fais".
02:38 La première chose, je lui ai dit "c'est magnifique,
02:39 c'est un geste altruiste et c'est superbe".
02:42 "Bravo, bravo parce que tu vas aider plein de gens
02:44 et plein de médecins à avancer, c'est superbe.
02:46 Mais est-ce que tu as bien réfléchi à ce que tu vas faire ?
02:48 Est-ce que tu t'es renseignée sur ce que c'est que le don du corps
02:51 et ce qui va t'arriver une fois que tu vas être morte ?"
02:53 Elle m'a dit "oui, j'ai même été reçue là-bas,
02:55 j'ai été voir pour signer les papiers, etc."
02:58 Donc je lui ai dit que quand j'étais étudiante,
03:00 moi je mangeais au resto Mabillon,
03:03 au resto universitaire avec les étudiants en médecine,
03:05 ils racontaient des choses qui n'étaient pas très joyeuses
03:07 sur les dissections et qu'il y avait des étudiants
03:10 qui étaient assez malveillants avec les corps.
03:12 Et elle m'a dit "non, non, mais ça c'est fini,
03:14 c'était dans le temps, maintenant c'est plus comme ça,
03:16 tout est sérieux, tout est encadré, il n'y aura pas de problème".
03:19 Bon, je lui ai dit "tu sais que nous on va être privés d'une sépulture,
03:22 on n'aura pas de lieu pour se recueillir".
03:23 Alors ça c'est très important parce que souvent on ne se rend pas compte
03:25 pour les familles l'enjeu de faire cette démarche.
03:28 C'est ça, et je lui ai dit "pour nous ça va être dur de ne pas avoir un endroit".
03:30 Elle m'a dit "mais si mes cendres seront dispersées à Thiers,
03:34 tu pourras aller à Thiers".
03:35 Ouais bon, elles sont dispersées, mais vraiment dispersées,
03:38 où tu es, c'est pas vos racines.
03:40 Ben non plus.
03:42 Donc, je lui ai dit "écoute, moi ça me pose un problème,
03:44 mais s'il te plaît jure-moi que tu vas respecter ma volonté
03:48 et qu'une fois que je serai morte tu le feras".
03:49 Je lui ai dit "oui, oui, je te promets, je le ferai".
03:52 Et alors justement, quand vous lisez ce fameux article,
03:55 vous vous rendez compte de quelle façon
03:57 que votre maman pourrait être concernée par cela ?
03:59 Est-ce que c'est une question de date, c'est une question d'ampleur ?
04:02 Comment vous vous rendez compte qu'il y a de très fortes chances
04:05 pour que votre maman soit concernée ?
04:07 Alors déjà, il me faut du temps pour comprendre ce que je lis,
04:10 parce que mon cerveau bloque et je ne comprends plus rien,
04:13 tout se mélange, j'ai une grosse bouffée d'adrénaline qui part
04:16 et je ne me sens pas bien, je suis obligée de m'asseoir,
04:18 je me mets à pleurer, je suis secouée avec des spasmes
04:21 et je me dis "bon, calme-toi, respire, ça va aller".
04:24 Et je relis les dates et il n'y a rien à faire, ça tombe en plein dedans.
04:28 Donc oui, je sais tout de suite qu'elle est dedans.
04:30 Et vous savez qu'il n'y a pas d'alternative, il n'y a pas de...
04:33 comment dire...
04:34 c'est le sort réservé à tous les corps qui vont à cet endroit ?
04:37 Oui, oui.
04:39 Alors là, je me mets à fouiller sur Internet
04:41 pour essayer de trouver des articles ou des choses un peu plus fouillées
04:45 que je pourrais trouver, je tombe sur Idrissa Berkane, l'essayiste,
04:49 qui fait une vidéo intitulée "J'accuse", qui est sur YouTube.
04:54 Et dans cette vidéo, il explique ce que je viens de lire.
04:58 Il dit que c'est très grave, que c'est un scandale sanitaire énorme, etc.
05:02 Il y a son numéro de téléphone, donc j'arrive à le joindre et il me répond.
05:05 Et c'est lui qui me dit "mais bien sûr qu'il faut porter plainte, madame,
05:08 je vous encourage à le faire".
05:09 Et je me dis "ben oui, c'est clair qu'il faut le faire".
05:12 Alors justement, vous portez plainte, comment vous êtes reçue
05:14 quand vous décidez d'aller porter plainte ?
05:16 Très bien, parce que j'appelle un avocat
05:18 qui a déjà eu des appels de plusieurs familles,
05:20 et qui me dit "bon ben oui, on va se réunir,
05:22 on va voir comment on peut faire, mais bien sûr, il ne faut pas en rester là".
05:26 Comment mesurez-vous l'ampleur des dégâts ?
05:29 J'allais dire, combien de familles êtes-vous à avoir été en justice,
05:32 à vous être rendu compte de ces atrocités, il faut bien le dire.
05:36 Aujourd'hui, le scandale a frappé combien de familles ?
05:40 Alors, combien de familles exactement, c'est un calcul.
05:43 Il y a à peu près 600 corps qui arrivaient au centre du don des corps tous les ans.
05:47 Et le scandale a duré une trentaine d'années.
05:49 On a retrouvé des diapos de 1988, où on voyait que c'était déjà un charnier.
05:54 Donc depuis tout ce temps-là, ça fait du monde.
05:57 Ce qu'on a du mal à appréhender quand on lit votre ouvrage
06:00 et quand on prend connaissance de cette affaire,
06:01 c'est qu'on se demande comment c'est possible en plein Paris
06:05 d'avoir un charnier, comme vous le dites,
06:07 puisque c'est le terme qu'il faut employer.
06:09 Dans une faculté de médecine, on se dit "c'est un problème de moyens,
06:13 c'est un problème de dispositifs, c'est un problème logistique ou pas seulement ?
06:19 Je pense que c'est multifactoriel.
06:21 Il y a un problème de moyens, ça c'est sûr,
06:23 parce que depuis 1953, création du centre,
06:26 apparemment ça n'a jamais été nettoyé, décontaminé, etc.
06:30 Le sol est en carrelage, les murs aussi d'ailleurs,
06:33 un carrelage orange et il y a des traces, des couches de crasse, de sang séché,
06:38 c'est immonde.
06:39 Ça n'a jamais été nettoyé ni décontaminé.
06:41 Après, on a des préparateurs de corps qui ont des problèmes d'alcool,
06:45 pour certains, d'autres qui deviennent dingues,
06:48 mais ça peut se comprendre avec les conditions de travail
06:50 dans lesquelles ils sont tous les jours.
06:51 Il n'y a plus d'humanité, c'est déshumanisé complètement.
06:55 Un corps arrive, on lui coupe la tête parce qu'on va
06:58 soit s'en servir pour disséquer,
07:00 soit s'en servir pour faire du marché noir et vendre des crânes.
07:02 On démembre les corps à même les couloirs.
07:05 Vous voyez, il n'y a plus rien d'humain dans tout ça.
07:07 – Alors arrêtons-nous sur ce dont vous venez de parler,
07:10 alors là, sans doute la chose la plus hallucinante que vous racontez,
07:13 le marché noir de cadavres ou de morceaux de cadavres,
07:17 en France, dans le 6e arrondissement de Paris.
07:19 – Oui, sous le manteau, le samedi matin au 5e étage.
07:22 – Avec des corps qui partent dans des voitures de particulier.
07:25 – Dans des coffres de voitures, oui.
07:27 Les préparateurs de corps que j'ai vus pour écrire mon livre m'en ont parlé, oui.
07:31 Et d'ailleurs, le professeur Alexandre Mignon,
07:33 qui était un élève d'Axel Kahn, le dit aussi.
07:36 Il l'a prévenu plusieurs fois de ça.
07:38 – Mais je vais dire quelque chose de façon assez basique,
07:41 mais quelle est l'idée derrière ?
07:42 Qu'est-ce qu'on fait avec un cadavre dans le coffre de sa voiture ?
07:44 – Ça, c'est la question. Où partait-il ? On ne sait pas.
07:48 Alors après, il y a plein d'hypothèses,
07:50 mais c'est vrai qu'il y a des dissections sauvages, a priori.
07:55 Moi, on m'a parlé de messe noire, je ne sais pas,
07:58 mais il paraît que ça existe encore. Voilà.
08:02 – Et ces cadavres sont monnayés ?
08:04 – Bien sûr, rien n'est gratuit.
08:05 Enfin, tout ça, c'est une histoire de business, d'ailleurs.
08:07 C'est une histoire d'argent.
08:09 Donc évidemment, il y a de l'argent qui rentre en dessous de table,
08:12 dans les poches de certains, bien sûr.
08:14 – Mais alors certains, précisément, selon vous,
08:16 selon ce que vous avez mené l'enquête, disons-le,
08:19 qui se rémunère de cette façon ? Qui prend de l'argent de cette façon ?
08:23 – Les préparateurs de corps, certains, qui rendissent les fins de mois.
08:26 Il y a celui qui s'occupe des têtes, il ne fait que des têtes,
08:29 donc il vend des crânes.
08:31 Voilà, il y a celui qui vend des squelettes.
08:34 Tout se monnaie, tout se vend.
08:36 Il y a du marché noir parce qu'il y a de la demande.
08:37 Il y a des cabinets de curiosité, ça je l'ai appris aussi.
08:41 Donc il y en a qui ont plaisir à avoir chez eux des morceaux de corps.
08:45 Epstein, le fameux, avait, lui, des globes oculaires dans son salon.
08:51 – Pour faire de la décoration ?
08:52 – Pour faire de la déco, oui, c'est particulier.
08:56 – Et alors vous me dites, ces préparateurs de corps
08:59 faisaient un petit business pour arrondir leur fin de mois,
09:02 mais est-ce que c'était, j'allais dire en cachette, avec succès ?
09:06 Est-ce que personne ne le savait ?
09:07 Ou est-ce qu'au contraire, au-dessus d'eux,
09:08 des gens étaient au courant et les laissaient faire
09:10 parce que quelque part, ils se disaient,
09:12 bon, c'est la contrepartie d'avoir un métier difficile ?
09:14 – Il semblerait que tout le monde savait et que tout le monde laissait faire.
09:18 Je pense à Guy Valencien, professeur Guy Valencien,
09:21 qui était à la fois directeur du Centre du don des corps
09:24 et en même temps qui avait monté son école de chirurgie privée
09:27 au 5ème étage aussi, donc dans la fac de médecine,
09:30 et qui allait se servir des corps qu'il achetait au tarif réglementaire
09:35 et qui les revendait après plusieurs fois à des gens
09:37 qui venaient disséquer chez lui à son école de chirurgie.
09:39 Donc lui aussi, il se faisait beaucoup d'argent.
09:41 – Donc ce qu'on comprend, c'est que en dehors du marché noir,
09:47 j'allais dire, presque, de corps, ce sont essentiellement des scientifiques
09:51 et des médecins qui devraient normalement avoir affaire
09:53 à ces corps donnés à la science.
09:55 – Oui.
09:55 – Et ces gens sont amenés concomitamment à travailler
09:59 avec des personnes humaines, vivantes, dans des hôpitaux,
10:02 tout en côtoyant des morts traitées telle que vous le racontez,
10:06 c'est-à-dire des scènes épouvantables, brutales, violentes, sanglantes.
10:12 – Déshumanisées.
10:13 – Comment, quand vous avez pris conscience de cela,
10:16 alors pour vous, et bien entendu c'est d'autant plus terrible
10:17 puisqu'on parle de votre maman,
10:19 mais comment avez-vous appréhendé cette situation en vous disant que,
10:23 enfin concrètement, comment peut-on penser que les gens qui cohabitent
10:26 avec une telle situation ont un état de santé mental sain ?
10:32 – On peut se poser des questions, c'est clair.
10:34 Mais voilà, je ne vais pas trahir un secret en vous disant
10:39 que je pense encore à Guy Valencien parce que je suis toujours étonnée
10:41 qu'il ne soit pas mis en examen ce monsieur, ça viendra peut-être.
10:44 Mais Guy Valencien qui est un neurologue très réputé,
10:46 qui a touché les prostates du tout Paris et de toute l'élite parisienne,
10:51 qui racontait à la BBC sans aucun problème
10:55 que pour lui c'était normal quand les patients étaient anesthésiés
10:57 au bloc opératoire de faire faire à ses étudiants des touchers rectaux
11:00 ou des touchers vaginaux, sans le consentement des patients bien sûr.
11:04 Dans le droit français ça s'appelle un viol.
11:05 – Donc ça servait à de cobayes pendant qu'ils étaient anesthésiés.
11:08 – Oui, il a dit "moi j'ai été formée comme ça, on m'a appris comme ça,
11:10 donc je refais pareil".
11:11 Donc où est le côté humain là encore avec le consentement éclairé ?
11:14 – Le côté éthique ?
11:15 – Et le côté éthique, bah oui.
11:17 – Aujourd'hui où en est la justice sur votre dossier ?
11:22 – Alors l'instruction est en cours,
11:23 j'ai rencontré la juge au mois de décembre 2022,
11:27 qui m'a parue être quelqu'un de très humain
11:29 et qui avait vraiment envie d'investiguer, de faire avancer les choses.
11:34 Je n'ai pas eu le dossier d'instruction à jour,
11:36 donc je ne peux pas vous dire si ça a bougé,
11:38 je sais juste qu'elle a demandé des compléments d'enquête par contre.
11:40 Donc je pense que ça a quand même servi à quelque chose que j'aille la voir.
11:43 Et puis elle a auditionné une personne que je lui ai recommandée d'entendre
11:48 parce que cette personne avait des choses intéressantes à lui dire.
11:51 – Et alors est-ce que vous avez le nombre de mises en examen,
11:53 le nombre de personnes qui ont été entendues depuis le début, etc. ?
11:57 – Alors nombre de personnes entendues, ça je ne l'ai pas.
12:00 Nombre de mises en examen, il y en a quatre.
12:02 Il y a l'université, il y a deux préparateurs de corps,
12:08 et puis il y a… – De l'amphyste ?
12:09 – Des petites mains, toutes mains sales comme les appellent.
12:12 Et puis il y a l'ancien président de l'université, Frédéric Dardel.
12:16 – Et vous avez évoqué tout à l'heure le nom d'Axel Kahn,
12:20 qui est décédé aujourd'hui.
12:21 Dans quel contexte aurait-il été responsable
12:24 partiellement de ce qui avait pu se passer ?
12:27 – Il a été mis au courant.
12:28 Alors déjà, c'était le président de la fac à l'époque.
12:32 Et puis il a été mis au courant notamment par Alexandre Mignon,
12:34 des corps qui partaient dans les corps de voiture, des choses comme ça.
12:37 Et il n'a pas voulu faire quoi que ce soit.
12:40 Et il a même menti puisqu'il a dit plus tard qu'il n'était pas au courant.
12:44 – Est-ce que vous avez l'impression que c'était une particularité
12:47 de l'université Descartes ?
12:50 Ou est-ce qu'au contraire c'est une particularité française ?
12:53 – Non, alors j'espère que c'est vraiment une particularité de Descartes.
12:58 Maintenant je sais qu'il y a eu d'autres facultés de médecine
13:01 où c'était pas très clean non plus.
13:03 C'est dans mon bouquin, vous pourrez le lire sans problème.
13:06 Donc il y a des endroits où c'est pas non plus très carré.
13:08 Depuis, je pense que les gens se sont mis un petit peu plus au clair
13:12 avec la situation.
13:13 Je sais qu'ils ont resserré les boulons à droite à gauche
13:15 parce qu'ils ont peur justement d'un nouveau scandale.
13:18 Mais il n'y a effectivement pas des Descartes partout,
13:21 il ne faut pas non plus exagérer.
13:22 Il y a des endroits où on peut donner son corps en toute confiance.
13:24 J'ai rencontré des dirigeants de centres de dons
13:27 qui avaient l'air d'être des gens très bien.
13:30 – Et alors justement, la question qu'on se pose c'est évidemment votre jugement
13:34 quant à ce choix de votre maman, à ce fameux don de son corps à la science.
13:39 Est-ce qu'aujourd'hui vous portez un regard sur cette décision plus dure,
13:44 plus nuancée j'allais dire ou qu'est-ce que vous en pensez ?
13:48 – Ce qui m'est venu à l'esprit c'est que je me suis dit
13:50 "elle s'est encore fait avoir".
13:51 Ça c'était vraiment ma mère.
13:54 Trop gentille, elle s'est fait avoir.
13:56 Voilà, mais le problème c'est que mon papa veut donner son corps aussi.
13:59 Malgré toute cette histoire.
14:00 – Ça ne vous a pas dissuadé ? – Non, pas du tout.
14:02 Il m'a dit "j'ai promis à ta mère et je ne reviendrai pas sur ma décision".
14:05 Alors Descartes s'est fermé, donc il ne pourra pas.
14:07 Donc il va donner rue du Fleur à Moulins.
14:09 – C'est déjà ça ? – Oui.
14:11 Voilà, donc il va donner au deuxième centre parisien
14:14 qui est rue du Fleur à Moulins, qui dépend de la PHP
14:16 et qui apparemment est bien tenue.
14:19 – Vous avez écrit j'imagine aux décideurs politiques,
14:23 aux ministres de la santé successifs,
14:25 puisqu'en 30 ans il y en a quand même un certain nombre qui a dû défiler,
14:28 au Premier ministre peut-être, au Président de la République Emmanuel Macron
14:31 puisque c'était déjà lui au moment de la révélation de ce scandale
14:35 qui appelons-le comme il est un scandale d'État.
14:37 – Oui, oui, donc on a écrit quand j'étais vice-présidente de l'association
14:42 et on n'a eu aucune réponse.
14:44 – Toujours aujourd'hui aucune réponse ?
14:45 – Rien, on n'a pas eu de cellule d'aide psychologique non plus mise en place,
14:48 rien du tout, on se débrouille tout seul.
14:50 – Vous vous êtes accusé de réception ?
14:51 – Alors oui, c'était un accusé de réception,
14:54 on voit qu'ils ont reçu les courriers, ça c'est sûr,
14:55 mais il n'y a pas eu de réponse.
14:57 – Comment voyez-vous cela, comment interprétez-vous cela,
15:00 cette forme de déni ou de mépris ?
15:03 – Moi je pense que c'est plutôt du mépris,
15:05 ça ne m'étonne pas tellement finalement,
15:08 quand on voit la politique actuelle menée en France, dans le même sens.
15:14 J'ai dit que je ne faisais pas de politique et je n'en fais pas,
15:16 mais j'ai l'impression qu'on nous méprise un petit peu quand même.
15:20 – Comment voyez-vous cela, ce mépris ?
15:23 On a tendance à parfois dire qu'on perd en humanité,
15:26 mais cet égard, comment comprenez-vous cela,
15:30 ce traitement qui a été infligé au corps encore une fois ?
15:33 Est-ce que pour vous, c'est que ces gens qui côtoient la mort,
15:37 à savoir les médecins, les scientifiques,
15:40 démystifient totalement la portée de l'âme, la portée de l'humanité ?
15:45 Comment voyez-vous cela ?
15:47 C'est à l'humain que je m'adresse, plus qu'à la fille de victime presque.
15:51 – Oui, alors je pense que déjà, effectivement,
15:53 travailler dans ce charnier déshumanisé, ça vous déshumanise.
15:57 Et puis quand on est étudiant en médecine,
15:59 on a intérêt à ne pas trop la ramener quand même.
16:00 Si on veut pouvoir évoluer, si on veut pouvoir finir ses études,
16:03 être bien noté, il ne faut pas faire de vagues.
16:06 Donc il y en a certains qui ont dû se dire "mais c'est affreux ce qu'on côtoie",
16:09 mais on ne va pas le dire parce qu'on ne sait pas trop ce qui va se passer derrière.
16:12 Quand on est médecin, c'est pareil, on sait qu'il se passe des choses,
16:14 mais on n'ose pas le dire non plus,
16:16 parce que notre carrière va s'arrêter nette sinon.
16:18 – Donc c'est une forme de "domerta" généralisée finalement.
16:20 – C'est "domerta", c'est "domerta", je te tiens, tu me tiens par la barbichette.
16:23 Si tu dis un truc, moi je dis un truc sur toi, ou je te bloque.
16:27 – On s'est rendu compte quand même dans le livre
16:29 que vous pouvez interagir avec des gens qui ont travaillé à Descartes.
16:34 – Oui, c'est pas facile quand même.
16:35 – J'imagine, ils sont anonymes d'ailleurs dans votre couvrage pour la plupart,
16:38 mais on se dit que beaucoup de gens devaient souffrir aussi à l'intérieur.
16:42 – Oui, je pense qu'il y avait une grande souffrance.
16:43 De toute façon, il y a des personnes qui étaient touchées par l'alcoolisme,
16:48 il y en a qui devenaient un peu dingos.
16:51 Je pense que ça n'aide pas de travailler dans ce contexte.
16:53 Et puis il n'y a aucune reconnaissance,
16:54 il n'y a pas de diplôme non plus de préparateur de corps.
16:57 Ça c'est des choses qu'on avait suggérées au ministère
17:01 quand on avait travaillé sur l'encadrement du don du corps.
17:05 On a été, on a forcé un peu pour être reçus,
17:08 pour mettre au point le décret qui a été mis au point en 2022,
17:12 en disant voilà, nous on aimerait qu'il y ait quand même
17:13 une reconnaissance du métier de préparateur de corps,
17:15 que ces gens-là soient un petit peu valorisés,
17:17 qu'on les responsabilise, qu'on les analyse un petit peu aussi,
17:20 voir s'ils ne sont pas un peu tordus au départ.
17:23 Bon, voilà.
17:24 – Pour être sûre que c'est ce qu'est arrivé.
17:26 – Il n'y a pas de déniance derrière.
17:29 – Comment sortez-vous de ce que vous expliquez dans le livre,
17:34 que finalement quand vous avez appris tout cela,
17:35 c'est un peu un deuxième processus de deuil qui va devoir commencer,
17:39 et j'imagine qu'aujourd'hui ce deuxième deuil n'est pas terminé,
17:42 car c'est la justice qui fermera peut-être ce processus ?
17:44 – Je pense que c'est ça, oui.
17:46 Je pense qu'effectivement, tant qu'il n'y aura pas eu justice,
17:49 en tout cas, c'est comme ça que je le ressens,
17:51 parce que j'ai été interviewée sur une radio il n'y a pas longtemps,
17:54 et il y avait un prêtre qui était là et avec qui je parlais,
17:57 et qui disait de toute façon, tant qu'il n'y aura pas de justice,
18:00 il n'y aura pas de pardon.
18:01 Parce que je disais, moi, ce qui pourrait m'apaiser,
18:03 maintenant, aujourd'hui, on m'a posé la question,
18:04 c'est d'arriver à pardonner.
18:07 Mais je n'en suis pas là du tout,
18:08 j'en suis même très loin, il y a encore beaucoup de colère,
18:11 et c'est vrai que si justice ne passe pas,
18:13 je vais avoir du mal à passer à autre chose.
18:18 – Il devrait y avoir un procès ?
18:20 – Ah ben, j'espère bien.
18:21 – Vous serez confrontée finalement aux principaux acteurs de cette affaire ?
18:26 – Oui.
18:27 – Et vous attendez ce moment ou vous le redoutez ?
18:28 – Je l'attends avec impatience.
18:31 J'ai envie de voir à quoi ils ressemblent en vrai,
18:33 est-ce qu'ils sont capables de me regarder dans les yeux.
18:36 Ça ne changera pas grand-chose,
18:37 mais oui, j'ai besoin de voir les bourreaux de ma mère, oui.
18:41 – Et aujourd'hui, quelles sont les informations dont vous disposez
18:45 sur tout simplement ce qu'a subi votre maman,
18:49 et surtout sur, j'allais dire, la fin de chaîne, la fin d'un cycle,
18:54 tout simplement, puisque finalement, dans le livre,
18:56 on comprend qu'eux-mêmes ne savent pas très bien.
18:58 – Non, et alors, eux ne savent pas, à mon avis,
18:59 parce que la traçabilité était nulle, et du coup, moi, je ne sais pas non plus.
19:03 Parce qu'on avait obtenu avec l'association
19:06 que certaines familles qui le souhaitaient puissent avoir des infos
19:08 sur ce à quoi avait servi le corps de leurs proches.
19:11 Donc moi, j'ai fait la demande parce que j'avais envie de savoir,
19:14 et j'ai reçu juste une lettre me disant
19:16 qu'elle n'avait servi ni à la recherche ni à de la science.
19:19 – C'est embêtant.
19:20 – Oui, c'est embêtant, surtout qu'elle donnait pour ça.
19:22 Voilà, donc je dis, ben ok, mais à quoi a-t-elle servi ?
19:25 Et là, on me répond "secret médical".
19:28 Donc ça ne tient pas, évidemment, mais non, ils n'ont pas voulu me dire.
19:31 – Marrant d'être attachée au secret médical, là.
19:33 – Ah oui, mais c'est intéressant.
19:34 – Parce qu'on a connu des temps où c'était moins important.
19:36 – Ah oui, complètement, ouais, complètement, c'est quand ça les arrange.
19:40 Alors du coup, ben je ne sais pas, et je veux absolument savoir
19:44 s'il y a des registres, et normalement, il y en a.
19:46 Normalement, ils sont même informatisés, ça je l'ai su après.
19:49 Donc moi, je veux absolument qu'on me dise ce qui s'est passé,
19:51 même si c'est terrible, même si c'est un truc abominable,
19:54 au moins, je saurais.
19:55 – Ne pas savoir est pire.
19:56 – Exactement, c'est pire que tout.
19:57 Parce que vous imaginez, vous fantasmez des trucs horribles,
20:00 alors que si ça se trouve, c'est terrible quand même,
20:03 mais ils l'ont peut-être laissé pourrir dans un coin,
20:05 puisqu'ils laissaient pourrir les corps,
20:06 et ils se sont aperçus au bout de deux mois qu'il était plus praticable,
20:08 et ils l'ont incinéré.
20:09 Peut-être que c'est juste ça, mais dites-le moi, que je sache.
20:14 – Merci beaucoup, Laurence Deseliers, pour cet ouvrage très dur à lire.
20:18 Évidemment, on imagine votre peine et votre chagrin.
20:20 Je vous invite tous à prendre conscience de ce qui est un scandale d'État
20:24 et de suivre d'ailleurs l'avancée de cette justice,
20:27 qui peut-être passera, je vous rappelle le nom de cet ouvrage,
20:29 "Pardon maman, pour ce qu'ils t'ont fait, séchez plomb",
20:32 et c'est toujours disponible sur la boutique de TVL sur TVL.fr.
20:36 À bientôt.
20:37 [Générique]

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