Il suffit de se rendre sur un grand site de ventes de livres en ligne pour découvrir l'abondance de la littérature sur le pape Pie XII. L'immense majorité des études porte sur la question de la Seconde Guerre mondiale et la problématique du "silence" pontifical face à la Shoah. Les unes relèvent du réquisitoire pur et simple, les autres de l'hagiographie complète. L'historien honnête et équilibré peine donc à se faire entendre, et ce d'autant plus qu'il se heurtait jusqu'à peu à un blocage, certes majeur mais pas insurmontable : la non accessibilité des archives pour le pontificat de Pie XII (1939-1958). Pour évoquer les faits, l'historien Frédéric Le Moal présente son ouvrage "Pie XII : Le pape face au mal".
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00:00Bonjour à tous.
00:22Il est présenté comme le pape d'Hitler, un complice des nazis, indifférent face aux
00:27persécutions.
00:28Pourtant, au lendemain de la guerre, le pape Pie XII a été remercié aussi bien par les
00:33survivants de l'Holocauste que par les plus hautes autorités juives.
00:36Alors comment cet homme est-il passé du statut de héros à celui de complice passif de l'antéchrist?
00:42Quelle est la manipulation?
00:44Où est la vérité?
00:45Grâce à la toute récente ouverture des archives du Vatican, nous allons pouvoir, avec
00:50notre invité, réexaminer le dossier Pie XII.
00:53Frédéric Lemoyle, bonjour.
00:55Bonjour cher monsieur.
00:56Vous êtes docteur en histoire, professeur au lycée militaire de Saint-Cyr-École et
01:00à l'Ircomme d'Angers et vous êtes un spécialiste des relations internationales, vous intéressant
01:05particulièrement à l'Italie.
01:07Vous avez publié en 2015 Victor Emmanuel, un roi face à Mussolini, en 2018 Une histoire
01:14du fascisme, en 2022 Les hommes de Mussolini.
01:17Je vous ai d'ailleurs reçu à ce micro pour ces deux derniers ouvrages que vous avez publiés
01:23chez Perrin.
01:24Tout comme vous avez publié, vous venez de publier chez Perrin, Pie XII, le pape face
01:31au mal.
01:32Alors ce qui fait l'intérêt de ce livre, c'est qu'il fait suite à l'ouverture des
01:37archives du Vatican en 2020 et qu'il apporte une foule de nouveautés concernant l'attitude
01:43très controversée du pape Pie XII durant la seconde guerre mondiale.
01:48– Alors avant de rentrer dans le vif du sujet, un mot sur ces fameuses archives.
01:53Pourquoi sont-elles restées si longtemps cachées ? C'étaient des archives secrètes ?
01:59– Alors, il n'y avait rien, il n'y avait pas de volonté de cacher de la part du Vatican.
02:05Les archives s'ouvrent par pontificat.
02:08Donc c'est un pontificat après l'autre.
02:11La dernière ouverture datait de 2005, c'était les archives du pontificat de Pie XI.
02:18Dans lequel, évidemment, le futur Pie XII a été impliqué, puisqu'il a été le
02:23cardinal secrétaire d'État, c'est-à-dire le numéro 2 du Saint-Siège, de Pie XI.
02:27Donc ça nous avait déjà appris beaucoup de choses.
02:29Mais il fallait en réalité classer une masse absolument considérable d'archives, puisque
02:38ça a été un pontificat évidemment qui s'est étalé de 1939 à 1958 et qui a produit des
02:43tonnes de documents, donc il fallait tout classer.
02:46Et en plus numériser.
02:48Donc cela prenait beaucoup, beaucoup de temps.
02:51Et donc, bien sûr, nous butions, nous historiens, sur cette fermeture des archives, ce qui entraînait
02:58évidemment de notre part beaucoup de frustrations.
03:00Alors nous avions d'autres possibilités pour connaître…
03:03– Mais il y a quand même eu des biographies de Pie XII qui sont sorties d'avant.
03:06– Et ça ne manque pas, il ne manque pas.
03:08– Ça ne s'y liait pas avant.
03:09– Donc nous pouvions en fait avoir accès quand même à un certain nombre d'éléments.
03:14Alors, de deux manières, le Saint-Siège sur ordre de Paul VI avait mis, publié une
03:21série de livres, de documents qui avaient été choisis dans les archives et qui avaient
03:27été publiés, ça s'appelait Actes et documents du Saint-Siège, uniquement consacrés à
03:32la Seconde Guerre mondiale.
03:33Et donc on pouvait y lire un certain nombre de documents.
03:37– C'était en réponse aux polémiques dont nous parlerons, qui s'apparaissaient.
03:40– Suite à la polémique dans les années 60, qui était née dans les années 60.
03:44Et donc c'est 11 volumes, c'était 11 volumes, et ce n'est pas une lecture forcément
03:48très facile ni agréable, parce que ce sont des documents bruts, mais nous permettait
03:52quand même de connaître un certain nombre d'éléments sur la position et les décisions
03:57du Pape pendant la Seconde Guerre mondiale.
03:59Et puis nous avions accès à tous les autres documents d'archives qui étaient accessibles,
04:06les archives italiennes, les archives françaises, britanniques, américaines, belges.
04:10Donc voilà, si on voulait savoir, on pouvait savoir, mais il nous manquait quand même
04:16les archives du Vatican.
04:17– Alors qu'est-ce qu'il y a dans ces archives ?
04:18– Alors en mars 2020, le Pape François a ouvert officiellement ces archives en disant
04:23que l'Église n'avait pas peur de la vérité, et il nous a ouvert les portes de ces cartons.
04:30Et donc on a vu pour la première fois tous ces documents inédits, et le principal mérite
04:37de ces documents, c'est qu'ils nous permettent de rentrer dans le saint des saints, c'est-à-dire
04:40de rentrer dans le fonctionnement de la Curie, dans le fonctionnement de la Secrétairie d'État,
04:45jusqu'au bureau même du Pape, et ça nous permet de connaître ce que nous, historiens,
04:50nous appelons le processus de décision, c'est-à-dire les débats entre les prélats, les débats
04:56entre les prélats et le Pape, entre le Pape et ses principaux collaborateurs, de voir
05:01les lignes de fractures, les lignes de convergences, et voilà, par les documents, on peut savoir
05:09les avis des uns et des autres, notamment par des annotations, le Pape annotait de sa
05:12main, avec sa petite écriture très fine, les documents qui lui étaient présentés,
05:18il y avait des comptes-rendus faits par ses collaborateurs comme Mgr Tardini ou Mgr Montini,
05:24des entretiens qu'ils avaient avec le Pape, et donc on est vraiment rentré au cœur de
05:30la machine curiale, et ça nous a ouvert évidemment des perspectives absolument prodigieuses.
05:35– Alors avant d'aborder la Seconde Guerre mondiale, et puis généralement la politique
05:40du Vatican face au totalitarisme, parce qu'il ne faut pas oublier également le communisme,
05:44– Bien sûr.
05:45– Donc je propose de revenir rapidement sur la carrière de Geno Pacelli, qui fut le dernier
05:51Pape romain.
05:52– Exactement.
05:53– Il est né à Rome, en quelle année ? Il a commencé, il a eu une vocation très tôt.
06:00– Alors, il est né à Rome en 1876, au sein d'une famille, le Pacelli, qui est une famille
06:05au service de la papauté, son grand-père a fondé lo Salvatore Romano, le journal du
06:13Vatican qui existe toujours, et donc il voit le jour dans une famille évidemment à la
06:19fois extrêmement profonde, une piété très forte, au service du Saint-Siège, et en fait
06:26là je viens un peu de résumer le personnage, c'est-à-dire que très tôt, sa vocation
06:31est née très tôt, il était enfant et il jouait aux prêtres, il simulait la célébration
06:38de la messe, il enseignait le catéchisme aux enfants du concierge de son palazzo, et
06:47donc sa vocation de prêtre s'affirme très tôt, il n'y avait bien sûr aucune opposition
06:52bien au contraire de la part de ses parents, et il entre donc au séminaire, il est ordonné
06:59en 1899, mais en réalité très tôt, il commence sa carrière en fait à la secrétairie
07:05d'État en 1901, à la fin du règne de Léon XIII, et il la poursuit en fait sous
07:13Pidis, et en fait il est remarqué très rapidement pour son intelligence très forte,
07:20ses énormes capacités de travail, et sa fidélité absolue assez supérieure, toute
07:26sa vie il obéira à ses supérieurs, ce qui lui permet de faire carrière à travers les
07:32différents pontificats, donc il commence bien sûr sous Léon XIII, il poursuit sa carrière
07:37sous Pidis, qui a une autre orientation que son prédécesseur, et sa carrière se poursuit
07:42et même s'accélère sous Benoît XV, qui là aussi est une ligne différente de celle
07:47de Pidis.
07:48– Et Benoît XV surtout qui est le pape de la Première Guerre Mondiale, ça va être
07:52une expérience, cette Première Guerre Mondiale, parce que je crois qu'il est nommé nonce
07:56à Munich en 1917.
07:57– Voilà, c'est une expérience fondatrice pour lui, parce que sa carrière en effet
08:00comme je l'ai dit s'accélère sous Benoît XV, puisqu'il hérite en 1917 du poste très
08:07prestigieux de nonce à Munich, d'ambassadeur du pape à Munich, non pas à Berlin, parce
08:13que Berlin c'est la capitale de l'Empire du Reich, et donc le pape ne peut pas avoir
08:19d'ambassadeur auprès d'un souverain protestant, donc l'ambassade qui a été conservée,
08:24c'est l'aspect un peu complexe de l'Empire de Guillaume II, l'ambassade est restée
08:30à Munich auprès du roi de Bavière qui était bien sûr un roi catholique, et il est nommé
08:35donc ambassadeur avec une mission, c'est d'aider Benoît XV à obtenir de la part
08:43du gouvernement allemand un soutien aux propositions de paix que le pape fait en août 1917, c'est-à-dire
08:50une série de propositions qui est adressée à l'ensemble des belligérants et autour
08:55desquelles les belligérants pourraient se mettre d'accord pour discuter et sortir
09:00par la négociation du conflit.
09:03Donc c'est une mission extrêmement importante qu'il confie à l'un de ses meilleurs diplomates
09:07qui est Eugenio Pacelli, de diplomate en Allemagne.
09:13– Bon on sait que malheureusement la boucherie continue parce que les propositions de Benoît XV
09:17ne sont pas retenues.
09:19– Voilà parce que la papauté en fait, la papauté a une vision de la guerre qui ne
09:25correspond pas à la guerre que mènent les grandes puissances, c'est-à-dire que ces
09:28grandes puissances mènent une guerre qui doit s'achever par la victoire totale, nette
09:35et définitive de l'ennemi, alors que la papauté vise à une sortie négociée et
09:40en quelque sorte égalitaire si vous voulez, entre les grandes puissances.
09:44Donc en fait ils ne parlent pas la même langue.
09:46– Alors après la guerre il se retrouve cette fois-ci à Berlin en 1920, toujours comme
09:51nonce.
09:52– Comme nonce.
09:53– Et quelle est cette expérience ? Il commence à bien connaître l'Allemagne, il est germanophile,
09:59il aime l'Allemagne ?
10:00– Il connaît très bien l'Allemagne, alors il est effectivement germanophile et
10:04ça lui était très durement reproché à l'époque, notamment en France et ça continue
10:09encore aujourd'hui, alors il faut bien s'entendre sur ce que recoupe ce terme de germanophile.
10:13Il l'est incontestablement, il aime l'Allemagne, pour le contraire ce n'est pas un crime,
10:19mais il faut bien préciser quelle Allemagne il aime, l'Allemagne qu'il aime c'est
10:22l'Allemagne catholique, c'est la Bavière, c'est la Rhénanie, c'est cette Allemagne
10:27qui est enracinée dans un catholicisme encore très traditionnel et l'Allemagne qu'il
10:33n'aime pas, et d'ailleurs il ne s'en cache pas, c'est l'Allemagne du Nord,
10:36l'Allemagne protestante, il déteste la ville de Berlin, qu'il qualifie de ville
10:40athée et protestante, pour lui Berlin c'est Luther et Marx, donc ce n'est pas du tout
10:46un univers, en plus ce n'est pas du tout un univers qu'il apprécie, mais il aime
10:52effectivement l'Allemagne et il apparaît notamment dans la diplomatie française comme
10:59l'homme de l'Allemagne, alors ce qu'il n'est pas véritablement, mais il faut bien
11:03se rendre compte que la papauté a condamné le traité de Versailles, considérant que
11:09c'était un traité de vengeance qui humiliait l'Allemagne et qui empêchait ce à quoi
11:14la papauté aspirait, c'est-à-dire la réconciliation entre les différents peuples
11:20qui s'étaient livrés à la guerre, et donc ce positionnement en faveur de l'Allemagne
11:27dans le traitement qui était infligé à l'Allemagne a contribué à perturber les
11:32relations entre la France et le Vatican, même après le retour des relations diplomatiques
11:38en 1921, et Pacelli apparaissait véritablement comme l'homme de l'Allemagne, donc il
11:43n'était pas du tout apprécié, alors il faut lire vraiment les articles de l'Action
11:46française à l'époque, mais alors vraiment qu'il vitupère à longueur d'articles
11:51le nonce Bosch, comme on l'appelle, qui était Eugenio Pacelli.
11:55Et toutes ces expériences donc vont l'affirmer dans son rôle de diplomate, donc c'est
12:00un vrai diplomate, quel genre de diplomate est-il ?
12:02Alors un diplomate très habile, entièrement dévoué à sa tâche, avec des capacités
12:06de travail absolument inouïes, il a appris l'allemand qu'il ne connaissait pas pour
12:09bien parler la langue de ses interlocuteurs, et c'est un diplomate très habile puisqu'il
12:14a réussi à négocier plusieurs concordats, un concordat avec la Bavière, puis un concordat
12:20avec la Prusse, c'est là aussi la particularité de l'Allemagne de cette époque, il manquait
12:27un concordat avec l'État allemand proprement dit, qui n'a été réalisé, signé qu'en
12:321933, mais là avec le pouvoir nazi, mais donc là il fait preuve vraiment de toute
12:35son habileté, et on voit ses préoccupations, et notamment, il y a deux préoccupations
12:40très fortes, c'est la nomination des évêques, il faut que Rome puisse nommer des évêques
12:46dans la bonne ligne, et la préoccupation de l'école, de l'enseignement de la religion
12:50à l'école, car il s'inquiète énormément de l'influence du protestantisme et de l'influence
12:58des courants modernistes au sein du catholicisme, et il veut vraiment veiller, et ça toute
13:03sa vie c'était cette ligne, à la bonne éducation catholique des enfants.
13:07– Alors il devient secrétaire d'État en 1929, qu'est-ce que c'est qu'un secrétaire
13:12d'État au Vatican ? – C'est le premier ministre du pape en
13:15fait, c'est le numéro 2, qui est nommé par le pape, et renvoyé quand le pape le
13:20décide, c'est son principal collaborateur, c'est lui qui gère vraiment les affaires,
13:27sous l'impulsion évidemment, sous l'autorité complète du pape, et c'est notamment le
13:31secrétaire d'État qui dirige la diplomatie, et c'est lui qui donne les instructions
13:36aux nonces, et qui reçoit tous les ambassadeurs étrangers.
13:41– Et quel rapport a-t-il avec Pionz, ils ont des caractères très opposés ?
13:45– Alors ce sont deux personnalités complètement opposées, Pionz est un homme extrêmement
13:51autoritaire, de plus en plus colérique avec l'âge, qui supporte de moins en moins la
13:56contradiction, alors que Pacelli est un homme très doux, et qui par définition aime le
14:01compromis, qui aime la négociation, et qui a horreur des conflits, et donc c'est deux
14:09hommes totalement différents, mais Pionz a voulu Pacelli à ce poste.
14:14– Parce qu'il connaissait ses défauts ? – Parce que justement, il connaît ses
14:18propres défauts à lui, il connaît la personnalité de Pacelli, et donc en fait ça a été un
14:23attelage qui a très bien fonctionné, parce qu'à chaque fois qu'il y avait une grosse
14:28colère de Pionz, et au fur et à mesure des années, elle s'accumule, et bien il dit
14:31à Pacelli, bon vous arrangez ça, et il doit arrondir les angles, ce qui fait que, et ce
14:37qui est peu commun dans la papauté, c'est que Pionz dit à qui veut l'entendre, qu'il
14:42veut Pacelli comme successeur, alors que normalement le pape ne doit pas choisir son successeur,
14:48il a tout fait, vraiment, pour que le poids de Pacelli au sein du sacré collège ne cesse
14:55de grandir, il l'a fait connaître médiatiquement, on dirait aujourd'hui, en organisant des
14:59voyages, un voyage en Argentine, un voyage aux États-Unis, des voyages en France, pour
15:06que vraiment ça devienne un personnage connu, et que sa candidature et son élection deviennent
15:11incontournables à la mort de Pionz, qui advient en 1939.
15:16Mais là nous sommes en 1933, et c'est l'arrivée d'Hitler aux voies, quelle est la réaction
15:20du Vatican et de Pacelli ?
15:24Alors, pour la réaction de Pacelli, on a un certain nombre d'éléments qui nous font
15:28penser qu'il voit ça avec une grande inquiétude, il voit l'arrivée d'Hitler…
15:31Des éléments qui sont sortis des fameuses archives ?
15:33Des archives, et puis qu'on connaissait déjà par des témoignages et par d'autres
15:38archives, notamment je suis allé dans les archives belges, qui ont été en fait extrêmement
15:44riches, qui m'ont vraiment beaucoup apporté d'éléments de compréhension du personnage,
15:48et on voit bien que c'est en fait un anti-nazi de la première heure, il voit le nazisme
15:53monter en bavière alors qu'il y est, qu'il y énonce, et en fait il perçoit vraiment
15:58très bien dans le nazisme un nationalisme extrêmement puissant, violent, et il perçoit
16:04aussi qu'il y a un anti-christianisme et un anti-catholicisme particulier dans le nazisme.
16:12C'est un mouvement qui lui a fait horreur immédiatement, et c'est lui qui en fait
16:17en 1933 réussit à convaincre Pionz qui accueillait plus favorablement l'arrivée d'Hitler
16:24au pouvoir, que c'était un mouvement extrêmement dangereux parce que Pionz y voyait surtout
16:28un mouvement anti-communiste, ce qui est le cas de beaucoup de gens à l'époque, et
16:32Pacelli qui connaît très très bien toutes les affaires allemandes comme nous l'avons
16:35dit et ce mouvement, bien qu'il n'ait jamais rencontré Hitler, en fait comprend
16:40le danger.
16:41Mais voilà, les allemands se sont donnés un gouvernement et c'est bien avec ce gouvernement
16:45qu'il va falloir négocier.
16:47Il faut qu'il négocie un concordat, on en a parlé tout à l'heure.
16:50Voilà, il va falloir négocier, c'est Hitler qui propose un concordat, et le Vatican accepte
16:55cette idée de négociation, alors non pas pour aller se compromettre, et encore moins
16:59pour aller légitimer le national-socialisme, mais parce que justement, plus le pouvoir
17:05apparaissait dangereux, plus cette idéologie apparaissait dangereuse, et plus il fallait
17:09négocier un concordat, tout simplement pour préserver l'Église, pour préserver les
17:14institutions catholiques.
17:15Quel est le danger réel pour les catholiques ?
17:17En fait, le danger, c'est la nomination des évêques, il faudra purement régler très
17:23clairement juridiquement la nomination des évêques, et puis préserver l'action de
17:29l'Église.
17:30C'est-à-dire que le concordat est fait pour que l'État laisse l'Église faire
17:35son travail, c'est-à-dire annoncer l'évangile et faire son travail d'évangélisation,
17:40et notamment dans les écoles.
17:41Donc il fallait avoir des garanties juridiques pour que les écoles fussent préservées,
17:46pour que les organisations catholiques de jeunesse fussent préservées, pour que les
17:50journaux catholiques fussent préservés, et tout cela est inscrit dans le concordat,
17:56et donc il n'a jamais regretté d'avoir signé le concordat avec Hitler, concordat
18:01qui a été immédiatement violé par les nazis, parce que le Vatican disposait d'un
18:07moyen de protestation, d'un moyen juridique pour émettre des protestations qui se sont
18:11accumulées au fur et à mesure des années, ce qui n'a rien changé à l'hostilité
18:16des nazis pour le christianisme en général et le catholicisme en particulier.
18:21– Il a vu, ils ont vu arriver les premières persécutions des juifs bien évidemment,
18:26mais est-ce que les catholiques aussi ont été foulés ?
18:28– Alors en fait à l'époque, ce qui préoccupe le Saint-Siège, c'est les persécutions
18:33contre les catholiques, c'est l'interdiction de certains journaux, de revues, l'interdiction
18:40de certaines organisations, les tracasseries qui sont faites aux écoles catholiques, des
18:46prêtres qui peuvent être arrêtés parce qu'ils peuvent avoir une influence politique,
18:51un positionnement politique qui ne plaît pas au pouvoir.
18:53Donc c'est ça qui inquiète énormément le Saint-Siège, davantage que les persécutions
19:00effectivement antisémites, bien qu'elles étaient connues et prises en compte, mais
19:07pas plus que Pi-12, Pi-11 n'émettra, n'a émis pardon, de protestations publiques contre
19:13ces diverses persécutions.
19:15– En revanche, ce qui va être public, ce sont les encycliques de 1937,
19:19il y a deux encycliques, vous allez me rappeler le nom ?
19:22– Alors il y a deux encycliques qui sont publiées en mars 1937,
19:27on appelle les encycliques de Pâques, il y en a une troisième sur le Mexique,
19:29mais bon passons, c'est une encyclique en latin,
19:33Di Uni Redemptoris, qui condamne le communisme,
19:36et donc en latin parce qu'elle s'adresse évidemment à l'ensemble des catholiques
19:39puisque le communisme représente un danger mondial et universel,
19:44et une autre encyclique publiée en allemand,
19:46Mit Breidender Sorge,
19:48– Qui veut dire ?
19:48– Dans ma brûlante inquiétude,
19:50– Et la première ça veut dire en latin ?
19:51– Par la rédoption de Dieu, et donc l'encyclique en allemand
19:59vise uniquement, le nazisme s'adresse uniquement aux catholiques allemands,
20:05et c'est un texte de condamnation de l'idéologie du national-socialisme.
20:11Alors ce qui est très intéressant c'est que cette encyclique a été rédigée
20:15en collaboration avec les évêques allemands qui sont venus à Rome,
20:18Pacelli y a joué un rôle moteur, ce qui n'est pas le cas de la précédente,
20:22c'est plus les jésuites qui s'en sont occupés,
20:25donc là il est vraiment l'architecte de ce texte,
20:29les archives nous montrent qu'il a durci un certain nombre de passages
20:33qui avaient été rédigés d'abord par les évêques allemands,
20:36alors ce qui est très intéressant c'est que
20:39lorsque cette encyclique est publiée en Allemagne le dimanche des Rameaux,
20:44entrée clandestinement en Allemagne au nez à la barbe de la Gestapo,
20:49lue en chair par les prêtres, ça provoque une déflagration,
20:53le pouvoir nazi est absolument hors de lui,
20:56et il y a des arrestations qui sont ordonnées,
21:00des écoles qui sont fermées, des séminaires même qui sont fermés,
21:04donc il y a eu une répression,
21:06donc protestation égale répression supplémentaire,
21:09Pacelli va le garder dans l'esprit,
21:12et à l'époque tout le monde comprend,
21:14même si le mot nazisme n'est pas prononcé,
21:16même si le mot Hitler n'est pas prononcé,
21:18c'est une condamnation extrêmement forte de ce qu'est le nazisme,
21:21c'est-à-dire de l'adoration, au sens religieux du terme,
21:24de l'adoration de la race et du sang.
21:27– Et de l'État.
21:28– Et de l'État, mais vraiment de la race et du sang,
21:31et aussi de cette volonté qu'avaient certains nazis,
21:34en fait de rejeter l'Ancien Testament
21:37pour ne garder que le Nouveau Testament,
21:39vous comprenez bien pourquoi,
21:40pour couper le christianisme de sa racine juive,
21:42et dans l'encyclique il est réaffirmé d'une manière très nette
21:45que les deux sont absolument indissociables,
21:48la nouvelle alliance est indissociable de l'ancienne,
21:52et ce qui est très intéressant c'est qu'aujourd'hui
21:53un certain nombre de mes confrères considèrent
21:55que ce texte ne va pas assez loin,
21:57ce qui n'était pas considéré à l'époque,
21:59puisqu'il ne condamne pas spécifiquement l'antisémitisme des nazis.
22:05– Alors à propos de l'antisémitisme,
22:07un petit mot sur l'antijudaïsme,
22:10voire l'antisémitisme qui pouvait régner au sein de la curie,
22:14qu'en est-il réellement ?
22:15– Alors ça, les archives du pontificat de Pie XII
22:18nous l'ont vraiment confirmé d'une manière très nette,
22:23les prélats au sommet de la secrétairie d'État
22:26et qui entourent le pape sont marqués par ce qu'on appelle l'antijudaïsme,
22:32c'est-à-dire un certain nombre de volontés,
22:38non pas de rejet du judaïsme,
22:40mais de stéréotypes, de préjugés antijuifs qui sont extrêmement forts,
22:47le peuple déicide qui reste marqué par le Vendredi Saint,
22:51par la mise à mort du Christ, et ça c'est très très fort,
22:57même sur des prélats comme par exemple Monsignor Tardini
23:00qui est vraiment un collaborateur très proche du pape,
23:02qui était aussi anti-nazi qu'il était anti-fasciste
23:05et qu'il était anti-communiste,
23:07alors il y a de sa part effectivement un certain nombre de préjugés.
23:11Ce qui est très intéressant c'est que le maintien
23:14de ces préjugés traditionnels de l'antijudaïsme
23:17n'empêche pas ces prélats sur ordre de Pie XII
23:21de mener des actions de sauvetage en favour des juifs
23:25qui s'adressent à eux,
23:27ça n'a pas été une barrière qui aurait empêché le Vatican
23:32d'agir en favour des juifs qui étaient persécutés,
23:36il faut bien insister là-dessus.
23:38On y est en 1939, donc deux choses,
23:40c'est un, la guerre,
23:42et deux, Pacelli devient pape, le pape Pie XII,
23:47et alors donc quelle va être la stratégie du pape
23:51durant la guerre jusqu'en 1943,
23:53en 1943 il se passe encore autre chose,
23:56donc vous dites qu'il sauve des juifs,
23:58mais de quelle manière, quel moyen a-t-il,
24:00quel moyen le Vatican, l'église catholique a-t-elle pour sauver des juifs ?
24:03– En fait très peu, c'est ça aussi ce que nous montrent les archives,
24:05c'est qu'ils disposaient en fait de très peu d'éléments.
24:08Le Vatican se heurte d'abord à la volonté exterminatrice des nazis,
24:13contre laquelle il ne peut absolument rien faire,
24:16le non sa Berlin, Mgr Orzenigo,
24:19quand il s'adresse aux nazis pour savoir ce que devient telle ou telle personne,
24:25c'est un black-out, si vous me permettez, mauvais français,
24:29total de la part des nazis,
24:31les nazis ne répondent pas aux sollicitations et aux questions que pose le non.
24:38Ensuite ils se heurtent à la souveraineté des états,
24:41des états satellites de l'Allemagne,
24:43qui participent eux aussi à l'arrestation et la déportation des juifs,
24:48aux persécutions, qui refusent de céder aux sollicitations,
24:52là aussi des dénonces et aux pressions des dénonces.
24:55Le Vatican se heurte au refus des états neutres d'accueillir les juifs,
24:59il faut bien rappeler que les états neutres, notamment d'Amérique latine,
25:03à part quelques-uns, ne voulaient pas ouvrir leurs portes.
25:06– C'est-à-dire que le Vatican essaie de trouver des visas ?
25:09– Voilà, c'est ça, c'est-à-dire que…
25:10– Ça se passe comment, c'est sur le terrain,
25:11c'est au niveau des églises, des paroisses ?
25:14– En fait le Vatican reçoit des demandes de sauvetage…
25:18– De la part de qui ?
25:19– De juifs persécutés, italiens ou non, pour faire quelque chose.
25:23Et le seul élément, la seule action que peut faire le Vatican,
25:29c'est de s'adresser aux ambassades des états neutres
25:32afin d'obtenir des visas, et ces états ne veulent pas.
25:36Par exemple le Brésil dit, écoutez, nous on veut bien,
25:39mais attention, que des juifs convertis au catholicisme,
25:43et pas depuis récemment,
25:45pour pas que certains aient reçu une sorte de faux baptême,
25:48si vous voulez, uniquement pour être sauvés.
25:51Et là, le Vatican, là les archives nous le montrent très bien,
25:53exerce des pressions très fortes en faveur des juifs,
25:58en faveur des juifs baptisés, mais même de fraîche date,
26:01et ils se hortent à des refus, la plupart du temps, des états.
26:05Et c'est très malheureux parce qu'on voit sur les archives
26:08des annotations écrites par les prélats,
26:11disant, voilà, un cas désespéré, nous ne pouvons rien faire,
26:15c'est trop tard.
26:16En fait, on voit des gens qui sont impuissants.
26:22On a des... Je ne suis pas d'accord avec l'idée
26:25qu'ils auraient fait preuve de tièdeur.
26:28Moi, quand on lit les documents, j'ai plus l'impression
26:30de gens qui sont impuissants à enrayer la machine infernale,
26:35la machine d'extermination infernale.
26:38Alors en Allemagne, comment ça se passe ?
26:39Les cardinaux, les évêques allemands,
26:41sont en relation permanente avec le Saint-Siège ?
26:43– Oui, en relation permanente.
26:45Ils sont d'ailleurs des hommes très proches de Pacelli
26:48parce qu'il a favorisé leur nomination.
26:53Et là aussi, c'est très caractéristique de Pidou,
26:56c'est-à-dire qu'il leur laisse, comme à tous les évêques,
26:58pas seulement les allemands, mais à tous les évêques,
27:00il leur laisse une grande liberté de décision,
27:02lui qu'on présente toujours comme une sorte de tyran avec une tiare,
27:06il leur laisse un grand pouvoir de décision
27:08car ils sont les plus à même de juger de la situation de leur diocèse
27:12et donc à prendre les bonnes décisions.
27:15Et on voit ça pour les épiscopats français, les épiscopats allemands.
27:18– Ils sont dans les autres pays catholiques, occupés,
27:22la France, la Belgique, pays catholique occupé,
27:27puis aussi en Europe de l'Est également,
27:30ou même en Roumanie, enfin d'autres, tous ces pays-là.
27:34Comment ça se passe ?
27:34Quelles sont les relations avec, un, les évêques,
27:37deux, avec les gouvernements ?
27:39Les gouvernements collaborationnistes ou non ?
27:40– Alors là, les situations sont très diverses
27:42puisque par exemple, si on prend l'exemple de la Slovaquie,
27:43c'est un prêtre, Monseigneur Tissot, qui gouverne le pays
27:47et collabore d'une manière extrêmement forte à l'extermination des juifs.
27:55– Et là, il est désavoué par le…
27:57– Et là, il n'y a pas de possibilité pour le Saint-Siège d'agir sur lui.
28:03Monseigneur Tissot est absolument intraitable
28:05et on a un rapport par exemple du nonce,
28:08la partie Slava qui discute avec le Premier ministre Slovaque
28:12et le nonce fait un compte-rendu de son entretien
28:15justement au sujet des persécutions antisémites
28:20et à la fin, le nonce finit sa dépêche en disant
28:23mais ce n'est pas la peine que je poursuive ce compte-rendu
28:26de mon entretien avec un fou.
28:28Donc on avait une situation qui était là, très bloquée en fait.
28:32Et d'un autre côté, en Pologne,
28:34la Pologne c'est la grande préoccupation de Pi-12
28:36parce que les nazis expérimentent en fait
28:39ce que devrait être l'Europe du futur, l'Europe nazie,
28:42c'est-à-dire une Europe sans église, sans église catholique.
28:45Ils expérimentent des régions sans évêques, sans prêtres.
28:50Les persécutions sont terrifiantes contre l'église catholique polonaise
28:55qui en quelque sorte incarne aussi l'identité de la nation polonaise.
29:00Et en fait, quand Pi-12 parle des persécutés ratiaux pendant la guerre,
29:05en réalité nous savons qu'il pense aux juifs et aux polonais.
29:10– D'ailleurs les juifs, concernant les persécutions,
29:13toutes les exactions, voire l'Holocauste,
29:15est-ce que le Vatican est au courant et si oui, comment ?
29:19– Alors là, les archives nous apportent une réponse claire et définitive,
29:23oui, le Vatican était au courant de ce qui se passait.
29:29Jusqu'en 1942, on voit un Pi-12 qui place les persécutions antisémites
29:39à peu près au même niveau que les autres persécutions
29:41dont font preuve les nazis.
29:44À partir de fin 1942, deuxième partie de 1942,
29:49pardon, seconde partie de 1942 et surtout l'année 1943,
29:52là il y a une pleine conscience de ce qui se passe à l'Est
29:55et du caractère génocidaire,
29:59mais le mot n'existe pas donc il n'est pas employé.
30:02Mais Pi-12 prend vraiment conscience
30:03que là il se passe quelque chose d'absolument terrifiant à l'Est.
30:07On trouve l'expression dans les archives de persécution totalitaire.
30:11Comme ils n'ont pas le mot génocide,
30:12ils emploient cette expression qui est très révélatrice.
30:16Ils connaissent bien la Shoah par balles et ils connaissent les mises à mort par gaz.
30:23Le mot Auschwitz se trouve dans les archives.
30:26Donc le Vatican est très bien renseigné par les prêtres,
30:30par les évêques, par les aumôniers militaires de l'armée italienne
30:34qui participent à la campagne de Russie
30:36et qui envoient énormément d'informations.
30:38Et nous avons des témoignages là aussi
30:41qui nous décrivent un Pi-12 terrifié par ce qu'il entend
30:44et même pleurant devant les récits qui lui sont faits.
30:50– Mais parallèlement à ça, il se tait toujours.
30:53Donc on est toujours dans cette stratégie du silence.
30:56Alors on peut se poser la question, est-ce que ça aurait valu le coup ?
30:59Est-ce que ça aurait été efficace de parler ?
31:01– Alors ça c'est évident la question.
31:03– Mais donc cette stratégie du silence, elle est vraiment voulue ?
31:05Elle est affirmée ? Elle est écrite ?
31:06– Elle est voulue. Elle est voulue par le Pape.
31:08Je pense que c'est une stratégie vraiment assumée très tôt et qu'il l'a tourmentée.
31:16Ça j'en suis persuadé pendant la guerre.
31:18Il en fait la confidence à Mgr Roncalli dès 1941.
31:22Mgr Roncalli c'est le futur Germain de Troyes.
31:24Et il lui dit, mais que dira-t-on de mes silences sur le nazisme ?
31:28Mais malgré cela, il l'a assumée.
31:30– Les silences sur le nazisme, il a parlé,
31:32mais c'est surtout sur les persécutions.
31:33– Oui bien sûr, bien sûr.
31:34On est en 1941, il fait allusion bien sûr à cela.
31:38Alors tout simplement, et il s'en est expliqué lui-même,
31:42il n'a jamais renié son silence.
31:44Il l'a expliqué après la guerre pour ne pas aggraver la situation.
31:51Alors bien sûr, maintenant certains de mes confrères disent,
31:53mais est-ce que la situation pouvait être pire ?
31:55La remarque n'est pas bête, mais lui considérait
32:01qu'on pouvait aggraver les choses comme ça s'était passé en Hollande,
32:05où lors de la rafle des Juifs de Hollande, les évêques avaient protesté
32:12et l'occupant nazi avait raflé également les baptisés, les Juifs baptisés.
32:18Donc le pape avait vu là que la protestation pouvait aggraver les choses.
32:24Et donc il s'était tu.
32:26Donc il s'est voulu, pour ne pas aggraver les choses,
32:29pour préserver les structures secrètes.
32:34Et je raconte dans la biographie que des réseaux secrets d'aide,
32:39des membres de ces réseaux lui font comprendre
32:42que moins il parle et mieux c'est,
32:44parce qu'il vaut mieux agir dans la discrétion.
32:47Et donc c'est cette stratégie qu'il adopte,
32:51mais un silence qui devient de plus en plus mesuré au fur et à mesure
32:57qu'il apprend tout ce dont j'ai évoqué.
33:01Et en décembre 1942, les pressions sont très fortes.
33:05Il y a des pressions pour qu'il se taise, y compris dans son entourage,
33:08comme Mgr Tardini, qui est tout sauf un pro-fasciste,
33:10mais qui lui dit qu'il vaut mieux se taire
33:12et agir dans le secret et dans la discrétion.
33:15Mais de l'autre côté, il y a des pressions inverses au sein de la Curie,
33:18ça les archives nous le montrent,
33:19des cardinaux qui lui disent qu'il faut parler absolument,
33:22soit en consistoire, soit d'une autre question.
33:25Mais on ne peut pas se taire parce que ça nous sera reproché.
33:28Les Alliés font d'énormes pressions également de l'autre côté.
33:31Et ces pressions conduisent au discours du 24 décembre 1942,
33:37en fait, qui essaie de trouver un juste équilibre entre les deux tendances.
33:41C'est-à-dire qu'il évoque ceux qui, à cause de leur race ou nationalité,
33:47sont voués à un progressif dépérissement.
33:50Et il pense aux Polonais et aux Juifs, sans prononcer le mot nazi,
33:55sans évidemment désigner aucun dirigeant nazi,
33:59car il pense au risque qu'encourent les catholiques allemands.
34:03Et il reparle en juin 1943.
34:06Et là, il prononce le mot extermination très clairement,
34:11ceux qui sont voués à une extermination,
34:13parce que les informations se sont accumulées.
34:16Et là, il pense être allé le plus loin possible,
34:20aussi loin qu'il pouvait aller,
34:22que sa position de pape de tous les catholiques,
34:25y compris les catholiques allemands, pouvait lui permettre d'aller.
34:28Ce qui est intéressant, c'est que le discours, notamment de décembre 1942,
34:32est accueilli avec enthousiasme par la presse Alliée,
34:36qui comprend très bien ce qu'il désigne,
34:38et qui est très mal reçu par les forces de l'Axe,
34:42notamment Mussolini, qu'il a écouté à la radio,
34:44et qui était absolument hors de lui après ce discours,
34:48parce qu'il en avait bien compris la substance.
34:50– Donc ça, le discours de juin 1943.
34:53Et en juillet, il va se trouver, lui, confronté véritablement
34:57à l'occupation allemande, puisque c'est la chute du régime fasciste.
35:01Donc les Allemands occupent l'Allemagne.
35:05– Qu'est-ce qui se passe ?
35:06Ça se passe sous cette fenêtre, maintenant.
35:07– L'Italie, pardon.
35:09– Ça se passe sous cette fenêtre.
35:10– Voilà, septembre 1943, tout change.
35:13– Tout change.
35:15Est-ce qu'il y a des actions encore plus concrètes sur le thème ?
35:18Ce sont ses compatriotes qui sont…
35:19– Là aussi, c'est très intéressant sur les controverses
35:21qui nous opposent, nous, historiens,
35:24puisque, effectivement, à partir de septembre 1943,
35:27Rome est occupée.
35:29Pas le Vatican.
35:30Le Vatican est un État neutre, indépendant, depuis 1929,
35:34et donc les Allemands se sont bien gardés d'aller occuper le Vatican.
35:39Donc il y a une ligne blanche, la célèbre ligne blanche,
35:42qui sépare la place Saint-Pierre du reste de Rome,
35:46qui matérialise la limite à ne pas franchir.
35:50Et il y a également, dans Rome, un certain nombre de bâtiments
35:52qui bénéficient du statut d'extraterritorialité,
35:55puisqu'ils appartiennent au Saint-Siège.
35:57Donc ces palais, ces palazzi, doivent être préservés.
36:03Les Allemands ne doivent pas rentrer dedans,
36:05ni même des Italiens, puisque ça appartient au Saint-Siège.
36:09Donc Rome est occupée, et dès octobre 1943,
36:13les Allemands font ce que Mussolini refusait de faire,
36:16c'est-à-dire qu'ils raflent les Juifs.
36:18C'est-à-dire que Hitler…
36:21Est-ce que la protestation publique,
36:23vous me posez la question tout à l'heure,
36:24est-ce qu'une protestation publique aurait changé les choses ?
36:26On est incapable de le dire, bien évidemment.
36:28Moi, la seule chose que je vois, c'est que Hitler
36:30n'a même pas hésité à rafler les Juifs dans la ville du Pape,
36:33c'est-à-dire sous les fenêtres même du Pape.
36:36Donc octobre 1943, c'est la terrible rafle du ghetto de Rome.
36:41Face à cette situation, dans Rome même,
36:44il garde sa stratégie d'action souterraine.
36:48Il agit sur l'ambassade allemande,
36:52en menaçant d'une protestation publique,
36:54et il agit par d'autres canaux sur le commandement militaire allemand.
37:00Avec une certaine efficacité,
37:01puisqu'il n'y aura pas d'autres rafles par la suite.
37:07Ceux qui ont été arrêtés sont emprisonnés dans Rome.
37:13Le Saint-Siège agit, là aussi,
37:16en faveur de ceux qui ne correspondent pas aux critères ratio des nazis.
37:21Ceux qui, par exemple, auraient dans leur arbre
37:25une généalogie que pas suffisamment de Juifs
37:28pour être considérés comme Juifs,
37:29ou ceux qui auraient déjà été baptisés.
37:32C'est reproché aujourd'hui en disant
37:33vous voyez, il veut sauver que les siens,
37:36mais en fait c'était les seuls sur lesquels il avait un pouvoir d'action.
37:38C'était les seuls sur lesquels les nazis pouvaient éventuellement céder.
37:42Et effectivement, ça permet le sauvetage d'un certain nombre d'entre eux.
37:47Et puis de l'autre côté, vous avez ceux qui ont échappé au rafle,
37:50et donc qui se cachent dans Rome,
37:52soit dans les bâtiments d'extraterritorialité,
37:56soit dans des bâtiments qui n'ont pas ce statut,
38:00mais on fait croire, on met de fausses pancartes
38:04pour faire croire qu'ils appartiennent au Saint-Siège,
38:06ou alors qu'ils se cachent dans les couvents de Rome.
38:10Et là aussi, il y a une divergence entre nous, historiens,
38:15puisque vous avez un courant qui affirme
38:17que ça s'est fait à l'insu du Pape,
38:19c'est-à-dire que les couvents ont été ouverts…
38:22– Qui étaient vecs de Rome.
38:23– Voilà, ont été ouverts sans l'autorisation du Pape,
38:27parce qu'on n'a pas d'ordre écrit.
38:28Alors, je suis désolé, deux choses.
38:31La première, c'est qu'on m'explique comment un couvent
38:34de religieuses coulâtrées peuvent ouvrir leurs portes
38:38sans l'ordre de l'évêque du coin, qui est en l'occurrence le Pape,
38:42et qu'on m'explique comment Pidouce peut donner des ordres écrits
38:45dans une ville occupée par les Allemands.
38:48– Et sachant que le téléphone existe.
38:49– Tout à fait.
38:50Et on a beaucoup de témoignages qui étaient écoutés.
38:53Attention, c'est piégé,
38:56tous les téléphones du Vatican sont sur écoute.
39:00Mais des ordres, en fait, oraux ont été donnés,
39:02et on a plusieurs témoignages de ces religieuses et religieuses
39:05affirmant très clairement qu'ils agissaient sur ordre du Pape.
39:11– Alors, on va arriver maintenant à la préguerre,
39:14pour terminer cette émission.
39:16Et la préguerre, il y a toutes les polémiques qui vont suivre,
39:18mais elles ne vont pas suivre tout de suite.
39:22Parce que, pour preuve, vous commencez votre livre
39:24sur la journée du 13 février 1945,
39:26où on voit le grand rabbin de Rome, Yisrael et Yitzholi,
39:31se faire baptiser et prendre, même pour nom de baptême,
39:34le prénom du Pape. Génial.
39:35– Voilà, cette action de démarche personnelle
39:40était quand même très symbolique et révélatrice de la gratitude.
39:44– Il n'est pas le seul, on peut dire ça.
39:45– Bien sûr, que les survivants, même sans aller jusqu'au baptême,
39:48parce que ça c'est une démarche personnelle,
39:51la gratitude que les juifs survivants à Rome et ailleurs
39:55exprimaient vis-à-vis du Pape, en particulier,
39:58et de l'Église catholique en général,
40:01pour les avoir cachés, pour les avoir sauvés.
40:04Il y a quelques critiques, donc la majorité des critiques,
40:08en fait, viennent du monde non-juif.
40:10Je pense par exemple à François Mauriac ou Albert Camus,
40:13qui ont eu des mots très très durs contre le silence pontifical.
40:17C'est d'ailleurs Emmanuel Mounier, dans la revue Esprit,
40:20qui avait ouvert le bal dès 1939, au moment de l'invasion de l'Albanie.
40:25Mais voilà, c'est des voix qui se perdent dans un concert de louanges.
40:30La papauté est sortie de la guerre avec une image extrêmement positive.
40:35Et cette image, en fait, positive, est attaquée par les communistes.
40:42C'est-à-dire que…
40:42– Je voudrais quand même citer Goldheimer,
40:44qui, au moment de l'oraison funèbre de Pacelli,
40:50dit, pendant la décennie de terreur nazie,
40:51quand notre peuple a subi un martyre terrible,
40:53la voix du peuple s'est élevée pour condamner les persécuteurs.
40:55On ne peut pas dire mieux.
40:58Alors, bien que là aussi, certains de mes confrères disent,
41:01oui mais c'est diplomatique, c'est des paroles diplomatiques,
41:03parce qu'Israël voulait se rapprocher du Vatican à l'époque,
41:06ce qui n'est pas faux,
41:07mais enfin, elle le dit quand même très très clairement,
41:09c'est Goldheimer, c'est lui quand même qui le dit.
41:12En fait, les attaques viennent surtout des communistes,
41:16qui, dès 1944-1945, Radio Moscou,
41:19et puis la presse communiste en Europe et les studios utiles,
41:23qui ne manquaient pas,
41:25attaquent le pape sur la collusion, en fait, avec le nazisme.
41:29C'est eux qui commencent la première offensive contre le pape.
41:32– Ils ne pardonnent pas l'encyclide de 1937.
41:34– Évidemment, évidemment, ils ne pardonnent pas,
41:37et puis surtout l'anticommunisme, en fait, extrêmement fort de Pidouze,
41:41et les attaques que Pidouze lance contre l'Union soviétique,
41:44dès 1944-1945,
41:46l'Union soviétique qui prend le contrôle de la moitié de l'Europe,
41:49il faut quand même le rappeler.
41:52Et donc là, on a une première série d'attaques,
41:54et on a une autre, la grande offensive,
41:57c'est celle qui commence en 1959-1960, orchestrée par le KGB.
42:03– Donc ça, on a les sources ?
42:04– Alors ça, c'est sourcée, orchestrée par le KGB,
42:08sur ordre du camarade Khrouchchev,
42:10afin de lancer une offensive contre la papauté,
42:16sur la mémoire de Pidouze,
42:19afin de nazifier Pidouze,
42:22afin d'associer la papauté au nazisme,
42:26et opération de désinformation absolument remarquable,
42:31qui trouve sa concrétisation en 1963,
42:35dans une pièce de théâtre, écrite par Rolf Ohruth, le vicaire,
42:40qui présente effectivement Pidouze comme un pro-nazi,
42:43et un pape très timoré et silencieux face à l'extermination des juifs,
42:48qui a eu un succès considérable, un écho considérable,
42:52qui a provoqué des débats extrêmement vifs à l'époque.
42:55– Et ce Ohruth, on sait qu'il est payé par les services secrets ?
42:58– Alors lui, il est plus manipulé qu'autre chose,
43:01par les services secrets soviétiques,
43:03son producteur Irving, qui lui, vraiment, travaille pour les soviétiques,
43:08donc c'est une entreprise de désinformation,
43:09qui est lancée au début des années 60, dans un contexte particulier,
43:13il y a eu le procès Eichmann juste avant,
43:15qui a remis sur le devant de la scène la question de la Shoah,
43:19qui était quand même vraiment très mise de côté dans le domaine mémoriel.
43:24Vous avez l'arrivée à l'âge adulte des boomers,
43:27qui ont une autre vision de la seconde guerre mondiale,
43:30beaucoup plus critique que celle de leurs parents,
43:33et puis en 1963, on est en plein concile,
43:35et je ne suis pas naïf au point de croire que c'est dû au hasard,
43:39puisque plusieurs pères conciliaires appelaient
43:42à une nouvelle condamnation du communisme par le concile,
43:46condamnation qui n'aura d'ailleurs pas lieu,
43:48et si vous voulez, associer l'Église et la papauté au nazisme,
43:54c'était la décrédibiliser.
43:57– D'un autre côté, que craignait vraiment l'URSS de Khrushchev du Vatican ?
44:02– Il faut quand même se rappeler qu'à l'époque du camarade Khrushchev,
44:06qu'on présente toujours comme quelqu'un de sympathique,
44:08tout en rondeur, puis il a dénoncé Staline,
44:10donc il est gentil par rapport à un méchant,
44:13tout ça c'est une blague,
44:14donc c'était un tortionnaire parmi les tortionnaires,
44:16un stalinien parmi les staliniens,
44:18et son passage à la direction de l'Union soviétique
44:21correspond à une phase d'athéisme extrêmement virulent,
44:25de militants et de persécutions anti-religieuses.
44:30– Dans toute l'Europe de l'Est ?
44:32– Dans toute l'Europe de l'Est, et particulièrement en Union soviétique,
44:34mais en fait dans tout le bloc soviétique,
44:36et il s'agissait de faire taire l'Église catholique,
44:40puisqu'à l'époque de Pie XII, il y avait quand même eu une convergence,
44:45non pas une alliance, mais une convergence avec les États-Unis,
44:50et donc il s'agissait de faire taire la voix de l'Église,
44:54de la décrédibiliser, afin de se débarrasser d'un ennemi
44:58qui est quand même important, puisque plusieurs États catholiques
45:01étaient désormais sous la férule des communistes.
45:04– Alors ça recommence, fin XXe siècle, il y a un film de Costa…
45:10– Qui adapte le vicaire.
45:11– Qui adapte le vicaire, et puis on voit même l'une du Times
45:15qui traite Pie XII de criminel de guerre,
45:17alors pourquoi ça recommence dans les années 2000,
45:20le communisme n'est plus…
45:22– Voilà, cette nouvelle offensive ne vient pas des communistes,
45:25mais vient plutôt des milieux catholiques progressistes,
45:29notamment américains, anglo-saxons,
45:31qui lancent une nouvelle offensive par de très nombreux livres,
45:35La Palme revenant à John Cornwell,
45:38qui écrit un livre intitulé dans son titre anglais
45:41The Hitler's Pope, le pape d'Hitler,
45:44l'éditeur français a traduit ça, le pape et Hitler, c'était plus neutre,
45:48et en fait derrière cette offensive des milieux catholiques progressistes
45:52anglo-saxons, se cache une attaque contre le pontificat de Jean-Paul II,
45:59il s'agissait là aussi de décrédibiliser la papauté,
46:04la figure pontificale, en rappelant combien la papauté
46:10s'était, en quelque sorte, mal agie pendant la seconde guerre mondiale,
46:16il ne faut pas oublier que les attaques contre Jean-Paul II
46:19et notamment contre Benoît XVI,
46:22quand ils proclament les vertus héroïques de Pidou,
46:25ces attaques sont énormément venues de la presse anglo-saxonne,
46:29des grands journaux de la côte nord-est des États-Unis.
46:35– Alors bien sûr, 2020, ouverture des archives du Vatican,
46:39ça a été finalement assez peu médiatisé,
46:42tout ce qui pouvait contredire la thèse du pape d'Hitler.
46:45– Alors, c'est ça qui est, hélas, très intéressant,
46:49c'est que quand l'ouverture des archives a été annoncée,
46:52la presse en a beaucoup parlé, on allait enfin savoir.
46:55– Et puis quand on a su…
46:56– Et puis voilà, comme les archives confirment ce que l'on savait déjà,
47:01c'est-à-dire qu'il n'y a eu ni nazisme, ni complicité, ni antisémitisme
47:08de la part des dirigeants du Saint-Siège et du premier d'entre eux,
47:11évidemment, pour prendre une expression chiracienne,
47:14si vous permettez, ça fait pchit.
47:16– Merci Frédéric Lemoyne. – Merci à vous.
47:18– Merci surtout pour ce livre qui remet toute l'histoire dans le contexte
47:22et nous permet de comprendre la stratégie du silence adoptée par Pidouze,
47:26il y en avait une autre, on ne le saura jamais,
47:28et surtout c'est un livre qui rétablit la vérité
47:31et c'est ça qui est le plus important.
47:33Merci infiniment.
47:34C'était Passer présent, l'émission historique de TVL,
47:38réalisée en partenariat avec la revue d'Histoire Européenne.
47:41Vous allez maintenant retrouver Christophe Erlan et sa petite histoire,
47:44mais n'oubliez pas de vous abonner à notre chaîne YouTube
47:47et de cliquer sur le pouce levé sous la vidéo.
47:49Merci, à bientôt.
47:51♪ Générique de fin ♪
48:12Aujourd'hui, mes amis, je vais vous parler d'un temps où il y avait encore des hommes,
48:16un temps où l'honneur avait encore un sens
48:18et où on n'allait pas porter plainte pour tout et n'importe quoi.
48:21Je vais vous parler d'un temps où l'on pratiquait encore le duel.
48:24Petite histoire du duel.
48:26♪ Générique de fin ♪
48:41♪ Musique douce ♪
48:47Je ne vais pas m'attarder sur les formes très anciennes de duel,
48:51dans l'Antiquité, dans les anciens temps.
48:53On en retrouve chez les Germains, mais c'était plutôt des combats singuliers.
48:57On en retrouve évidemment chez les Romains, mais ce n'était pas vraiment des duels,
49:00c'était aussi des combats singuliers sous forme de spectacles.
49:03♪ Générique de fin ♪
49:20Quel spectacle !
49:21Au Moyen-Âge, on pratiquait ce qu'on appelle le duel judiciaire.
49:24C'était totalement intégré dans les procès, c'était encadré par la justice
49:29et c'était une manière de départager deux parties
49:32et on considérait que le vainqueur était celui qui avait eu les faveurs de Dieu,
49:37donc c'était en quelque sorte un jugement de Dieu.
49:39Prêt ?
49:40Prêt !
49:44Vous ne l'avez pas senti ?
49:45Si.
49:46Non mais vous ne l'avez pas senti venir ?
49:47Ah non.
49:48Ouais, enfin, c'était pas exactement comme ça non plus.
49:50Vers le XVIe siècle est apparu ce qu'on appelle le duel du point d'honneur.
49:55C'était un duel qui était pratiqué par l'aristocratie, par les nobles.
49:58Les nobles étaient très batailleurs, bagarreurs et ils défendaient leur honneur à tout bouchon.
50:03Il y avait des milliers de duels chaque année.
50:06Tous les rois de France ont tenté de l'interdire
50:08mais les édits étaient très peu appliqués, très peu respectés
50:12et pour la noblesse, c'était également un moyen de défier le pouvoir royal grandissant.
50:16On se battait vraiment pour tout et n'importe quoi, parfois jusqu'au grotesque
50:20et c'est pourquoi les rois, non seulement pour des questions de morale religieuse
50:25mais aussi pour que la noblesse ne s'entretue pas et qu'on perde des milliers de nobles à cause de ça
50:31les rois ont toujours tenté de l'interdire sans grand succès.
50:34Puis est venu le temps de la Révolution.
50:36A la Révolution, tous les édits royaux ont été abolis
50:39et parmi ces édits royaux, il y avait ceux interdisant le duel.
50:43Donc non seulement la Révolution a permis, dans le cadre de la loi, que les duels soient autorisés
50:49mais en plus, elle n'a jamais légiféré pour les interdire.
50:52Ce qui fait qu'à partir du XIXe siècle, on constate une nette augmentation des duels et des victimes de duels
51:00tout simplement parce que tout le monde s'y mettait.
51:02Avec la Révolution, les guerres de la Révolution et de l'Empire, il y a eu une militarisation de la société
51:08et puis avec la chute de l'aristocratie, tout le monde a voulu s'adonner aux duels.
51:12Une anecdote très amusante, c'est qu'à la chute de l'Empire en 1815
51:16de nombreuses personnes se sont plus à provoquer en duel les occupants
51:21les Russes, les Autrichiens, donc il y a eu une sorte de réaction par rapport à cette occupation
51:26qui a entraîné une recrudescence des duels, mais cette fois contre des soldats, des militaires étrangers.
51:31En 1836, c'est là que le duel va littéralement se codifier, il y avait déjà des règles bien avant évidemment
51:38mais là c'est un véritable manuel que publie le Comte de Châteauviart, donc en 1836
51:44avec un essai nommé tout simplement « Essai sur le duel ».
51:47Ce livre est véritablement un livre de règles du duel codifié, l'offensé doit choisir le lieu, la date et les armes
51:55parmi les armes, on a le droit à l'épée, au sabre et au pistolet.
51:59Le duel se fait au commandement, c'est-à-dire que l'arbitre doit taper trois fois dans ses mains
52:04la première fois pour armer son arme s'il s'agit d'un pistolet, la deuxième fois pour viser et la troisième pour tirer.
52:11Chaque dueliste a le droit à deux témoins, il y a deux témoins par personne qui sont là pour s'assurer
52:16que tout est fait dans l'ordre et en plus que l'un ou l'autre n'exagère pas, ils sont là aussi pour inciter
52:22à arrêter toute cette violence et à réconcilier les deux hommes.
52:26Évidemment il y a deux formes de duel, le duel à mort qui s'arrête tout simplement par la mort d'un des deux duelistes
52:33et le duel au premier sang qui est apparu dès le XVIe siècle, donc dès qu'il y a une coupure, un petit bobo
52:39et bien la personne est déclarée perdante.
52:41Tout ceci a donné une floraison de nouveaux romans qui mettaient en scène des duelistes qui se battaient à l'épée
52:48c'est les fameux romans de cape et d'épée écrits par des écrivains qui eux-mêmes pratiquaient le duel.
52:53Les écrivains à l'époque, même Voltaire, on peut dire ce qu'on veut de Voltaire, mais les écrivains à l'époque
52:58ils assumaient leurs propos jusqu'à la pointe de l'épée, là on n'était pas dans du Marc Lévy ou autre.
53:03Avec le parlementarisme ensuite on a vu émerger un nouveau type de duel, avant c'était les duels d'honneur
53:09et bien maintenant on voit émerger des duels politiques, ils étaient nombreux à pratiquer les duels politiques
53:14particulièrement Clémenceau qui s'est beaucoup battu en duel.
53:17Ils impliquaient des politiques, des parlementaires, mais aussi des journalistes.
53:22Les personnalités qui s'essayent au duel sont très nombreuses donc je ne vais pas toutes les citer
53:27mais on peut citer Proust, Deroulaide, Drumond, Jaurès, Clémenceau, Boulanger
53:33et là sur cette vidéo d'archive, on voit un duel entre Charles Maurras, le petit à gauche, et Cassania
53:40qui était un député bonapartiste du Gers.
53:42A cette période on se battait toujours pour l'honneur évidemment, mais teinté de querelles politiques,
53:48on avait droit à des vrais politiques à l'époque.
53:50Je vais te faire courir, tu vas voir le rouquin là-bas, t'es pédé !
53:54Tiens, en parlant de Jeanmas, sachez que le dernier duel en France a eu lieu en avril 1967,
53:59il a opposé Gaston de Fer à René Ribière et sur ce document d'archive,
54:04vous pouvez voir que figurent parmi les témoins avec son joli bandeau, Jean-Marie Le Pen.
54:09Le XXème siècle marque un tournant, comme il n'y a plus ou très très rarement de duel à mort,
54:15eh bien le duel devient tout simplement risible.
54:17Et puis les nombreuses pertes entraînées par les deux guerres mondiales
54:21rendent le duel totalement dérisoire, on voit ça comme du bogachi.
54:25Ce qu'il est important de souligner aussi, c'est qu'à partir de la guerre de 14,
54:29l'honneur disparaît peu à peu.
54:31Avant, les soldats, les guerriers, les nobles, ils se battaient pour l'honneur,
54:35ils étalaient leurs compétences.
54:37Alors qu'en 14, eh bien même les plus braves et les plus compétents d'entre eux,
54:41eh bien ils se retrouvaient au même plan que le petit soldat
54:43à s'enterrer dans les tranchées sous les obus.
54:46C'est un facteur important, on peut dire que quelque part,
54:49la guerre moderne a un peu entraîné avec elle toutes les valeurs d'honneur
54:53qui étaient avant accolées à cette pratique.
54:56Bon, depuis, c'est quand même revenu, la guerre a évolué.
54:58Mais l'honneur n'est pas revenu pour autant,
55:00aujourd'hui, on règle tout en justice pour tout et rien d'ailleurs.
55:03Malgré tout, on en garde encore un très bon souvenir,
55:06avec nostalgie, nous qui n'avons pas connu ça,
55:09à l'époque où les hommes avaient encore de l'honneur et étaient encore des hommes.
55:12On en garde aussi quelques anecdotes amusantes,
55:15comme cette fois où Sainte-Beuve a voulu combattre en duel
55:18sans se séparer de son parapluie,
55:20parce qu'il préférait, dit-il, être tué que mouillé.
55:24On peut aussi citer ce duel spectaculaire
55:26où les deux concurrents se sont affrontés pour faire les choses en grand
55:30à bord de leur montgolfière respective.
55:33Et là, c'était à celui qui trouerait le premier le ballon de l'autre,
55:36l'obligeant à s'écraser 800 mètres plus bas.
55:39Ce qui n'a pas manqué d'arriver d'ailleurs.
55:41Il y a aussi ce duel qui a duré 19 ans.
55:44Il oppose les généraux Fournier et Dupont de l'étang
55:47qui se sont battus en duel pour rien du tout à la base à Strasbourg
55:51et qui ne se sont plus lâchés pendant 19 ans.
55:54Tout ceci s'est produit pendant les guerres de l'Empire
55:57et ensuite sous la Restauration
55:58et ça a donné lieu à un très beau film,
56:01Les Duellistes.
56:24Un très beau film plein d'esthétisme et de très beaux plans
56:27qui nous parle de toutes ces valeurs d'honneur
56:30réalisées par Ridley Scott
56:31qui s'est d'ailleurs lui-même inspiré de Stanley Kubrick
56:34avec son inénarrable Barry Lyndon.
56:54Un...
56:57Deux...
57:01Trois !
57:12Pour la petite anecdote,
57:13Kubrick s'était beaucoup inspiré des peintres
57:15pour mettre en scène ce film sublime
57:18avec ses cadrages et ses plans magnifiques.
57:20Ça provoque quand même pas mal de nostalgie de revoir tout ça.
57:23On aimerait bien que les duels reviennent aujourd'hui.
57:26Ça nous rendrait peut-être de vrais hommes.
57:28Ça permettrait que tout le monde ne raconte pas n'importe quoi sur tout le monde
57:32sans en assumer les conséquences.
57:34Et ça permettrait aussi, disons-le franchement,
57:36de sérieusement dégorger la 17e chambre correctionnelle.
57:40Et pour ceux qui ne le savent pas,
57:41sachez qu'il existe encore aujourd'hui
57:44une association qui milite pour le retour du duel.
57:46J'ai nommé l'Association pour le Rétablissement du Duel en matière de presse
57:51et qui est dirigée, présidée, par Bernard Lugan.
57:54Bernard Lugan, que vous connaissez sans doute,
57:56est ce qu'on pourrait appeler un nostalgique du duel.
57:58Et d'ailleurs, il n'a pas manqué de provoquer en duel
58:01de nombreux hommes politiques et journalistes
58:03qu'il avait diffamés ou attaqués.
58:05Étrangement, personne n'a donné suite à sa demande.
58:08Faut dire que la spécialité de Bernard Lugan,
58:10c'est le duel au sabre et à cheval.
58:12Quand même.
58:13Enfin bref, voilà tout.
58:15Merci à tous d'avoir suivi ce nouvel épisode de La Petite Histoire.
58:18J'espère qu'il vous a plu.
58:19Moi, c'était très agréable de le faire.
58:21C'était vraiment très intéressant.
58:23J'espère que ça a été intéressant pour vous également.
58:26Si c'est le cas, si vous voulez soutenir l'émission,
58:28n'hésitez pas à mettre un petit pouce bleu en dessous
58:31puisque ça aide beaucoup au référencement sur YouTube.
58:34Et il n'y a pas de raison que nous ne figurions pas
58:36un jour sur la page des tendances populaires de YouTube.
58:39Pourquoi pas ?
58:40Et puis commentez, partagez, enfin tout ça.
58:43Et n'oubliez pas, si vous aimez TV Liberté,
58:46de prendre votre petite carte d'adhérent pour cette année 2017.
58:50À bientôt !