Les 4 vérités - Laurent Berger

  • l’année dernière
Chroniqueur : Thomas Sotto


Thomas Sotto reçoit, Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, dans les 4 vérités.

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Transcript
00:00 [Musique]
00:03 Bonjour et bienvenue dans les 4V.
00:05 Bonjour.
00:06 Nous sommes donc le 21 juin, c'est le jour le plus long de l'année, c'est aussi le dernier pour vous.
00:09 Terminus, dans quelques heures vous ne serez plus secrétaire général de la CFDT.
00:13 Ce matin, on vous le vend, qu'est-ce que vous vous êtes dit ?
00:15 Je ne me suis pas dit que c'était mon dernier jour.
00:17 Non, tu as dit la tête de la CFDT.
00:19 Je me suis dit que c'était forcément une journée spéciale.
00:23 C'était un moment qui allait être à la fois un peu émouvant et un peu marquant.
00:27 Et puis je me suis dit que demain matin, je m'avérerais sans doute un peu plus léger en termes de charge mentale.
00:34 Je vais la transférer à Marie-Lise Léon.
00:36 Voilà, c'est à la fois un peu de nostalgie, c'est pour ça que c'est bien de le vivre avec les militants
00:42 et aussi un peu une forme de grande sérénité sur la suite de la CFDT.
00:47 Avec les militants parce que vous serez au Zénith tout à l'heure à Paris.
00:50 Depuis 11 ans, je vous ai interviewé je crois des dizaines de fois
00:53 et j'ai toujours eu le sentiment qu'il y avait chez vous la volonté de réussir à être utile.
00:57 Est-ce que vous pensez y être parvenu ?
00:59 J'espère. Ce n'est pas moi qui vais tirer mon propre bilan.
01:02 Mais oui, vous avez raison, c'est très juste d'ailleurs.
01:05 J'ai toujours dit que j'étais là pour essayer d'être utile, utile aux travailleurs, aux travailleuses, porter leur voix.
01:10 Je crois qu'on a fait émerger le monde du travail de façon différente depuis quelques années,
01:16 notamment ces fameux travailleurs de première et deuxième ligne qu'on a connus pendant le confinement.
01:20 J'ai toujours eu un point sur les inégalités et on a obtenu des résultats.
01:23 Alors ces résultats, on n'en parle jamais vraiment.
01:25 Je prends juste un exemple qui est significatif, notamment pour les salariés des petites entreprises.
01:29 La complémentaire santé payée par les employeurs du privé,
01:32 et ça va venir dans le public à 50% par l'employeur, c'est une vraie réussite.
01:36 Ça a été fait dans un accord en 2013.
01:38 Il y a tout un tas de choses qu'on a fait autour du télétravail,
01:41 autour de l'amélioration des conditions de travail,
01:43 des évolutions salariales dans certains secteurs professionnels.
01:45 Vous savez, le syndicalisme, ce n'est pas juste un ou une leader syndical.
01:48 C'est des milliers de salariés qui s'engagent syndicalement pour aider leurs collègues.
01:52 Ce n'est pas simplement des manifestations et des banderoles.
01:54 Je me suis toujours demandé si vous aimiez vraiment ça, les manifs, au fond de vous.
01:57 En vrai, au fond de moi, j'aime plutôt ça, oui.
01:59 Tout simplement parce que j'ai commencé très jeune avec mes parents à Saint-Nazaire,
02:05 que j'ai toujours été un militant depuis mon adolescence.
02:08 Mais j'ai toujours considéré que ce n'était pas l'alpha et l'oméga de l'action syndicale.
02:13 Vous savez, le syndicalisme, il a une image d'épinal qui est un peu surannée
02:17 et qui est dépassée.
02:19 C'est quoi cette image dépassée ?
02:21 L'image, c'est un homme plutôt âgé, plutôt en colère, qui gueule.
02:28 Ce n'est pas ça, le syndicalisme.
02:30 Pourtant, c'est ce qu'on a beaucoup vu ces derniers mois.
02:32 Vous avez vu beaucoup de jeunes, vous avez vu des gens divers.
02:34 Aujourd'hui, la CVT, par exemple, c'est 51% d'adhérentes.
02:37 On est plus une organisation de femmes que d'hommes.
02:40 Et il y a aujourd'hui une évolution sociologique.
02:43 On est représentatif dans 97% des branches professionnelles.
02:47 Nos plus grands champs professionnels, c'est plutôt les champs des services,
02:49 de la santé, du social, des secteurs plutôt féminins et pas toujours très faciles
02:53 au niveau des conditions de travail.
02:55 Vous voyez, le syndicalisme est très divers aujourd'hui, en tout cas au sein de la CVT.
02:59 Les dernières manifs contre la réforme des retraites, c'était le 6 juin.
03:01 Au final, après 14 journées de mobilisation, le gouvernement a gagné.
03:04 Quel goût vous laisse cette lutte-là ?
03:07 D'abord, je crois que c'était un formidable élan de dignité.
03:11 Vous avez raison, les 64 ans vont s'appliquer.
03:14 C'est dramatique, je le dis dramatique, pour un nombre de travailleurs et travailleuses,
03:19 parce qu'on voit bien, y compris dans les dernières études qui ont été menées,
03:21 que ce qu'on disait depuis le début, c'est-à-dire que ce sont ces travailleurs et travailleuses intermédiaires,
03:25 ceux de la deuxième ligue, qui vont être les plus impactés.
03:27 Mais je crois que le mouvement syndical a fait son travail,
03:31 son travail de contestation, de contre-argumentation, de contre-proposition,
03:34 même si certains nous disent qu'on n'a pas fait de contre-proposition, c'est faux.
03:38 Mais malheureusement, on n'a pas gagné.
03:40 Mais si on ne l'avait pas fait, on aurait fait comme si on pouvait marcher sur la figure de millions de salariés sans réaction.
03:48 Donc on a fait notre travail, et je crois que ça nous crée une grosse énergie,
03:51 une grosse confiance dans le syndicalisme.
03:53 On va rendre publique aujourd'hui une enquête faite auprès de salariés sur l'image du syndicalisme et de la CFDT,
03:59 qui montre qu'on a une grande confiance.
04:01 Donc maintenant, il faut utiliser cette confiance pour obtenir des droits nouveaux,
04:04 pour les salaires, sur la réconciliation de travail.
04:07 – Hier, on a appris que le COR, le désormais fameux Conseil d'orientation des retraites,
04:10 a fait savoir que la réforme des retraites ne suffira pas à remettre le système au vert.
04:13 Il redoute des déficits dès l'an prochain, et a minima jusqu'en 2045.
04:17 C'est donc qu'au final, elle était bien nécessaire, cette réforme ?
04:19 – Non, ça veut dire que ce n'était pas celle-là qu'il fallait faire.
04:22 C'est l'illustration que ce n'était pas celle-là qu'il fallait faire,
04:24 et qu'il fallait faire cette fameuse réforme systémique,
04:26 ce système universel des retraites,
04:28 et avec des mesures beaucoup plus justes et beaucoup plus ciblées.
04:31 Ça montre que c'était à l'aveugle.
04:33 Ça montre que le rapport du COR en question dont vous parliez,
04:35 il montre que les mesures sont extrêmement ciblées sur certaines générations,
04:38 et sur certaines catégories de salariés.
04:40 – Donc le sujet va rentrer sur la table ?
04:43 – Oui, il sera toujours sur la table, si on veut créer un système beaucoup plus juste.
04:47 Il montre que cette réforme, elle était injuste en fait.
04:49 – Bon, tout ça, à partir de la mi-journée, ne sera plus complètement votre affaire.
04:51 Laurent Berger, puisque vous avez donc passé la main à Marie-Lise Léon,
04:53 que vous citiez tout à l'heure, elle a 46 ans, elle était jusque-là votre numéro 2.
04:57 À la CGT, on a senti une vraie rupture en passant de Philippe Martinez à Sophie Binet.
05:00 Est-ce que la CFDT, ce sera bonnet blanc et blanc bonnet ?
05:03 – D'abord, nous on va le faire dans un cadre extrêmement apaisé et consensuel.
05:07 Mais non, vous savez, il n'y a pas de changement de ligne.
05:10 La CFDT est une organisation très cohérente aujourd'hui,
05:12 qui est très installée dans le paysage syndical,
05:14 qui est la première organisation syndicale de ce pays.
05:16 – Vous faites bien votre inventaire quand même.
05:18 – Mais il y a un changement, ben oui, mais c'est la réalité.
05:21 Mais il y a un changement de style, forcément.
05:23 On est très proche avec Marie-Lise Léon sur notre conception du syndicalisme,
05:27 elle est aussi plus jeune, elle a une autre histoire professionnelle.
05:33 Mais il y aura un changement de style, je le souhaite, on ne fait pas…
05:35 – Vous avez des conseils à donner à Emmanuel Macron
05:37 pour que ça se passe mieux avec elle qu'avec vous ou pas ?
05:39 – Je crois que… d'abord les conseils, je fais attention,
05:42 mais je pense qu'il faut écouter les organisations syndicales et la société civile.
05:45 On voit bien que les transformations qui sont à l'œuvre au niveau écologique,
05:48 les évolutions du travail, de la société, vont nécessiter beaucoup de compromis.
05:51 Et le compromis, on ne le fait pas tout seul dans son bureau en solitaire.
05:54 – Il vous a envoyé un petit message au chef de l'État ou pas ?
05:57 – Non, mais ce n'est pas grave, j'ai eu plein de messages très amicaux.
06:01 – C'est vrai, vous quittez un poste de pouvoir qui est exposé, un poste qui pèse,
06:04 est-ce que ça ne va pas vous manquer sincèrement ?
06:06 – Sincèrement non, non, sincèrement non, je sais que c'est un peu spécial.
06:10 – Là c'était ras-le-bol ?
06:11 – Non, ce n'était pas ras-le-bol, mais vous savez d'abord,
06:13 c'est très impactant pour son entourage, pour ma femme, ma famille, mes enfants,
06:20 donc je vais retrouver aussi un peu plus de liberté, parce que je crois avoir fait,
06:25 vous l'avez dit, je voulais être utile, je crois avoir fait mon job,
06:28 je l'ai fait comme j'ai pu, il y a des succès, des échecs.
06:30 – Et là, à partir de cet après-midi, demain, vous serez un ancien numéro 1
06:33 à la Hollande qui parle tout le temps ou à la Sarkozy qui parle très peu ?
06:36 – Ni l'un ni l'autre, mais là pour l'instant, je peux vous le dire,
06:39 je vais être très discret et silencieux, c'est parce que je le dois à la CFDT.
06:44 Et puis après, selon mes orientations, mes évolutions professionnelles,
06:48 je ne sais pas encore ce qu'elles seront aujourd'hui,
06:50 je verrai si je réinterviens dans le débat public,
06:53 mais ce ne sera jamais pour gêner la CFDT ou sur le sujet de la CFDT.
06:56 – Parce qu'on peut avoir eu un passé, une dizaine d'années,
06:58 tellement engagé, tellement assuré, et se dire, je me range des voitures,
07:01 tout ça, je renonce à faire changer les choses ?
07:03 – Ah non, non, non, je vais rester un militant, mais on peut faire changer les choses,
07:07 sans être tous les matins dans les médias, et on peut faire changer les choses,
07:10 sans être forcément engagé en politique, on peut le faire dans l'associatif.
07:13 – Est-ce qu'on vous fait trop parler, vous, les leaders syndicaux,
07:15 vous les ministres, vous les politiques, est-ce qu'on vous fait trop parler ?
07:18 – Non, je ne dirais pas ça, il y a des interviews où on va sur le fond des sujets,
07:22 sans flagornerie, c'est le cas avec vous,
07:25 et puis il y a des interviews où c'est vrai, on nous fait commenter la phrase de celui d'avant,
07:29 qui n'a pas d'intérêt, non, on ne nous fait pas trop parler,
07:32 mais on résume trop parfois l'action syndicale, l'action politique,
07:36 à quelques responsables nationaux, moi je le dis, ce sont des milliers et des milliers
07:40 de salariés qui s'engagent aujourd'hui dans le syndicalisme,
07:42 et qui font changer les choses pour leurs collègues,
07:44 et ça on n'en parle malheureusement pas assez.
07:46 – Quelles sont les causes qui pourraient vous faire vous ré-engager, Laurent Berger ?
07:49 – Ah ben ça je vais continuer à être engagé,
07:51 la question de la lutte contre les inégalités, notamment de la lutte contre la pauvreté,
07:55 la question de la transition juste, la transition écologique,
07:58 la question de migratoire et du soutien aux migrants,
08:02 voilà ce sont des sujets sur lesquels je me sens en phase,
08:06 la question du logement aussi, du mal-logement, voilà,
08:09 donc il y a plein de sujets, vous voyez, sur lesquels on peut agir.
08:11 – Je ne vais pas vous demander si vous allez devenir ministre, premier ministre ou calife à la place du calife,
08:14 je crois que vous avez déjà répondu non très clairement des dizaines de fois à ces questions,
08:18 en revanche dans un an il y a des élections européennes,
08:20 vous avez tweeté notamment sur le naufrage de migrants la semaine dernière au large de la Grèce,
08:25 est-ce qu'un engagement européen n'aurait pas de sens pour vous ?
08:28 – Je suis profondément européen, je viens de laisser la présidence
08:32 de la Confédération Européenne des syndicats il y a quelques semaines,
08:35 après 4 ans de mandats qui ont été denses mais impassionnants,
08:38 oui il y a un sujet européen mais on peut là aussi dans la société civile s'engager au niveau européen.
08:42 – Pas politique même au niveau européen ?
08:44 – Non mais encore une fois je ne m'engagerai pas à la recherche de suffrage,
08:47 ce n'est pas mon histoire, ce n'est pas ce que je veux faire,
08:50 ce n'est ni l'intérêt de la CFDT donc je vais rester à distance de ça,
08:55 mais ça ne veut pas dire que je ne parlerai pas d'où sera ma place,
08:58 si j'ai besoin de parler, si c'est utile et notamment sur le sujet européen,
09:01 parce que l'Europe, vous savez, c'est la question migratoire, pourquoi j'en ai parlé ?
09:05 Parce que là depuis ce matin, et c'est important, j'espère qu'ils vont s'en sortir,
09:08 on parle du sous-marin, il y a 500 personnes peut-être qui sont mortes la semaine dernière
09:13 et l'Europe n'est pas à la hauteur sur la question migratoire,
09:15 donc là oui, vous voyez, ça provoque de l'indignation
09:17 et quand il y a de l'indignation chez moi, il y a de l'engagement derrière.
09:20 – Bon, maintenant vous pouvez nous le dire, vous étiez vraiment potes avec Martinez ou pas ?
09:23 – Oui, on est plutôt en bons termes et je peux même vous dire
09:26 qu'on va sans doute aller boire un verre dans les semaines à venir ensemble
09:30 parce qu'on n'a pas eu tellement de temps les semaines dernières.
09:33 – Vous allez pouvoir débriefer, il y en a un dont on n'a pas parlé,
09:35 c'est un petit bonhomme de 5 ans, il s'appelle Emile, c'est votre petit garçon,
09:38 à lui vous lui dites quoi ce matin ?
09:40 – Eh bien je lui dis, demain matin c'est papa qui t'emmène à l'école
09:43 et c'est papa qui ira te chercher et ça déjà c'est sympa.
09:46 – Papa qui a des lunettes maintenant, c'est pour cacher un peu l'émotion ?
09:49 – Non, c'est parce que, c'est bon, vous savez vous, vous n'avez pas de basket ce matin,
09:53 vous avez des vraies chaussures, vous voyez on change un peu.
09:56 – C'est vrai, on s'adapte, on se connaît à force,
09:58 merci beaucoup Laurent Bergé d'être venu dans les 4V,
10:00 merci aussi de ces années engagées au service des autres,
10:02 c'est comme les politiques, ça mange les soirs, les week-ends et parfois la vie de famille,
10:06 alors qu'on soit d'accord ou pas d'accord, ça mérite d'être salué.
10:08 Bonne journée à vous.
10:09 – Merci à vous, merci pour tout.