Le "8h30 franceinfo" de François Gemenne

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00:00 *Musique*
00:06 - Bonjour François Gemenne. - Bonjour.
00:07 - On va évoquer dans un instant avec vous les négociations à Paris qui commencent demain pour réduire la pollution plastique.
00:13 Mais l'environnement et le climat ce sont deux de vos spécialités, il y en a une autre, en l'occurrence celle de l'immigration.
00:18 J'aimerais qu'on commence par là parce que ce matin le gouvernement se mobilise sur la question,
00:21 notamment Gérald Darmanin dans le Parisien, aujourd'hui en France, le ministre de l'Intérieur,
00:26 qui ouvre la voie au conditionnement des visas, à la modulation de l'aide au développement des pays concernés,
00:32 à la mise en oeuvre des laissés-passés consulaires, au conditionnement des aides sociales,
00:36 à 5 ans de résidence sur le territoire en l'occurrence, et pourquoi pas à des quotas d'immigration sur le travail.
00:41 Est-ce que ça répond au défi migratoire qui touche la France maintenant et qui nous attend aussi avec le changement climatique ?
00:48 - Pas du tout. La quasi-totalité des mesures proposées d'abord ce sont des mesures qui existent déjà,
00:54 c'est-à-dire que quand on parle de conditionnement des visas, on donne la pensée aux gens que les visas s'obtiennent comme ça,
00:59 simplement parce qu'il suffirait de les demander, alors qu'en réalité c'est très difficile d'obtenir un visa pour la France quand vous venez d'un pays du Sud.
01:05 Dès que nous organisons un colloque académique par exemple, nous avons toujours des collègues africains, asiatiques ou sud-américains
01:11 qui ne parviennent pas à avoir un visa et qui ne parviennent pas à venir au colloque.
01:15 Et donc en fait l'essentiel de ce qu'il annonce, ce sont des choses qui existent déjà
01:20 et surtout ce sont des choses qui ne sont pas du tout en phase avec les réalités actuelles des migrations et notamment des migrations forcées.
01:28 C'est-à-dire que d'abord on raisonne encore en termes franco-français, alors que bien entendu la réponse à cet enjeu
01:37 elle doit être au moins une réponse européenne sinon mondiale.
01:41 Mais tant qu'on se contentera de discuter de mesures strictement franco-françaises,
01:46 ce seront essentiellement des gesticulations politiques dans l'espoir d'attirer quelques électeurs supplémentaires aux élections européennes.
01:51 Parce que les vagues migratoires sont devant nous, c'est ce que dit souvent, puisque je parle de Gérald Darmanin,
01:55 je vais évoquer Nicolas Sarkozy, l'ancien président, il parle souvent de ces vagues migratoires qui seraient devant nous.
02:00 Il y a en réalité de plus en plus de motifs qui contraignent les gens à migrer,
02:06 que ce soit les inégalités, les inégalités évidemment de développement mais aussi les inégalités de droit et de liberté,
02:13 de plus en plus les impacts du changement climatique. L'an dernier, 34 millions de personnes ont été déplacées par des catastrophes climatiques.
02:20 Et donc il est certain que si on n'a pas une vision structurelle, et si on ne considère pas que la migration est un phénomène structurel,
02:28 on n'aura jamais de réponse appropriée. Et aujourd'hui on a tendance à considérer les migrations comme un problème conjoncturel dont il faudrait se débarrasser.
02:36 Et on espère que dans une logique de fermeture des frontières, on va se débarrasser du problème,
02:41 alors que ça ne fait en réalité que créer davantage de drame humanitaire avec déjà plus de 1000 personnes
02:46 qui sont décédées depuis le début de l'année aux frontières extérieures de l'Europe.
02:48 Face au défi structurel, il y a cet aspect de fermeture que vous évoquez, le gouvernement utilise le mot de fermeté.
02:53 Gérald Darmanin dit que ça va être la loi la plus ferme depuis 20 ans. Quand on voit dans les sondages que les Français disent majoritairement
03:00 "désormais il y a trop d'immigrés en France", est-ce que le gouvernement a le choix ?
03:04 Est-ce qu'il n'est pas obligé de toute façon de faire une nouvelle loi ?
03:07 J'ai envie de dire que ça fait facilement 20 ou 30 ans que le gouvernement, qu'il soit de gauche ou de droite, court après l'opinion sur ces sujets.
03:15 C'est une course perdue d'avance ?
03:17 Je ne dirais pas que c'est perdu d'avance, mais la loi proposée, la 22e ou la 23e depuis une vingtaine d'années,
03:25 chacune va un peu plus loin dans ce qu'ils appellent la fermeté, ce qui est en réalité une mauvaise façon de désigner la fermeture.
03:32 Je pense que nous avons besoin dans ce pays d'un débat plus apaisé et plus rationnel sur l'immigration.
03:40 C'est pour ça que je suis favorable à l'initiative d'une convention citoyenne sur l'immigration.
03:44 Pourquoi ?
03:46 Je vais préciser ma question. Qu'est-ce que ça changerait par rapport à un référendum que souhaitent les Républicains en disant
03:51 "si on doit consulter les Français, allons-y par la voie référendaire" ?
03:55 Le problème d'un référendum, c'est que vous êtes sur une question binaire, oui ou non,
04:00 et souvent les questions d'immigration ne se prêtent pas à des questions binaires,
04:04 et les référendums se transforment souvent en plébiscites pour ou contre le gouvernement.
04:08 Donc je ne pense pas que ce soit des questions complexes comme les questions d'immigration qui puissent être traitées par voie référendaire.
04:14 Par contre, l'intérêt d'un exercice comme la convention citoyenne, c'est que vous avez des citoyens qui vont pouvoir s'informer,
04:20 discuter avec des experts, qui vont avoir véritablement la formation d'une intelligence collective sur ces sujets,
04:26 et on espère que cette intelligence collective pourra ensuite infuser au reste du pays,
04:31 et que toute une série de malentendus, de mensonges parfois, soient enfin dissipés,
04:36 de manière à ce qu'on puisse avoir un discours plus réaliste, plus apaisé, pas forcément angélique,
04:42 mais qui reconnaisse enfin le caractère structurel et non conjoncturel des migrations.
04:46 Le gouvernement cherche, on l'a bien compris, un accord avec les Républicains.
04:49 Il y a tout de même un point sur lequel il marque ce matin leur désaccord, en l'occurrence.
04:54 Les Républicains pensent que c'est l'Europe qui empêche notre pays de légiférer.
04:58 Il faut rester dans le contexte européen, répond la Première Ministre Elisabeth Borne.
05:02 L'Europe, à travers les jurisprudences de la Cour européenne des droits de l'homme,
05:06 par exemple de la Cour de justice de l'Union européenne,
05:08 est-ce que les États n'ont pas perdu en partie leur maîtrise des migrations, des politiques migratoires ?
05:16 Il faut rappeler qu'en matière de politique d'asile et d'immigration,
05:20 les politiques européennes sont quasiment inexistantes,
05:23 à part les accords de Dublin qui sont dénoncés de toutes parts.
05:26 Il y a aujourd'hui dans l'Union européenne 27 politiques d'asile et d'immigration côte à côte,
05:32 non coordonnées, et c'est d'ailleurs bien cela le problème.
05:35 Et donc si nous voulons en réalité regagner une certaine forme de souveraineté,
05:40 puisque c'est le mot que tout le monde poursuit aujourd'hui,
05:43 il faut bien entendu passer par l'échelon européen.
05:45 Tant qu'on restera en train de raisonner à son propre niveau national...
05:49 Ce n'est pas un carcan vous dites aujourd'hui ?
05:51 Mais pas du tout, ce n'est pas du tout un carcan, c'est la seule voie pour aller de l'avant.
05:54 Parce que par exemple la majorité, je prends Laurent Marcangeli qui est le patron du groupe Horizon,
05:59 c'est un groupe qui est dans la majorité d'Emmanuel Macron,
06:01 il dit "la Convention européenne des droits de l'homme sur le droit au respect de la vie privée
06:04 nous contraint à accepter le regroupement familial par exemple".
06:06 Mais enfin, on en est aujourd'hui dans une situation où le débat public s'indigne
06:14 de devoir respecter des principes basiques de droits humains.
06:17 Bien entendu les enfants doivent vivre avec leurs parents.
06:19 Enfin, dans quel niveau sommes-nous arrivés pour que l'on en soit à considérer
06:24 que le respect basique des droits humains fondamentaux est une sorte de carcan ?
06:28 C'est juste ça que dit la Cour européenne des droits de l'homme.
06:31 La Cour européenne des droits de l'homme elle dit uniquement
06:33 il ne faut pas séparer les parents de leurs enfants, c'est la seule chose sur laquelle elle nous...
06:36 Sur ce point oui, elle dit toute une série d'autres choses,
06:39 que vous ne pouvez pas non plus tuer les gens aux frontières par exemple.
06:43 Il faut bien reconnaître que certains aujourd'hui souhaiteraient sans doute le faire.
06:45 Mais oui c'est fondamental la Cour européenne des droits de l'homme
06:48 et les droits humains en démocratie, c'est fondamental.
06:50 Où en sommes-nous que pour que ces droits fondamentaux soient remis en question
06:54 et soient considérés comme des obstacles à la législation ?
06:57 Et pour rester sur le dossier européen,
06:59 le gouvernement qui se cherche aussi des sources d'inspiration,
07:01 on regarde du côté du Danemark où un gouvernement social-démocrate
07:04 a mis en place des lois très dures sur l'immigration.
07:08 Est-ce que c'est une bonne inspiration ? Est-ce qu'il y a un modèle danois sur l'immigration ?
07:11 Non, certainement pas. Enfin, il faut bien...
07:13 Qu'est-ce qui s'est passé au Danemark ?
07:15 Ils se sont dit "pour lutter contre l'extrême droite, nous allons mettre en place son programme".
07:19 Et donc aujourd'hui, il faut rappeler que le Danemark,
07:21 c'est un gouvernement qui renvoie des réfugiés syriens chez eux.
07:25 C'est un gouvernement qui voulait faire un accord avec le Rwanda
07:28 pour, quelque part, arriver à une situation où il n'y aurait plus du tout de demande d'asile
07:32 qui soit possible au Danemark, où les demandeurs d'asile seraient envoyés au Rwanda.
07:36 Donc très clairement aujourd'hui...
07:37 Le gouvernement dit "ça a l'air d'être efficace", est-ce que c'est efficace ?
07:39 C'est le Royaume-Uni qui fait ça, qui a signé un accord avec le Rwanda.
07:43 Le Royaume-Uni est en train de signer un accord, effectivement, avec le Rwanda
07:46 pour se débarrasser complètement de ces demandeurs d'asile.
07:48 Efficace, pourquoi ? Qu'est-ce qu'on cherche ?
07:50 Est-ce que le but, c'est de tuer l'extrême droite ?
07:53 Et au Danemark, ça a fonctionné quand même.
07:55 Il y a certes le principal parti d'extrême droite qui a baissé,
07:58 mais deux nouveaux partis d'extrême droite se sont créés depuis.
08:01 Et moi, je pense surtout que ce ne sont pas du tout des solutions
08:07 qui sont appropriées par rapport aux défis structurels,
08:11 en termes de vieillissement de la population,
08:12 en termes de financement des régimes sociaux,
08:16 en termes de changement climatique.
08:17 Il faut reconnaître que nous avons aussi besoin de l'immigration
08:20 et que ceux qui font tourner le pays,
08:22 aujourd'hui notamment dans des professions essentielles,
08:24 ce sont largement des travailleurs immigrés.
08:26 Et d'ailleurs, le Royaume-Uni qui n'a jamais connu autant d'immigrés,
08:29 600 000 l'an dernier, malgré le Brexit.
08:32 France n'est jamais obligée d'en faire venir de l'étranger
08:34 parce que certains secteurs sont en manque de main-d'œuvre.
08:36 On a beaucoup parlé d'immigration, on va beaucoup parler environnement
08:39 avec vous dans un tout petit instant, 8h41.
08:41 Mais d'abord, c'est le Fil info avec Sophie Echel.
08:43 En Turquie, on vote depuis ce matin pour le second tour de l'élection présidentielle.
08:47 Aujourd'hui, Recep Tayyip Erdogan, le président sortant, est donné favori.
08:51 Il a remporté 49,5% des voix lors du premier tour
08:54 et obtenu la majorité au Parlement,
08:56 en face Kemal Kiliç Darulu, à la tête d'une coalition d'opposition.
09:00 Le père de la petite Eya et son complice,
09:02 qui avaient enlevé la petite fille de 10 ans jeudi en Isère,
09:05 seront bientôt revenus aux autorités françaises.
09:07 Tous les deux sont toujours aux mains de la police danoise.
09:09 En ce moment, l'enfant a retrouvé sa maman au Danemark.
09:12 Hier, tous les deux vont rapidement rentrer en France.
09:15 Le C-919, le premier avion de ligne de construction chinoise,
09:18 a décollé pour un vol commercial inaugural.
09:20 Aujourd'hui, un tournant pour le secteur chinois du transport aérien,
09:23 qui souhaite rivaliser avec ses concurrents occidentaux,
09:26 à l'image du Boeing 737 Max ou de l'Airbus A320.
09:30 Et puis, c'est parti pour deux semaines, porte d'Auteuil.
09:32 Le tournoi de Roland-Garros démarre aujourd'hui,
09:34 avec les premiers matchs dès 11h.
09:36 Et pour la première fois depuis 14 ans, ce sera sans Raphaël Nadal.
09:39 Forfait pour cause de blessure.
09:41 Toujours avec François Jemen, chercheur et enseignant,
09:53 notamment à Sciences Po, auteur principal pour le GIEC,
09:56 président du Conseil scientifique de la Fondation pour la Nature et l'Homme,
09:59 fondée par Nicolas Hulot.
10:01 François Jemen, vous étiez avant-hier devant l'Assemblée Générale de Total Énergie.
10:05 Oui.
10:06 Vous étiez pour quoi ? Vous vouliez bloquer cette Assemblée Générale ?
10:08 Non, je ne pense pas qu'il faille bloquer l'Assemblée Générale.
10:11 La question de la démocratie actionnaire réelle est importante
10:14 et donc je souhaite que les actionnaires puissent participer,
10:16 puissent voter en conscience.
10:18 Par contre, je pense qu'il est important, un,
10:19 qu'ils soient informés du pouvoir qu'ils ont avec leurs actions
10:24 et qu'aujourd'hui, la stratégie climat de Total
10:27 est une stratégie qui non seulement envoie le climat dans le mur,
10:30 mais qui, je pense, envoie aussi Total Énergie dans le mur.
10:33 Et je pense que c'est important aussi de faire comprendre
10:36 aux Françaises et aux Français,
10:37 à ceux qui ne possèdent pas d'action totale,
10:39 mais également à ceux qui en possèdent sans savoir
10:41 qu'ils ont le droit de participer à l'Assemblée Générale,
10:44 que c'est en fait là que ça se joue
10:45 et que l'éléphant dans la pièce du changement climatique,
10:48 ce sont les niveaux d'investissement faramineux
10:50 qui continuent à affluer vers les énergies fossiles.
10:53 Et tant que ces investissements ne seront pas réorientés
10:56 des énergies fossiles vers les renouvelables,
10:58 malheureusement, nous n'y arriverons pas.
11:00 Mais est-ce que ça veut dire que ces grands groupes, pour vous,
11:02 sont acteurs de la transition écologique ?
11:04 Qu'il faut les pousser à aller plus vite,
11:06 comme dit le gouvernement ?
11:08 Ou est-ce que pour vous, c'est des ennemis, c'est des adversaires ?
11:11 Il y en a certains qu'il faut pousser à aller plus vite
11:13 et il y en a certains, et je salue la stratégie climat
11:16 adoptée par certains grands groupes,
11:18 y compris certaines grandes entreprises énergétiques
11:20 qui ne vont pas suffisamment loin, pas suffisamment vite,
11:22 mais vont quand même dans le bon sens.
11:23 Vous saluez lesquelles par exemple ?
11:24 Engie par exemple, s'il faut citer un nom.
11:27 Et il y en a d'autres qui, comme Total Énergie,
11:30 vont à rebours de l'histoire, à rebours de ce qu'il faudrait faire.
11:33 Donc ceux-là, il faut les faire changer de direction.
11:34 Patrick Pouyanné, il dit "moi je vais plus vite qu'Engie".
11:36 Il dit "Engie, s'ils visent 80 gigas d'énergie renouvelable en 2030,
11:40 moi je visse 100 gigas".
11:41 C'est un plus grand groupe.
11:42 Le problème de Patrick Pouyanné, c'est que bien entendu,
11:44 Total Énergie est un gros investisseur
11:46 dans les énergies renouvelables.
11:47 Il utilise toujours cet argument pour cacher ces investissements
11:51 qui sont encore bien plus colossaux dans les énergies fossiles.
11:54 À un moment donné, il faut choisir.
11:55 Sur le PSG, sur le classico PSG-OM,
11:58 vous ne pouvez pas soutenir le PSG en premier mi-temps
12:00 et puis changer de tribune et soutenir l'OM en second mi-temps.
12:03 Mais ce n'est pas sérieux.
12:04 Je me demandais justement, ce que dit Patrick Pouyanné,
12:05 c'est grâce aux revenus que je tire des énergies fossiles,
12:09 je peux investir dans le renouvelable ?
12:11 Non.
12:12 Ces revenus, essentiellement, ils passent en dividendes
12:15 pour les actionnaires et je ne vois pas d'inflexion massive
12:19 des investissements dans les renouvelables
12:21 qui soient liés au super profit réalisé par Total Énergie
12:24 sur les énergies fossiles.
12:25 Ce qui est lié aussi, c'est qu'en réalité,
12:27 ce qui guide ces investissements,
12:30 ou en tout cas ce qui guide aujourd'hui la stratégie climat,
12:32 c'est les comportements individuels,
12:35 avec une consommation de pétrole qui a battu des records
12:36 encore l'an dernier à 102 millions de barils par jour dans le monde.
12:41 On a l'impression qu'il y a un décalage entre l'urgence
12:44 que vous prenez, vous chercheurs, vous activistes,
12:46 et les comportements majoritaires dans l'ensemble du monde,
12:50 mais y compris des Français qui, par exemple,
12:52 ont réclamé des prix bas à la pompe,
12:54 qui veulent tous partir en vacances et qui,
12:56 en réalité, en termes de sacrifices aujourd'hui,
12:58 ne sont peut-être pas dans ce que vous,
13:01 vous appelez à mettre en œuvre.
13:03 Bien entendu.
13:03 Comment on oriente ces comportements individuels ?
13:05 Je pense que l'argument de Patrick Pouyanné,
13:07 selon lequel Total ne ferait que suivre la demande,
13:10 est un argument qui ignore les fondamentaux,
13:13 et il le sait bien,
13:14 qui ignore les fondamentaux du marché de l'énergie,
13:17 c'est-à-dire que c'est un marché qui est essentiellement
13:18 guidé par l'offre davantage que par la demande.
13:21 Et donc, il est certain que tant qu'on ne déploiera pas
13:23 une offre décarbonée en matière énergétique,
13:26 il y aura toujours une forte demande pour les énergies fossiles,
13:28 simplement parce que les gens ont besoin d'énergie.
13:30 Est-ce qu'il faut assumer, par exemple, des prix qui augmentent ?
13:32 Est-ce que vous dites au gouvernement,
13:33 ça suffit, les aides au carburant,
13:36 qui maintiennent, de fait, une offre abondante, peu chère ?
13:39 Je pense qu'il faut assumer des prix qui augmentent
13:41 sur certains aspects,
13:42 c'est-à-dire sur les vols en avion,
13:44 par exemple, le kérosène aérien qui n'est pas taxé,
13:47 sur certains types de trajets,
13:49 l'enjeu, c'est de parvenir à une forme d'équité dans la fiscalité.
13:53 Donc, bien entendu, le prix de certains biens doit augmenter
13:56 parce que le prix doit refléter le coût environnemental de ces biens,
13:59 ce qu'on appelle les externalités négatives en économie.
14:02 Il faut veiller, par contre,
14:04 à ce que ces éventuelles augmentations du prix
14:06 ne touchent pas les publics les plus précarisés.
14:08 Et donc, c'est l'intérêt d'avoir une véritable fiscalité environnementale.
14:11 Et on n'en est encore qu'au balbutiement de cette fiscalité.
14:14 La France accueille demain les pays du monde entier
14:16 avec un objectif zéro rejet de plastique dans l'environnement.
14:19 En 2040, c'est une sorte de COP du plastique,
14:21 en quelque sorte, qui commence à Paris.
14:23 460 millions de tonnes de plastique produites dans le monde chaque année.
14:27 Si on ne fait rien, ça va tripler en 40 ans.
14:29 Ça veut dire qu'on est drogué au plastique aujourd'hui ?
14:31 Absolument.
14:32 Nous sommes drogués au plastique
14:34 et nous allons le devenir de plus en plus
14:36 au fur et à mesure que toute une série de pays du Sud
14:39 progresse dans l'échelle du développement.
14:41 Et donc, on a besoin aussi en plastique.
14:44 Et donc, je crois qu'il est très important d'avoir une discussion mondiale
14:47 sur ce sujet qui est évidemment une pollution
14:49 tout à fait considérable, en particulier pour les océans.
14:52 Par contre, l'enjeu, ce n'est pas seulement le rejet des plastiques.
14:55 L'enjeu, c'est aussi la production des plastiques.
14:57 Si à un moment donné, vous ne limitez pas la production de plastique,
15:01 eh bien, il est certain que vous pouvez faire tout ce que vous voulez
15:03 sur les rejets et les pollutions, à un moment donné,
15:05 ce plastique se retrouve dans l'environnement.
15:06 Ça fonctionne comme l'essence, en fait.
15:07 Vous dites, plus il y en a, plus on en consomme.
15:09 Exactement.
15:10 Sans contrainte, on peut y arriver.
15:11 De la même manière qu'on recycle assez peu,
15:12 on produit de plus en plus de choses recyclables,
15:15 mais on ne recycle pas davantage.
15:16 Et donc, les choses sont recyclables, mais ne sont pas recyclées.
15:18 En ce domaine, le problème, c'est de faire plier les États-Unis et la Chine.
15:21 Voici ce que dit le négociateur américain.
15:23 Nous devrions laisser le soin à chaque pays de tracer sa route.
15:27 Je pense que nous sommes aujourd'hui face à des problématiques globales
15:31 de plus en plus.
15:32 Le changement climatique, la biodiversité, les pollutions,
15:35 mais également les pandémies.
15:36 Et on est encore en train de les gérer entre nations
15:39 où chacune court un peu après sa souveraineté.
15:42 Il faut parvenir à des formes de gouvernance mondiale de ces sujets.
15:45 Si on reste arboutés sur nos frontières, nous n'y arriverons pas.
15:49 Mais nous, on est d'accord, la France.
15:50 D'ailleurs, on est à la tête d'une espèce de coalition
15:52 d'une cinquantaine de pays qui voudrait qu'il y ait des contraintes.
15:54 Et la France fait partie, il faut le reconnaître,
15:57 des pays qui ont le plus poussé pour une gouvernance mondiale de ces questions
16:00 et qui accueillent d'ailleurs des sommets sur ces sujets.
16:02 Mais je reprends la question de Laurence Henechel.
16:03 Comment on fait plier la Chine et les États-Unis ?
16:05 En leur montrant qu'ils y ont intérêt.
16:07 Je pense qu'aujourd'hui, le problème des enjeux écologiques,
16:11 c'est qu'ils apparaissent comme une contrainte pour les États,
16:13 comme une contrainte pour les individus,
16:15 comme une contrainte pour l'activité économique.
16:17 Nous n'allons y arriver que si on montre aux États,
16:20 aux individus et aux entreprises que c'est dans leur intérêt
16:22 de participer à des formes de coopération
16:25 auxquelles nous sommes de toute façon condamnés.
16:27 Et tout l'enjeu est là, passer de la contrainte à l'intérêt
16:30 qui transformera les questions écologiques en un projet de société.
16:33 Est-ce qu'il faut au moins un accord à minima entre les pays
16:36 qui sont d'accord pour réduire leur pollution plastique,
16:39 au risque donc de se retrouver dans une conquérance un peu déloyale
16:42 avec les États-Unis ou la Chine ?
16:44 Prenons le cas de l'Union européenne.
16:46 Si nous avions attendu d'avoir une unanimité en Europe
16:49 pour faire la monnaie unique, nous n'aurions jamais eu l'euro.
16:51 Et donc sur ces sujets, sur celui-là,
16:53 comme sur celui du climat ou sur d'autres,
16:55 je pense qu'il faut pouvoir permettre aux pays les plus volontaires,
16:58 les plus ambitieux d'avancer ensemble,
17:00 quitte à ce que les autres raccrochent le train après,
17:03 parce que je pense que ce sont ces pays-là
17:04 qui sont dans le sens de l'histoire.
17:05 François Gemmene, merci beaucoup.
17:07 Chercheur, enseignant notamment à Sciences Po à Paris,
17:10 auteur principal du GIEC et président du Conseil scientifique
17:12 de la Fondation pour la Nature et l'Homme.