• l’année dernière
“Au village sans prétention/J’ai mauvaise réputation”. Cet air célèbre de Georges Brassens pourrait être seriné amèrement par Olivier Dussopt, le ministre du Travail d’Emmanuel Macron. C’est vrai qu’il ne peut pas dire qu’il ne fait “pourtant de tort à personne en menant la réforme des retraites façon Macron-Borne”. Une réforme dont ne veut pas une très grosse majorité de Français. Mais de fait, en matière de mauvaise réputation, en ce moment, il a la médaille d’or. Et justement, comme pour redorer son image, le quotidien Le Monde a publié un portrait assez surréaliste, qui le fait passer soit pour une victime soit pour un héros…
Un portrait dont le titre est assez parlant : “Olivier Dussopt, l’écorché de la réforme des retraites”
Un portrait au fil duquel il est présenté comme, sinon une victime, du moins quelqu’un qui a souffert - et qui mérite peut-être, n’est-ce pas, notre compassion… Si on suit la trame des deux journalistes qui ont rédigé ce portrait, on aurait presque envie de prendre dans nos bras l’homme qui défend une vraie loi de régression sociale, qui a trahi ses convictions passées et explique en gros que c’est normal, qu’il a mûri…
Dans cette chronique au ton se voulant à la fois léger et sérieux, Théophile Kouamouo parcourt, aux côtés de Cemil Sanli, cette pièce de journalisme assez… étrange.

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Transcription
00:00 Le face-à-face avec Jérôme Gage a laissé une cicatrice à Olivier Dussopt,
00:04 qui par ailleurs n'aime pas les socialistes de salon,
00:08 qui l'ont toujours méprisé, lui le petit tard-échois
00:11 qui se décrit comme un socialiste de campagne.
00:14 Macron est gentil, il a invité un dîner confidentiel pour le consoler
00:19 quand il était cité dans un scandale relatif à des sous-sons de favoritisme.
00:24 *Générique*
00:28 - Salut Théo ! - Salut Emile, ça va ? Et toi ?
00:32 - Très bien, très bien. Apparemment, tu as un truc à me dire.
00:36 - Une cuve innette pour toi. - Ouais, je t'écoute.
00:39 - Alors, à qui m'a fait penser durant ce week-end
00:42 le premier couplet d'une célèbre chanson française que je vais te faire écouter ?
00:47 *Musique*
00:56 - Ben on a reconnu évidemment, Brassens et la mauvaise réputation.
00:59 Alors on imagine que tu veux peut-être nous parler d'un contemporain anarchiste,
01:02 je ne sais pas, ou un anticonformiste libertaire ?
01:05 - Non, ce terme me fait penser en ce moment à Olivier Dussopt,
01:08 le ministre du travail d'Emmanuel Macron.
01:12 - Alors mais comment ça ? Parce que ce n'est pas la même chose.
01:14 - J'ai parlé juste du premier couplet de la mauvaise réputation
01:17 et pas de toute la chanson parce que c'est vrai qu'Olivier Dussopt
01:20 ne peut pas dire qu'il ne fait pourtant de tort à personne
01:24 en menant la réforme des retraites façon Macron-Borne.
01:27 Une réforme dont ne veut pas une large majorité, une très large majorité de Français.
01:33 Mais je pense qu'en matière de mauvaise réputation, en ce moment, il a la médaille d'or.
01:39 Et justement, hier, comme pour redorer son image,
01:41 le quotidien Le Monde a publié un portrait assez surréaliste
01:46 qui le fait passer soit pour une victime, soit pour un héros.
01:49 - C'est vrai que le titre de ce portrait est assez parlant,
01:52 c'est Olivier Dussopt l'écorché de la réforme des retraites.
01:56 C'est un angle d'attaque pour le mot particulier Théo.
01:58 - Oui parce que dès le départ, il est présenté sinon comme une victime,
02:01 comme je le disais, du moins comme quelqu'un qui a souffert
02:04 et qui mérite peut-être un peu, n'est-ce pas, notre compassion.
02:08 Si on suit la trappe des deux journalistes qui ont rédigé ce portrait,
02:12 on aurait presque envie de prendre Olivier Dussopt dans nos bras
02:16 parce que finalement, c'est un homme qui défend une vraie loi de régression sociale,
02:20 c'est un homme qui a trahi ses convictions passées,
02:22 qui explique en gros que c'est parce qu'il a mûri, que c'est normal.
02:27 C'est aussi un homme qui, pour défendre son projet de loi,
02:29 a eu recours aux mensonges, à la manipulation et à la dissimulation,
02:34 mais au fond, il a souffert.
02:36 J'ai eu envie de te faire écouter et de faire écouter à celles et ceux qui nous regardent
02:40 des extraits de cet article qui utilise de nombreux procédés
02:44 qui visent à nous mettre dans la peau d'Olivier Dussopt,
02:47 qui visent à nous faire partager son point de vue, à regarder les choses avec ses yeux.
02:52 On commence par l'accroche du papier, c'est-à-dire les premières phrases.
02:56 Il est minuit passé.
02:58 Olivier Dussopt reste seul, figé, dans un hémicycle soudain, silencieux.
03:04 Les députés se sont retirés après 73 heures et demie de joute et d'empoignade
03:08 autour de la réforme des retraites.
03:11 Dans la nuit du vendredi 17 au samedi 18 février, le ministre du Travail,
03:15 encore sonné par la violence des débats, respire un grand coup.
03:19 « Tu as fini ton voyage en enfer », le félicite Agnès Firmin-Lebaudot,
03:23 ministre chargée des Professions de Santé, en lui massant les cervicales.
03:28 Alors, la ministre Agnès Firmin-Lebaudot est pharmacienne de profession,
03:32 mais elle a peut-être raté une carrière de kiné.
03:35 Revenons quand même sur cette expression « un voyage en enfer ».
03:39 En gros, Olivier Dussopt s'est fait torturer par des démons pendant une vingtaine de jours
03:43 et maintenant c'est terminé.
03:45 Ouf ! Mais terminé pourquoi ?
03:47 Parce qu'au final, quoi qu'il en soit, il pourra toujours utiliser
03:51 des mécanismes institutionnels pour imposer une loi dont il n'aura pas su justifier l'utilité
03:57 et qui n'aura au fond pas été endossée par la Chambre Basse du Parlement,
04:01 c'est-à-dire l'Assemblée Nationale.
04:03 Mais poursuivons notre lecture.
04:06 Un périple aux allures de douloureux marathons,
04:09 dont l'ancien socialiste, voix éteinte, tisane aux bancs et écharpe serrée autour du cou
04:14 comme une minerve, a parcouru les derniers mètres
04:16 en peinant à déplier ses jambes pour donner la réplique.
04:20 « Une laryngite, c'est pire que la France insoumise », lâche-t-il pour décontracter l'atmosphère.
04:27 - Ah là là, la blague du siècle, on est mort de rire.
04:30 La France insoumise est certes une maladie, mais moins grave qu'une laryngite
04:35 qui vous enlève votre voix et vos moyens.
04:37 Comme on a pu s'en rendre compte jeudi dernier.
04:39 Et là, je ne résiste pas à la tentation de passer ce petit magnéto d'un moment devenu mythique.
04:46 - Mesdames et messieurs les députés insoumis, vous m'avez insulté 15 jours.
04:50 Vous chantez, mais vous m'avez insulté.
04:53 Personne n'a craqué, personne n'a craqué.
04:55 Et nous sommes là devant vous pour la réforme.
04:59 Dans le portrait qu'il brosse d'Olivier Dussopt,
05:01 le monde revient sur les insultes en question dont il parle,
05:04 notamment celles du député Aurélien Saint-Aoul,
05:07 qualifiant d'assassin le porteur d'une loi
05:10 qui rallonge l'âge légal de départ à la retraite de deux ans
05:13 et qui est vu par beaucoup comme une sorte d'impôt sur la vie.
05:17 Ce jour-là, le ministre a quitté l'hémicycle,
05:22 donnant de rage un coup de pied dans une porte.
05:24 L'épisode a soudé la Macronie.
05:26 Et au-delà, jusqu'à cette scène renversante de la vie parlementaire,
05:30 Marine Le Pen, debout, applaudie par les députés de la majorité,
05:34 alors qu'elle venait de faire lever son groupe en soutien aux ministres malmenés.
05:38 Un peu plus tard, Olivier Dussopt croise la représentante de l'extrême droite
05:42 dans un couloir.
05:43 « Merci pour vos mots », lui dit-il.
05:45 « C'est normal », répond-elle du tac au tac.
05:47 Elle a été bien plus républicaine que beaucoup d'autres dans ce moment-là,
05:51 justifie l'ancien socialiste auprès du monde,
05:54 en ciblant une partie de la gauche.
05:57 Vous l'avez constaté, sans transition,
06:00 on passe des méchants insoumis à la gentille et républicaine Marine Le Pen.
06:05 Puis on repasse de Marine Le Pen au très très très vilain Jean-Luc Mélenchon,
06:11 l'abominable homme des calanques.
06:13 Dans son viseur, les troupes de Jean-Luc Mélenchon,
06:19 qu'il perçoit comme des prédateurs, flairant l'odeur du sang.
06:22 Il se compare à un animal blessé, avec en mémoire le conseil de son beau-père,
06:27 chasseur de lièvres et de sangliers, de ne pas tuer une bête à moitié.
06:31 « Lui n'est pas un lapin », prévient-il.
06:34 « Ce n'est pas parce que j'ai une petite voix que je n'ai pas de caractère.
06:37 On n'est pas obligé de surjouer le virilisme absolu pour être costaud »,
06:40 revendique l'ancien maire d'Anneau-Nez, en Ardèche,
06:43 décrit par ses amis comme un « duro-mal ».
06:46 Voilà, tenez-vous-le pour dit.
06:50 En dessous de cette apparence de petite nature affonne et contrariée,
06:55 notre ministre du Travail est un mâle alpha.
06:59 Le monde multiplie à ce sujet les infos exclusives dans le style « on arrête tout et on crie waouh ».
07:06 Olivier, à 44 ans, met ce lève à 5h15,
07:10 puis sans transition se lance dans un cycle de 50 pompes et de 50 abdos avant 6h30.
07:18 Messieurs et dames les véganes, souffrez,
07:21 mais notre super héros de la loi scélérate suit un régime hyper-protéiné à base de steak tartare.
07:28 C'est un homme !
07:29 Au point où à son sujet, sa collègue Agnès Pannier-Runacher
07:33 ose enfiler les métaphores karnassières, si on peut dire.
07:38 En gros, c'est un dur à cuire, l'Olivier.
07:41 Il sait se farcir des réunions de 5h pour attendrir la viande.
07:45 Alors, Jémy, je ne sais pas s'il a de l'upès, c'est du lard ou du cochon,
07:49 mais ses députés n'ont pas été si attendris que cela après 20 jours de cuisson.
07:55 C'est énorme. Alors, je ne sais pas si je suis une mauvaise langue moi aussi,
07:58 mais ce portrait tel que tu le présente, tel qu'on le voit,
08:00 ça semble très people et loin des journalistes en fait.
08:03 Très people. People chic peut-être, mais people quand même.
08:05 Oui, on passe de considérations psychologisantes à une espèce de chronique mondaine.
08:10 Le face-à-face avec Jérôme Gage a laissé une cicatrice à Olivier Dussopt,
08:15 qui par ailleurs n'aime pas les socialistes de salon,
08:18 qui l'ont toujours méprisé, lui le petit tard des choix,
08:22 qui se décrit comme un socialiste de campagne.
08:25 Macron est gentil. Il a invité un dîner confidentiel pour le consoler
08:29 quand il était cité dans un scandale relatif à des soupçons de favoritisme.
08:34 Les gens de droite sont cools, ils lui ont dit plein de choses gentilles, etc.
08:40 Bref, tout ça vient nourrir, on peut le comprendre,
08:42 une narration qu'on peut qualifier, qui alimente une forme de perception d'un journalisme de cour.
08:48 On l'a beaucoup lu sur les réseaux sociaux ces derniers jours.
08:50 Oui, et ça nous amène à poser des questions de fond.
08:53 C'est quoi le journalisme politique ?
08:55 À quoi sert le journalisme politique ?
08:57 Est-ce qu'il est d'abord une sorte de narration romancée,
09:00 des coulisses de l'univers des puissants,
09:02 une sorte de récit de destin, de prouesse, de performance,
09:06 à l'image peut-être du journalisme sportif ?
09:09 Ou alors un récit qui place en son cœur les enjeux de la vie réelle,
09:13 la vie de celles et ceux qui sont impactés par les décisions des politiques,
09:17 par les décisions politiques.
09:19 Je pense que ce débat, il est important,
09:21 il est important si nous ne voulons pas perdre totalement notre crédibilité.
09:25 Merci beaucoup Théophile pour cet éclairage, on se retrouve bientôt.
09:29 [Sous-titres réalisés par la communauté d'Amara.org]
09:35 [Visite www.amara.org/journalisme]
09:41 Merci à tous !

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