Marie-Pierre Mazzagio : "Ma mère a attendu 44h dans un couloir sans chaussettes et sans couverture"
Avec Marie Pierre Mazzagio dont la mère est décédée aux urgences
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00:00 Sud Radio Bercov dans tous ses états, le fait du jour.
00:04 Et là effectivement la condition des vieux, des plus de 70 ans, des plus de 80 ans,
00:12 quand ils sont malades et quand ils doivent aller à l'hôpital en urgence,
00:16 dans ce pays dont on parlait, ce pays qui s'appelle la France
00:20 et qui avait, paraît-il, le meilleur système de santé du monde,
00:24 et bien c'est peut-être plus ça...
00:27 Bonjour Marie-Pierre.
00:29 Bonjour.
00:31 Bonjour. Marie-Pierre,
00:33 donc vous avez porté plainte contre l'hôpital Simonvel d'Aubonne.
00:39 Je sais que vous racontiez justement qu'il n'a pas pu accueillir votre mère,
00:43 morte deux semaines après son passage aux urgences,
00:46 alors que son état de santé le nécessitait.
00:48 Ça fait d'ailleurs, il faut rappeler ça, que même avant le Covid,
00:53 donc il y a trois ans,
00:55 on parlait déjà, on avait eu des manifestations de soignants, de médecins, d'infirmiers,
01:00 contre l'état vétuste,
01:02 l'état qui se dégradait complètement de l'hôpital français,
01:07 des APHP, du service public, etc.
01:10 Et là, évidemment, le Covid n'a fait qu'aggraver les choses.
01:14 Alors, qu'est-ce qui s'est passé Marie-Pierre ?
01:17 Donc, ma mère était en EHPAD depuis le 13 décembre,
01:23 le 19 décembre, il y a le médecin de l'EHPAD qui est venu prendre les constantes de ma maman,
01:29 et elle s'est aperçue qu'elle avait 8,6 de tension,
01:32 et une saturation en oxygène à 92%.
01:36 - Elle avait 83 ans, c'est ça, votre mère ?
01:39 - Tout à fait.
01:41 - Et alors elle dit qu'il faudrait que l'emmener à l'hôpital, c'est ça ?
01:45 - Voilà, exactement. Donc l'ambulance l'a transportée aux urgences de Simonvel,
01:49 elle est arrivée là-bas à 19h.
01:51 - Oui.
01:52 - Moi je suis arrivée à 21h pour être auprès de ma maman,
01:58 je l'ai trouvée dans un couloir avec sa chemise de nuit, un drap jotable sur elle et sans chaussettes.
02:04 - D'accord. Même pas une couverture, juste un drap ?
02:08 - Absolument. Un drap jotable.
02:11 - D'accord.
02:12 - J'ai demandé aussi vite à des soignants si je pouvais avoir une couverture pour la protéger,
02:19 ils m'ont dit qu'ils n'en avaient pas.
02:21 - Ah oui. D'accord.
02:23 Pas une couverture à l'hôpital, oui. C'est significatif.
02:28 Et alors ? Vous êtes restée avec elle un moment ?
02:32 - Oui, je suis restée avec elle jusqu'à minuit,
02:36 en demandant aux soignants quand est-ce qu'elle passerait devant le médecin urgentiste.
02:41 Et là ils me disent que l'hôpital est saturé, qu'il y a beaucoup d'attentes,
02:46 et qu'ils ne savent absolument pas quand est-ce que ma maman sera prise en charge par le médecin.
02:51 - D'accord. Ah oui, ils ne pouvaient vous donner aucune date, aucune heure, rien ?
02:55 - Rien du tout.
02:57 - D'accord. Donc vous restez jusqu'à minuit, vous repartez, et ensuite ?
03:03 - Et ensuite, j'appelle le lendemain à 9h les urgences pour savoir si ma mère a pu voir le médecin urgentiste.
03:11 On le met toujours en attente, et qu'il y a deux personnes devant elle.
03:17 À 6h30, c'est ma nièce qui va se rendre auprès de ma maman,
03:22 et qui va également demander où est-ce que ça en est pour la prise en charge.
03:28 Donc là on lui dit pareil, que l'hôpital, les urgences sont saturées,
03:33 et qu'il n'y a aucune heure de passage pour l'instant.
03:36 Et du coup, je rappelle vers 14h, et là on me dit qu'il y a quatre personnes devant elle.
03:47 Donc de 2h00 le matin, on passait à 4h00.
03:49 - Ah, c'est passé à 4h00, d'accord. En deux heures, c'est hallucinant cette histoire.
03:53 Et ils vous disent, donc on ne peut rien vous dire, il y a quatre personnes devant, avant il y en avait deux.
03:59 Et puis voilà. Ça faisait combien de temps que votre mère était là, dans le couloir ?
04:05 - Depuis 19h, le 19 décembre.
04:07 - D'accord. Et donc qu'est-ce qui s'est passé après ?
04:11 - Donc dans l'après-midi, ma nièce a demandé si elle pouvait avoir une collation à donner à ma maman,
04:17 parce qu'il n'y avait pas eu de nourriture donnée.
04:20 - Depuis son entrée à l'hôpital ? Depuis la veille ?
04:23 - Tout à fait. Et aussi au niveau du change de sa protection.
04:31 Donc le change de la protection a été fait vers 17h, 22h après son arrivée aux urgences.
04:40 Et au niveau de la collation, il y a une compote qui lui a été donnée,
04:43 et ma mère en a mangé deux cuillères. Elle commençait à lâcher.
04:48 Ma maman a été prise en charge à 19h, donc le 20 décembre.
04:56 C'est un urgentiste qui diagnostique tout de suite un globe urinaire.
05:01 Donc ma mère ne peut plus uriner toute seule.
05:04 Donc ils ont posé une sonde et après ils ont lancé un bilan sanguin.
05:09 Les attentes pour le bilan sanguin, on sait également que c'est long.
05:15 Et du coup, ma nièce est repartie de l'hôpital dans les alentours de minuit.
05:21 - D'accord. Le lendemain, donc ça faisait 24h là ?
05:25 - Ça faisait 24h. - D'accord.
05:27 - Une fois que ma mère avait passé voir le médecin urgentiste,
05:31 ma mère a été remise dans le couloir.
05:34 Et du coup, ma nièce y est retournée le lendemain matin.
05:38 Elle était toujours installée dans le couloir.
05:43 Elle a eu une collation également.
05:48 Et vers 14h, on nous dit qu'elle va certainement être transférée
05:52 à l'unité Générales Prix Caillebut de l'hôpital.
05:55 Et vers 14h30, on nous dit qu'il n'y a pas de place dans l'UGA
06:01 et que ça sera un retour à l'EHPAD avec une HAD et une hospitalisation à domicile.
06:06 - D'accord. Retour à l'EHPAD, c'est-à-dire qu'il n'y a pas de place,
06:10 donc il faut retourner d'où elle est venue. Voilà. C'est ça ?
06:13 - C'est ça.
06:15 Donc une fois revenue à l'EHPAD, ma mère a complètement tout lâché.
06:20 Elle ne voulait plus s'alimenter.
06:22 Les soignantes de l'EHPAD, qui ont été vraiment merveilleuses et exceptionnelles,
06:27 vraiment dans l'empathie, dans la bienveillance.
06:30 Je tiens vraiment à le souligner parce que c'est...
06:32 - Oui, c'est important.
06:34 - On dit beaucoup de choses sur l'EHPAD, mais celui-ci, entre autres,
06:36 a été vraiment plus qu'à la hauteur. Plus que ça.
06:39 Du coup, les soignantes se sont bien donnés à manger à ma mère,
06:42 mais ma mère fermait les lèvres systématiquement
06:44 pour ne rien recevoir comme nourriture.
06:47 Elle n'acceptait plus mes câlins sur son visage
06:50 parce que je pense qu'elle était traumatisée et ne voulait plus qu'on la touche.
06:53 Mais vraiment...
06:55 - Elle a été traumatisée par ces presque 48 heures, enfin, passées à l'hôpital.
07:00 - 44 heures.
07:01 - 44 heures, oui. On l'a dit.
07:03 - 44 heures. Et comme ma mère ne voulait pas d'acharnement thérapeutique,
07:07 ils ont enlevé l'hydratation le 29 décembre.
07:12 - D'accord.
07:13 - Pour que le coeur s'éteigne.
07:15 - S'éteigne, oui.
07:17 Et donc, effectivement, ce que vous dites,
07:21 elle a renoncé après ce qui s'est passé,
07:25 la manière dont on lui a dit "bon, voilà, venez" et puis repartez.
07:29 Donc, que cet hôpital, et puis hélas, et puis beaucoup d'autres,
07:34 ne peuvent pas accueillir décemment, aujourd'hui, en 2023,
07:38 des malades, quoi. C'est ça, des malades en état d'urgence.
07:42 - Oui, alors ma nièce, qui était pas mal auprès de ma maman,
07:47 a pu quand même demander aux infirmières comment ça se faisait
07:51 qu'il y avait autant d'attentes.
07:53 Et donc, une infirmière lui a dit qu'ils n'étaient que 5 infirmières sur 7,
07:58 aujourd'hui, au jour-là, et qu'il n'y avait que 3 médecins pour 13 box.
08:02 - D'accord.
08:04 Que ce jour-là, oui, c'est ça, et que donc, ils étaient très occupés.
08:08 En fait, c'est un miroir terriblement réfléchissant de ce qui se passe.
08:14 Et c'est ça qui vous a amené, Marie-Pierre a dit "je vais porter plainte"
08:20 parce que ça va même au-delà, c'est évidemment pour votre mère,
08:24 mais ça va au-delà, c'est-à-dire que vous vous dites
08:26 "qu'est-ce que c'est que cet état de situation ?"
08:29 - Oui, et mon combat c'est pour les autres familles,
08:32 parce que malheureusement, ma maman ne reviendra pas.
08:35 - Bien sûr.
08:37 - Si maintenant on peut éviter...
08:39 Je suis un grain de sable, j'en suis consciente.
08:43 - Non, mais les grains de sable font avancer l'histoire, vous savez,
08:46 je dis ça sans exagération.
08:49 Si vous, vous ne le faites pas, si d'autres le font comme vous,
08:52 c'est ça qui fait bouger les choses.
08:54 - Alors justement, moi depuis que je suis assez médiatisée,
08:58 j'ai eu pas mal de gens qui m'ont écrit,
09:00 qui ont vécu des situations similaires,
09:03 et essentiellement à 6 mois de veille.
09:05 Et les parents sont décédés également,
09:08 donc moi ça m'interroge énormément,
09:10 et j'invite vraiment ces gens-là à faire comme moi,
09:13 c'est-à-dire à porter plainte pour de la négligence,
09:16 et puis qui va jusqu'au décès de la personne.
09:19 - Et c'est parce qu'on l'entend, on l'entend chez les urgentistes,
09:24 on l'entend chez un certain nombre de gens, on l'entend...
09:26 Et Kelly, je voulais savoir, est-ce que de ce point de vue,
09:29 ce n'est pas le même sujet, mais...
09:31 m'intéresse d'avoir votre avis à vous, après c'est...
09:34 Qu'est-ce que vous pensez du fait qu'on est éloigné,
09:38 et que jusqu'ici, en tout cas en France,
09:40 les soignants suspendus pour non-vaccination,
09:45 les soignants infirmiers, etc.,
09:47 n'ont pas été réintégrés, ne sont pas réintégrés jusqu'ici.
09:50 Vous en pensez quoi, vous, personnellement ?
09:53 - C'est un autre débat, M. Bercoff.
09:55 - Oui ?
09:56 - Moi je travaille dans le social,
09:58 et du coup, c'est vrai que la vaccination a été quand même une protection, moi-même.
10:07 - Oui, bien sûr. Il ne s'agit pas d'être anti-vax ou pro-vax,
10:11 mais c'est juste sur ce sujet-là. Mais dites-moi.
10:14 - Moi-même, j'ai été confrontée à ça,
10:16 c'est-à-dire que je devais me faire vacciner,
10:18 si je voulais continuer ma profession.
10:20 - Oui, et donc vous vous êtes fait vacciner.
10:23 - Oui, parce que j'ai une maison sur le dos...
10:27 - Par nécessité.
10:29 - Par nécessité.
10:31 Parce que sinon, je ne l'aurais pas fait.
10:33 - Ben oui. Non mais c'est ça, ce sont des débats qui sont là, qui sont importants.
10:38 Et puis cette tragédie montre à quel point
10:41 on essaye de cacher une situation qui s'est dégradée
10:46 de façon quand même dramatique,
10:48 et vous en êtes un exemple.
10:50 Et on peut espérer, en tout cas,
10:52 est-ce que vous pensez, ou d'autres, à faire un collectif
10:56 où simplement vous cosser aux gens de faire comme vous,
10:59 de porter plainte,
11:00 ou est-ce qu'il y a des collectifs, à votre connaissance,
11:03 en tout cas autour de vous, dans votre région, dans votre ville,
11:06 qui se forment pour dire "bon, essayons de réagir".
11:09 Les grains de sable qui s'unissent, ça fait des pierres.
11:13 - Oui, alors pour les collectifs, j'en suis pas là.
11:17 Là, ce que j'invite vraiment les gens qui me contactent,
11:21 on échange, on échange beaucoup par téléphone, par messenger.
11:25 Et je leur dis, il faut vraiment faire la même chose,
11:28 parce que si personne ne fait rien,
11:30 ou si je suis toute seule à mener ce combat,
11:32 ça va pas servir à grand chose.
11:35 - C'est clair, c'est clair.
11:36 Merci en tout cas.
11:37 - Vous pouvez aussi sauver vos aînés ?
11:39 - Oui, allez-y Marie-Pierre.
11:40 - Vous pouvez juste sauver nos aînés ?
11:42 - Oui, absolument, absolument.
11:44 Et c'est quoi ?
11:45 Et nos aînés, c'est fondamental.
11:46 Quand je voyage pas mal,
11:49 et quand je vois en Afrique comment on traite ses aînés,
11:52 comment les aînés sont là,
11:54 et qu'on s'en occupe mieux que soi-même,
11:56 c'est quand même un sacré exemple.
11:58 Merci encore, et merci de vos témoignages,
12:00 et merci de votre combat.