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00:00L'invité éco, Camille Revelle.
00:04Bonsoir à toutes et à tous.
00:05Qu'y a-t-il derrière le chocolat que nous serons nombreux à déguster à Pâques ?
00:09Bonsoir Blaise Desbordes.
00:10Bonsoir.
00:10Vous êtes directeur général de l'ONG Max Avelard France, Association de Commerce Équitable.
00:15On voit votre logo bleu et vert sur environ 6000 produits dans notre pays,
00:19notamment des tablettes de chocolat.
00:21Avant qu'on en arrive aux causes, un constat peut-être d'abord,
00:24oui, le chocolat est plus cher dans nos rayons.
00:26Oui, le chocolat augmente, il est plus cher dans les rayons,
00:28il est plus cher aussi dans les camions,
00:30et il est plus cher sur le terrain, dans la ceinture intertropicale,
00:34où l'essentiel des 5 millions de tonnes de fèves de cacao sont produites.
00:38Vous avez des chiffres de hausse peut-être, des tablettes, je voyais ?
00:41En prix final, ça dépend beaucoup des distributeurs.
00:44Effectivement, on parle de 10, on parle de 20%.
00:46Ce qui est certain, c'est que les autres prix du cacao,
00:48c'est-à-dire le prix pour les producteurs ou le prix en bourse,
00:50parce que le cacao est une commodité boursière,
00:53a explosé ces derniers mois à des sommets jamais atteints depuis 50 ans.
00:57On était à moins de 3 000 dollars la tonne il y a deux ans,
01:01on est arrivé à plus de 12 000 je crois à un moment.
01:04Il y a eu deux pics à 12 000 dollars en 2024,
01:06et là on est retombé autour de 8 000.
01:08Et alors, est-ce que ça ruisselle ça ?
01:10Parce que les cours bondissent, c'est une chose,
01:11les deux plus gros producteurs de cacao en pays,
01:14c'est la Côte d'Ivoire, le Ghana,
01:15est-ce que ça ruisselle jusqu'au producteur ?
01:17Non, ça ne ruisselle pas vraiment jusqu'au producteur,
01:19pour une raison simple, c'est que le prix dont on vous parle,
01:21c'est un prix boursier,
01:22ce n'est pas le prix acheté au producteur.
01:24Le prix boursier, c'est le prix des contrats financiarisés
01:27sur les marchés financiers à New York, à Londres.
01:29Et les marchés financiers, c'est un des drames de l'industrie du cacao,
01:33surréagissent.
01:34Et l'année dernière, on a eu une chute brutale de production
01:37en Côte d'Ivoire et au Ghana.
01:39Or, ce sont les deux géants de la production mondiale de cacao,
01:42et quand la Côte d'Ivoire tousse,
01:43c'est l'ensemble de l'industrie du cacao qui s'enrume,
01:46et c'est ça qu'on vit aujourd'hui.
01:47Alors, la vraie question, c'est pourquoi la production a chuté ?
01:51Eh bien, la production a chuté depuis plusieurs années,
01:54jusqu'à ses sommets de moins 30, moins 20%,
01:56parce que, grosso modo, nous maltraitons le cacao.
01:59Nous maltraitons les hommes et les femmes du cacao,
02:01et nous maltraitons les conditions naturelles du cacao.
02:04Là-dessus vient le changement climatique,
02:05les ravageurs, les aléas de sécheresse,
02:07et vous avez donc cette chute de production.
02:09Et quand il y a moins de cacao sur le marché,
02:11bien entendu, les prix montent.
02:12Et est-ce qu'il y a une demande qui augmente ?
02:14La demande de cacao a plutôt globalement augmenté
02:16ces dernières années,
02:17et surtout, la valorisation du cacao explose.
02:19Aujourd'hui, c'est des dizaines de milliards de dollars
02:22dans nos rayons,
02:23alors que tout au début de la chaîne,
02:24chez les producteurs,
02:25c'est bien sûr la portion congrue.
02:26On estime à peu près à 7, 8, 10% maximum,
02:30la part qui leur revient quand vous achetez un œuf de Pâques
02:32ou une tablette de chocolat,
02:33et bien, eux, ils auront 10%.
02:34Et alors, vous, qu'est-ce que vous pouvez faire
02:36pour les aider, ces producteurs ?
02:38Alors, notre ONG, Max Avelard,
02:40a trouvé un moyen, je crois, assez astucieux,
02:42c'est de convier les consommateurs à l'action.
02:45Et donc, nous avons créé un label,
02:46comme vous le disiez,
02:47sur à peu près 6 000 produits en France,
02:49et ce label attire l'attention des consommateurs
02:50en leur disant,
02:51là, vous avez un prix minimum garanti
02:53qui permet à ces millions de cacao-culteurs
02:56extrêmement pauvres de survivre
02:58et d'avoir un prix rémunérateur.
03:00Et en plus de ce prix minimum,
03:02ils ont une prime de développement social
03:03qui leur permet justement d'investir.
03:05Quand vous pouvez investir dans votre exploitation,
03:08vous plantez des jeunes cacaoillers,
03:09vous pouvez faire du compost naturel,
03:11des bio-intrants, etc.
03:12et vous cassez le cercle vicieux, je dirais,
03:14du cacao non durable,
03:16du cacao qui tâche.
03:17Vous dites attirer l'attention,
03:18c'est vrai, on le voit,
03:19votre logo sur la tablette,
03:20mais ensuite, est-ce qu'on passe à l'acte ?
03:22Est-ce qu'il y a achat ?
03:23Est-ce que vous arrivez à le chiffrer, ça ?
03:24Déjà, s'il y a un désir des Français
03:26d'acheter du chocolat équitable,
03:27et s'ils le font ?
03:29L'intention est très bien documentée,
03:31elle est très élevée,
03:32au-dessus de 50%,
03:33au-dessus de 60%,
03:33et même dans les catégories socioprofessionnelles,
03:36les moins riches de France,
03:37il y a cette intention.
03:38Oui, je sais qu'il y a un producteur derrière,
03:39notamment parce qu'ils connaissent
03:40la situation de certains producteurs français,
03:42dans le lait ou dans la viande,
03:43et donc ils se disent
03:44Je sais qu'il y a un producteur derrière,
03:45il a besoin d'un prix correct.
03:47On a créé le SMIG pour les salariés,
03:49pourquoi on n'a pas de SMIG pour les paysans ?
03:51Eux, ils ont le droit de vendre
03:52en dessous de leur coût de production,
03:53c'est assez indigne.
03:54Donc oui, l'attention est forte,
03:56après, la possibilité de passer à l'acte,
03:57elle dépend des marques.
03:58Et nous, nous travaillons
03:59avec des dizaines d'entreprises en France,
04:01en essayant de leur dire
04:02« Rendez accessible ce cacao,
04:03et je peux vous dire que c'est possible,
04:05il y a sur le marché des tablettes,
04:07soit de très bonne qualité,
04:08soit de qualité moyenne,
04:09qui sont à des prix accessibles. »
04:10Il faut juste discriminer et chercher un peu.
04:12Vous avez plutôt des bons élèves,
04:13plutôt des mauvais élèves ?
04:14On a des bons élèves.
04:15Ceux qu'on aime beaucoup
04:16et qui font un travail incroyable,
04:17ce sont les PME françaises.
04:18On travaille avec une cinquantaine
04:19de chocolatiers très méritants.
04:21Je peux citer quelques PME régionales.
04:22En Dordogne, vous avez Bovetti.
04:24En Bretagne, vous avez Sunshine,
04:26vous avez Saveur et Nature,
04:28qui fabrique des produits pour Pâques.
04:30Tous ces entrepreneurs engagés
04:32ont fait le choix de payer ce prix minimum.
04:34Donc ils sont courageux.
04:35Nous, on invite bien sûr les consommateurs
04:36à chercher le label et à chercher ses marques.
04:39Vous avez aussi les distributeurs
04:40qui essayent de faire des efforts
04:41et puis d'autres qui, au contraire,
04:42sont à des prix plus élevés.
04:44Je lisais une de vos déclarations,
04:46Blaise Desbordes.
04:4695% des chocolats de Pâques
04:48n'offrent aucune garantie
04:49contre le travail des enfants.
04:51Il y a fort à craindre
04:51que dans quelques jours,
04:53donc après-demain,
04:53les enfants français,
04:54à 90%, effectivement,
04:56trouvent des chocolats dans le jardin
04:57ou dans la maison
04:58qui sont fabriqués par d'autres enfants.
05:01À l'autre bout de la chaîne,
05:02notamment en Afrique de l'Ouest,
05:03on estime qu'il y a presque
05:032 millions d'enfants
05:04qui sont plus ou moins forcés
05:06de travailler
05:06pour faire survivre la famille.
05:08Il n'y a pas un parent au monde
05:09qui a envie que son enfant
05:10travaille dans les champs
05:11au lieu d'aller à l'école.
05:12Personne.
05:13Mais ils le font
05:13parce qu'ils sont contraints,
05:15parce que, comme je vous le disais,
05:16depuis des décennies,
05:16nous maltraitons les hommes
05:18et les femmes du cacao
05:18en grattant,
05:20en essayant d'économiser
05:21quelques centimes
05:21alors qu'il est tout à fait possible
05:23de leur payer les fèves de cacao
05:24à un prix juste.
05:25Qu'est-ce qui doit être fait,
05:27selon vous ?
05:28Quel régulateur européen, mondial ?
05:31Qu'est-ce qu'il faut faire en urgence ?
05:32Nous, nous pensons
05:33qu'il faut des initiatives de place.
05:34Il faut que le gouvernement français
05:36ait le courage,
05:37avec les instituts statistiques
05:38et pourquoi pas avec l'ONU,
05:39de publier ce que c'est
05:40qu'un prix digne.
05:41Le jour où dans la transparence
05:44d'Internet,
05:44on verra ce que c'est
05:45qu'un prix juste,
05:46ce sera beaucoup plus difficile
05:47pour certains traders,
05:48pour certains spéculateurs
05:49de négocier à des prix si bas
05:51et de ruiner les paysans du cacao.
05:53Donc la transparence,
05:54ça peut beaucoup faire.
05:55Et puis bien sûr,
05:56l'engagement des consommateurs,
05:57l'engagement des marques,
05:58là aussi l'explication.
05:59Et puis nous tous,
06:00ce n'est pas si difficile que ça
06:01de consommer un peu moins
06:02et un peu mieux.
06:03On sait qu'aujourd'hui,
06:04c'est ça l'actualité
06:05de notre caddie.
06:06Consommer un peu moins
06:06et un peu mieux.
06:07Je vous parlais de l'échelon européen.
06:09Il y a une nouvelle norme européenne,
06:11zéro déforestation,
06:12qui arrive.
06:13Qu'est-ce que ça entraîne
06:13pour ces producteurs-là ?
06:15Ça les oblige
06:15à géolocaliser leurs parcelles
06:17et à nous communiquer
06:18l'endroit où elles se trouvent
06:19afin que des inspecteurs
06:21puissent vérifier
06:21que ces parcelles
06:23ne sont pas dans des zones
06:23déforestées.
06:24Parce que l'Europe,
06:25effectivement,
06:25à partir du 1er janvier 1926,
06:27va interdire
06:27tout le cacao
06:28qui pourrait venir
06:29de zones
06:30où la forêt tropicale
06:31a été détruite.
06:31Mais l'hypocrisie
06:32qui est derrière cet enjeu,
06:34c'est que si vous continuez
06:34à payer beaucoup trop peu cher
06:36une fève de cacao,
06:38vous obligez le paysan
06:39à déforester.
06:40Pourquoi ?
06:40Parce que sur une vieille parcelle
06:42de 20 ans,
06:42vous avez un rendement
06:43de 400 kilos de cacao
06:45par hectare.
06:45Mais si vous défrichez
06:46la forêt tropicale,
06:47vous avez 800
06:48ou 1000 kilos par hectare.
06:49Donc on les oblige
06:50finalement à faire quelque chose
06:51qui est mauvais pour tout le monde,
06:52c'est-à-dire la déforestation mondiale.
06:54Sachons payer
06:55les quelques centimes
06:55de plus par kilo
06:56et ce genre de problème
06:57pourra être résolu
06:58et l'or d'enrée
06:59entreront dans l'Union Européenne
07:00sans problème.
07:01Qu'est-ce qu'il faut faire alors ?
07:02Que doit faire l'Europe ?
07:04L'engagement.
07:04L'engagement,
07:05la transparence,
07:06se saisir,
07:06arrêter de penser colonial,
07:08arrêter de penser
07:08qu'on peut toujours
07:09avoir des ressources
07:10comme ça à bas prix
07:11en étant indifférent au sort.
07:14Ça va se retourner contre nous.
07:15La géopolitique nous montre
07:16aujourd'hui
07:17que nous ne pouvons pas
07:17déstabiliser des territoires entiers
07:19pour gagner encore une fois
07:21quelques dollars.
07:22Pour quelques dollars de plus,
07:23nous pouvons avoir
07:23de la stabilité,
07:24des gens qui vivent
07:25de leur travail,
07:26des bons produits,
07:27meilleure qualité aussi
07:28pour l'environnement
07:29parce que quand vous entrez
07:30dans une démarche de qualité,
07:31vous faites attention,
07:32il y a moins de pesticides,
07:33moins d'engrais.
07:33Tout ça,
07:34c'est des cercles vertueux
07:34qu'on peut vraiment enclencher,
07:36nous les consommateurs,
07:37mais nous aussi la société civile.
07:38Je ne sais pas
07:39s'il faut attendre
07:39tous des gouvernements.
07:41Ils ont malheureusement
07:41montré quand même
07:42une certaine impuissance
07:43ces dernières années.
07:44Appel aux consommateurs
07:45pour conclure cette interview ?
07:46Absolument,
07:47aux consommateurs,
07:48aux citoyens qui sont derrière
07:49et puis à la discrimination.
07:50On a besoin aujourd'hui
07:51de consommateurs
07:52qui ne sont pas des automates
07:54et qui vont aller chercher
07:55un petit peu
07:55des signes de qualité,
07:56des labels.
07:57Et bien sûr,
07:57le commerce équitable,
07:58c'est lui qui plante les arbres,
07:59c'est lui qui donne
08:00la capacité de vivre
08:01aux producteurs,
08:01donc choisissez-le.
08:02Il n'est presque 5% aujourd'hui,
08:04donc on a de la marge
08:05dans le chocolat français.
08:06Merci beaucoup,
08:07Blaise Débord,
08:07directeur général
08:08de l'ONG Max Avelard France.
08:10Vous êtes ce soir
08:10l'invité Éco de France Info.
08:15Sous-titrage Société Radio-Canada