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La science, les médias et les réseaux sociaux… Le rapport à la vérité semble évoluer. Le point de vue du sociologue Gérald Bronner.

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Transcription
00:00En tant que scientifique, je ne sais pas ce que c'est que la vérité.
00:03Je ne dirais même pas que la science a pour objectif de dévoiler la vérité.
00:08En fait, la méthode scientifique, elle consiste tout simplement à utiliser des outils
00:14qui vont nous permettre de mettre à distance les grandes limites qui pèsent sur notre rationalité.
00:19Je pense que l'épidémie telle qu'elle s'est déployée notamment sur les réseaux sociaux,
00:32comme un questionnement, comme un certain nombre d'interrogations, a plutôt perturbé le rapport que nous avons à la vérité.
00:39Il faut se méfier de soi-même avant de se méfier de toutes les sources d'informations.
00:44C'est le premier travail à faire.
00:45Après, il faut être vigilant sur les sources d'informations.
00:47Le premier travail, par exemple, c'est de se demander « qu'est-ce que je sais vraiment sur ce sujet ? »
00:53Vous allez vous apercevoir que souvent, vous surestimez votre compétence ou votre connaissance d'un sujet.
00:58C'est ce qu'on appelle l'effet Dunning-Kruger en psychologie.
01:00C'est-à-dire que quand vous commencez à vous initier à une question,
01:03vous avez tendance au début à très largement surestimer vos compétences
01:06parce que vous n'êtes pas assez compétent pour voir l'étendue de votre compétence.
01:12Donc premièrement, se méfier de ce qu'on croit savoir.
01:14Deuxièmement, se demander « pourquoi j'ai envie que ça soit vrai et pourquoi je n'ai pas envie que ça soit vrai ? »
01:20Ça ne veut pas dire que c'est faux ou vrai.
01:22Mais ça veut dire que probablement, en fonction de mes désirs,
01:23je vais aller chercher plutôt tel type d'informations et telle source d'informations que d'autres.
01:28En mettant ça, ne serait-ce que sur papier, on prend déjà un peu de distance avec soi-même.
01:33Par exemple, nous avons des avis en général sur le monde qui sont fondés sur des échantillonnages.
01:39Parce que je ne peux pas visiter, je ne suis pas partout dans le monde, je suis limité physiquement.
01:42Par exemple, je vis dans un quartier particulier et peut-être dans ce quartier, je vais voir des choses.
01:47Et à partir de ces petits échantillons, je vais avoir généralement tendance à faire des lois générales.
01:52Ces lois ne sont pas forcément fausses, mais, mon Dieu, elles sont souvent fausses.
01:56Plus la connaissance progresse, plus ce que je sais, moi, en tant que citoyen,
02:00par rapport à ce que l'on sait en général, va aller en diminuant, paradoxalement.
02:04Paradoxal, parce qu'on va bien vers un progrès de la connaissance,
02:08mais par contre, mon incompétence personnelle va progresser en même temps que la connaissance.
02:13Et ça, c'est très important, parce que ça veut dire qu'il faut faire confiance aux autres.
02:17D'ailleurs, quand je vais chez mon médecin, je dois lui faire confiance,
02:20parce que précisément, je suppose que lui, il a cette part de la connaissance que moi, je ne possède pas.
02:25C'est cette croyance, cette confiance-là qui est grippée.
02:28Si vous allez voir des médecins généralistes, ils vous diront tous, ou presque,
02:33que la plupart de leurs patients viennent avec un pré-diagnostic.
02:37Ils ont déjà leur propre idée, et ils sont prêts à même contester le diagnostic du médecin.
02:42Parfois, ils peuvent avoir raison, mais la plupart du temps, évidemment,
02:45il y a une asymétrie de connaissances qui ne les aurait pas vraiment favorables.
02:49Et donc, on voit bien que cette méfiance, elle s'est insinuée à peu près partout dans les portes de la société.
02:54J'ai évoqué dans un livre, dont c'est le titre, la notion de démocratie des crédules.
02:59Pour moi, la crédulité, ce n'est pas du tout la bêtise, par exemple, ou le manque d'éducation,
03:03ou même, on peut être crédule tout en disant la vérité.
03:06Je peux dire que demain, ou disons, dans six mois, il va pleuvoir.
03:11Il se peut qu'il pleuve, en effet, mais pourtant, au moment où je l'ai dit,
03:15ce n'était rien d'autre qu'une croyance, ce n'était pas une connaissance.
03:17Donc, la crédulité ne s'oppose même pas forcément à la vérité.
03:20Ce que c'est que la crédulité, c'est une baisse de la vigilance rationnelle pour traiter les informations.
03:25Par exemple, lorsque j'ai envie de croire que quelque chose est vrai,
03:28je peux laisser mon croire contaminer par mon désir, prendre ses rêves pour des réalités.
03:32C'est une façon de faire baisser sa vigilance rationnelle.
03:35Justement, l'histoire de la science a inventé, sur des millénaires finalement,
03:39des méthodes qui nous permettent, dans le temps provisoire de la science en tout cas,
03:44de maintenir à son maximum cette vigilance rationnelle.
03:47Et ce que je démonte dans ce livre, La démocratie des crédules,
03:50c'est qu'un certain nombre de conditions, notamment les conditions du marché de l'information,
03:53se liguent, en quelque sorte, pour faire que nous abandonnions un certain nombre de facilités intellectuelles,
04:01ce que l'on peut appeler la crédulité, par exemple, le biais de confirmation,
04:04le fait d'aller chercher des informations qui vont dans le sens de mes attentes personnelles,
04:08ça a toujours existé, ce n'est pas notre contemporanéité qui l'invente,
04:12mais cependant, Internet, la disponibilité de l'information,
04:15elle amplifie cet empire du biais de confirmation,
04:18parce qu'elle nous donne la possibilité, sur tous les sujets,
04:20d'aller chercher n'importe quelle information, argumentée,
04:23qui va nous paraître aller dans le sens de nos attentes.
04:26Si vous croyez que la terre est plate, par exemple, en quelques clics,
04:29vous allez trouver toute une série d'arguments pour aller dans votre sens,
04:32alors qu'auparavant, c'était un peu plus difficile.

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