• il y a 9 heures
Qu’est-ce que l’information - et qu’est-ce qu'un journaliste ? Nous ne savons pas répondre à cette question, pourtant déterminante quand nous dépendons de plus en plus d’informations qui sont souvent des mensonges. On peut être dit "journaliste" sans avoir de formation ni même de qualification précise, au point que le mot ne veut plus rien dire en lui-même : il est celui qui ment toute la journée en toute tranquillité, en pleine lumière, aussi bien que celui qui est capable de risquer sa vie pour trouver, là où il peut et comme il le peut, des vérités qui détruisent les mensonges les plus obligatoires. A de multiples reprises, sur de multiples théâtres d’opération, Régis Le Sommier aurait pu trouver, non des témoignages, des vérités ou des indices de vérités, mais la mort. A l’écouter, à suivre, derrière le rideau, le récit de la vie souvent stupéfiante d’un "reporter de guerre", on comprend qu'être "journaliste" n’est rien hormis une morale, une manière de vivre, et de comprendre la vie. Notre chance est que Régis Le Sommier, non seulement est un modèle d’intelligence inquiète du monde, mais aussi un écrivain, un conteur, outre un esprit libre capable de saisir l’histoire là où elle se fait, et de nous la proposer, par la plume, ou par l’image. Cette conversation est aussi une réflexion passionnante sur le bel avenir de la guerre, et le dur avenir de la vérité.

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Transcription
00:00:00Musique douce
00:00:04...
00:00:24Bon, merci beaucoup, Régis Le Somnier, d'être venu une troisième fois
00:00:28pour vous parler de vous, mais parler de vous, c'est parler du monde entier,
00:00:33parce que vous êtes, je ne sais pas, baroudeur, globetrotter, les deux vous vont ou aucun ?
00:00:38Voyageur, certainement, journaliste, curieux, oui, c'est vrai que j'aime beaucoup
00:00:44promener mon oeil sur la planète et j'ai eu l'occasion de le faire
00:00:47et je ne remercierai jamais cette profession de m'avoir donné cette opportunité.
00:00:52Ah, vous l'aimez, hein ?
00:00:53Ah ben, j'adore, oui.
00:00:54C'est la plus belle des professions, oui.
00:00:55Oui, oui, c'est le plus beau des métiers.
00:00:56Bah, s'il est bien fait, mais il est coupable de bien des choses, ce métier de journaliste,
00:01:02actuellement, franchement, non ?
00:01:04Oui, mais il faut garder la flamme.
00:01:06Alors, vous ouvrez ce livre dont je parlais, qui est le diable, l'autre ou l'Occident,
00:01:10il est vraiment passionnant, on va y revenir.
00:01:13La thématique est assez neuve et assez intéressante.
00:01:18En fait, vous dites que l'Occident diabolise, enfin, crée des diables un peu partout,
00:01:24et finalement, c'est nous, le diable, et spécialement les États-Unis.
00:01:27Et vous ouvrez le livre par une citation de Donald Trump,
00:01:31alors vraiment, elle est croquignolette, je la lis.
00:01:35Trump dit, dans un entretien avec Tucker Carlson, en 24, en novembre 2024, c'est très récent,
00:01:42« Nous avons dépensé 9 trillions de dollars pour bombarder comme des malades le Moyen-Orient.
00:01:48Nous y avons semé la mort, y compris celle des nôtres.
00:01:52Est-ce que cela nous a rapporté quelque chose ? Réponse, rien. »
00:01:56Oui.
00:01:57Alors, ici, plusieurs questions.
00:01:59D'abord, on revient sur le sujet de la guerre, qui était un peu le vôtre.
00:02:03Je renvoie à nos premières émissions.
00:02:05Vous êtes né dans une famille de militaires, grande admiration pour votre père,
00:02:08qui était un officier d'un des centres névralgiques de l'armée française,
00:02:14c'est-à-dire l'arme nucléaire, qui vous a fait connaître notamment la base de Brest,
00:02:20où vous vécutez.
00:02:21Il est long.
00:02:22Il est long.
00:02:23Mais, bon, ça, je renvoie à nos premières conversations.
00:02:27La seconde des avantages consacrées aux États-Unis, on ne va pas s'y attarder,
00:02:31parce que je pense qu'il y a bien d'autres sujets à voir aujourd'hui.
00:02:35Nous n'aurons pas de quatrième émission, alors essayons de tout mettre.
00:02:39Mais quand même, je reviens à ce que je disais sur les journalistes.
00:02:42Toutes ces guerres qui ont embarqué l'Europe,
00:02:46elles se sont faites parce que les opinions publiques
00:02:49ont été complètement manipulées par un appareil journalistique ou d'information
00:02:55qui ont inventé n'importe quel bobard.
00:02:58Je repense à l'affaire du Golfe.
00:02:59C'est une des choses à laquelle pense Trump
00:03:03en parlant des bombardements du Moyen-Orient ou du Proche-Orient de façon incessante.
00:03:07Là, les journalistes n'ont pas brillé tout de même par une fonction de journaliste.
00:03:12Ils ont fait de la propagande, tout simplement.
00:03:14Ce qui est très intéressant, c'est que le rapport entre les journalistes et le pouvoir
00:03:20sont des rapports évidemment de force aux États-Unis.
00:03:24On dit que c'est le cinquième pouvoir, le journalisme,
00:03:28et il doit être indépendant des autres.
00:03:30La difficulté va être, à chaque conflit,
00:03:33justement de pouvoir préserver cette indépendance
00:03:36et de ne pas servir la narration voulue par les autorités.
00:03:41C'est très intéressant, c'est que dans le journalisme,
00:03:43si on prend par exemple la guerre 14-18,
00:03:45à l'époque, très peu de photos,
00:03:48les premières photos qu'on a de 14-18, de combats,
00:03:51sont des reconstitutions.
00:03:53C'est également le cas pendant la Seconde Guerre mondiale,
00:03:56y compris du côté allemand,
00:03:58où on va recréer des scènes après la bataille.
00:04:01Avec dans l'idée que le journaliste est un soldat
00:04:05complètement intégré à l'armée.
00:04:09Le journaliste est un soldat, vous vous rendez compte ?
00:04:11Oui, bien sûr.
00:04:12Mais en 14-18, une mauvaise image prise
00:04:16peut être jugée comme contrariant l'effort de guerre,
00:04:20contrariant l'effort national.
00:04:22Donc on va s'auto-censurer pour montrer la belle image,
00:04:26qui souvent, d'abord à l'époque,
00:04:28on n'a pas des petits appareils comme aujourd'hui.
00:04:30C'est un attaché d'image,
00:04:33ou quelqu'un qui va venir sur le théâtre
00:04:36après la bataille avec un gros appareil
00:04:38qui est manœuvré par quatre personnes,
00:04:41qui l'amène, on met les types devant,
00:04:43en trois quarts du temps, on pose.
00:04:45Les photos de la commune, qui sont assez célèbres,
00:04:47montrent justement la fin de la bataille,
00:04:50mais ça manque l'étendue du désastre.
00:04:52Et sur la guerre de sécession américaine aussi,
00:04:55on a des photos de cadavres répandus dans les champs.
00:04:58On ne voit pas la bataille,
00:05:00mais on imagine ce qui a pu se passer.
00:05:02Donc il n'y a pas de photo de journaliste.
00:05:04Ce sont des photos montées ?
00:05:05Totalement.
00:05:06Les cadavres accumulés, c'est des montages.
00:05:08Et l'utilisation de la propagande,
00:05:12l'idée de la propagande,
00:05:14est totalement assumée par celui qui produit l'image,
00:05:16et par les médias qui vont les diffuser.
00:05:19On a refait ça pendant la guerre du Golfe.
00:05:21Les couveuses de Koweït City.
00:05:25Ça c'est de la manipulation,
00:05:27mais revenons sur l'exercice de photographier la guerre,
00:05:30ou de la couvrir.
00:05:32Il va y avoir une série de conflits,
00:05:34on va dire dans les années 30,
00:05:36où on commence à voir de l'image publiée,
00:05:43notamment dans les magazines,
00:05:45au moment de la naissance de Life magazine,
00:05:47en 1932.
00:05:48Life magazine, c'est...
00:05:49L'ancêtre de Match.
00:05:50Exactement.
00:05:52Et Paris Match démarre aussi à peu près...
00:05:55En fait, Life c'est 36, je me trompe.
00:05:57Match c'est 32.
00:05:59Mais Match est un journal sportif,
00:06:01un magazine sportif à la base.
00:06:03Et qui couvre le cyclisme aux Veldives,
00:06:07les combats de boxe de Marcel Serdant, etc.
00:06:11Et quand, en 1936, Henri Luce crée Life magazine,
00:06:16en même temps, pratiquement, que Time magazine également,
00:06:18ça va être la naissance du Picture magazine,
00:06:22c'est-à-dire où on va raconter,
00:06:24on va commencer à raconter l'histoire en images.
00:06:26Il n'y a quasiment pas de télévision,
00:06:28il n'y a rien d'autre.
00:06:30Donc les gens qui veulent voir ce qui se passe dans le monde
00:06:33vont commencer à acheter ces magazines.
00:06:35Et Paris Match va se réorienter complètement en 1936
00:06:39pour présenter, pour justement montrer l'histoire en images
00:06:43et commencer à couvrir le monde,
00:06:47à raconter ce qui s'y passe.
00:06:49Ce qui est très intéressant, c'est quand on retrouve les...
00:06:51Ça ne s'appelle pas Paris Match, ça s'appelle Match toujours.
00:06:54Jusqu'à la guerre, où là,
00:06:56Paris Match va devenir un organe de propagande allemand.
00:06:59Ça va être Signal, qui reprend les presses de match,
00:07:02une partie de la rédaction.
00:07:04Donc finalement, l'idée de l'image,
00:07:06de raconter, d'utiliser l'image.
00:07:08Un instrument de propagande.
00:07:10Vous parliez des photographies sélectionnées en 1944,
00:07:15par exemple, au moment du débarquement.
00:07:17Mais les Américains, les États-Unis,
00:07:19ont une culture extraordinaire de l'image très ancienne.
00:07:24Souvenez-vous qu'en 1917,
00:07:27ils sont arrivés, non seulement avec des troupes,
00:07:31pas très aguerries d'ailleurs, il a d'abord fallu les former.
00:07:34Elles n'ont été opérationnelles qu'en 2018, en réalité.
00:07:37Elles ont embarrassé l'État-major,
00:07:39parce qu'on avait autre chose à faire que de former des troupes
00:07:41qui n'étaient pas du tout aguerries.
00:07:43Mais aussi avec des expositions itinérantes.
00:07:48Et ces belles affiches, on les a toutes à l'esprit.
00:07:51Dominique Lormier avait fait un livre là-dessus,
00:07:54auquel je renvoie, on va le montrer à l'écran.
00:07:57Ce soldat américain, avec un sous-titre sous la photo,
00:08:04le sauveur américain.
00:08:06Et l'idée du sauveur américain,
00:08:08s'est incrustée dans les esprits déjà entre les deux guerres.
00:08:12Il y avait déjà une utilisation de la communication
00:08:15comme instrument de propagande.
00:08:16Je me demande même si le XXe siècle n'est pas...
00:08:19Jacques Ellul qui disait ça.
00:08:21Avant tout le siècle de la propagande.
00:08:23Et il y a une guerre entre les journalistes.
00:08:25Alors vous, vous êtes d'un côté et il y en a de l'autre.
00:08:29Il y a deux journalistes.
00:08:31Il y a ceux qui sont obsédés par la vérité,
00:08:33puis ceux qui suivent un peu par commodité pour faire carrière aussi.
00:08:37C'est pas tellement idéologique.
00:08:38C'est par lâcheté ou par...
00:08:40Oui, puis aussi par souci de carrière.
00:08:42Oui, tout à fait.
00:08:43Je me souviendrai toujours de ces journalistes.
00:08:45Je ne sais pas si je vais les citer.
00:08:47Je vais les citer, tant pis.
00:08:49J'ai des problèmes.
00:08:50Michel Cotta, Carré Roux, en 1990,
00:08:55qui reprenaient pour argent comptant
00:08:57tout ce que la propagande étatsunienne,
00:09:00otanienne, leur donnait.
00:09:02Y compris, j'y faisais allusion,
00:09:03je ne pense pas que ceux qui nous écoutent savent de quoi je parle,
00:09:07ces photographies de soldats irakiens
00:09:10qui dévastaient à Koweït City une maternité,
00:09:15renversaient les lits avec les bébés.
00:09:18On a appris bien plus tard
00:09:20que ces images avaient été tournées quelque part du côté de Boston, je crois.
00:09:25Et que c'était totalement de la propagande.
00:09:28Et les journalistes ont des deux côtés.
00:09:31Il y a ceux qui dénoncent,
00:09:32alors c'est votre gloire.
00:09:35Et puis il y a ceux qui écrivent,
00:09:37parce que l'écriture vient en renfort de l'image,
00:09:39de toute façon.
00:09:40Et vous faites les deux,
00:09:42enfin Paris Match fait les deux,
00:09:44et vous faites les deux.
00:09:47L'immense majorité des journalistes sont des propagandistes, quand même.
00:09:50On aime ce métier, mais il faut le définir.
00:09:53Je ne crois pas que la catégorie dont vous parlez,
00:09:57pour moi, ce ne sont pas des journalistes.
00:09:59Quand je parle de journalisme militant,
00:10:01c'est que l'activité d'un militant,
00:10:03elle est bien définie.
00:10:05Il s'agit de magnifier le camp auquel on croit,
00:10:08auquel on appartient,
00:10:10quitte à en gommer des défauts.
00:10:12Ou la personne qu'on va mettre en lumière,
00:10:15quitte à gommer des défauts
00:10:17et à mettre en avant des qualités.
00:10:19L'exercice journalistique, c'est tout le contraire.
00:10:22Ça veut dire que vous pouvez accompagner,
00:10:24vous pouvez avoir des sensibilités,
00:10:26dire je vais accompagner les Kurdes,
00:10:28je vais accompagner tel ou tel groupe armé
00:10:32dont la cause me paraît sympathique.
00:10:34Mais si vous êtes authentiquement journaliste,
00:10:36vous devez, si cette cause sympathique
00:10:40commet des exactions devant vous,
00:10:42ou qu'elle ne va pas dans le sens...
00:10:45En tout cas, vous ne devez pas enlever ça.
00:10:48Vous devez le dire,
00:10:50quitte à vous fâcher avec les gens que vous aimez bien.
00:10:53C'est ça le vrai exercice de journalisme,
00:10:55c'est-à-dire de dire,
00:10:57je me suis retrouvé avec eux,
00:10:59et finalement, ils ont fait ça, ça, ça.
00:11:01Je donne cet exemple,
00:11:03parce que je vois en effet des journalistes chevronnés,
00:11:07vous parlez de Michel Cotta, Carré Roux et autres,
00:11:10mais j'ai vu une scène qui m'a...
00:11:12Ils sont-ils des journalistes ?
00:11:14J'ai vu une scène, je vous donne un exemple,
00:11:16qui m'a un peu choqué,
00:11:18là récemment,
00:11:20au moment de la visite d'Emmanuel Macron à New York.
00:11:23Après cette visite,
00:11:25on en pense ce qu'on veut,
00:11:27Emmanuel Macron a joué d'une complicité avec Donald Trump,
00:11:30qu'il a très certainement attenté,
00:11:33on va dire, d'un point de vue de la communication,
00:11:36je dirais que l'exercice est assez réussi,
00:11:39mais Emmanuel Macron sait faire ce genre de choses.
00:11:42Sur le fond, on a compris
00:11:45qu'il y avait un immense fossé,
00:11:48aujourd'hui, entre les Américains et les Européens,
00:11:51et de ça, on ne sait pas très bien où ça va aller,
00:11:54on ne sait pas très bien à quelle sauce, nous, Européens, on va être mangés.
00:11:57Ça, c'est l'aspect politique.
00:11:59Mais j'ai vu, sur BFM,
00:12:01un journaliste comme Ulysse Gosset,
00:12:03tout à coup, qui était envoyé spécial
00:12:06à la Maison Blanche,
00:12:09trépigner, véritablement, comme un jeune pigiste,
00:12:12sur la pelouse
00:12:15de la Maison Blanche,
00:12:18et nous expliquer qu'il y avait eu un moment
00:12:21où ça y est, Emmanuel Macron a retourné Donald Trump.
00:12:24Il l'a convaincu,
00:12:27et vous avez vu, il n'était plus...
00:12:30En termes de servilité,
00:12:33on est quand même très très loin,
00:12:36parce que, honnêtement, Ulysse Gosset,
00:12:39il a été correspondant à Washington, correspondant à Moscou,
00:12:42c'est quelqu'un qui a une carrière.
00:12:45Et arriver là, à cet âge,
00:12:48et se prêter à cette mascarade,
00:12:51d'essayer de se faire bien voir par le Président,
00:12:54en lui montrant qu'il avait pu, à un moment,
00:12:57convaincre Trump...
00:13:00Alors que tout le monde a compris que si Trump a choisi de rencontrer d'abord le Président français,
00:13:03c'est qu'il savait qu'il était faible, et qu'il allait avaler n'importe quoi,
00:13:06pour simplement être sur la photo.
00:13:09Pour faire ce montage, il a accepté...
00:13:12C'est un jeu de dupe !
00:13:15Il a accepté tout ce qu'avait dit Trump.
00:13:18L'exercice journalistique aurait été de dire
00:13:21que la semaine précédente,
00:13:24Emmanuel Macron disait que
00:13:27toute avancée vers la paix
00:13:30risquait de se terminer en capitulation.
00:13:33Et il a avalé pour autant tout ce qu'il avait dit Trump.
00:13:36Mais il était sur la photo,
00:13:39et donc ça l'a sauvé, y compris en politique,
00:13:42et les journalistes ont suivi.
00:13:45Autre exemple, mais ça touche les politiques et moins les journalistes,
00:13:48c'est après l'élection de Trump,
00:13:51la première visite de Trump à l'étranger,
00:13:54avec Musk, qui arrive dans Notre-Dame,
00:13:57et vous avez tout le parterre,
00:14:00le gratin des politiques français,
00:14:03qui le regardent comme si c'était une sorte de...
00:14:06et qui viennent lui lécher les babouches.
00:14:09Un mois avant, sur le service public,
00:14:12ce personnage était considéré comme Hitler,
00:14:15un fasciste américain.
00:14:18Il est arrivé en gloire à Notre-Dame,
00:14:21et tout le monde vient le regarder
00:14:24comme si c'était Dieu qui revenait sur Terre.
00:14:27C'est effrayant de voir ça.
00:14:30Et ça, c'est les politiques.
00:14:33Mais les journalistes...
00:14:36Celui qui se prête à un exercice...
00:14:39On peut me reprocher d'avoir été sur RT France,
00:14:42mais je n'ai jamais fait de propagande.
00:14:45J'ai toujours gardé cette distance,
00:14:48qui sépare le journalisme de la communication.
00:14:51Et ça, c'est un vrai problème.
00:14:54Quand vous êtes dans le monde,
00:14:57beaucoup de gens que vous côtoyez,
00:15:00en Syrie, en Irak, en Libye, au Mali, etc.,
00:15:03ou en Russie, s'imaginent que si vous êtes allés
00:15:06arriver jusque-là avec leur unité sur le front,
00:15:09forcément, c'est pour dire du bien.
00:15:12Ils ne comprennent pas parfois
00:15:15quand vous dites quelque chose qu'ils n'aiment pas.
00:15:18Il y a un grand exemple de manipulation
00:15:21suffocante, c'est l'affaire d'Ukraine.
00:15:24Là, vous avez réagi, vous êtes devenu très célèbre
00:15:27pour vos reportages sur l'Ukraine,
00:15:30en rétablissant quelquefois par l'image.
00:15:33Les moyens d'information ont évolué.
00:15:36On a accès à l'image.
00:15:39On peut produire maintenant des images.
00:15:42Tout au long du XXe siècle, ce n'était même pas possible.
00:15:45Vous m'avez dit un jour que c'était pendant la guerre du Golfe
00:15:48que vous avez décidé de devenir journaliste.
00:15:51Ça vous a traumatisé la manipulation des opinions.
00:15:54C'est à ce moment-là que je me suis pris en passion.
00:15:57J'étais un peu jeune encore à l'époque.
00:16:00J'ai commencé ma carrière quelques années après la guerre du Golfe.
00:16:03Mais il y avait ce souvenir du pool de presse.
00:16:07On prend un certain nombre de journalistes sélectionnés
00:16:10pour couvrir un événement.
00:16:13Le journaliste préfère déambuler,
00:16:16pouvoir faire les choses le plus librement possible
00:16:19en dépit des contraintes de sécurité qui existent naturellement
00:16:22sur une zone de guerre.
00:16:25Il m'est arrivé pendant ma carrière
00:16:28d'avoir notamment l'Afghanistan qui a été très généreux
00:16:31d'un point de vue journalistique en dépit des forces en présence
00:16:35qui, elles, n'avaient pas particulièrement
00:16:38une inclinaison vers la liberté de la presse.
00:16:41Mais j'ai pu travailler avec les talibans un jour.
00:16:44Deux jours plus tard, travailler avec l'armée gouvernementale.
00:16:47C'était d'ailleurs assez incroyable.
00:16:50C'était dans la même région du Wardak
00:16:53où j'ai passé du temps avec l'armée gouvernementale.
00:16:56Après, je suis allé voir les talibans.
00:16:59Je me suis rendu compte d'une chose.
00:17:03C'est que les talibans faisaient leurs checkpoints
00:17:06sur l'autoroute qui arrivait à Kaboul,
00:17:09fouillaient les camions, prenaient ce qui les intéressait.
00:17:12Et puis l'armée gouvernementale, elle,
00:17:15était dans une ville qui s'appelait Medanshar
00:17:18qui est la capitale du Wardak.
00:17:21Et dans cette ville de Medanshar,
00:17:24ils ne se déplaçaient pas sans un véhicule blindé,
00:17:27avec leurs gilets pare-balles, derrière des tourelles
00:17:30de sac de sable pour se protéger.
00:17:33Je me suis demandé, Kaboul n'était pas encore tombé,
00:17:36les talibans n'étaient pas au pouvoir,
00:17:39mais quelque part, ils avaient déjà gagné.
00:17:42Le fait de pouvoir voir ça, de pouvoir en être témoin,
00:17:45j'ai fait un documentaire sur Canal+,
00:17:48qui est toujours disponible, qui s'appelle Kaboul au cœur des talibans,
00:17:51qui raconte ce passage et comment on a pu constater nous-mêmes
00:17:54que l'affaire était déjà pliée et que les talibans allaient reprendre le pouvoir.
00:17:57Ça n'était que des rumeurs, mais le fait d'aller sur place,
00:18:00le fait de voir l'attitude des deux ennemis
00:18:03qui est dans une citadelle assiégée et qui est en conquête,
00:18:06c'est très important de pouvoir montrer ça.
00:18:09Mais la majorité des journalistes ne vont pas sur place.
00:18:12Dans ce cas-là, ne pas faire l'effort.
00:18:15Je ne vais pas prendre d'exemple précis,
00:18:18mais il faudrait, quand on en est,
00:18:21à donner des choses sur le conflit en Ukraine.
00:18:24On a le droit d'avoir...
00:18:27Une chaîne entière a été bâtie,
00:18:30a fait sa notoriété pendant les trois dernières années,
00:18:33c'est LCI.
00:18:36LCI, beaucoup de gens, je ne dis pas tous,
00:18:39mais l'immense majorité de ceux qui interviennent sur l'Ukraine
00:18:42n'y ont jamais foutu les pieds.
00:18:45Je ne comprends même pas que d'un point de vue de leur conscience,
00:18:48ces gens-là qui ont commenté,
00:18:51qui ont débattu,
00:18:54qui ont asséné de ce qu'ils croyaient être la vérité
00:18:57pendant trois ans,
00:19:00n'ont pas eu à un moment l'idée de se dire
00:19:03je vais quand même aller voir ce qui se passe,
00:19:06je vais quand même aller parler aux Ukrainiens,
00:19:09je vais quand même aller voir cette population,
00:19:12je vais quand même aller parler à ces soldats.
00:19:15Ils ne sont pas obligés de prendre des risques et d'aller jusqu'au front,
00:19:18entre la capitale Kiev et le front,
00:19:21il y a quand même de quoi parler aux gens,
00:19:24il y a quand même de quoi se rendre compte.
00:19:27Vous avez dit un jour, je n'aime pas la guerre, mais j'aime les guerriers.
00:19:30Ça vous fait plaisir d'aller voir les guerriers.
00:19:33Vous les avez vus des deux côtés, du côté russe et du côté ukrainien.
00:19:36Un peu moins du côté ukrainien, mais beaucoup du côté russe.
00:19:39Oui, j'aime les guerriers.
00:19:42J'aime cette idée du soldat
00:19:45qui dit qu'il a sa vie facile, parfois il n'a pas le choix,
00:19:48mais pour donner sa vie pour quelque chose.
00:19:54Il dit parfois qu'il n'a pas le choix,
00:19:57parfois on l'enroule,
00:20:00et quand on discute avec lui, il s'est quand même fabriqué une raison
00:20:03pour laquelle il pourrait mourir.
00:20:06Ce n'est pas évident, ce n'est pas très naturel de se dire
00:20:09on va s'exposer, vous me direz pour un journaliste non plus,
00:20:12de témoigner et de revenir.
00:20:15D'ailleurs, à ce propos, un soldat américain m'avait dit une fois,
00:20:18en montrant son campement,
00:20:21qui était dans un quartier pouilleux de Bagdad,
00:20:24il m'avait dit, tu vois ce trou dans lequel on vit,
00:20:27tu vas le partager avec nous pendant quelques semaines,
00:20:30mais il y a une différence entre toi et moi,
00:20:33c'est que nous, on va y être pendant six mois.
00:20:36Toi, tu peux partir quand tu veux.
00:20:39Ce n'est pas toujours facile de partir,
00:20:42quand on est dans certaines circonstances,
00:20:45mais effectivement, on a cette liberté.
00:20:48Mais on n'est pas là pour prendre un fusil.
00:20:51Vous dites, je n'aime pas les armes.
00:20:54Non, je n'ai rien à démontrer avec une arme.
00:20:57Je sais qu'il y a certaines personnes qui adorent les armes,
00:21:00qui adorent l'exercice militaire.
00:21:03Moi, ce que j'adore, c'est les histoires des hommes.
00:21:06Et les histoires des hommes dans des circonstances tragiques,
00:21:09que ce soit les civils, que ce soit les militaires.
00:21:12Vous avez, dans les terrains de conflit,
00:21:15une espèce d'authenticité.
00:21:18Parce qu'à partir du moment où on est là-bas,
00:21:21on n'a rien à vendre en particulier.
00:21:24On veut se montrer du plus beau qu'on est,
00:21:27pour faire bonne impression, mais quand on travaille un peu
00:21:30et quand on passe du temps avec ces gens,
00:21:33on les découvre de façon très authentique, sans filtre.
00:21:36Oui, et vous lisez les visages.
00:21:39Je me souviens, vous avez entendu comparer les visages
00:21:42des combattants russes et des combattants kéviens,
00:21:45avec des expressions très différentes.
00:21:52Alors, leurs visages étaient...
00:21:55C'est simplement un épisode que je raconte dans ce livre.
00:21:58Je sors de 15 jours de front,
00:22:01dans le Donbass,
00:22:04une période hivernale très très froide,
00:22:07où on a dormi dans des endroits
00:22:10très, on va dire, rustiques.
00:22:13Et on a vécu avec ces soldats,
00:22:16on a partagé leur nourriture,
00:22:19on est allé au front avec eux,
00:22:22on a partagé les menaces, la mort, les drones,
00:22:25pendant 15 jours.
00:22:28Je sors de ce théâtre
00:22:31et je regarde les photos de Finbar O'Reilly,
00:22:34qui est un photographe du New York Times,
00:22:37qui vient de publier un sujet dans le New York Times,
00:22:40sur une unité ukrainienne,
00:22:43quasiment en face de l'endroit
00:22:46où nous étions, du côté de Bakhmout.
00:22:49Et Finbar O'Reilly montre,
00:22:52et je constate que les Ukrainiens
00:22:55sont à peu près équipés de la même façon que les Russes,
00:22:58qu'ils ont un bandeau bleu ou vert,
00:23:01les Russes ont un rouge.
00:23:04Mais qu'en dehors de cette petite distinction,
00:23:07vu que ce sont des peuples frères
00:23:10et que c'est quasiment les mêmes,
00:23:13il n'y a rien qui les distingue.
00:23:16Et la seule chose qui les distingue,
00:23:19c'est le regard, justement.
00:23:22Il existe dans le regard des Ukrainiens
00:23:25une forme de vide que je ressens tout de suite
00:23:28en regardant ces photos.
00:23:31Et c'est une grosse différence par rapport aux Russes avec qui j'étais,
00:23:34qui même dans l'épuisement absolu
00:23:37ont cette étincelle de victoire.
00:23:40C'est très caractéristique.
00:23:43On voit le moral d'un soldat sur son visage,
00:23:46surtout quand il a tout donné.
00:23:50Et j'étais avec des troupes qui étaient épuisées
00:23:53parce qu'elles ont passé...
00:23:56Non, j'ai jamais allé des deux côtés.
00:23:59En regardant les photos,
00:24:02je me disais que la seule différence,
00:24:05et il n'y a que moi sur Terre qui peut la constater,
00:24:08c'est que chez les Ukrainiens, la défaite se lit
00:24:11et chez les Russes, la victoire se lit.
00:24:14Alors vous êtes bien conscients
00:24:17que les journalistes, je reviens à cela,
00:24:20recoupent deux réalités, deux métiers,
00:24:23deux conceptions de l'information
00:24:26complètement différentes.
00:24:29Parce que la plupart sont restés sur ces fameux plateaux
00:24:32où ont raconté ce que l'OTAN
00:24:35voulait bien faire passer, le message.
00:24:38C'est normal d'avoir le même mot pour les deux ?
00:24:41Enfin, pour ce que vous faites vous et pour ce que font
00:24:44ceux qui reprennent cette espèce
00:24:47d'idée bébête de Poutine
00:24:50qui veut envahir l'Ukraine.
00:24:53Il n'a jamais songé à envahir l'Ukraine.
00:24:56Bien entendu, il n'a pas fichu toute son armée.
00:24:59Simplement, il veut reconquérir le Donets.
00:25:02C'est tout.
00:25:05Ça n'a plus rien à voir avec ce que vous faites.
00:25:08Ceux qui acceptent...
00:25:11Un absolu admirateur de Poutine.
00:25:14Ah oui, on le voit en lisant.
00:25:17C'est un des personnages que vous traitez.
00:25:20Oui, c'est un des personnages.
00:25:23Je le traite comme avec les mêmes critères
00:25:26que je traiterais les autres.
00:25:29Je ne l'ai pas changé d'ailleurs.
00:25:32Je le dis souvent par rapport à cette espèce
00:25:35de l'image parfois qu'on me prête
00:25:38en disant que j'ai passé beaucoup de temps
00:25:41avec les talibans.
00:25:44Mais étant revenu, personne ne m'a jamais dit
00:25:47que je faisais la propagande des talibans.
00:25:50Or, le fait d'aller voir ce qui se passe
00:25:53du côté russe...
00:25:56Alors là, naturellement, je fais la propagande des russes.
00:25:59Pourquoi d'un côté, je ne ferais pas la propagande
00:26:02des talibans et de l'autre, en passant du temps
00:26:05Je n'ai pas changé. J'ai 56 ans.
00:26:0830 ans de carrière.
00:26:11Je ne me suis pas brusquement...
00:26:14J'ai quitté Paris Match il y a 4-5 ans.
00:26:17Après mes 50 ans, je ne vais pas devenir
00:26:20un propagandiste à 50 ans.
00:26:23Je ne vais pas décider tout à coup
00:26:26que je vais me vendre à la Russie
00:26:29et devenir un agent du FSB.
00:26:32C'est-à-dire que les militaires, souvent,
00:26:35cherchent à vous cacher des choses
00:26:38qui ne vous intéressent pas,
00:26:41et en revanche, vous montrent des choses
00:26:44qui devraient vous cacher.
00:26:47Et qui vous intéressent boucrement.
00:26:50Je vous donne un exemple.
00:26:53Nous étions à Bagdad, en 2005,
00:26:56dans un quartier qui s'appelait Kadamia,
00:26:59sur une base qui s'appelait Justice.
00:27:02Nous, Américains, on s'appelait Liberty,
00:27:05Victory, Justice.
00:27:08C'était une base relativement importante
00:27:11sur laquelle l'unité que nous accompagnons
00:27:14était stationnée.
00:27:17Un jour, on a remarqué qu'on amenait
00:27:20des détenus. On a demandé l'autorisation
00:27:23de couvrir l'arrivée des détenus,
00:27:26et on nous a dit qu'il n'y avait pas
00:27:29de détenus irakiens.
00:27:32Ils arrivaient avec des bandeaux sur les yeux.
00:27:35Ils avaient dû passer des nuits dans des cages.
00:27:38Ils n'avaient pas vu le jour depuis très longtemps.
00:27:41C'est déjà assez remarquable.
00:27:44On était surpris qu'on nous donne accès.
00:27:47Chez les Américains, il y a un côté
00:27:50liberté de la presse.
00:27:53Vous avez le droit de dire ce qui se passe.
00:27:56On ne va pas vous dire non.
00:27:59On progresse comme ça.
00:28:02Il y a une jurisprudence qui se fait
00:28:05au fur et à mesure de la guerre.
00:28:08Les médias américains contestent parfois
00:28:11des décisions d'exclure leurs journalistes
00:28:14ou de leur demander de ne pas publier des choses.
00:28:17Ça se passe au tribunal.
00:28:20Il y a un code du rapport
00:28:23entre les journalistes et les militaires
00:28:26dans l'armée américaine.
00:28:29Ayant couvert ce passage,
00:28:32on voit ces prisonniers arriver,
00:28:35être fouillés,
00:28:38on prend des marqueurs,
00:28:41on leur met des numéros sur les bras.
00:28:44Ça rappelle des choses.
00:28:47On voit les soldats pratiquer ça
00:28:50comme si c'était tout à fait normal.
00:28:53On dit où ils vont.
00:28:56Il y a une très grande prison.
00:28:59C'est l'endroit où a été exécuté Saddam Hussein.
00:29:02C'est le seul endroit à Bagdad
00:29:05où il y avait des potences.
00:29:08C'était une ville où on tuait à feu et à sang
00:29:11avec des explosions de véhicules tous les jours.
00:29:14Il y avait un seul endroit pour les condamnations à mort.
00:29:17C'est là que Saddam Hussein a été exécuté.
00:29:20On demande si on peut accéder aux prisons.
00:29:23Un sergent vient nous voir.
00:29:26Il dit qu'il n'avait pas le temps
00:29:29mais qu'il pouvait s'y amener.
00:29:32Cet après-midi.
00:29:35On y arrive.
00:29:38On voit 50 types
00:29:41sur 40 mètres carrés entassés.
00:29:44On nous permet d'accéder à ça
00:29:47avec des chiens en train d'aboyer.
00:29:50Je demande si les chiens sont là.
00:29:53Ils ont l'air d'aboyer sur les détenus.
00:29:56Vous les lâchez sur les détenus ?
00:29:59Bien sûr que non.
00:30:02On tombe face à des images.
00:30:05Des prisonniers ont tagué
00:30:08et on n'a pas vu le jour depuis.
00:30:11J'étais avec un photographe américain.
00:30:14Ça fait la couverture et le sujet du New York Times.
00:30:17Tout le monde apprend le traitement des prisonniers
00:30:20dans les journées américaines.
00:30:23Un type a considéré que...
00:30:26On n'a pas été expulsé.
00:30:29Après, ils se sont un peu métés de nous.
00:30:32Vous êtes élu à ébranler intérieurement
00:30:35quand vous voyez des images terribles.
00:30:38Soit à la guerre, soit dans les circonstances.
00:30:41Est-ce que vous êtes de nature sensible ?
00:30:44Oui, je suis de nature sensible.
00:30:47Ce qui me bouleverse dans ces univers-là,
00:30:50c'est surtout la fragilité
00:30:53de certaines personnes
00:30:56jetées en pâture
00:30:59dans le tourment de l'histoire.
00:31:02Ils n'ont rien demandé à personne.
00:31:05Quand la guerre passe chez eux,
00:31:08je me souviens très bien des scènes à Mossoul
00:31:11où j'étais avec une unité
00:31:14de force spéciale de l'armée irakienne
00:31:17qui faisait la pénétration dans les quartiers
00:31:20face à l'État islamique.
00:31:23C'était ultra violent.
00:31:26C'était des scènes de combat
00:31:30et tout à coup on arrivait chez les gens
00:31:33et on avait l'impression
00:31:36que c'était la libération de Paris.
00:31:39Ils nous regardaient avec un espoir immense
00:31:42et surtout,
00:31:45nous, les journalistes,
00:31:48ils nous voyaient des occidentaux.
00:31:51Ils se disaient qu'ils venaient de passer
00:31:54deux ans aux mains de Daesh.
00:31:57Par contre, l'armée irakienne
00:32:00pensait que parmi eux
00:32:03se cachait encore des gens de Daesh.
00:32:06Qu'est-ce que faisaient ces Irakiens ?
00:32:09Ils arrivaient vers nous et nous demandaient des cigarettes.
00:32:12Sous le califat, les cigarettes étaient interdites.
00:32:15C'était une manière de sympathiser.
00:32:18Comme les Français au débarquement
00:32:21avec les Américains.
00:32:24Nous, on fumait, on était des victimes.
00:32:27Et là, les Irakiens qui connaissaient très bien la combine
00:32:30venaient les voir et regardaient leur barbe
00:32:33parce qu'ils avaient tous des barbes énormes.
00:32:36Ils faisaient clac, clac, clac.
00:32:39On la coupe la barbe et là, les mecs
00:32:42n'étaient pas sûrs que Daesh ne revienne pas après.
00:32:45Il fallait garder la barbe parce qu'on ne sait jamais.
00:32:48Ça démontre que ces gens-là
00:32:51plongés dans les guerres sont dans des stratégies de survie.
00:32:54Je me souviens d'un père qui nous amenait
00:32:57ses deux gamines hurlantes en souriant
00:33:00alors que les gamines hurlaient pour nous les montrer
00:33:03pour dire, c'est mes enfants.
00:33:06On disait, t'as pas besoin de faire ça.
00:33:09Si, pour le montrer.
00:33:12J'ai des enfants, ne me tuez pas.
00:33:15On est sur l'os. On est vraiment sur la misère humaine.
00:33:18Quand vous voyez des gens dans ces circonstances-là
00:33:21qui sont en fauteuil roulant.
00:33:24J'ai eu une sœur handicapée quand j'étais jeune.
00:33:27À chaque fois, je me dis que l'extrême faiblesse
00:33:30est encore plus aggravée dans ces circonstances-là.
00:33:33Quand vous voyez des gens
00:33:36qui ne peuvent pas se défendre
00:33:39et que vous, vous allez passer.
00:33:42J'ai toujours l'impression qu'à chaque fois qu'on passe,
00:33:45on met le focus sur eux, on raconte leur histoire
00:33:48et ensuite après, ils replongent dans la nuit.
00:33:51Et on ne sait pas ce qu'ils vont devenir.
00:33:54Stratégie de survie.
00:33:57Là, vous n'avez pas de politique, de religion, rien du tout.
00:34:00Tout ça a disparu.
00:34:03J'ai vu certaines personnes mourir.
00:34:06C'est toujours un moment difficile
00:34:09parce que parfois, vous ne pouvez rien faire.
00:34:12J'ai vu deux djihadistes.
00:34:15J'ai assisté à la mise à mort de deux djihadistes en Mali.
00:34:18J'étais avec la Légion étrangère.
00:34:21Et là, les circonstances des guerres modernes
00:34:24faisaient que les infirmiers de la Légion étrangère
00:34:27ne pouvaient pas approcher des corps
00:34:30qui bougeaient encore.
00:34:33Il y a eu un accrochage.
00:34:36J'étais dans le véhicule français
00:34:39avec la Légion.
00:34:42L'officier qui était devant moi a pris son fusil, son FAMAS
00:34:45et a abattu les deux types qui fuyaient
00:34:48après nous avoir tirés dessus.
00:34:51Il y a eu un épisode très sanglant.
00:34:54Mon photographe était dans un autre véhicule à côté
00:34:57et a pu prendre les types en train de fuir.
00:35:00Et moi, j'ai la scène où l'officier de la Légion
00:35:03prend son fusil. Les types sont blessés.
00:35:06Pourquoi on ne peut pas approcher ?
00:35:09Parce qu'ils ont peut-être des ceintures explosives sur eux.
00:35:12Comme ce sont des djihadistes, comme c'est le IGS probablement,
00:35:15c'est-à-dire l'état islamique au Grand Sahara,
00:35:18ils ne peuvent pas...
00:35:21On fait venir des gens du génie
00:35:24qui vont mettre des cordes à leurs pieds,
00:35:27les tirer de loin
00:35:30pour qu'on puisse voir
00:35:33s'ils n'ont pas de ceinture explosive.
00:35:36Et à ce moment-là, on arrive au moment où c'est leur dernier souffle.
00:35:39Et l'infirmier de la Légion se penche
00:35:42et il y a celle qui est à côté,
00:35:45la doctoresse qui dit
00:35:48qu'il est mort.
00:35:51Et il lui dit oui ou non.
00:35:54Et comme c'est la Légion, c'est un biélorusse
00:35:57ou un ukrainien.
00:36:00Il ne bouge pas.
00:36:03Et donc on assiste à cette scène
00:36:06où un homme va mourir.
00:36:09Et c'est toujours...
00:36:12Evidemment, vous ne pouvez rien faire,
00:36:15mais il y a toujours cette espèce de...
00:36:18D'un point de vue personnel, c'est toujours...
00:36:21Je me souviens plus les circonstances.
00:36:24Vous êtes dans le désert.
00:36:27Vous passez 3-4 heures à regarder les étoiles.
00:36:30Et là, c'est comme si vous étiez
00:36:33en communion avec les âmes.
00:36:36Ce qui m'a vraiment aimé
00:36:39dans ce passage avec la Légion,
00:36:42c'est que la Légion...
00:36:45Tous les officiers de la Légion sont catholiques.
00:36:48Et il y a toujours cette dimension très religieuse.
00:36:51Alors que la troupe est composée de Sri Lankais,
00:36:55de Vénézuéliens, de Tamoules,
00:36:58de Russes.
00:37:01Et je trouve qu'ils avaient tous des livres
00:37:04de Simone Veil,
00:37:07Saint-Jean de la Croix...
00:37:10Très religieux.
00:37:13Et il y avait ce mélange.
00:37:16J'ai vécu une nuit comme ça,
00:37:19qui était un peu le passage des âmes au ciel.
00:37:22Chez les officiers.
00:37:25Et on avait assisté
00:37:28à ce qui était très intéressant.
00:37:31Au moment où ces hommes sont morts,
00:37:34on a donné les corps aux Maliens
00:37:37qui accompagnaient la Légion
00:37:40pour les enterrer le jour même,
00:37:43suivant le rite musulman.
00:37:46Il y a eu la prière des morts.
00:37:49Les bras dans le dos,
00:37:52en train de rendre hommage à ses ennemis.
00:37:55Je trouvais que cette scène
00:37:58m'a marqué parce que je l'ai utilisée.
00:38:01Elle m'est revenue à l'esprit il n'y a pas longtemps,
00:38:04quand j'ai vu des types
00:38:07qui faisaient péter des bouchons de champagne
00:38:10sur la place de la République
00:38:13pour fêter la mort naturelle de Jean-Marie Le Pen.
00:38:16Je me suis dit où est la civilisation ?
00:38:19C'est le moment de donner la thématique
00:38:22de cet ouvrage.
00:38:25Qui est le diable, l'autre ou l'Occident,
00:38:28à travers une dizaine de portraits ?
00:38:31Je ne sais pas s'il y en a 10 ou 12.
00:38:34Je les dis vite.
00:38:37Vous commencez par Staline,
00:38:40mais les autres sont plus actuels.
00:38:44Je ne sais pas si on a le temps de parler
00:38:47d'un de vos amours, l'Irlande.
00:38:57Vous vous demandez dans le jeu
00:39:00de la diabolisation générale
00:39:03si ce n'est pas celui qui diabolise
00:39:06qui est le plus diabolique en réalité,
00:39:09c'est-à-dire l'Occident,
00:39:12c'est le cas de Djeri Haddad.
00:39:15Vous êtes pas tendre avec l'Irage.
00:39:22Je raconte la réalité d'un mouvement
00:39:25très violent.
00:39:28La fin justifie les moyens.
00:39:31C'est de la lutte pour la reconnaissance
00:39:34d'un peuple, le peuple irlandais.
00:39:37L'obtention de l'indépendance,
00:39:40c'est l'Irlande du Nord qui va rester
00:39:43dans le giron britannique.
00:39:46Les deux camps, les protestants,
00:39:49sont aussi spécialement violents.
00:39:52Là, on n'est pas au fin fond
00:39:55de l'Afrique ou du Proche-Orient.
00:39:58La violence en Irlande du Nord
00:40:01depuis le début de la rébellion catholique,
00:40:04c'est une violence incroyable.
00:40:08Mes origines bretonnes,
00:40:11j'ai toujours été fasciné par l'Irlande
00:40:14étant jeune parce que j'ai eu
00:40:17dans ma famille des grands serviteurs
00:40:20de la France, comme vous l'avez mentionné
00:40:23avec mon père, mais aussi mes oncles,
00:40:26mon grand-père, Verdun.
00:40:29Ça a beaucoup compté pour vous.
00:40:32On a bien fait de commencer par votre enfance
00:40:36Ça explique beaucoup de choses.
00:40:39Mais il y avait aussi des canards boiteux
00:40:42dans la famille. J'ai eu un oncle aussi
00:40:45qui était très à gauche. Dans la famille,
00:40:48il y avait des crispations autour des affaires politiques.
00:40:51Mais il y avait surtout ce que j'ai découvert
00:40:54très tard, parce qu'on ne m'en parlait pas.
00:40:57J'ai eu un grand-oncle qui s'appelait Georges Floch
00:41:00qui a fait partie de Breizh Atao,
00:41:03qui parlait breton. Dans ma famille,
00:41:06ma grand-mère parlait breton.
00:41:09On venait du Finistère.
00:41:12J'ai commencé à m'intéresser à cette culture
00:41:15qu'on m'avait un petit peu
00:41:18mis de côté, voilée.
00:41:21Il ne fallait pas trop en parler.
00:41:24C'était un peu du temps perdu. Autant apprendre l'anglais.
00:41:27Ça te fera plus utile dans ta carrière.
00:41:30Par contre, j'ai vraiment découvert
00:41:33un univers totalement à part.
00:41:36Un ensemble qui dépasse même la Bretagne
00:41:39puisque ce sont les pays celtes.
00:41:42Avec une façon, un mode de vie,
00:41:45une philosophie, une mythologie
00:41:48et des applications pratiques dans la vie quotidienne
00:41:51qui font qu'on n'est pas pareil que les autres.
00:41:54Ça vous a marqué au point que vous passez une partie
00:41:57de votre jeunesse en Irlande ?
00:42:00Je pars en Irlande.
00:42:03L'Irlande, c'est la patrie du stop à l'époque.
00:42:06J'aimais beaucoup, comme beaucoup de jeunes,
00:42:09utiliser ce moyen de transport.
00:42:12Là-bas, on tend le pouce.
00:42:15Quelqu'un vous prend à bord.
00:42:18Parfois, on est parti.
00:42:21On avait loué une voiture.
00:42:24Une fois, on y est allé à deux avec un copain.
00:42:27On avait nos tentes.
00:42:30Il fallait toujours trouver un endroit
00:42:33pour les mettre le soir ou aller dans les auberges de jeunesse.
00:42:36Trouver un endroit pour dormir.
00:42:39Parfois, des gens nous disaient
00:42:42qu'il y avait notre champ à côté.
00:42:45Ils venaient boire le café et au pub avec nous.
00:42:48On a pu vivre à l'irlandaise.
00:42:51Quand j'ai débarqué à Belfast...
00:42:54Vous avez quel âge ?
00:42:571990, on va dire.
00:43:00Je suis né en 68.
00:43:03J'ai 20 ans et des poussières.
00:43:06J'arrive à Belfast.
00:43:09Je me souviens du moment où je sors
00:43:12de l'auberge de jeunesse après avoir mis mon sac.
00:43:15Il pleut.
00:43:18Je me rends compte qu'il y a un soldat
00:43:21à la tourelle qui passe dans la brume.
00:43:24Je me rends compte qu'une partie du centre-ville
00:43:27est bouclée.
00:43:30Il n'y a que ce type de voiture qui passe.
00:43:33Il faut prendre des taxis noirs
00:43:36pour se rendre dans les ghettos catholiques.
00:43:39Il faut prendre des taxis pour protestants
00:43:42et pour catholiques.
00:43:45Je vais dire quelques heures sur la guerre civile.
00:43:48Dans mon confort de jeunesse,
00:43:51ma petite vie sans problème,
00:43:54avec des préoccupations...
00:43:57En 1990.
00:44:00J'arrive dans cet endroit
00:44:03où la guerre civile est encore très forte.
00:44:06On est loin d'avoir réglé la question.
00:44:09Je vais à Milton Cemetery.
00:44:12C'est là où se situe le carré républicain
00:44:15où est enterré Bobby Sande et ses frères d'armes.
00:44:18Bobby Sande qui est mort d'une grève de la faim.
00:44:21On avait fait une très longue grève de la faim
00:44:24que Margaret Thatcher a laissée compire.
00:44:27Et mourir en prison, mourir de faim.
00:44:30J'ai toujours trouvé que c'était un des trucs
00:44:33les plus atroces.
00:44:36Il y a assez peu de leaders dans le monde.
00:44:39En Occident, il n'y a pas d'exemple
00:44:42d'un leader qui laisse mourir des gens de faim dans ses prisons.
00:44:45Je trouve que ce sera une tâche indélébile
00:44:48sur la carrière de Margaret Thatcher.
00:44:51Sur les britanniques qui ont été très durs
00:44:54vis-à-vis des pauvres catholiques
00:44:57qui étaient vraiment marginalisés sur leur propre terre.
00:45:00Et qui à peine se rebellent-ils.
00:45:03Ils sont victimes d'une répression effrayante,
00:45:06violente.
00:45:09Qui en revient dans les extrémités.
00:45:12C'est extraordinaire.
00:45:15On trouve ça dans beaucoup d'exemples dans le monde.
00:45:18L'Europe.
00:45:21Ça se passe à 500 km de chez nous.
00:45:24C'était assez choquant.
00:45:27Personne n'en parlait.
00:45:30J'ai passé beaucoup de temps là-bas.
00:45:33Si tu vois des choses comme ça,
00:45:36il faut les rapporter.
00:45:39Si tu vois quelque chose, dis-le.
00:45:45Vous avez écrit ?
00:45:48Oui, j'ai commencé à écrire.
00:45:51Vous avez écrit combien de livres ?
00:45:54Une dizaine, une douzaine ?
00:45:57J'en ai écrit 9.
00:46:01Il y a des articles que j'ai écrits pendant des années.
00:46:04Vous parlez de livres.
00:46:07Le livre, c'est un autre exercice.
00:46:10Il y a une vraie introspection.
00:46:13Vous prenez des notes sur place ?
00:46:16Oui, je prends des notes sur place.
00:46:19Parfois aussi je les prends avec ça.
00:46:22Souvent c'est plus pratique quand on est dans un véhicule
00:46:25que ça tape de partout.
00:46:28On a des petites notes là-dessus.
00:46:31Après vous rentrez en France,
00:46:34vous mettez un sous-cloche et vous écrivez ?
00:46:37J'essaie toujours,
00:46:40avec l'âge aujourd'hui,
00:46:43de trouver la bonne accroche.
00:46:46Quand j'écris un chapitre ou un portrait,
00:46:49je me demande ce qui va.
00:46:52J'ai bien appris ma leçon à Paris Match
00:46:55auprès de grands journalistes ou écrivains
00:46:58comme Frédéric Musseau,
00:47:01Pierre Rennes et autres
00:47:04qui m'ont appris à écrire.
00:47:07Des gens qui étaient au SR,
00:47:10qui n'avaient pas forcément la gloire du reporter.
00:47:13SR c'est quoi ?
00:47:16Secrétariat de rédaction.
00:47:19Daniel Jorget également.
00:47:23Ils nous ont appris.
00:47:26Patrick Miller, rédacteur en chef,
00:47:29quand j'arrivais devant lui,
00:47:32il me disait...
00:47:35J'avais le premier feuillet,
00:47:38je l'avais bichonné,
00:47:41je n'avais pas dormi de la nuit.
00:47:44Il y avait trois feuillets.
00:47:47Quand on est pigiste,
00:47:50on se dit,
00:47:53ce que vous écrivez là, c'est bien.
00:47:56Là, je vois une date, un lieu.
00:47:59Commencez par là.
00:48:02Tout ce que vous avez fait est foutu en l'air.
00:48:05C'est votre conclusion que vous avez faite au début.
00:48:08Pourquoi ce qui est intéressant est à la fin ?
00:48:11Mettez-le au début.
00:48:14C'est le début qui cloche.
00:48:17J'essaie de trouver la meilleure attaque.
00:48:20Si le lecteur ne dépasse pas les 5 lignes,
00:48:23c'est fichu.
00:48:26S'il dépasse les 5 lignes,
00:48:29et que vous arrivez à rebondir au deuxième paragraphe,
00:48:32vous l'emmenez jusqu'à la fin.
00:48:35Je reprends mon fil avec Gerry Adams.
00:48:38Votre idée, c'est que l'on peut diaboliser des gens,
00:48:41et ensuite les dédiaboliser.
00:48:44C'est un terroriste.
00:48:47Il est devenu l'interlocuteur du gouvernement britannique.
00:48:50Peu après,
00:48:53il est devenu un des dirigeants les plus officiels.
00:48:56Il ne l'est peut-être pas aujourd'hui,
00:48:59mais il mène une retraite tranquille pour un terroriste.
00:49:02Il a eu des responsabilités politiques.
00:49:05Gerry Adams...
00:49:08Pourtant, il n'est pas blanc-bleu dans certaines opérations.
00:49:11La qualité de diable est conditionnée par l'époque.
00:49:14Elle est conditionnée par les intérêts.
00:49:17J'ai pris cet exemple
00:49:20parce que c'est un contre-exemple.
00:49:23On peut être le diable
00:49:26et revenir dans le camp du bien.
00:49:29Ce qui m'apparaît sur tous les autres portraits,
00:49:32ou la plupart,
00:49:35c'est qu'en voulant traiter du diable,
00:49:38en démonisant quelqu'un,
00:49:41on ne peut pas le laisser agir.
00:49:44Un Saddam Hussein,
00:49:47notre allié pendant 30 ans,
00:49:50Jacques Chirac...
00:49:53On a joué à diaboliser des gens.
00:49:56Ensuite, on en fait le diable.
00:49:59On les a portés au pinacle.
00:50:02Surtout l'exemple de Kadhafi.
00:50:05Il est sorti d'une bouche d'égout
00:50:08pour être exécuté aux mains de ses opposants.
00:50:11Il est terminé dans une couverture en laine.
00:50:14Le corps tue méfié.
00:50:17Il y a un contraste.
00:50:20Ce qui est intéressant,
00:50:23et c'est l'objet de mon livre,
00:50:26c'est que depuis qu'on a cette politique,
00:50:29que je situe à la fin du début de la Première Guerre du Golfe,
00:50:32fin de l'URSS,
00:50:35il y a la guerre du Golfe
00:50:38et la chute de l'URSS.
00:50:41La chute de l'URSS fait que
00:50:44la puissance dominante devient l'Occident.
00:50:47Le super gendarme deviennent les Etats-Unis.
00:50:50A partir du moment où on n'a plus d'ennemis,
00:50:53on avait l'ennemi russe,
00:50:56le diable rouge.
00:51:00On pouvait tracer la gloire de notre liberté,
00:51:03la gloire de notre système social-démocrate,
00:51:06de l'économie de marché.
00:51:09Au moment où l'URSS triomphe,
00:51:12cette économie de marché est amenée à dominer la planète.
00:51:15On écrit des livres,
00:51:18je pense en particulier à celui de Francis Fukuyama
00:51:21qui s'appelle « La fin de l'histoire ».
00:51:24Quand on écrit un livre « La fin de l'histoire »,
00:51:28on a toute cette puissance, toute cette morale.
00:51:31On va commencer, en fonction de nos intérêts en général,
00:51:34à désigner ces diables.
00:51:37C'est là où la propagande devient un instrument de guerre.
00:51:40Oui, elle devient un instrument de guerre.
00:51:43C'est le rouleau compresseur.
00:51:46Une narration est imposée.
00:51:49Soudain, Saddam Hussein devient le nouvel Hitler.
00:51:52Littéralement, d'ailleurs.
00:51:56Et Poutine pareil, etc.
00:51:59Tout à coup, il faut qu'il disparaisse de la surface de la Terre.
00:52:02C'est très américain.
00:52:05Non, nous avons donné à ça.
00:52:08J'explique que j'étais à Paris Match à l'époque.
00:52:11Ce manichéisme-là, il n'y a quand même pas des...
00:52:14Il y a eu des gens, on reprenait la liste,
00:52:17des gens soutenus la guerre en Irak.
00:52:20Il n'y a pas que Kouchner, il n'y a pas que Michel.
00:52:23Les jeunes journalistes, maintenant, je commençais à avoir un peu de bouteille
00:52:26de constater que les rédacteurs en chef, la direction,
00:52:29tout le monde était pour l'intervention américaine en Irak.
00:52:32Alors que nous avions, dans le même temps,
00:52:35Villepin, Chirac, qui s'y opposait.
00:52:38Il y a eu beaucoup de mouvements quand même.
00:52:41Existions.
00:52:44Citez-moi d'autres qui étaient contre la guerre en Irak au moment de son déclenchement.
00:52:47Sans parler de ceux qui étaient contre et qui l'ont mené,
00:52:50comme Bédrine.
00:52:53Ou Roland Dumas, qui était très opposé
00:52:56et qui a arrêté les affaires étrangères très dociles.
00:52:59Il y a assez peu de gens qui s'y sont opposés.
00:53:02Pourquoi ? A cause de ce rouleau compresseur dans lequel l'appareil médiatique
00:53:05a une importance considérable.
00:53:08C'est-à-dire qu'il existe au moment du déclenchement de la guerre,
00:53:11un peu avant au moment du déclenchement de la guerre,
00:53:14et ensuite pendant une période jusqu'en gros aux premiers ennuis.
00:53:17Ça se passe toujours comme ça.
00:53:20C'est-à-dire qu'au début, on déboule en Irak, on va changer,
00:53:23ça va être la liberté, Saddam Hussein va être pendu,
00:53:26et puis les Irakiens vont nous sauter dans les bras
00:53:29parce que c'est comme la libération de Paris.
00:53:32On a toujours ces images-là.
00:53:35Pour Poutine, il a voulu attaquer l'Ukraine, on va défendre l'Ukraine
00:53:38et il est déjà sur la fin,
00:53:41son armée est pourrie, etc.
00:53:44Il va se laisser piéger par cette narration,
00:53:47mais c'est très dangereux quand vous êtes un peu clairvoyant à ce moment-là
00:53:50parce que si vous osez dire « Attention, il se passe des choses,
00:53:53Poutine a attaqué »,
00:53:56c'est sûr que les accords de Minsk,
00:53:59le fait qu'il n'ait jamais été appliqué,
00:54:02le fait qu'on parle de l'OTAN, que l'Ukraine rejoigne l'OTAN,
00:54:05vous êtes sûr que le Donbass, l'affaire du Donbass,
00:54:08la guerre, elle existe, vous n'avez pas voulu la voir,
00:54:11mais elle existe depuis 2014.
00:54:14Si vous disiez ça à l'époque, vous étiez considéré comme un pro-Poutine.
00:54:17Aujourd'hui, c'est une évidence, Poutine n'a pas attaqué l'Ukraine par hasard
00:54:20ni comment déclencher cette guerre.
00:54:23Vous allez un peu loin.
00:54:26Vous commencez votre chapitre sur Poutine
00:54:29en donnant la date
00:54:32de l'intervention,
00:54:35d'opération spéciale.
00:54:38Le 24 février 2022, à l'aube, Vladimir Poutine
00:54:41donnait l'ordre à ses troupes d'envahir l'Ukraine.
00:54:44Il n'a jamais donné l'ordre d'envahir l'Ukraine,
00:54:47d'entrer en Ukraine, mais pas pour l'envahir jusqu'à...
00:54:50C'est envahir une partie.
00:54:53Par contre, ce que je dis juste après,
00:54:56c'est qu'on est en 2022,
00:54:59que 8 ans auparavant,
00:55:02il est accueilli
00:55:05par les plafonds lambrissés du château de Versailles.
00:55:08C'est ça, votre jeu.
00:55:11Comment on diabolise quelqu'un ?
00:55:14C'est l'oeuvre de la propagande.
00:55:17L'oeuvre de la propagande s'exerce à un moment
00:55:20où le journaliste devrait être vigilant.
00:55:23Le journaliste vigilant est condamné
00:55:26à la marginalité.
00:55:29Dans cet exercice de condamnation à la marginalité,
00:55:32c'est l'autre journaliste qui dénonce.
00:55:35Qu'est-ce qui se passe ?
00:55:38Comment se fait-il qu'une majorité
00:55:41de journalistes sont serviles ?
00:55:44Servent la narration officielle ?
00:55:47Sur la Russie, c'est accablant.
00:55:50Sans jamais se poser des questions sur les accords de Minsk,
00:55:53sur la promesse qu'avait donnée
00:55:56le secrétaire d'Etat en 1990
00:55:59des États-Unis de ne jamais faire avancer
00:56:02l'OTAN vers l'Est, Denis Gorbatchev.
00:56:05Comment s'appelait-il ? J'ai oublié son nom.
00:56:08James Baker.
00:56:11Tout ça n'est jamais rappelé.
00:56:14Comment se fait-il que des journalistes
00:56:17ne le rappellent pas, ne serait-ce que l'historique ?
00:56:20Il y a plein d'exemples.
00:56:23Il y a George Kinnan, en 1999,
00:56:26qui dit que cette course vers l'Est de l'OTAN
00:56:29risque de se retourner contre nous.
00:56:32Et puis vous avez les discours de Poutine.
00:56:35Vous avez Munich, Budapest.
00:56:38Vous avez une série de discours de Poutine.
00:56:41Il n'est pas hostile au moment
00:56:44où la Pologne, la Roumanie, les Pays-Baltes rejoignent l'OTAN.
00:56:47Ce qui est contraire à l'engagement de James Baker.
00:56:50Tout à fait. Il considère qu'il peut y avoir
00:56:53une sécurité entre l'OTAN et les Etats-Unis.
00:56:56Entre l'OTAN et la Russie.
00:56:59Entre l'OTAN et la Russie, vous avez raison.
00:57:02À chaque fois, il y a un petit nota bene à la fin.
00:57:05Mais n'allez pas en Ukraine.
00:57:08Au milieu de cette guerre, je ne sais plus à quel moment exactement,
00:57:11mais je crois que c'était au bout de 2 ans,
00:57:14un papier du New York Times, extrêmement fouillé,
00:57:17sur les 12 bases de la CIA
00:57:20en Ukraine en 2014.
00:57:2312 bases de la CIA en Ukraine.
00:57:26Ça veut dire quoi ?
00:57:29À partir du moment où vous avez le Maïdan...
00:57:32Mais on l'a su après ça.
00:57:35Vous étiez complotis si vous parliez de l'histoire de Boris Johnson
00:57:38qui rend caduc l'accord de paix pendant très longtemps.
00:57:41C'est avril 2022.
00:57:44La paix aurait pu s'installer au début de la guerre.
00:57:47On aurait pu éviter 500 000 morts.
00:57:50500 000 ou plus.
00:57:53Personne n'a dit que Boris Johnson était intervenu pour prolonger la guerre.
00:57:56On le savait.
00:57:59Il y a eu les aveux d'Angela Merkel sur Minsk.
00:58:02Et de François Hollande.
00:58:05On a simplement signé ce traité.
00:58:08On a simplement signé ces accords de Minsk pour gagner du temps
00:58:11et permettre de préparer la guerre.
00:58:14C'est un jeu de dupe dont la Russie était la victime.
00:58:17Est-ce qu'il exonère de sa réaction ?
00:58:20De la culpabilité que peut avoir sa réaction ?
00:58:23Parlons de la Russie.
00:58:26C'est à ce moment-là que vous voulez créer l'OMERTA.
00:58:29Comment ça se passe la création de l'OMERTA ?
00:58:32TVL a de très bons rapports avec l'OMERTA.
00:58:35Nous ne sommes pas sur le même créneau.
00:58:38Ça s'est passé à l'occasion de l'affaire russe.
00:58:41L'intervention et la création de l'OMERTA,
00:58:44l'intervention russe en Ukraine,
00:58:47ce média se fait dans le but...
00:58:50Ce n'est pas un média qui est exclusivement
00:58:53tourné vers la guerre en Ukraine.
00:58:56Mais il s'avère que Charles Danjou, son fondateur,
00:58:59a travaillé comme fixeur pour l'isramboudoul
00:59:02en reporter de TF1 dans le Donbass.
00:59:05Il faut dire qu'il y a un fixeur.
00:59:08Il accueille un journaliste qui est pilote.
00:59:11Il connaît très bien la région.
00:59:14Il a vécu à Moscou.
00:59:17Il a ses compétences. Il parle russe.
00:59:20Mais il a couvert cette guerre pour TF1.
00:59:23Il s'est dit qu'on ne ferait pas un média de documentaire
00:59:26et qu'on ne le continuerait pas.
00:59:29L'idée est là au départ.
00:59:32Moi, ayant quitté Paris Match,
00:59:35j'ai travaillé pour Canal+.
00:59:38Pourquoi d'ailleurs ?
00:59:41J'ai été viré.
00:59:44Dites-nous ça.
00:59:47Ce n'est pas un secret.
00:59:50J'étais directeur adjoint de Paris Match pendant 11 ans.
00:59:53Vous étiez à la grande ponte de Paris Match.
00:59:56Qu'est-ce qui s'est passé ?
00:59:59Mon directeur Olivier Royan a eu un cancer.
01:00:02Il est décédé en 2021.
01:00:05Non, en 2020.
01:00:08Ensuite, j'ai candidaté pour lui succéder.
01:00:11Mais ça n'a pas été approuvé.
01:00:14On a mis un autre directeur.
01:00:17Après, je ne suis pas un politique.
01:00:20Je suis quelqu'un de politique.
01:00:23Je suis quelqu'un de politique.
01:00:26Je suis quelqu'un de politique.
01:00:29Je suis quelqu'un de politique.
01:00:32J'essaie de faire le plus honnêtement possible mon métier.
01:00:35Les petites combines...
01:00:38Ça n'a pas marché ?
01:00:41Non, j'étais peut-être un peu naïf.
01:00:44Je n'avais peut-être pas assez d'appui.
01:00:47C'est le moins qu'on puisse dire.
01:00:50Épidermiquement, je ne suis pas fait comme ça.
01:00:53Il y a d'autres gens qui sont faits pour ça.
01:00:56Forcément, la nouvelle direction
01:00:59me regardait comme une trace de légitimité
01:01:02de l'ancien groupe.
01:01:05Ça ne s'est pas bien passé.
01:01:08Il a fallu que je parte.
01:01:11À ce moment-là, vous ne saviez pas ce que vous alliez faire ?
01:01:14Non, du tout.
01:01:17Sauf que j'ai eu la chance de partir à Kaboul.
01:01:20J'ai fait une formation vidéo juste avant.
01:01:23J'avais commencé à réfléchir à mon prochain reportage pour Paris Match
01:01:26qui devait être pour le 11 septembre,
01:01:29les 20 ans de la guerre en Afghanistan.
01:01:32J'avais commencé à réfléchir.
01:01:35Lors de ce stage, la dame qui nous avait fait ce stage
01:01:38m'avait dit qu'un documentaire, il faut le faire comme ça.
01:01:41Repérer vos personnages, faire le pitch,
01:01:44les plans-séquences,
01:01:47essayer d'imaginer comment vous pouvez l'articuler.
01:01:50J'ai appris comme ça.
01:01:53J'ai fait une sorte de proposition
01:01:56de reportage qui, au départ,
01:01:59était 20 ans d'occupation américaine.
01:02:02On ne savait pas du tout que les talibans allaient revenir
01:02:05avant même cet anniversaire.
01:02:08On avait prévu un jeune Américain
01:02:11qui est là-bas, qui a 18 ans,
01:02:14qui n'a connu que, qui est déployé en Afghanistan,
01:02:17qui a toujours été occupé, depuis qu'il est né,
01:02:20par les Américains, un jeune taliban,
01:02:23un jeune soldat, un jeune policier,
01:02:26toute la société afghane à l'heure américaine
01:02:29aux 20 ans de l'intervention.
01:02:32En réalité, en sortant de ce stage,
01:02:35avant que je quitte Paris Match,
01:02:38j'ai quitté Paris Match le 16 juin 2021.
01:02:41Vous vous souvenez de la date ?
01:02:44Un passement au cœur ?
01:02:47Quand vous avez 27 ans dans une boîte...
01:02:50A l'époque, j'ai 56 ans.
01:02:53Il y a deux ans, j'en avais 54.
01:02:56Si vous faites 27 et 27, ça fait 54.
01:02:59J'ai passé la moitié de ma vie dans ce journal.
01:03:02Oui, ça faisait quelque chose.
01:03:05Vous me demandiez ce que vous alliez faire.
01:03:08J'avais ce reportage.
01:03:11Tony Comiti, un grand producteur français,
01:03:14m'avait dit qu'il y avait déjà
01:03:17beaucoup de choses de prévues.
01:03:20Il est revenu vers moi et m'a dit...
01:03:23Je travaillais à l'époque sur les talibans
01:03:26avec une photojournaliste,
01:03:29Véronique de Vigry,
01:03:32qui avait encore plus d'expérience.
01:03:35C'est elle qui m'avait amené à couvrir l'Afghanistan.
01:03:38C'est ça, tous les deux.
01:03:41Tony Comiti nous dit que son truc
01:03:44est intéressant.
01:03:47Ils ont déjà 5 épisodes sur les tours.
01:03:50On voit qu'on arrive tard.
01:03:53On n'a pas forcément les compétences.
01:03:56On a nos compétences en Afghanistan.
01:03:59Comiti nous dit qu'il n'y a pas beaucoup
01:04:02de gens qui vont chez les talibans.
01:04:05On dit qu'on va voir.
01:04:08On prend contact.
01:04:11C'est difficile parce qu'il y a des offensives.
01:04:14Ils ne prennent pas beaucoup de journalistes.
01:04:17On comprend qu'il faut aller là-bas.
01:04:20La dernière minute,
01:04:23Comiti nous appelle en nous disant
01:04:26de venir tous les deux.
01:04:29Il y a le directeur des documentaires
01:04:32qui est peut-être intéressé.
01:04:35On arrive.
01:04:38On est dans la tour de Canal+.
01:04:41Christine Coquelin s'occupait des docu.
01:04:44Il y avait son boss.
01:04:47Tout à coup, il nous voit tous les deux.
01:04:50Il me dit que c'est nous qu'on veut voir
01:04:53dans le film avec les talibans.
01:04:56Il faut incarner un peu.
01:04:59Le sujet reste le 11 septembre.
01:05:02Je pars de match.
01:05:05Une semaine plus tard,
01:05:08je suis dans l'avion pour partir à Kaboul.
01:05:11J'arrive à Kaboul.
01:05:14Au bout d'une semaine,
01:05:17la situation commence à être très compliquée.
01:05:20Il y a des embuscades et des offensives.
01:05:23Dans la profession,
01:05:26l'absence de chance est une faute professionnelle.
01:05:29Là, on a cette chance incroyable.
01:05:32Vous qui aimez les moments...
01:05:35Tout était très chaotique.
01:05:38Il y avait une tension.
01:05:41Il n'y avait personne dans l'hôtel.
01:05:44Il n'y avait que des travailleurs
01:05:47qui venaient au petit déj le matin.
01:05:50J'aime bien me lever tôt.
01:05:53J'avais l'impression d'être dans la pièce d'à côté.
01:05:56La communication était incroyable.
01:05:59On était chacun à l'autre bout de la terre.
01:06:02Je parlais à mes enfants.
01:06:05Quand je leur avais parlé,
01:06:08je prenais mon petit déj.
01:06:11Les autres dormaient.
01:06:14J'écoutais le seul silence du matin.
01:06:17On entendait les tourterelles.
01:06:20C'est le seul moment
01:06:23où le brouhaha de la ville arrive.
01:06:26D'autres oiseaux arrivaient.
01:06:29La frontière immense entre l'écrivain et le journaliste.
01:06:32Avec une ville qui bouillait des campagnes.
01:06:35Vous aviez ces forces archaïques
01:06:38sorties du fond des âges.
01:06:41Les bases américaines étaient prêtes à partir.
01:06:44On était au point de bascule.
01:06:48On dansait au bord d'un volcan.
01:06:51On avait l'autorisation
01:06:54d'aller voir les talibans.
01:06:57Sur la route, on tombe en buscade.
01:07:00Une patrouille de l'armée afghane passe.
01:07:03Les talibans étaient planqués.
01:07:06On est dans notre voiture.
01:07:09C'était terrible.
01:07:12J'avais eu peur d'y rester.
01:07:16Pour aller chez les talibans,
01:07:19c'était en buscade.
01:07:22Vous aviez un peu la baraka.
01:07:25Oui, je sais.
01:07:28On va faire ce reportage.
01:07:31On arrive chez des types
01:07:34qui sont d'abord très militarisés.
01:07:37Avec leurs habits.
01:07:40On rencontre un chef.
01:07:44Il y a des tonnes d'armes dans un bâtiment.
01:07:47On voit tous les talibans
01:07:50qui viennent récupérer les armes.
01:07:53Ils nous montrent les bases
01:07:56qui viennent de conquérir l'armée afghane.
01:07:59Il y a des containers entiers
01:08:02avec des mitrailleuses partout.
01:08:05On comprend qu'ils s'équipent
01:08:08pour conquérir Kaboul.
01:08:11C'est l'assaut.
01:08:14L'embuscade a lieu à peu près 10 km du centre-ville.
01:08:17On avait l'impression
01:08:20qu'on était du côté de la patrouille afghane.
01:08:23Si les talibans arrivaient au centre-ville,
01:08:26c'était terminé.
01:08:29On est allé voir David Martinon,
01:08:32l'ambassadeur français à Kaboul.
01:08:35Il nous a dit
01:08:38qu'on avait déjà demandé des avions
01:08:41pour faire partir nos ressortissants.
01:08:44Les américains étaient étonnamment
01:08:47très peu inquiets.
01:08:50Les français, beaucoup plus inquiets.
01:08:53On est rentrés fin juillet.
01:08:56Le 15 août, Kaboul est tombé.
01:08:59Il a fallu faire le docu en 4e vitesse.
01:09:02C'était le premier documentaire
01:09:05sur le retour des talibans.
01:09:08C'était un moment
01:09:11où l'on accompagnait l'histoire.
01:09:14Il y a une révolution dans le métier.
01:09:17Vous parlez de documentaires.
01:09:20Ce n'est plus du tout
01:09:23le métier d'il y a 50 ans.
01:09:26Ce qui arrive avec nos chaînes dissidentes
01:09:29est une revanche formidable.
01:09:32Une formidable revanche
01:09:35du vrai métier de journaliste.
01:09:38Il va sur place.
01:09:41Il ne reprend pas le narratif.
01:09:44C'est un mot très à la mode.
01:09:47C'est anglo-saxon, la narration.
01:09:50Ce n'est pas un mot anglo-saxon.
01:09:53Le journaliste peut redevenir
01:09:56un journaliste.
01:09:59Il peut être provocateur
01:10:02grâce aux chaînes dissidentes.
01:10:05Tant pis s'il disparaisse.
01:10:08On a des instruments de rechange.
01:10:11La vieille télévision
01:10:14est en train de disparaître.
01:10:17Quand on veut s'informer,
01:10:20c'est Youtube.
01:10:23La plus formidable révolution
01:10:26est la multiplication des canaux
01:10:29de diffusion de l'info
01:10:32ou d'exposition des photos.
01:10:35Il n'y a pas plus de bons photographes
01:10:38qu'il y en avait à l'époque.
01:10:41Il y a plus d'appareils photos.
01:10:44J'évoquais la question du journalisme citoyen.
01:10:47On pouvait témoin de choses.
01:10:50Le monde était couvert en entier.
01:10:53A l'époque, il y avait des endroits
01:10:56qui avaient eu un massacre ou une bataille.
01:10:59Il y a des choses qui pouvaient
01:11:02passer inaperçues.
01:11:05Aujourd'hui, c'est plus difficile.
01:11:08L'approche du métier est différente.
01:11:11C'est une formidable opportunité.
01:11:14Une revanche.
01:11:17La propagande élémentaire
01:11:20ne marcherait plus.
01:11:23Il y a les contrepoisons immédiates.
01:11:26Aujourd'hui, on a un souci
01:11:29à déceler la vérité.
01:11:32On le savait mieux avant.
01:11:35Aujourd'hui, chacun a sa vérité.
01:11:38Il n'y a plus de vérité officielle.
01:11:41Il n'y a pas forcément la vérité.
01:11:44Il y a des gens qui la cherchent.
01:11:48Je crois que les débats contradictoires
01:11:51sont très rares.
01:11:54J'ai cité Frédéric Taddeï.
01:11:57Je l'entendais expliquer pourquoi
01:12:00il avait quitté CNews.
01:12:03Il avait paradoxalement plus de liberté
01:12:06que chez CNews.
01:12:09Comme il y avait un besoin de caution
01:12:12de la part de la chaîne,
01:12:16sur CNews, on lui a demandé
01:12:19de faire du débat contradictoire.
01:12:22Un jour, on lui a dit qu'il fallait arrêter
01:12:25le débat contradictoire.
01:12:28Quand je parlais des instruments de liberté,
01:12:31je ne pensais pas du tout à CNews.
01:12:34Je pensais à des chaînes comme TVL,
01:12:37Omerta, etc.
01:12:40C'est-à-dire des chaînes sur YouTube.
01:12:44Récemment, j'étais à un salon du Livre
01:12:47dans une ville charmante
01:12:50qui s'appelle Cônes-sur-Loire,
01:12:53au centre de la France.
01:12:56On m'a présenté avec d'autres écrivains...
01:12:59D'un côté, la Bourgogne, de l'autre, le Cher.
01:13:02Je ne connaissais pas du tout.
01:13:05Charité-sur-Loire, Cônes-sur-Loire...
01:13:08Vous connaissez le monde entier.
01:13:12J'arrive là-bas et on me présente
01:13:15un certain nombre de personnalités.
01:13:18Il y avait des dames
01:13:21avec qui je commençais à discuter.
01:13:24Le Rotary Club du coin.
01:13:27Par curiosité, on parlait de l'actu.
01:13:30Je leur demandais ce qu'ils regardaient.
01:13:33Les chaînes YouTube.
01:13:36C'était des personnes d'un certain âge.
01:13:40Là, je me suis dit qu'il n'y avait rien de changement.
01:13:43Les gens vont prendre l'habitude
01:13:46de s'informer par leur ordinateur.
01:13:49On va les foutre à la poubelle.
01:13:52Enfin, les télévisions !
01:13:55Vous n'avez plus la messe du 20h.
01:13:58Ou même du 13h.
01:14:01Les personnalités de Jean-Pierre Pernaut,
01:14:04qui étaient des marqueurs,
01:14:08le média du service public,
01:14:11ou le média privé,
01:14:14deviennent un média parmi d'autres.
01:14:17Conclusion optimiste,
01:14:20peut-être qu'on ne peut plus
01:14:23diaboliser, dédiaboliser.
01:14:26Vous nous parliez de l'Assad.
01:14:29Vous l'avez rencontré plusieurs fois.
01:14:32Il suffit de lire ce livre.
01:14:36Outre sa philosophie générale,
01:14:39consistant à montrer que la propagande peut tout faire,
01:14:42ou pouvait tout faire,
01:14:45peut-être que c'est en train de cesser
01:14:48grâce à l'explosion
01:14:51des instruments d'information et YouTube.
01:14:54Il est très bien écrit.
01:14:57Je me demande si vous n'avez pas
01:15:00une troisième ou quatrième carrière.
01:15:03Celle d'écrivain.
01:15:06Je disais que la ligne est mince
01:15:09entre le journaliste tel que vous prenez
01:15:12le journaliste qui écrit et l'écrivain.
01:15:15Il y a des grands parrains comme Kessel
01:15:18et quantité d'autres personnages.
01:15:21Vous revendiquez cette filiation
01:15:24de l'écrivain plus écrivain que journaliste.
01:15:27Vous allez être plus écrivain que journaliste.
01:15:30Au début de ma carrière,
01:15:33quand je partais en reportage,
01:15:36j'étais frileux.
01:15:39J'appréhendais.
01:15:42On appréhende toujours le reportage.
01:15:45J'ai fait mes premiers reportages en Irak
01:15:48avec l'armée américaine pendant des offensives.
01:15:51J'étais vraiment mis dans le jus direct.
01:15:54C'est la guerre en Irak qui m'a beaucoup mis pied à l'étrier.
01:15:57Progressivement,
01:16:00deuxième, troisième reportage,
01:16:03on reprend ses marques.
01:16:06J'étais toujours à l'époque extrêmement content de revenir.
01:16:09L'appréhension se faisait au départ.
01:16:12Le fait d'être sur place,
01:16:15il y avait de l'anxiété, de l'adrénaline.
01:16:18J'appelais mes parents à l'époque
01:16:21qui étaient aussi inquiets des endroits dans lesquels j'allais.
01:16:24J'étais sorti d'Irak.
01:16:27La base de Rammstein aux Etats-Unis.
01:16:30J'avais accompagné un avion qui transportait des blessés
01:16:33sur la base de Rammstein.
01:16:36Des blessés américains.
01:16:39Une fois sur le sol allemand,
01:16:42j'ai appelé mes parents pour leur dire que je suis sorti d'Irak.
01:16:45Ils ne savaient même pas que j'étais parti.
01:16:48J'essayais de protéger ça.
01:16:51De l'expérience des années, je me suis habitué au terrain.
01:16:54Au point qu'aujourd'hui, quand je pars,
01:16:57je n'ai plus envie de revenir.
01:17:00J'ai des enfants,
01:17:03j'ai des obligations.
01:17:06Structurellement, je suis bien là-bas.
01:17:09Je dors bien là-bas. Ici, je dors mal.
01:17:12Il y a une sorte d'inversion.
01:17:15Au milieu du Charivari, vous les cherchez.
01:17:18Quand vous êtes dans votre lit tranquille,
01:17:21à Paris ou en Bretagne,
01:17:24vous avez une très belle vie.
01:17:27Vous êtes bien conscient de ça.
01:17:30J'ai une très belle vie avec des gens que j'ai laissés sur le carreau,
01:17:33avec mon meilleur ami qui est mort en Libye,
01:17:36tué par un obus.
01:17:39J'ai des copains qui ont eu des accidents,
01:17:42qui sont aujourd'hui handicapés.
01:17:45J'ai eu beaucoup de chance.
01:17:48Très belle vie, très beau portrait.
01:17:51En vous quittant après cette 3e conversation,
01:17:54je vous remercie encore.
01:17:57Il y a un moment où je voulais parler d'Oradour-sur-Glane,
01:18:00auquel vous avez consacré un livre.
01:18:03On l'a annoncé plusieurs fois, on ne l'a pas fait.
01:18:06On a tout le temps.
01:18:09J'ai entendu que Jean-Michel Apathy en avait parlé.
01:18:12C'est un peu la polémique en ce moment.
01:18:15Je trouve ça assez ridicule.
01:18:18C'est terrible ce métier de journaliste,
01:18:21parce que tout est le contraire.
01:18:24Est-ce que ce sont vraiment des journalistes ?
01:18:27Oui, pour Apathy, pas du tout.
01:18:30C'est un propagandiste de base.
01:18:33Je me demande si la vérité ne finit pas par émerger.
01:18:36L'histoire du journalisme se prolonge bien.
01:18:39Vous êtes un peu un pionnier.
01:18:42Vous avez réussi à renverser la vapeur.
01:18:45Je n'ai pas réussi.
01:18:48Donald Trump m'a bien aidé.
01:18:51Quand on réalise avec Donald Trump...
01:18:54Regardez l'alignement d'Emmanuel Macron
01:18:57sur les positions de Donald Trump.
01:19:00C'est assez fulgurant.
01:19:03Dans le fond, c'est quelqu'un qui a participé
01:19:07en expliquant qu'il n'y avait plus de lignes rouges avec les Russes,
01:19:10qu'on allait envoyer des troupes pour combattre là-bas.
01:19:13On a été parmi les plus bellicistes.
01:19:16Vincent Hervouet a trouvé une formule l'autre jour.
01:19:19Il a dit que pendant 3 ans,
01:19:22on a joué à la guerre et on a fini par la perdre.
01:19:25C'est exactement ça.
01:19:28On n'a pas arrêté de jouer.
01:19:31Emmanuel Macron allant voir Volodymyr.
01:19:35Tout ça, c'était de la blague.
01:19:38Personne n'allait sur le front.
01:19:41Quelques journalistes y sont allés.
01:19:44J'ai essayé d'apporter ma pierre à l'édifice.
01:19:47J'ai essayé d'être témoin de cette histoire.
01:19:50Quand j'étais en Ukraine,
01:19:53j'ai vu des tranchées qui remontaient
01:19:56à la seconde guerre mondiale.
01:19:59Il y a un écho incroyable d'une guerre.
01:20:02Il y avait des tranchées à côté.
01:20:05C'était des tranchées allemandes qui dataient de 1942.
01:20:08C'est une chose que j'avais déjà constatée à Palmyre.
01:20:11Notamment dans la citadelle de Palmyre
01:20:14où Daesh, au moment où les troupes d'Assad
01:20:17et les Russes ont reconquis Palmyre,
01:20:20avaient réutilisé la vieille citadelle Mamlouk
01:20:23pour défendre la ville.
01:20:26Pourquoi les Russes se retrouvaient
01:20:29dans des endroits où il y avait des tranchées ?
01:20:32Parce que les hommes combattent toujours au même endroit.
01:20:35Sur des positions en hauteur où ils peuvent lancer une offensive.
01:20:38On met des fortifications.
01:20:41On est beau être dans la guerre des drones aujourd'hui.
01:20:44C'est aussi une chose nouvelle,
01:20:47si je pouvais la raconter à la fin.
01:20:50J'ai vécu pendant cette guerre
01:20:53des images ou des scènes
01:20:56que l'on ne voit plus dans la guerre à cause des drones.
01:20:59Le danger du drone, en particulier du drone d'attaque
01:21:02est redoutable.
01:21:05Il ne peut plus y avoir de concentration de troupes
01:21:08ni de concentration de blindés pour lancer une offensive
01:21:11à moins que les circonstances soient de nuit.
01:21:14Mais encore avec les détections de chaleur
01:21:17on arrive à voir l'infrarouge.
01:21:20Les caméras des drones sont devenues absolument redoutables.
01:21:23Récemment on a vu une caméra de drone
01:21:26qui va pour percuter un véhicule ukrainien.
01:21:29Il y a une petite vieille qui passe avec sa poubelle.
01:21:32Le drone s'arrête.
01:21:35Il laisse passer la petite vieille.
01:21:38La vieille repasse.
01:21:41Belle vie, beau portrait, beau personnage que vous êtes.
01:21:44On ne s'est pas attaché à chacun des sites
01:21:47et des guerres.
01:21:50Mais à vous, parcourant ces guerres,
01:21:53qu'allez-vous devenir ?
01:21:56Je ne sais pas. Vous m'avez proposé de continuer à écrire.
01:21:59J'aimerais bien.
01:22:02J'aimerais bien continuer à faire du reportage aussi tant que c'est possible.
01:22:05On ne vous empêchera pas d'en partir pour aller dormir sous les bombes.
01:22:08Pour bien dormir enfin.
01:22:11Merci beaucoup. Je suis très enthousiasmé par tout ce que vous nous avez dit.
01:22:14Il fallait bien ces trois émissions parce que votre personnalité est d'une richesse extraordinaire.
01:22:17Ça me fait plaisir.
01:22:20Nous en sommes tous à TVL reconnaissant.
01:22:23Merci Régis Le Saumier. Merci Paul-Marie.
01:22:26A bientôt. Au revoir.

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