Catégorie
🗞
NewsTranscription
00:00Il ne parle pas beaucoup sur les chaînes de radio et de télévision, il déteste se confier à qui que ce soit.
00:06Voici un homme discret, sensible, fragile, qui se cache derrière un personnage éblouissant.
00:12Moi, je suis un acteur. Il y a des stars qui ont des vies publiques, si vous voulez.
00:19Moi, ma vie publique se borne à jouer sur des scènes et à tourner dans des films.
00:25Vous avez reconnu Jean-Pierre Mariel.
00:27Ma vie n'est pas exposée sur les kiosques de journaux et on n'en parle pas à la télévision.
00:32C'est normal parce que je ne suis pas, si vous voulez, ce qu'on appelle une star populaire
00:38comme les gens de télé ou certaines, oui, 4 ou 5 grosses, grosses, grosses stars de cinéma, voyez-vous.
00:45Je ne pense pas que le public ressente de la même façon la popularité que je peux avoir
00:54ou la notoriété que je peux avoir et la popularité que peut avoir une star comme Brigitte Bardot
01:00ou comme Catherine Deneuve ou comme, parmi les hommes, comme Belmondo de Funès.
01:04Ce n'est absolument pas comparable. Ce serait d'ailleurs, c'est évident, c'est une évidence.
01:09Je suis en train de dire une évidence.
01:11Mais je comprends que les gens aient envie de savoir certaines choses, que je bavarde là, par exemple,
01:16qu'on bavarde ensemble et puis que ça les fait pénétrer un petit peu plus dans l'intimité d'un acteur
01:24Jean-Pierre Mariel est né le 12 avril 1932 à Paris.
01:28J'ai eu une enfance citadine et une enfance villageoise à la fois,
01:31puisque je suis d'origine terrienne du côté de ma mère et puis d'origine parisienne du côté de mon père,
01:37qui fait que j'ai passé mes premières années dans Lyon, chez ma grand-mère, dans un petit village
01:44et puis j'ai été également très parisien dans le 13e et le 14e arrondissement
01:51et tout ça, j'ai été mêlé à la vie de la campagne et à la vie citadine à la fois
01:59et puis j'ai été en pension en province, où je me suis beaucoup ennuyé, voyez-vous, dans un lycée très très très triste,
02:09vieux lycée Impériaux, lycée Carnot à Dijon, et c'est là où j'ai senti qu'il fallait que je m'échappe
02:17et le théâtre a été pour moi, si vous voulez, la possibilité de fuir un petit peu le quotidien
02:24et ça a été, si vous voulez, l'échapper vers l'aventure.
02:29C'était à l'occasion d'une distribution des prix.
02:31L'un des professeurs du lycée voulait organiser une représentation théâtrale.
02:36Il avait choisi deux pièces de Tchaikov, l'Ours et la Demande en mariage.
02:40Jean-Pierre Mariel avait été choisi comme interprète.
02:43Pour lui, une nouvelle vie commençait.
02:47...
02:56Ses études terminées, Jean-Pierre Mariel essayait d'apprendre le métier d'acteur.
03:01J'ai tout de suite rencontré des gens qui sont d'ailleurs toujours mes amis
03:07et puis ça a été, j'ai eu une jeunesse d'acteur très très agréable et très heureuse
03:13dans les années 54, 55, 56 jusqu'en 66, 68,
03:19une vie assez heureuse où le théâtre était une fête, un petit peu pour moi,
03:27comme Paris a été une fête pour d'autres.
03:29Jean-Pierre Mariel commençait par fréquenter un cours de la dramatique, celui de la rue Blanche.
03:34Puis il réussissait à entrer au conservatoire, c'était en 1954,
03:39la même promotion que Jean-Paul Belmondo, Annie Girardot, Claude Riche, Bruno Crémer,
03:44Philippe Noiret et Jean Rochefort.
03:46Et on en parlait l'autre fois avec Rochefort, on a eu une jeunesse un petit peu semblable
03:50et quand on est arrivé au centre, au centre du spectacle,
03:53ça s'appelait le centre d'art dramatique de la rue Blanche
03:57et qu'il y avait, si vous voulez, une petite ambiance encore un peu scolaire
04:02mais quand même assez éloignée de l'ambiance d'un lycée
04:05et puis c'était mixte et on se rencontrait tous les matins,
04:12les garçons, les camarades, les filles, il y avait une sorte de gaieté, de joie,
04:16c'était très agréable et pour moi j'ai eu le sentiment de débarquer sur une planète inconnue
04:22à tel point que, pendant très longtemps, j'ai eu beaucoup de mal à jouer au théâtre sans rire.
04:29J'y restais continuellement.
04:31Pendant des années, j'ai pas joué un soir sans rigoler et sans me cacher.
04:36Je ne sais pas pourquoi, ça me provoquait une telle jubilation que je rigolais.
04:42On a été avec Rochefort pendant, lui il y a resté sept ans et moi trois ans,
04:46dans la compagnie Grenier-Husnault et il n'est pas un soir où on ne rigolait pas.
04:51C'était vraiment une partie de rigolade permanente
04:55et j'ai cru pendant très longtemps que le théâtre c'était ça, c'était rire.
05:01...
05:21« Le théâtre ou le cinéma, c'est toujours une expérience jubilatoire », aime dire Jean-Pierre Mariel.
05:26Quand on travaille, par exemple, là comme dernièrement,
05:29quand on a tourné le coup de torchon avec Tavernier au Sénégal,
05:32il y avait avec des camarades qui étaient des camarades de longue date
05:38et Tavernier avec qui j'ai travaillé dans la fête-commence et tout ça,
05:44on a travaillé dans des conditions de travail et d'amitié bien.
05:53C'était bien parce qu'on travaillait en profondeur
05:58et en même temps on avait une sorte de bonheur de se retrouver, c'est toujours le cas.
06:04...
06:20La chance est importante dans le métier d'acteur plus qu'ailleurs.
06:24Par exemple, lorsque Jean-Luc Godard a vu Jean-Paul Belmondo pour la première fois,
06:28il aurait suffi que l'un ou l'autre ne fréquente pas le même bistrot
06:32et Godard ne se serait pas mis à coller Belmondo pour qu'il fasse son film.
06:36Tout aurait pu changer pour l'un comme pour l'autre
06:39et la nouvelle vague n'aurait pas eu à bout de souffle comme détonateur.
06:43...
06:53Jean-Pierre Mariel le sait mieux que tout le monde, Belmondo était son copain.
06:57Il l'a vu devenir une vedette du jour au lendemain.
07:00Il a vu toute une génération d'acteurs aspirés par un cinéma qui se voulait anticonventionnel.
07:06Il a vu toute la jeunesse de l'époque s'enflammer pour de nouvelles vedettes.
07:10Ces vedettes étaient pour la plupart ses copains du conservatoire.
07:13Ils devenaient presque tous les idoles de leur époque,
07:16tandis que lui, Jean-Pierre Mariel, restait à l'écart de la mode,
07:20donc de la chance qui passait à ce moment-là.
07:22Jean-Luc Godard a été vraiment, je trouve, c'est un metteur en scène
07:26et un homme qui a fait des choses complètement...
07:29C'est les choses les plus importantes qui ont été faites au cinéma en France, quoi.
07:34C'est pas la peine de dire le contraire.
07:36Depuis Vigo, Renoir et puis tous ces gens-là, quoi.
07:39Godard a fait des films magnifiques, que j'adore, moi.
07:45Vraiment.
07:46Et puis pas rien, pas tous ceux dont on parle toujours.
07:50Il y en a plein d'autres qui sont des petits chefs-d'oeuvre.
07:54Bande à part, par exemple.
07:56C'est un film formidable.
07:58Masculin-féminin, c'est très, très, très bien.
08:01Alors évidemment, il y a Pierre-Olefou.
08:03C'est splendide, Le Mépris.
08:05Il y a bout de souffle, là, quand Belmondo a explosé, là.
08:10Comme une fusée, là.
08:12Ça a été vraiment très, très, très, très, très bien.
08:16Il n'y a pas eu grand-chose depuis.
08:25À l'époque de La Nouvelle Vague,
08:27Jean-Pierre Mariel était un comédien qui s'amusait beaucoup à jouer la comédie.
08:31Il jouait au théâtre, au cabaret.
08:33Il y a plein d'acteurs qui se morfont chez lui
08:35en attendant que le cinéma s'aperçoive qu'il existe.
08:38Je suis un type profondément joyeux,
08:41comme sont les sceptiques, si vous voulez.
08:44Il y a des moments tout à fait somptueux dans la vie.
08:50Moi, j'ai passé des moments magnifiques.
08:53Il y a des fous du quart d'heure, mais c'est tout le monde.
08:58Mais il y a des moments épatants.
09:00Il y a vraiment des bons moments.
09:02Et puis j'espère qu'il va y en avoir encore.
09:06Le seul regret, c'est que je regrette de ne pas avoir profité plus de certaines choses.
09:16J'ai un grand regret dans la vie.
09:18C'est de ne pas, quand j'avais 20 ans, 21 ans,
09:20avoir pris un sac et m'être barré aux États-Unis.
09:24Ça, c'est une chose qui me manque.
09:26Je regrette de ne pas être allé traîner dans les bois fonds de New York
09:31en 1952-1953.
09:34Aller écouter les stéréos de Charlie Parker dans les boîtes.
09:38Ah oui, ça, c'est vraiment bête, ça.
09:41De remonter vers le Nouveau-Mexique.
09:43Là, c'est peut-être mes lectures.
09:44Là, c'est peut-être sur la route.
09:45C'est peut-être les vieux souvenirs des écrivains bitniques,
09:47de Kinsberg, de Kerouac, de tout ça.
09:51Du vieux fou.
09:52Le petit caca qui éclate de beurreau.
09:56Oui, mais ça a dû être une époque admirable.
10:01J'ai un petit peu la nostalgie de ça et je me dis que c'est dommage
10:03parce que j'aurais pu y être.
10:05Puisque j'ai l'âge.
10:07J'ai 49 ans, j'aurais pu y être.
10:31...
10:41...
10:51...
11:01...
11:11...
11:21...
11:34C'était Lester Young.
11:36Après avoir tourné son premier film en 1954 avec Henri Decoin,
11:40Jean-Pierre Mariel était resté trois ans sans faire de cinéma.
11:43Mais il lui avait fallu attendre quatorze ans
11:46pour obtenir un vrai succès personnel sur un écran.
11:49C'était sous la direction de Philippe De Broca.
11:52Ah, c'était un joli film de Philippe De Broca
11:54qui démarrait joliment, s'il s'appelait Le Diable par la queue.
11:57Oui, puis c'est un moment où Daniel Boulanger a écrit des rôles
12:01un peu pour moi comme ça.
12:03Ça l'amusait de me faire jouer des rôles un petit peu
12:06de playboy un peu débile comme ça,
12:08mais tellement débile que ça rejoignait
12:11un certain côté d'idiotie un peu épique comme ça.
12:18J'aime bien un certain lyrisme.
12:21Je serais plus sensible à des écrivains comme Céline, comme Queneau
12:25qu'à des écrivains réalistes, si vous voulez.
12:28Acteur épique, facilement emporté par la folie de ses personnages,
12:50Jean-Pierre Mariel avait du mal à se retrouver dans les héros traditionnels
12:54du cinéma populaire.
12:56Je n'ai jamais été très confortable dans la vie.
13:03Et je n'aime pas beaucoup les choses confortables.
13:06Je n'aime pas les œuvres confortables.
13:08Je n'aime pas ça.
13:10Je n'aime pas beaucoup ça.
13:12Je veux dire, j'aime bien quand il y a dans une œuvre,
13:18j'aime bien chez les gens que je rencontre
13:20quand je sens qu'il y a une certaine crevasse,
13:22une certaine fragilité, une certaine fêlure.
13:26Je sens qu'il y a quelque chose qui me parvient.
13:32Je veux dire que quelqu'un qui est parfaitement à l'aise,
13:35qui est parfaitement content, qui est d'un optimisme triomphant,
13:38ça me navrerait plutôt.
13:40Moi, les optimistes, les inconditionnels de l'optimisme,
13:47pour moi, ils sont proches de somptueux crétins, souvent.
14:06En 1974, Jean-Pierre Mariel rencontrait le personnage
14:10qu'il attendait depuis longtemps.
14:12Un être baroque, mais fragile et un peu fou,
14:15avec un courage excessif et hors de la réalité des autres.
14:19C'était le rôle du marquis de Pontcalec,
14:21dans le film de Bertrand Tavernier.
14:23Que la fête commence.
14:25Le marquis de Pontcalec est un noble breton en révolte,
14:28sous la régence,
14:30ou plutôt à la tête d'une révolte qui n'aura jamais lieu.
14:34Une révolte composée de troupes hypothétiques
14:36et d'alliances imaginaires.
14:38Mais le marquis parle fort.
14:40Il harangue les populations avec ferveur.
14:42Il est prêt à soulever la terre entière pour sa cause
14:45ou à combattre seul s'il le faut.
14:47Un personnage qu'affectionne particulièrement Jean-Pierre Mariel.
14:51Ce personnage m'a assez fasciné.
14:54Il s'est trouvé que ça correspondait probablement
15:00à certaines choses que je pouvais rendre.
15:04C'est toujours comme ça pour un acteur.
15:06Il faut qu'on soit inspiré un petit peu.
15:08Par exemple, le rôle que je joue,
15:10la Jane Cornflakes dans Les Trangleurs Sexys d'Éric Nagar,
15:14quand j'ai lu la pièce, la pièce m'a tout de suite plu.
15:17L'humour de la pièce m'a plu.
15:18Le climat de la pièce m'a plu.
15:20Et le personnage, qui est un fou furieux,
15:22m'a séduit beaucoup.
15:25Mais la folie, c'est séduisant.
15:27Toujours un petit peu.
15:29Ce qui est terrible, c'est la grisaille.
15:36Oui, la médiocrité, la grisaille,
15:40le quotidien ennuyeux.
15:44Et dès le moment où ça dérape un petit peu
15:49vers la fantaisie, vers l'imaginaire,
15:54vers le fantastique,
15:56je suis toujours plus inspiré
15:59que par des personnages terre à terre
16:04qui m'ennuient un petit peu.
16:06...
16:30Le rôle du marquis de Pontcalet
16:32qui avait relancé la carrière de Jean-Pierre Mariel.
16:35Un an plus tard, il faisait une seconde rencontre
16:38qui allait lui valoir un nouveau succès important.
16:41Celle de Joël Seria avec qui il tournait
16:43Les Galettes de Pontavène.
16:45J'aime bien cet acteur parce que je me retrouve en lui.
16:49Alors, étant auteur, c'est intéressant pour un auteur.
16:52Joël Seria.
16:53Il y a une angoisse réelle.
16:55Il y a une grande sensibilité.
16:57Je crois que c'est un grand solitaire, Mariel.
17:01C'est un grand, grand solitaire.
17:03Par moments, il y a beaucoup de choses qui le gênent.
17:05Il est agressé par plein de choses,
17:07des choses qui le dérangent.
17:09Alors, bon, il est mieux fuir un peu tout ça.
17:13On ne le voit pas s'exposer comme d'autres s'exposent.
17:16Mais au fur et à mesure que filent les années,
17:18Jean-Pierre Mariel domine de mieux en mieux son métier.
17:21Il se sent aujourd'hui capable de se diriger
17:23avec plus de précision à travers un rôle.
17:26Jouvet avait dit des choses assez justes à ce sujet.
17:28Il disait que quand on est un jeune acteur,
17:32on essaye de ressentir l'émotion.
17:34Et puis, elle ne passe pas pour autant.
17:37On pleure, on se roule par terre, on souffre.
17:40On a le sentiment de bien jouer la comédie, il ne passe rien.
17:43Et puis, avec le temps, on arrive à se détacher un peu de soi
17:48et à se voir un petit peu jouer, si vous voulez,
17:51à se diriger, à diriger tout son mental,
17:56tout ce qu'on a pu acquérir par la vie,
17:59par les heures qu'on a pu avoir, les souffrances.
18:02Et on arrive à se servir de ça et à participer moins,
18:07mais à faire plus participer les autres.
18:10Je crois que c'est ça.
18:11Quand on arrive à ça, ça veut dire qu'on est un vrai acteur
18:14et qu'on est arrivé à quelque chose.
18:16Et vous voyez, je vais vous dire une chose.
18:18Très souvent, je me dis que c'est...
18:21Pour moi, je le ressens des fois, par moments, fugitivement.
18:25Mais il y a des moments où c'est encore un petit peu confus.
18:30Je me dis que je suis encore un peu confus,
18:33que je ne suis pas arrivé à vraiment dominer entièrement la machine.
18:48Voilà 25 ans que Jean-Pierre Mariel fait du cinéma,
18:50des années de travail, mais aussi de plaisir de jouer et de progresser.
18:54Des gens qui me voient jouer, qui peuvent avoir une opinion.
18:56Moi, je ne sais pas, je ne me rends pas compte.
18:59Et en plus de ça, je n'aime pas beaucoup me voir.
19:02Je n'aime pas beaucoup me voir, en particulier au théâtre, je ne peux pas.
19:06Ça, c'est impossible.
19:08Et au cinéma, j'éprouve toujours un malaise
19:11parce que quand je me vois au cinéma, je me dis...
19:14Ah, merde, alors j'aurais dû faire ça autrement tout le temps.
19:17Je me dis, pourquoi j'ai fait ça ?
19:19Ah, zut, c'est trop appuyé.
19:22Et puis là, tiens, j'aurais dû...
19:24Et ça me déprime, alors je n'aime pas trop me voir.
19:27J'évite.
19:30J'évite.
19:31Par exemple, je revois les vieux films, je ne m'attendrai pas en me disant...
19:34Oh, mon Dieu, j'ai changé, je m'en fous complètement.
19:37Mais c'est dans le jeu, dans la façon d'aborder le personnage,
19:41dans certaines conceptions, je me dis...
19:44Ah, tiens, j'aimerais bien recommencer.
19:46C'est ça un petit peu qui est un petit peu angoissant
19:51quand on se revoit au cinéma, c'est qu'on est...
19:55Enfin, pour moi, je ne suis jamais très content.
19:59Et j'évite parce que je voudrais toujours, je me dis...
20:04Ah, je voudrais améliorer et recommencer certaines choses.
20:22Jean-Pierre Mariel garde la nostalgie de l'Amérique.
20:25Partir à 20 ans avec son sac et tenter l'aventure aux États-Unis,
20:29c'est le seul regret de sa jeunesse.
20:32Le pays dont il rêve depuis des années, il l'a découvert il y a peu de temps.
20:36En commençant par la ville la plus fascinante du Nouveau Monde, New York.
20:40Vous voyez les chaussures que j'ai, je les ai achetées à New York,
20:42elles sont usées, elles avaient des semelles de double d'épaisseur.
20:44J'ai tellement marché dans cette ville.
20:47Avec ma femme, il y a trois ans, on y était.
20:51On venait juste de se marier.
20:53Et une fois, on est arrivé à l'hôtel, on ne pouvait plus marcher.
20:57On s'accrochait au mur.
21:00Moi, j'avais les genoux bloqués.
21:02Et elle, elle avait la colonne vertébrale, elle ne pouvait plus se baisser,
21:05tellement on avait marché.
21:07On est partis comme des fous dans cette ville.
21:09C'est vrai, c'est une ville extraordinaire.
21:13J'avais tellement lu de Manhattan Transfer, de tout Ospasos,
21:18tout ce qui se passe à New York dans l'an premier du siècle, dans tout ça.
21:23On se fait une idée rêvée de l'Amérique.
21:29On a le sentiment qu'on la connaît.
21:32On arrive à New York, on est surpris.
21:34On se dit, ça ne correspond pas à ce qu'on s'imaginait.
21:36C'est encore plus extraordinaire.
21:39Je me suis dit, bon Dieu, j'ai attendu si longtemps, quelles bêtises.
21:44C'est un des regrets que j'ai.
21:46Oui, mais lorsque Jean-Pierre Mariel avait 20 ans,
21:49il était un jeune acteur plein d'avenir.
21:51Il se passionnait pour le métier de comédien qu'il pouvait exercer sans difficulté.
21:55Or, se retrouver à New York, n'être qu'un simple immigré en quête d'émotion,
22:00le risque de l'échec paraissait grand.
22:02Alors, ce projet n'était resté qu'un rêve,
22:05un rêve qui était né de la musique.
22:07C'est venu par la musique et par la découverte des écrivains américains.
22:12C'est venu comme ça.
22:14C'est venu par le jazz et par la découverte de tous les grands écrivains.
22:22Des gens comme Dos Passos,
22:25comme les écrivains du Sud,
22:29comme Faulkner, comme Carson Macular.
22:32Comme tous ces gens-là.
22:37Et puis, évidemment, par Dos Passos, Hemingway.
22:43Et puis, par le cinéma également.
22:47Tous les gens de ma génération ont été complètement marqués
22:51par tous les grands cinémas noirs américains.
22:54Tous les grands films qui ont marqué des années 48 à 55.
23:01Et il est évident que tous les jeunes acteurs à cette époque,
23:05on a tous été très impressionnés par tous ces films.
23:11Alors, moi, ce qui m'a certainement le plus marqué,
23:18c'est la musique de jazz.
23:22Et quand je suis reparti aux États-Unis,
23:26ça a été un petit peu une sorte de recherche.
23:31Et j'ai retrouvé dans des clubs les musiciens dont j'avais les disques.
23:37Des fois, je les avais vus jouer à Paris, mais je les ai vus rejouer à New York.
23:41J'ai vu jouer, par exemple, des gens comme Dexter Gordon,
23:45qui était allé jouer au Montmartre Café de Copenhague.
23:50Tout ça, je l'ai vu jouer à New York.
23:52Et j'ai vu un soir, c'est dans un endroit qui s'appelait le Hopper's Café,
23:56qui était un très, très bel endroit de New York.
23:58Je suis allé écouter Stan Guest.
24:01J'ai entendu Zoot Zim. J'ai entendu tous ces musiciens.
24:06Je sais qu'en ce moment, il y a beaucoup de jeunes musiciens
24:10qui jouent dans des lofts, c'est ça qu'on appelle,
24:13et qui jouent devant des auditoires souvent privés, comme ça.
24:17Et que dans les clubs, ça a un petit peu disparu
24:21parce que c'est ça qui est incroyable à New York,
24:23c'est que d'une année sur l'autre, on ne retrouve rien, tout a disparu.
24:44Au cours de son deuxième voyage à New York,
24:46Jean-Pierre Mariel a voulu retrouver le Hopper's Café
24:49où il avait pu entendre ses musiciens préférés.
24:51Je me souviens, le Hopper's Café, je suis retourné trois ans après,
24:55et puis je suis arrivé, il y avait une palissade,
24:58et puis j'ai demandé à des gens, le Hopper's Café, on m'a dit, c'est là.
25:02Et c'était un endroit très, très beau, somptueux, magnifique, rempli de monde,
25:07et puis il n'y avait plus personne.
25:10Alors j'ai demandé, et puis il y a un type qui m'a dit,
25:12comme ça, j'ai vaguement compris qu'il y avait eu des morts.
25:15Alors on avait fermé. Alors ça n'existait plus.
25:18Il y avait un mur, un mur en brique, et puis il y avait une palissade devant.
25:23Alors je suis un petit peu allé me balader comme ça,
25:27et puis je suis allé écouter un très, très grand pianiste,
25:32Hank Jones, qui était un très, un pianiste des années 55, 56.
25:39Il était en smoking et il jouait tout seul dans un restaurant où on mangeait de la bouillabaisse.
25:45C'était très, très triste.
25:48Alors c'est cette espèce de côté un petit peu, par moments, enthousiasmant de New York,
25:59et puis par moments un peu funèbre qui m'a beaucoup frappé.
26:16Harlem, le quartier noir de New York, est redevenu la mode.
26:20Il y a quelques années, pas un blanc n'osait s'y aventurer.
26:23Aujourd'hui, la société new-yorkaise, un peu snob et très fortunée, s'installe pour y vivre.
26:29Ils vont habiter là-bas, ils retapent ces très, très belles maisons de style hollandais,
26:33et puis ils s'installent à côté de types qui brûlent leurs chambres,
26:39deux blocs plus loin, et ils foutent le feu par désespoir,
26:43parce que ce sont des gens qui sont complètement démunis.
26:47Et puis d'autres gens vivent dans des maisons très belles, qui remettent en état Harlem.
26:52Moi, je me souviens quand j'y suis allé, alors là c'était assez dur.
26:57Je suis allé avec un copain et sa femme qui est musicienne,
27:02qui est noire, on était tous les deux, puis on est allés avec elle,
27:06on s'est baladés, et c'était assez impressionnant.
27:10Et effectivement, c'est très, très joli Harlem, on croirait une petite ville de province.
27:33J'ai été tellement enceinte
27:41Que je ne m'inquiète plus
27:48J'ai été tellement enceinte
27:57Que je ne m'inquiète plus
28:06Je me demande
28:12Où peut-il y avoir mon bonhomme
28:17Quand il pleut ici
28:27Il pleut sur la mer
28:35Quand il pleut ici
28:43Il pleut sur la mer
28:53Chaque fois que je viens ici
28:59Tout se passe bien
29:13C'était Billy Holiday.
29:15Je suis allé dans des endroits incroyables, où il y avait, je me souviens...
29:19Jean-Pierre Mariel, toujours à la découverte de New York.
29:22Avec mon copain, il y avait 2500 noirs, on était les deux blancs,
29:26et puis il y avait un grand orchestre au milieu du bar, c'est très bien,
29:30il y a un grand bar rond comme ça, immense,
29:33et puis l'orchestre, c'était un organiste énorme, qui ressemblait vaguement à Fats Waller,
29:39qui jouait au milieu du bar, comme ça.
29:44Ce qui m'avait frappé, c'était l'hébétude du public.
29:49On écoutait ça, mais ils venaient écouter, ils aimaient ça,
29:53mais on sentait que c'était des gens fatigués, c'est ça qu'on ressent à New York, c'est la fatigue.
29:58On a l'impression d'être avec des gens excessivement fatigués.
30:01Quand on se bat dans Central Park, on voit des mecs faire du vélo et du pintin à roulettes,
30:05ils sont gris, alors qu'au Bois de Boulogne aussi, je ne sais pas si vous avez vu,
30:09tous les mecs qui courent, on a vraiment le sentiment qu'ils vont mourir au bout de l'allée.
30:14C'est très curieux.
30:30Jean-Pierre Mariel, fasciné depuis son enfance par les Etats-Unis,
30:34découvre New York.
30:36Nous vous proposons de le suivre à travers cette ville étonnante.
30:39On a l'impression que c'est une ville calcinée, complètement détruite.
30:43Les cafés de la brewerie avec une ampoule nue,
30:47et puis qu'ils vendent du whisky, qu'ils fabriquent du whisky, je ne sais pas.
30:54Abuvable.
30:56Et ces jeunes gens qui ont l'air de fantômes.
31:01Ces endroits on dirait des funérariums, c'est très curieux.
31:05C'est une ville étrange qui m'a vraiment tout à fait fasciné.
31:11Puis le physique des gens est très curieux.
31:15On s'imagine un petit peu les Américains,
31:20tels qu'on se représente les Californiens, typiques.
31:23Et puis New York, cette espèce de foule qu'on ne peut imaginer nulle part,
31:31qui est tellement curieuse.
31:33Je me suis promené et puis j'ai regardé en voyeur comme ça.
31:37Jean-Pierre Mariel s'est promené dans New York pendant des heures comme ça,
31:40sans autre but que de respirer la chaleur humaine de la ville.
31:43Et j'ai retrouvé le bonheur de me promener, je ne me promène plus dans Paris.
31:47Pendant des années, je me souviens, j'ai arpenté les rues de Paris,
31:51je me souviens quand on était étudiant avec Belmondo.
31:55Lui, il habitait à Denfert, moi j'habitais rue Guénégo au coin du pont Neuf.
32:02On passait notre temps à se raccompagner.
32:05On était à Saint-Germain, il me disait je te raccompagne.
32:08Il me raccompagnait jusqu'à la rue Guénégo.
32:10Je lui disais je te refais un bout de chemin, puis on se retrouvait devant sa porte à Denfert.
32:13Il me fait aller, je te raccompagne jusqu'à la coupole,
32:15puis hop, on se retrouvait devant chez moi rue Guénégo.
32:17Alors je lui disais je te remonte jusqu'au bon appart.
32:20On se retrouvait à Denfert-Rochereau.
32:22Et puis tout d'un coup, on se disait allez, on va aller boire un verre ouale.
32:26Alors on se retraînait vers les Halles, puis tout d'un coup, on voyait, le jour se levait.
32:31Et ça, je l'ai perdu.
32:35Je n'ai plus jamais retrouvé ça.
32:38Et dans New York, j'ai retrouvé le plaisir du vagabondage.
32:44Très très curieux, j'avais suivi un type, moi,
32:48il faisait moins 12.
32:51Et je ne sais pas, il avait voulu se prouver.
32:55Il avait un sourire figé et il était en tee-shirt et en jean.
33:01Et il faisait comme s'il faisait, il marchait dans la rue comme s'il faisait chaud.
33:07Il jouait le mec qui étouffe de chaleur.
33:10Il faisait moins 12.
33:12Défondu comme ça, ça n'existe nulle part ailleurs.
33:18C'est ça, c'est ça.
33:48C'était Charlie Parker.
34:12Il y avait un sax, un vieux sax qui était juste au coin du Hilton.
34:16Il jouait tout seul.
34:18Et puis il avait un étui à violon pour où les gens mettaient des ronds.
34:21Jean-Pierre Mariel à New York.
34:23Puis il jouait près d'une bouche de chaleur comme ça, très très mal d'ailleurs.
34:26Pendant des heures et des heures et des heures et des heures et des heures dans le froid.
34:30Puis les gens ne lui donnaient pour ainsi dire rien.
34:34Il n'avait rien dans son étui, les gens ne lui donnaient pas d'argent.
34:38Puis on sentait comme ça qu'il était très très misérable.
34:44Et il jouait très très mal.
34:47C'était épouvantable.
34:50Il y a des marasmes, des moments de marasmes dans cette ville
34:54qui sont enfin de tristesse totale.
34:59Mais c'est épouvantable.
35:03C'est terrible, ça ne peut pas être plus triste.
35:06Il y a des endroits d'une tristesse, je ne pense pas qu'on puisse trouver un endroit à Paris
35:11d'une tristesse complète comme ça.
35:14Des cafés par exemple dans certains endroits.
35:17Puis il y a des jolis bars, il y a des endroits très jolis.
35:20Mais des endroits d'une tristesse épouvantable.
35:22Moi j'étais rentré dans le quartier de la banque.
35:28Une fois dans un bistrot en bois.
35:31C'était épouvantable.
35:33Et il y avait des types qui se promenaient dans la rue avec des attachés caisses, des banquets.
35:38Ils rentraient dans des banques énormes dans tout le coin de Wall Street.
35:43Puis là il y avait cette espèce de bistrot.
35:45On se serait cru dans l'Ouest.
35:48Dans un vieux film il y avait une sorte de bar complètement déglingué en bois.
35:53Il y avait une sorte de personnage en papier braché derrière ce bar.
35:58Puis il y avait deux, trois fantômes qui buvaient comme ça là-dedans.
36:03Et puis deux mètres plus loin il y avait, paraît-il, un des restaurants les plus élégants de New York.
36:08Jean-Pierre Mariel se souvient aussi des gens qui parlent.
36:11Ce sont encore des images que l'on croirait tirées d'un film fantastique.
36:14Comme ça des fois j'allais boire un verre, des gens vous parlent.
36:17Et puis alors quand vous avez l'air de les écouter,
36:19vous dites, moi je parle pas anglais, mais un ou deux mots je comprends un peu.
36:22Ils n'imaginent pas une seconde que vous ne puissiez pas les comprendre.
36:26Alors ils vous font des discours qui n'en finissent plus comme ça.
36:30Des discours de sous l'eau comme ça.
36:32Mais on n'écoute pas.
36:35Ce qui m'a frappé aussi c'est les gens qui téléphonent tout le temps.
36:38Je me souviens, j'étais allé une fois déjeuner,
36:43il y avait un mec, je l'avais remarqué parce qu'il avait un chapeau melon type jeune,
36:49dans une cabine téléphonique.
36:51J'ai déjeuné, quand je suis ressorti, il était toujours là, il parlait toujours.
36:55Une heure et demie, à qui il parlait ?
36:59Est-ce qu'il parlait à quelqu'un ?
37:01Je crois jamais qu'il parlait à personne.
37:32À entendre Jean-Pierre Mariel raconter son Amérique,
37:35on pourrait se demander s'il ne teinte pas dans son émotion
37:38le regret d'être passé à côté de sa vraie jeunesse,
37:41celle dont il rêvait à travers le jazz et ses bouquins.
37:44Non, non, non, non, non.
37:46Moi je ne suis pas allé là comme ça,
37:48comme un, si vous voulez, pour aller retrouver
37:51comme les Américains de Paris qui viennent à Paris
37:54puis qui vont boire un verre à la terrasse de la Closerie des Lilacs,
37:58la terrasse de la Closerie des Lilacs et Hemingway
38:01ou qui vont se balader à Montparnasse pour retrouver les fantômes.
38:04Moi je n'y suis pas allé du tout comme ça.
38:06Je n'ai pas du tout ressenti ça d'ailleurs.
38:09J'ai été complètement fasciné par la vie actuelle,
38:13par ce qu'il s'y passe là, maintenant.
38:16Au point de vue musique, j'ai été écouter des musiciens,
38:20mais ce n'est pas par nostalgie, c'est parce que j'aime ça,
38:23parce que je m'y intéresse, c'est parce que c'est tout.
38:25Mais ce n'était pas par nostalgie, vous voyez.
38:27Pas du tout pour ça, comme ça.
38:30Je ne suis pas allé dans le sud,
38:33dans les pas de Faulkner ou des trucs comme ça.
38:37Ce n'est pas ça du tout.
38:39Je suis allé pour voir ce continent-là comme ça
38:41qui m'avait attiré quand j'étais jeune
38:45et que je n'avais jamais pu connaître.
38:47Mais c'est tout, ça s'arrête là.
38:48De toute façon, même si Jean-Pierre Mariel
38:50était parti aux Etats-Unis à 20 ans,
38:52il aurait quand même pu tenter l'aventure du théâtre.
38:55Comédien, c'est le seul métier pour lequel il se sentait fait.
38:58Je crois que je n'aurais rien pu faire d'autre, moi, que je fasse.
39:01J'écris mal.
39:04Je ne sais rien faire d'autre.
39:07Je ne sais rien faire d'autre.
39:11Si je n'étais pas acteur, je ne serais absolument rien.
39:15Non, je ne serais rien.
39:18Je ne sais rien faire.
39:20Je ne suis pas artiste du tout.
39:22Je n'ai aucun don artistique.
39:24C'est des gens qui sont artistes, des acteurs qui peignent,
39:26qui écrivent, qui ne doivent rien du tout.
39:29Moi, en dehors de faire l'imbécile, je ne sais rien faire.
39:33Je ne sais faire que ça.
39:35C'est vrai.
39:36C'était Jean-Pierre Mariel.
39:38Bye bye.
39:43Vous venez d'écouter Destins Extraordinaires,
39:46un podcast issu des archives d'Europe 1.
39:50Réalisation, Julien Tharaud.
39:53Production, Romy Azoulay.
39:55Patrimoine sonore, Sylvain Denis, Laetitia Casanova, Antoine Reclus.
40:01Destins Extraordinaires est disponible sur le site et l'appli Europe 1.
40:05Écoutez aussi l'épisode suivant en vous abonnant gratuitement sur votre plateforme d'écoute.