INTROSPECTION du 13 février 2025
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00:00Kiara, est-ce qu'on peut dire que les faits se sont penchés sur votre berceau ? Est-ce
00:08qu'on peut dire que vous avez de la chance ? Est-ce qu'on peut dire que vous avez une
00:12énergie hors du commun ? Qu'est-ce qu'on peut dire de vous ?
00:16Les faits se sont penchés sur mon berceau, j'ai eu beaucoup de chance, mais j'ai
00:20aussi su saisir la chance, saisir les opportunités.
00:25C'est le fameux libre arbitre.
00:26Oui.
00:28Alors, comment ça se passe ? Vous avez 17 ans, vous êtes en terminale ou en première
00:33? Terminale.
00:34Terminale.
00:35Je finis mon bac à 17 ans et j'ai eu une opportunité unique, c'est-à-dire que la
00:38directrice de l'école m'a demandé tout simplement d'enseigner l'allemand, puisque
00:42c'était ma langue maternelle, dès la quatrième à la terminale.
00:46Et dans ces cas-là, je n'avais aucune vocation pour être prof, mais vous passez de l'autre
00:53côté de la barrière avec vos anciens profs et vous vous dites que c'est un challenge,
00:58parce que moi j'étais d'une timidité maladive et le fait de devoir enseigner à
01:01des jeunes, quelqu'un qui avait plus âgé de moi d'ailleurs, parce que moi j'étais
01:06très jeune.
01:07Et donc si vous voulez, c'est vrai que c'était un vrai challenge, mais en même temps, j'ai
01:10poursuivi ce qui m'intéressait moi, c'est-à-dire devenir journaliste, parce que j'étais
01:15convaincue qu'avec la plume, avec des éditoriaux grinçant très fort, on pouvait changer le
01:21monde.
01:23Donc j'ai commencé au Daily American, ce qui est un combat, et puis je me suis battue
01:26pour rentrer au Globe, dont j'ai vu vraiment la naissance, et je dois dire que j'ai eu
01:31la confiance d'hommes qui ont cru en moi.
01:33On était deux femmes au Globe, une qui est devenue une grande journaliste, et moi qui
01:38étais beaucoup plus jeune, et j'ai pu travailler avec les plus grandes signatures, j'ai pu…
01:42Et vous en mentorez un petit peu, ils vous ont aidé ?
01:44Non, ils ne m'ont pas mentorée, c'était moi qui… je voulais absolument me rendre
01:48utile avec eux, donc je faisais tout pour faire en sorte qu'ils m'apprécient, et
01:52j'ai eu une fois une idée géniale, c'est-à-dire que j'ai demandé à faire des portraits
01:56des grandes personnalités de l'époque, comme personnes humaines, et ça ne se faisait
02:01pas.
02:02Nous, c'était un journal économique, international, moi j'étais au desque de l'économie de
02:05l'international, il n'y avait pas de fait divers, et j'ai proposé de faire le premier
02:08portrait de Margaret Thatcher, en sachant que si je le faisais, j'aurais droit à la signature,
02:13parce que je n'avais pas le droit de signer, je m'étais cessée, c'était déjà un
02:16miracle.
02:18Je traduisais les dépêches de l'AFP, je mettais en forme les trucs de Reuters, ou
02:23dans l'Amérique latine, je suivais la guerre des Marlouines, parce que je parlais bien
02:27espagnol.
02:28Vous étiez grand reporter ?
02:29Sur place.
02:30On ne m'a pas laissée partir, alors ça, c'était une de mes grandes frustrations.
02:34Lucille de Jancaire, il y avait un bateau italien avec les militaires italiens qui
02:40partaient au Liban en 82, en pleine guerre du Liban, et moi je me suis portée volontaire,
02:44et mes parents m'ont dit « bien sûr Cara, tu connais tout le monde au Liban, tu as plein
02:47de copains, etc. ». Et le directeur m'a dit « trop blonde, trop jolie, trop jeune,
02:54donne l'ordre ». Je ne l'ai pas voulu, je ne l'ai pas parlé pendant une semaine,
02:57alors que ce directeur…
02:58Ce sont peut-être des mots qui ont résonné en vous et qui vous ont donné aussi.
03:03Et je me suis vengée, je me suis vengée, très vite, je fais quelque chose que je n'aurais
03:06jamais dû faire.
03:07Trois jours après, c'est l'affaire du bateau, à minuit, vous savez à l'époque
03:13c'était des faxes, on reçoit un dépêche qui nous dit que le belgrano, le bateau amiral
03:20argentin coule.
03:21Vous savez qu'en Argentine, tout le monde a essayé, Madame Thatcher, tout le monde
03:26était côté argentin, bien entendu.
03:28Donc je me dis « tiens, c'est la fin de la guerre ». Mais je n'avais pas le droit
03:33d'aller en typographie, vous savez c'est l'été de la typographie, on changeait
03:36les petits trucs à la main, c'était 82.
03:38Je suis descendue, sans demander l'autorisation de personne, c'était une heure du matin,
03:42je n'appelais personne.
03:43Je suis descendue, on dit « il faut changer la première page, il faut mettre la photo
03:46du belgrano qui coule en disant « vers la fin de la guerre ». Et lui m'a dit « mais
03:50vous avez l'autorisation ? » et j'ai dit « oui ».
03:52Audace.
03:53Le lendemain, on était l'unique journal en Europe, même pas les anglais, qui avait
04:00la nouvelle que la guerre était vers la fin.
04:02Et après donc, j'ai demandé de faire l'interview de Madame Thatcher, je suis allée chez elle
04:06à Downing Street, j'ai eu le droit pendant une heure et demie, Margaret Thatcher qui
04:11m'a montré comment elle faisait les œufs le matin, etc.
04:13Et j'ai pu signer mon premier article en montrant que c'était une femme humaine,
04:17que c'était quelqu'un de tout à fait normal, et que cette dame de fer tellement
04:21haïe en Italie avait une famille, des enfants, etc. parce qu'on ne parlait jamais de ça.
04:25Et justement, ça me fait penser à une chose, pourquoi vous avez quitté l'Italie ? On
04:29est ravis de vous accueillir en France.
04:31Moi j'adorais travailler au Globe, j'étais vraiment en train de faire une carrière bien
04:36petite.
04:37Et bien c'est par amour.
04:38C'est l'amour.
04:39J'ai juste tombé amoureuse.
04:40J'étais en français et maintenant ça fait 40 ans que nous sommes mariés, je suis
04:43en France.
04:44Et alors, vous arrivez en France, vous faites quoi ?
04:45Alors, je fais quelque chose de très disruptif.
04:49Je commence à dire, moi je ne veux pas m'appeler Madame Poujade.
04:54Mon beau-père était Robert Poujade, un grand monsieur, le premier ministre de l'environnement
05:00en France, député, président du conseil régional de Bourgogne, maire de Dijon, personne
05:06pour lequel j'avais une estime, pas possible, ami du général, ami du maireau.
05:09Mais moi je ne voulais pas être la pièce rapportée.
05:12Et puis je ne voulais surtout pas que mon mari fasse de la politique.
05:15Donc je lui ai dit, écoute, moi à Dijon, non, moi à Madame Poujade, non, bien sûr
05:19que je suis mariée.
05:20Mais je veux continuer à me débrouiller toute seule.
05:23Indépendante.
05:24Ça ne se faisait pas en 84, je peux vous dire qu'il n'y avait pas beaucoup d'étrangers
05:27qui venaient en France et qui ne prenaient pas le nom de son mari en France à l'époque.
05:31Et c'était en plus un geste indépendant et courageux, parce que bien entendu, quand
05:36on arrive en France sans connaître personne et qu'on tenait la belle-fille d'eux,
05:40ça vous ouvrait toutes les portes.
05:41Mais l'indépendance, c'est ce qui vous caractérise, donc après vous êtes partie
05:44sur de multiples projets.
05:46Est-ce qu'on peut parler de ceux qui vous ont vraiment, vraiment marqués ?
05:51Écoutez, moi j'ai fait beaucoup de choses qui m'ont vraiment marquée, pour lesquelles
05:54je suis très fière.
05:55Je crois que quand j'étais à la région de France pendant 17 ans, j'étais directrice
06:00des affaires internationales, je crée Metropolis, l'association internationale des grandes
06:04métropoles.
06:05Je crée la coopération internationale dans les sens Pékin, Tokyo, Moscou.
06:11Qu'est-ce qu'on peut faire pour améliorer la vie des citoyens dans ces pays ? Je me
06:16rappelle toujours le gouverneur du Caire qui m'a dit « Chiara, tous les jours on a 1500
06:20personnes qui arrivent au Caire, moi je n'ai pas d'eau, je n'ai pas de déchets à gérer,
06:24je n'ai pas de logement, qu'est-ce qu'on fait ? Donnez-nous des clés, vous qui êtes
06:27une ville du nord, vous qui êtes la région de la France, une des plus riches du monde,
06:31aidez-nous ».
06:32Et donc, j'étais animée par cet esprit des transferts de savoir-faire, avec les grandes
06:36entreprises bien sûr françaises derrière, donc c'était aussi du business bien entendu,
06:40mais ça partait quand même d'une idée très généreuse toujours de dire comment
06:44on peut éviter aux villes du sud, aux grands métropoles où vivent les gens, on était
06:48au temps des métropoles, au temps de la décentralisation, au temps où les gens venaient des campagnes
06:54dans les villes.
06:55Il fallait leur donner des quoi.
06:56Et donc si vous voulez, ça a été passionnant, j'ai pu monter des accords absolument incroyables
07:00avec Hanoi, avec des pays incroyables, et ce qui m'a vraiment marquée, c'est l'impact
07:06qu'on pouvait avoir.
07:07C'est-à-dire que…
07:08Vous aviez ce pouvoir-là de pouvoir agir comme ça.
07:10On pouvait créer des écoles, on pouvait sortir les filles des rizières au Vietnam pour
07:15leur donner des quoi, s'éduquer, on pouvait travailler au moment de la fin de l'apartheid
07:20à Soweto pour faire en sorte que ces gens puissent vivre différemment.
07:24On pouvait aussi, bien entendu, faire quelque chose dont je suis absolument fière, donner
07:28de l'espoir à des gens, par exemple au Liban, on en a beaucoup parlé tout à l'heure,
07:33au Liban, au moment de la fin de la guerre en 1992, on a parlé directement avec le président
07:37Arawi, et dans tous les projets qu'il y avait pour la reconstruction du Liban, celui
07:41qui m'était le plus cher, c'était le bois des pas, parce que je connaissais bien
07:44Beyrouth, 35 hectares au coeur de la ville, j'avais en tête les images des femmes avec
07:49les poussettes et des amoureux qui s'embrassent dans les bancs, et bien c'est un homme à
07:5315 lindes, au milieu de rien, avec les bombes, si la région de France, c'est-à-dire
07:57si on ne l'avait pas pris en main, ce serait maintenant construit partout, et les Libanais
08:02n'auraient plus un parc au centre de la ville où ils pouvaient vivre.
08:05Ça, plein plein d'autres choses, et moi je suis très fière, on a reconstruit tous
08:09les lycées, Atenan arrive après les cyclones, on a fait des choses vraiment bien, et j'avoue
08:17que c'était une grande satisfaction, et l'autre grande satisfaction, beaucoup plus
08:20tard...
08:22On va parler du G7, du G20, où là, vous avez eu de multiples satisfactions.
08:26Alors ça, c'est plus pour les femmes.
08:28Et on va arriver à ce sujet tout de suite.
08:30Merci.