• avant-hier
C’est LA révélation de cette rentrée littéraire ! Adèle Yon signe un premier roman-enquête généalogique et cinématographique, « Mon vrai nom est Elizabeth », qui éclaire les ombres et les silences des familles. Elle est ce matin l'invitée de Mathilde Serrell. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/nouvelles-tetes/nouvelles-tetes-du-mardi-11-fevrier-2025-8679412

Catégorie

🗞
News
Transcription
00:00Il est 9h52, place aux nouvelles têtes Mathilde Serrel, ce matin, votre invitée a 30 ans
00:06et comme toutes les femmes de sa famille entre 25 et 30 ans, elle s'est posé des questions
00:11sur Betsy ! La primo-romancière Adèle Yon est dans notre studio.
00:30Bonjour Adèle Yon, on écoute la BO de la double vie de Véronique de Krzysztof Kieślowski,
00:44c'était en 1991, prix d'interprétation à Cannes pour Irene Jacob et c'est un film
00:49qui vous est cher parce que c'est un film de double fantôme ! Qu'est-ce que c'est
00:53que le double fantôme ? Un double fantôme c'est quand un personnage
00:57féminin qui est le personnage principal est tenté par une autre femme et en se confrontant
01:03à cette autre femme, le personnage principal va se construire et se libérer ! Et se libérer
01:09parfois ! Alors dans les premiers, pas du tout ! Par exemple dans Rebecca, on n'est
01:13pas sur la libération ! On va en parler de Rebecca Ditchcock, c'est
01:17aussi un fantôme de votre livre mais ce premier roman, mon vrai nom est Elisabeth, aux éditions
01:21du sous-sol, qui a un accueil critique extraordinaire, il faut le souligner, Jérôme Garcin, ancien
01:25atelier du masque et la plume, parle du livre le plus impressionnant et vertigineux de cet
01:29hiver, je l'ai lu d'une traite et je vous le recommande, il faut tout simplement habiter
01:33ce livre pendant 8h d'affilée et vous verrez, on n'a pas envie de sortir !
01:37Ce premier roman, c'est le fantôme de votre arrière-grand-mère Elisabeth, dite Betsy,
01:42qui va planer autour de vous aux alentours de 25 ans, justement comme toutes les femmes
01:46de la famille, vous posez des questions sur elle et cette phrase, elle revient énormément,
01:50c'est la phrase de votre tante qui avait elle-même eu peur d'être folle et vous,
01:55vous avez vécu ça aussi à 25 ans.
01:56Oui, alors ça, c'est la grande découverte de mon enquête, de réaliser que d'autres
02:00femmes de ma famille, voire toutes les femmes de la famille avant moi, ont aussi posé des
02:04questions sur Betsy, Elisabeth et ça, je ne le savais évidemment pas du tout au moment
02:09de commencer cette enquête, je croyais que c'était une inquiétude personnelle qui
02:12m'était propre et en commençant à poser des questions, je découvre que mes tantes,
02:17mes cousines, mes grands-mères, mes grandes-tantes, se sont elles aussi inquiétées du risque
02:23de la maladie mentale.
02:24Vous profitez d'un trajet entre la France et le Portugal avec vos grands-parents, vous
02:28les avez un peu séquestrés dans l'habitacle pour pouvoir leur poser des questions sur
02:32cette fameuse Betsy, on n'a pas du tout envie de vous répondre, c'est un livre d'abord
02:35de beaucoup de silence et vous allez en fait obtenir des documents, c'est une enquête
02:39aussi généalogique, il faut le dire, vous avez fait une vraie enquête de terrain, c'est
02:42une thèse ce premier roman, c'est à la fois un premier roman et une vraie enquête
02:47généalogique avec des documents inédits.
02:50Oui, j'ai pu bénéficier de ce temps de recherche alloué à ma thèse pour mener
02:56cette enquête en fait familiale, parce que je suis normalienne et chercheuse en études
03:00cinématographiques au départ et j'enseigne le cinéma, j'ai effectivement pu bénéficier
03:04de ce temps pour me mettre à fond dans cette recherche qui demandait à la fois d'aller
03:10dans des archives d'hôpitaux psychiatriques, d'aller dans beaucoup de bibliothèques, de
03:14passer énormément de temps par exemple sur Gallica à lire d'obscurs articles sur la
03:18lobotomie et aussi d'interroger les membres de ma famille et d'autres personnes, des
03:21anciens infirmiers d'hôpitaux psychiatriques, des neurochirurgiens, des spécialistes de
03:26l'histoire de la psychiatrie et tout ça évidemment prend énormément de temps, demande énormément
03:30de travail, j'ai retranscrit tous ces entretiens, retravaillé à partir d'eux, retranscrit
03:36tous les documents et ensuite opéré une sorte de travail de montage à partir de cette
03:41masse documentaire.
03:42Avec les entretiens familiaux que vous ajoutez, également le corpus épistolaire entre donc
03:47cette arrière-grand-mère et son mari, vous avez découvert, on va l'interner pour schizophrénie
03:54pendant 17 ans et en effet elle va être lobotomisée comme ça se fait beaucoup dans les années
03:5850 quand on veut éviter que ces femmes ne fassent des dégâts dans leur entourage,
04:04elle va être l'une des victimes de cette lobotomisation à marge forcée dans les années 50.
04:09Heureusement ça ne se fait pas beaucoup et c'est ça aussi qui m'a surpris dans l'histoire
04:13de mon arrière-grand-mère, c'est qu'elle a vraiment le parcours que toutes les femmes
04:17psychiatrisées de l'époque, c'est-à-dire électrochoc et cure de Sackel, en gros qui
04:20sont des comas hypoglycémiques sur des périodes de 4 mois, donc très très très violent
04:24pour le corps.
04:25Mais elle est lobotomisée en plus et en fait c'est quelque chose qui est finalement assez
04:30rare à l'époque, il n'y a aucun chiffre en France, aucun, mais je peux imaginer le
04:35chiffre peut-être de 10 000 femmes lobotomisées en France à partir des archives que j'ai
04:40trouvées, donc vous voyez c'est quand même pas énorme par rapport au nombre d'électrochoc
04:43par exemple.
04:44Et ce qui est vraiment frappant dans son cas, c'est que la décision de lobotomie est prise
04:48par les hommes de sa famille contre avis médical, c'est-à-dire face à la résistance médicale
04:52qui intervient dans un premier temps.
04:54C'est-à-dire qu'on considère qu'on peut, par un autre traitement, aider cette femme,
04:58mais en fait il va falloir l'éloigner du foyer et ce qui est très intéressant dans
05:02cette enquête, c'est que vous découvrez qu'en fait votre aïeul n'est pas schizophrène
05:06et que cette folie, c'était cet appétit de liberté qu'elle racontait dès ses premières
05:11lettres dans les années 40 à son futur mari, c'est une femme en fait qui va mal vivre
05:15sa première grossesse et suite à ça, elle fera 5 autres enfants qu'elle ne désire
05:19pas, 5 autres enfants qu'elle fait à l'hôpital parce qu'on espère qu'elle ira mieux après
05:23les prochaines grossesses, sachant que la première a été quasiment fatale mentalement.
05:27C'est ça votre grande découverte ?
05:28Tout à fait.
05:29Il y a 3 vraies découvertes dans cette enquête.
05:31Le premier c'est les dépressions postpartum que j'ai trouvées dans un document médical
05:35qui raconte le cas Elisabeth, une thèse de 1951 trouvée complètement par hasard.
05:40Le deuxième c'est le document qui l'oblige à être enfermée à Fleury-les-Aubray dans
05:45lequel les syndromes de sa soi-disant schizophrénie sont décrits et on est évidemment très loin
05:49de ce qu'on peut imaginer de la schizophrénie.
05:50Elle a une autorité morbide.
05:52Un autoritarisme morbide.
05:54Et le troisième c'est la correspondance où je découvre une femme en pleine possession
05:58de ses moyens, éprise de liberté, extrêmement émancipée et qui s'en doute déplait pour
06:03ces raisons-là.
06:04Et il y a aussi un fantôme qui plane, c'est les relations à la fois de son mari avec
06:09elle, qui est quelqu'un qui a un tempérament dur contre elle qui a un tempérament fragile.
06:14Et cette libération au fond puisque ce petit schéma de la famille c'est un schéma politique.
06:19C'est-à-dire qu'en fait c'est pas une fatalité, c'est simplement une femme dans un schéma
06:23de famille.
06:24Et ça, ça va vous libérer.
06:25Oui tout à fait.
06:26C'est de me rendre compte que la maladie mentale, je n'ai pas à la craindre et que ce ne serait
06:32pas une sorte de mal génétique qui me serait imposée si j'ai des comportements jugés
06:37déviants.
06:38Ou des partenaires trop durs.
06:39Ou des partenaires trop durs ou que je connais trop parce qu'il y a aussi ce rapport au
06:42savoir.
06:43Les femmes ne doivent pas trop connaître pour être sûres de ne pas risquer de perdre
06:47la tête.
06:48Donc ça me libère énormément et je l'espère ça libérera les futures femmes déjà nées
06:54ou à naître de ma famille et peut-être toutes celles qui craignent ce genre de spectre
06:58dans leur famille.
06:59C'est profondément émancipateur, c'est vraiment un livre révolutionnaire que je vous conseille
07:04à tous.
07:05On est 8h pour connaître le vrai nom de Betsy.
07:08Mon vrai nom est Elisabeth Adelion, c'est aux éditions du Sous-sol, bonne route.

Recommandations