Les avocates pénalistes au barreau de Paris Julia Minkowski et Marie Dosé viennent de publier "Eloge de la présomption d’innocence" aux éditions de L’Observatoire. Elles détaillent ce principe juridique et sa place dans la société française contemporaine ce samedi, sur France Inter.
Retrouvez tous les entretiens de 8h20 sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-du-week-end
Retrouvez tous les entretiens de 8h20 sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-du-week-end
Catégorie
🗞
NewsTranscription
00:00Un grand entretien ce matin avec Marion Lourdes, nous recevons deux avocates pénalistes au
00:04barreau de Paris, elles ont pris la plume pour faire l'éloge et prendre la défense
00:09de la présomption d'innocence, c'est le titre de cet essai à quatre mains qui vient
00:14de paraître aux éditions de l'Observatoire.
00:16Un éloge donc, mais aussi une question posée à l'ensemble de la société, à nous tous,
00:22sur les principes de l'état de droit, les principes qui nous gouvernent ou devraient
00:27nous gouverner.
00:28Vos questions, réactions, chers auditeurs, au 01 45 24 7000 ou sur l'application France
00:34Inter.
00:35Marie Dozé et Julia Minkowski, bonjour à toutes les deux.
00:37Bonjour.
00:38Et bienvenue, vous le disiez, Julia Minkowski, on dit un ténor du barreau, féminin ça
00:43donne ?
00:44Ténora, ou en tout cas c'est ce que nous avions choisi avec notre éditrice Clara Dupont-Mono
00:48quand nous avons publié un autre livre, L'avocat était une femme, ou d'ailleurs on faisait
00:53avec Lisa Vignoli un entretien de Marie.
00:56Marie Dozé.
00:57Marie Dozé, bien sûr, et c'est le titre d'un documentaire qu'on a fait avec Lisa
01:02sur les femmes avocates pénalistes.
01:04Ténora, et c'est vrai que c'est assez fort ce que vous faites dans cet essai, c'est
01:09à la fois une histoire, c'est de la présomption d'innocence, c'est aussi un éloge, mais
01:15on a le sentiment que ça aurait pu être une oraison funèbre, comme si c'était finalement
01:20un principe, une chimère, une illusion aujourd'hui, que le respect de la présomption d'innocence.
01:25Article 9 de la Déclaration des droits de l'homme, tout homme est présumé innocent
01:31jusqu'à ce qu'il soit déclaré coupable.
01:34Vous êtes toutes les deux avocates, la présomption d'innocence, elle a disparu, elle a besoin
01:39d'être défendue ? Julia Minkowski, Marie Dozé, qui veut commencer ?
01:43En tout cas, je pense qu'elle a besoin d'être expliquée, parce que les gens peuvent lire
01:48dans la presse des articles très à charge, où on décline les accusations et où à la
01:53toute fin, il est écrit « n'oublions pas que cet homme est présumé innocent ». Et
01:57c'est vrai que souvent, on est interrogé, mais enfin, est-ce qu'il suffit de dire « cet
02:02homme est présumé innocent » pour respecter la présomption d'innocence ? Et c'est
02:05vrai qu'on a voulu écrire un livre pédagogique pour expliquer le fondement de ce principe
02:10et puis sa déclinaison, puisqu'on ne voit plus très bien où et quand le respect de
02:16la présomption d'innocence est effectif.
02:18Et jusqu'où ? Et jusqu'à quand ? Alors justement, mesdames, et c'est de définition,
02:23la présomption d'innocence, elle ne vaut pas pour tout, partout et de tout temps, elle
02:31apparaît à partir du moment, Julia Minkowski, où une plainte a été déposée ?
02:34Dans la loi, aujourd'hui, la présomption d'innocence ne peut s'appliquer que lorsque
02:40la justice est saisie.
02:41C'est-à-dire que, hors des affaires judiciaires, évidemment, on ne peut pas non plus accuser
02:47les gens de n'importe quoi, c'est le droit de la presse qui intervient et dans ces cas-là,
02:51si on vous traite de voleur, vous pouvez poursuivre votre accusateur, le journaliste, pour diffamation.
02:58Exactement.
02:59En revanche, dès lors que vous êtes poursuivi, la présomption d'innocence s'applique et
03:04jusqu'à la fin, c'est-à-dire jusqu'à ce qu'une décision définitive soit rendue,
03:07c'est-à-dire qu'une personne condamnée en première instance, à partir du moment
03:12où elle décide de faire un appel, ou même si elle est de nouveau condamnée en appel,
03:16elle fait appel, et même si elle est recondamnée en appel, elle est toujours présumée innocente.
03:20Si elle n'a pas remis un pourvoi en cassation, tout à fait ! Jusqu'à ce que la cour de
03:24cassation se soit prononcée, que la décision soit définitive, une personne est présumée
03:28innocente.
03:29Les recours sont prévus par la loi, ce sont des droits qu'il faut respecter.
03:35Alors justement Marie Dozé, ce sont des droits, à quoi elle sert la présomption d'innocence ?
03:39C'est une garantie de l'état de droit ? C'est indispensable pour un procès équitable ?
03:44Oui, parce qu'en fait, c'est d'abord un principe qui relève du régime de la preuve.
03:49C'est-à-dire que c'est à l'accusation de prouver la culpabilité, ce n'est pas
03:53aux mises en cause de prouver son innocence.
03:55Et j'allais dire, sinon quoi ? Evidemment que si on doit prouver qu'on n'a pas fait
04:00quelque chose, c'est ce qu'on appelle, nous les juristes, la preuve diabolique.
04:03Établir un fait négatif, c'est impossible.
04:06Donc c'est évidemment à l'accusation de prouver la culpabilité de quelqu'un.
04:10C'est d'abord ça, le respect de la présomption d'innocence.
04:13Julia Minkowski, et pourtant, vous dites toutes les deux dans votre livre que la présomption
04:18d'innocence est en danger.
04:19Comment ça se fait, puisque c'est si important ?
04:21Je crois qu'il y a une appétence qui n'est pas nouvelle, à condamner, à pointer du
04:28doigt, à écarter, à faire des parias, à trouver des boucs émissaires.
04:33L'envie de critiquer, l'envie de se satisfaire d'une certaine soif de vengeance, parce
04:41que les gens sont en colère, et parfois à raison d'ailleurs, est toujours plus
04:45forte que de se féliciter du bien.
04:48Pour parler un peu plus vulgairement, le bad buzz, ça a toujours mieux fonctionné que le reste.
04:54D'ailleurs, proclamer une innocence, je vous cite, a fini par passer pour une nouvelle
04:58forme d'escroquerie.
04:59La justice aurait seulement échoué à rassembler suffisamment de preuves contre un coupable.
05:04On a le sentiment, en vous lisant, c'est extrêmement dur et c'est contre-intuitif
05:08que parler de présomption d'innocence, finalement, ça ne vaut pas grand-chose, maintenant qu'on
05:13est entré dans ce que vous qualifiez d'ère du soupçon, Marie-Dosé.
05:17En tout cas, il est vrai qu'on est de plus en plus confronté à ce discours qui est
05:21« il a été relaxé, il a été acquitté », ça ne veut absolument pas dire qu'il
05:25est innocent, ça veut dire que la justice a manqué de preuves pour le déclarer coupable.
05:30Alors, en soi, il est vrai que la justice déclare coupable ou non coupable, elle ne
05:34déclare pas innocent, elle déclare coupable ou non coupable.
05:37Mais si on considère que quelqu'un qui est relaxé et acquitté est finalement un coupable
05:43qui a échappé à la justice, c'est catastrophique.
05:46Mais encore une question de principe, pourquoi dire que l'innocence n'existe plus ? Ou
05:49plutôt que l'acte d'innocenté ne suffit plus à innocenter personne ?
05:54C'est comme ça, c'est véritablement comme ça, en tout cas dans certaines affaires,
05:57que c'est perçu.
05:58Je pense que les gens, aujourd'hui, ne considèrent plus la vérité judiciaire comme celle qui
06:03doit s'imposer à toutes les autres.
06:05Ce que nous expliquons dans ce livre, c'est qu'il est normal que dans une société, plusieurs
06:08vérités existent, mais qu'à un moment donné, seule la vérité judiciaire doit
06:13sonner le « là » de récits qui peuvent être contradictoires.
06:20Pourquoi ? Parce que la justice s'impose des contraintes et des garanties qu'aucun
06:24journaliste ne s'impose.
06:25Lorsque vous avez des enquêtes à charge et que le journaliste va recevoir deux textos,
06:30le policier, lui, il est obligé de prendre tout le téléphone et d'exploiter tous les
06:33messages.
06:34Parce que le journaliste va interroger un témoin.
06:37Le témoin peut lui dire n'importe quoi et lui mentir.
06:39La justice, elle, si le témoin ment, peut le poursuivre judiciairement.
06:43Mais le journaliste n'est pas censé être un juge.
06:44Ce que vous dites, c'est qu'il faut respecter ce qu'on appelle le « contradictoire ».
06:47C'est ça.
06:48Alors expliquez-nous justement ce que ça voudrait dire.
06:51On rencontre, Julien et moi, de grosses difficultés là-dessus.
06:53C'est-à-dire que le contradictoire, aujourd'hui, c'est répondre dans un temps très court
06:59à des questions.
07:00Ça n'est pas du tout confier des éléments à un journaliste qui va enquêter à décharge
07:05sur ces éléments.
07:06Oui, une enquête journalistique à décharge devrait prendre autant de temps et d'attention
07:11que l'enquête à charge.
07:12Et la réalité, et notre quotidien avec Marie, et encore là, cette semaine, à mon cabinet
07:17pour deux personnes, c'est qu'elles ont reçu des questions à la veille ou deux jours
07:22avant la publication d'un papier.
07:24Et les journalistes en font très peu de cas.
07:27Là, je viens d'avoir un client qui a répondu, quelques lignes, en disant « attendez, vous
07:33m'interrogez sur quelque chose dont je n'ai moi-même pas eu connaissance, des accusations,
07:37je ne sais pas qui, je ne sais pas exactement ce qu'on me reproche, je ne sais pas quand,
07:40comment voulez-vous que je vous apporte un contradictoire utile ? ». Et la réponse
07:44de la journaliste, c'est « merci pour vos réponses, c'est bien noté, au revoir ».
07:47Il me dit « mais en fait, elle s'en fout ».
07:48Je suis bien obligée de lui dire « oui ».
07:50Alors on a quand même aussi une déontologie, c'est-à-dire qu'il ne faut pas mettre
07:53non plus tous les médias et tous les journalistes, évidemment, dans le même panier.
07:57Il faut donner des exemples, et vous le faites dans le livre, Marie Dozé, des exemples
08:02de personnes qui ont été accusées dans le sillage de MeToo, qui finalement ont été
08:05blanchies.
08:06Il y en a, je pense à Julien Bayou, par exemple, parmi tous les exemples que vous donnez dans
08:10le livre.
08:11Julien Bayou, l'écologiste.
08:12Oui, alors c'est une affaire assez compliquée, parce que dans cette affaire-là, Julien
08:19Bayou, il y a deux surcroît à l'intérieur d'un parti, deux enquêtes qui vont être
08:24menées, enfin en réalité une seule, mais on va nous faire croire que la commission
08:28chez Les Verts, les écologistes d'enquête, la cellule d'enquête sur les violences sexuelles
08:32et sexistes a été saisie pendant huit mois, alors qu'en réalité elle n'a pas été
08:36saisie et qu'il n'y a eu aucune instruction.
08:38Puis deux ans plus tard, on va confier à un cabinet d'avocats une enquête non pas
08:42sur des faits, mais sur un homme, sur un homme, Julien Bayou, c'est-à-dire qu'on n'est
08:46pas saisi de faits à ce moment-là, on est saisi sur « est-ce que cet homme a commis
08:51quelque chose ? ».
08:53Contre celle qui était sa compagnie à l'époque, c'était ça qui était alléguée.
08:56C'est elle qui, à un moment donné, dépose plainte, mais sur des faits qui n'ont strictement
09:00rien à voir avec le parti.
09:01Donc en fait, là véritablement, dans cette affaire, il y a eu une forme de lynchage.
09:08Véritablement.
09:09Et le pire, c'est que quel que soit le résultat, il est nécessairement coupable.
09:13Lorsque Sandrine Rousseau, après qu'il soit blanchi sur l'enquête, dit « ça prouve
09:17que l'enquête n'a pas su accueillir la parole des femmes », ça pose quand même
09:21une difficulté.
09:22Parce qu'on vous dit « puisqu'il n'y a pas eu d'enquête, c'est qu'il n'est
09:24pas innocent », en gros, il est de toute façon toujours coupable.
09:28Julien Minkowski, vous vouliez compléter ?
09:29Oui, qu'on ne s'y trompe pas, Marie, comme moi, nous ne disons absolument pas que les
09:36personnes qui s'estiment victimes de quelque chose ne doivent pas parler.
09:39Notre sujet est la raison pour laquelle nous avons écrit ce livre, et je crois de façon
09:43assez pédagogique, en expliquant l'histoire de la présomption d'innocence, d'où ça
09:47vient, quand est-ce que ça s'applique.
09:48C'est le même principe du droit romain, au Papineau 103, par exemple, qui porte bien
09:54son nom.
09:55Tout à fait ! Ce qu'on veut dire, c'est que tout le monde peut parler.
10:00Ce qui nous inquiète, c'est comment la société reçoit ces accusations, comment
10:05est-ce que les médias, je ne généralise pas, mais je constate quand même très souvent
10:10la même chose, comment est-ce que les médias traitent ça ? Et quand vous avez un papier
10:14extrêmement long, et que simplement, à la fin, il est dit que la personne conteste
10:18et qu'elle est présumée innocente, et encore, ça c'est déjà bien, parce que très souvent,
10:22on parle du présumé meurtrier, du présumé violeur, c'est-à-dire qu'on inverse totalement
10:27le principe.
10:28C'est une présomption de culpabilité, et non pas une présomption d'innocence.
10:30Il y a une présomption de culpabilité, aujourd'hui, c'est certain.
10:33Alors, un autre exemple, et un autre cas d'école, c'est par exemple un article de Mediapart,
10:38en novembre 2019, sur lequel vous revenez, dans lequel l'actrice Adèle Haenel accuse
10:43Christophe Ruggia d'agressions sexuelles, ça a déclenché ensuite un mouvement de
10:48libération des paroles, ça a donné une plus grande force au mouvement MeToo cinéma.
10:53Christophe Ruggia, il a été condamné à 4 ans de prison, dont 2 fermes, sous bracelet
10:58électronique.
10:59Vous le regrettez, ou est-ce que vous regrettez que là aussi, la présomption d'innocence
11:04ne s'applique pas ? Vous écrivez, on passe désormais au crime, la vie sentimentale des
11:08personnes.
11:09Je ne sais pas s'il est vraiment question de vie sentimentale, concernant le cas…
11:13Il ne faut pas tout confondre, on ne dit absolument pas ça, s'agissant du cas Adèle Haenel,
11:20il faut distinguer les choses.
11:21C'est aussi d'ailleurs ce qu'on regrette, c'est que tout est mélangé, quels que soient
11:24les degrés d'accusation des personnes qui se comportent mal avec leurs compagnes comme
11:29des goujats, et des personnes qui sont accusées d'agressions sexuelles ou de viols, ce n'est
11:32évidemment pas la même chose.
11:33Ni Marie, ni moi ne sommes les avocates de Christophe Ruggia, donc on ne va certainement
11:37pas porter une appréciation sur sa culpabilité ou pas.
11:40Il a fait appel, il est présumé innocent, moi, ce qui m'a interrogée dans la décision
11:45qui a été rendue, ce n'est pas le fond de la décision, je ne connais pas le dossier,
11:49ce n'est pas le fond de la décision, c'est comment elle a été accueillie, il y a eu
11:52des cris de joie dans la salle d'audience, c'est quand même assez particulier d'exprimer
11:58une forme de liesse populaire, parce qu'une personne est condamnée à une peine de prison.
12:02Je crois qu'il y a une certaine décence à avoir un procès, ça reste le procès
12:05d'une personne.
12:06Mais le paradoxe alors donc, c'est qu'il est présumé innocent Christophe Ruggia ?
12:09Oui, ce n'est pas un paradoxe, c'est l'application du principe, puisqu'il a interjeté appel.
12:13Mais ce qui est intéressant, c'est quand même de constater que lorsque Adèle Haenel
12:18révèle ses accusations à Mediapart, elle le dit clairement, elle dit « moi je ne
12:22veux pas déposer plainte, parce que de toute façon, c'est que des classements sans suite
12:26et que nous ne sommes pas entendus dans ce type de dossier ». Forcé de constater que
12:32cette affirmation-là, elle est contredite par la réalité judiciaire, puisque finalement
12:37il y a eu une ouverture d'information judiciaire et qu'au bout du bout, il a été condamné.
12:42Je ne sais pas si c'est bien ou si c'est mal, il est présumé innocent et ce n'est
12:45pas du tout mon propos.
12:46Je précise juste que je vous posais la question en tout cas de la vie sentimentale, parce
12:49que c'est dans le même paragraphe où vous parliez à la fois de l'affaire Adèle Haenel
12:53et ensuite que vous parlez donc de la perquisition du passé, de la vie d'un homme.
12:58On le constate, c'est exactement dans l'affaire Julien Bayou qu'on évoquait tout à l'heure,
13:01c'est-à-dire que Julien Bayou, il n'était pas accusé d'une infraction pénale.
13:05C'est-à-dire que Sandrine Rousseau l'avait même déclarée en sortant du plateau de
13:09ses tavous et Patrick Cohen était revenu là-dessus, d'ailleurs après en disant
13:17« attention Sandrine Rousseau dans les coulisses m'a dit qu'il n'y avait pas d'infraction
13:21pénale ». Parfois oui, vous avez des papiers dans certaines publications qui viennent simplement
13:26vous expliquer comment telle personne s'est très mal comportée, sans qu'il n'y ait
13:30de plainte, sans qu'il n'y ait de qualification pénale, parce que les journalistes ne sont
13:33quand même pas encore des juges.
13:36Et là oui, il y a une perquisition dans la vie sentimentale de certaines personnalités.
13:40Est-ce que c'est un intérêt légitime pour le public de la connaître ? Moi je pense
13:44que non.
13:45Après si on veut dire qu'on a été agressé sexuellement, c'est évidemment autre chose.
13:49Et on ne veut surtout pas, Marie et moi, être instrumentalisés comme des partisanes
13:53anti-MeToo.
13:54Évidemment qu'on est contre les violences sexuelles.
13:57Vous soufflez de MeToo, vous dites juste qu'il y a un fanatisme qui en est dérivé et c'est
14:01une autre histoire.
14:02Exactement, qui pourrait être contre le fait qu'on mette un terme définitif aux violences
14:09sexuelles ? Évidemment que nous trouvons ça un combat tout à fait légitime.
14:14On dit simplement, parce que c'est notre fonction en tant qu'avocate pénaliste, qu'il
14:18y a certains principes à respecter.
14:20Pourquoi ? Parce que sinon tout le monde est menacé demain.
14:22Si on se bat sur l'arbitraire, le « on vous croit », mais chacun peut croire qui il veut,
14:27et la société ne peut pas prendre pour argent, comptant comme une vérité, une accusation,
14:32sans qu'elle n'ait été vérifiée, avec des moyens dignes de ce nom.
14:36Et c'est aussi le problème de la justice, et le défi de la justice, de mettre les moyens
14:41pour lutter contre cette infraction-là.
14:44Mais Marie Dosé, c'est là qu'elle est la ligne de crête.
14:46C'est-à-dire qu'en novembre 2019, l'article de Mediapart sur Christophe Ruggia et Adèle
14:52c'est aussi ça qui déclenche, en tout cas qui renforce le « me too » en France.
14:58Et vous vous dites que la presse peut être un pilori médiatique.
15:03Comment faire pour se faire écho de ce « me too » qui peut libérer aussi la parole, qui
15:07peut dénoncer des comportements qui n'ont pas lieu d'être, tout en maintenant la présomption
15:12d'innocence ? C'est très difficile.
15:14Non, je crois pas.
15:15Je crois que c'est une question d'équilibre.
15:16Que beaucoup de femmes soient allées dans les commissariats où est saisie la justice
15:22en regardant Adèle Haenel, non pas le faire, parce que c'est le parquet qui a ouvert,
15:27elle ne souhaitait pas le faire, mais en constatant qu'une procédure judiciaire était en cours
15:31et qu'Adèle Haenel allait au commissariat finalement et devant les juges d'instruction,
15:36tant mieux.
15:37Tant mieux.
15:38Que ça puisse aider les femmes à se dire « moi aussi je vais le faire », tant mieux.
15:41Mais vous voyez, dans cette affaire-là qui, encore une fois, on n'en parle pas dans
15:44notre livre, mais c'est l'actualité, je l'entends bien, dans cette affaire-là,
15:48ce qu'on constate aussi c'est que l'interpellation de Christophe Ruggia et sa garde à vue ont
15:53été annulées.
15:54Pourquoi ? Parce que Christophe Ruggia avait très clairement dit « mais moi je suis à
15:57la disposition de la justice, je veux absolument m'expliquer » et qu'on est allé l'arrêter
16:01chez lui à 6h du matin, en tout cas j'ai cru comprendre cela, alors même qu'il était
16:07à la disposition de la justice.
16:08Et qu'il ne faut pas, il faut une porosité, c'est-à-dire qu'il ne faut pas que la
16:13pression médiatique puisse contaminer le judiciaire, il faut que le temps médiatique
16:18et le temps judiciaire puissent ne pas se faire du mal.
16:22Et ça c'est compliqué, ça c'est presque mission impossible, c'est là-dessus que
16:26nous alertons.
16:27Alors, question d'Alain, avant d'aller au Standard, qui demande si le problème n'est
16:30pas la présomption d'innocence mais plutôt le secret de l'instruction, qui n'existe
16:35plus.
16:36On écrit un long chapitre sur cette question-là, ça va de pair.
16:40Évidemment que ceux qui ne sont pas connus, et moi je défends 99% de personnes que personne
16:46ne connaît, des citoyens et des justiciables lambda, ne sont pas confrontés à la violation
16:50de leur présomption d'innocence comme peuvent l'être des personnalités.
16:53Parce que les médias s'intéressent surtout à des gens célèbres.
16:57Et il est vrai que la violation du secret de l'instruction va de pair avec la violation
17:01de la présomption d'innocence.
17:02Et pour autant ce qu'on constate, et c'est aussi la raison pour laquelle nous avons
17:07écrit notre livre, c'est comment est-ce que ce piétinement, cet effritement de la
17:11présomption d'innocence infuse dans toute la société ? Et on a des cas par exemple
17:16je pense dans des universités mais même parfois dans des lycées.
17:19Comment est-ce que vous voulez que les jeunes comprennent qu'une accusation ne peut pas
17:24donner lieu à une exclusion immédiate ? Comment voulez-vous que les gens comprennent qu'on
17:28ne peut pas sur les groupes WhatsApp et sur Facebook désigner, pointer du doigt une personne
17:34comme étant un violeur parce qu'il a été accusé de quelque chose, alors que les adultes
17:38s'en donnent un cœur joie sur Twitter et aussi dans les institutions en écartant les gens.
17:43Je veux dire le cas par exemple d'Ibrahim Malouf, c'est quelque chose de très symbolique.
17:47Sur lequel vous revenez ?
17:48On revient souvent dessus parce que c'est vrai que là vous avez une personne qui a
17:51été condamnée en première instance, relaxée en appel.
17:54Mais qui n'a pas pu être jurée du festival de Deauville alors qu'il avait été blanchi.
17:57Exactement.
17:58D'un point de vue définitif, il est non coupable.
18:01Mais le festival de Deauville, alors qu'il avait été choisi pour faire partie du jury,
18:05a finalement à la faveur d'un changement de direction, décidé de l'écarter parce
18:10qu'il aurait été relaxé au bénéfice du doute.
18:13Et donc dans le doute, le festival de Deauville a décidé d'écarter.
18:17C'est une espèce de… On érige le principe de précaution avant le respect de la décision
18:23judiciaire.
18:24On trouve ça très regrettable.
18:25Bonjour Aurélien et bienvenue sur France Inter.
18:29Oui, bonjour messieurs, dames.
18:31Bienvenue, vous êtes juriste ?
18:33Je suis juriste de formation et moi il y a un constat que je fais, c'est que l'opinion
18:41publique réclame de plus en plus une justice punitive plutôt qu'une justice réparatrice.
18:48Et je voulais savoir si ça, ça n'influait pas sur les décisions des juges.
18:55Et est-ce qu'en dernier lieu, ça ne misait pas à la présomption d'innocence ?
19:01Merci Aurélien pour votre question.
19:03Marie-Dosé, vous vous acquiesciez pendant la question d'Aurélien.
19:05Oui, mais il suffit de constater la surpopulation carcérale grandissante ces dernières années.
19:12Il n'y a jamais eu autant de détenus depuis 1945.
19:14Et encore avant 1945, on ne les avait pas comptés, je crois.
19:18Et c'est tout le temps, de plus en plus, de comportements qui sont incriminés.
19:23Et en même temps, le sentiment que l'impunité règne.
19:28C'est ça qui est extraordinaire quand même.
19:30C'est-à-dire, c'est vrai, il y a quelque chose de très paradoxal.
19:33On réclame de plus en plus de justice et en même temps on ne cesse de la décrier.
19:37Elle est laxiste !
19:38Elle est laxiste, alors même qu'il n'y a jamais eu autant de personnes incarcérées.
19:41Et vraiment, il y a quelque chose de très paradoxal.
19:44Dans un sentiment qui n'est pas juste par rapport à la réalité de ce qui est la réalité judiciaire.
19:50Et le paradoxe, c'est qu'on entend, par exemple, un ministre de l'Intérieur remettre en cause l'état de droit.
19:55Et ça, c'est quelque chose sur lequel vous revenez, justement.
19:58Sur les propos de Bruno Retailleau.
20:02Oui, Bruno Retailleau qui vient déclarer que l'état de droit n'est ni intangible ni sacré.
20:07Ça ne peut que heurter profondément notre ADN de juriste.
20:12Oui, nous sommes attachés à des principes qui, ici, sont intangibles et sacrés.
20:19C'est-à-dire que, d'ailleurs, parfois, ça nous est reproché que nous, on serait peut-être presque des ayatollahs
20:24des principes de la déclaration de 1789.
20:28Mais il faut voir d'où venait cette déclaration.
20:31Les débats qui ont animé les constituants.
20:35C'est extrêmement intéressant, y compris sur la présomption d'innocence.
20:40Parce que la façon dont la présomption d'innocence a été établie,
20:45la formule est de dire que tout homme étant présumé innocent,
20:49c'est-à-dire qu'il a été décidé,
20:51et bien, en fait, on va dire que c'est comme ça, c'est un état naturel.
20:54Tout homme étant présumé innocent, on va respecter telle et telle chose.
20:58Et on cite une décision de la Cour suprême du Canada
21:02que moi, j'adore parce que la formule, elle est parfaite.
21:06C'est de dire pourquoi est-ce que la présomption d'innocence existe.
21:08C'est parce qu'on part du principe que les hommes sont bons,
21:12que ce ne sont pas des criminels en puissance.
21:14Et ça, je trouve ça exceptionnel.
21:16Et moi, je pense qu'on doit rester attaché à ça.
21:18On doit faire confiance au départ.
21:20Et ce n'est que si quelqu'un dévie qu'il sera alors traité comme un criminel.
21:24Quand on aura vérifié. Pas avant.
21:26Vous parlez dans vos pages de nombreux exemples, y compris de celui de l'abbé Pierre.
21:29Nos confrères de France Info révèlent ce matin qu'un homme
21:34qui se dit victime de viol de la part de l'abbé Pierre quand il était mineur dans les années 80,
21:38vient de saisir une instance qui est chargée de l'indemnisation.
21:41Une instance judiciaire qui est une instance qui est religieuse.
21:44En revanche, le parquet a décidé de ne pas ouvrir d'enquête concernant l'abbé Pierre.
21:48Parce que les faits sont prescrits.
21:50Ce qu'a regretté l'église.
21:52Alors, question de Thiennaud sur l'application France Inter.
21:56Marie Dozet, l'abbé Pierre est-il présumé innocent ?
21:58Oui, l'abbé Pierre est mort depuis 18 ans.
22:02Et la mort du mis en cause est une cause d'extinction de l'action publique.
22:07Mais j'ai le sentiment aujourd'hui qu'on ne supporte plus les causes d'extinction de l'action publique,
22:11que ce soit la prescription.
22:13Puisqu'il y a quand même une boîte de Pandore qui a été ouverte.
22:16C'est-à-dire que dès l'instant où une circulaire du garde des Sceaux, Eric Dupont-Moretti,
22:20a considéré qu'il fallait ouvrir des enquêtes préliminaires sur des faits prescrits,
22:25on s'interrogeait sur le livre.
22:27Mais quand est-ce qu'on va ouvrir des enquêtes préliminaires sur des mises en cause décédées ?
22:30Vous avez fait un éloge de la prescription, d'ailleurs, Marie Dozet.
22:33Mais je pense que tout ça est un piège.
22:36La justice est là pour se saisir de faits commis par un mis en cause,
22:41pour rechercher l'auteur, et pas pour réécrire une histoire qu'elle ne pourra pas résoudre.
22:46Mais ça existe l'amnésie traumatique, par exemple.
22:48Ça, ça a été montré que des victimes peuvent oublier les choses pour se protéger en quelque sorte
22:52et que ça ressort 10, 20, 30 ans après.
22:54Bien sûr, et c'est pour ça qu'on a allongé les délais de prescription.
22:56C'est pour ça qu'aujourd'hui, une victime mineure peut déposer plainte jusqu'à ses 48 ans.
23:01Tout cela a déjà été pris en considération, évidemment.
23:06Oui, tout est une question d'équilibre.
23:08Évidemment qu'il faut répondre et prendre en considération cette amnésie traumatique.
23:12Comme le dit Marie, les délais ont été considérablement allongés.
23:16Mais on ne peut pas non plus oublier que venir enquêter sur des faits
23:22qui se sont déroulés à une époque si ancienne,
23:26ça pose un problème de recueil de la preuve.
23:29Ça cause un problème pour une accusation.
23:32Il faut construire quelque chose et la justice a tellement de choses à traiter.
23:37C'est aussi ça le sujet, c'est aussi pragmatique.
23:39Là, il se passe aujourd'hui, il y a des mineurs qui sont agressés.
23:43Il faut s'en préoccuper et vous savez, dans nos cabinets,
23:46ce n'est pas évident pour les personnalités qui n'ont pas de notoriété,
23:50qui n'accusent pas des personnes célèbres
23:53et qui se retrouvent à porter plainte pour des faits qui viennent de se produire
23:57et elles attendent un an, deux ans, deux ans et demi
23:59pour que leur agresseur, en tout cas celui qu'elle accuse,
24:02soit placé en garde à vue et le matin au petit-déjeuner...
24:06C'est l'anonymat parce que ça n'intéresse pas.
24:08Pardon ?
24:09C'est l'anonymat donc ça n'intéresse pas.
24:10En tout cas, ça prend beaucoup trop de temps.
24:12C'est vrai que la justice française est beaucoup trop lente
24:16et que dans des affaires médiatiques, parce que ce sont aussi des bons coups de com' pour le parquet,
24:20il ne faut pas s'y tromper, on va placer en garde à vue des gens
24:23alors qu'on sait que les faits sont prescrits.
24:25Normalement, la circulaire disait que dans ces cas-là, il n'y a pas de garde à vue.
24:28On va agir extrêmement vite pour des faits qui ont 30 ans
24:31parce qu'ils ont été très médiatisés.
24:33Est-ce que vous trouvez ça normal ?
24:35En tout cas, c'est absolument passionnant.
24:37Il y a des choses, par exemple, qui concernent l'abbé Pierre, sur lequel on revenait,
24:40qui interrogent la société, même le besoin de fabriquer des héros.
24:45On va devoir en rester là, malheureusement.
24:47J'aimerais juste citer cette phrase du Talmud que vous citez
24:52et qui est régulièrement revenue dans la bouche d'Emmanuel Lévinas.
24:55« Si tout le monde est d'accord pour condamner un prévenu, relâchez-le, il doit être innocent. »
24:59Merci infiniment à toutes les deux.
25:01Marie Closet, Julia Minkowski, l'éloge de la présomption d'innocence.
25:05C'est aux éditions de l'Observatoire.
25:07Bonne journée.