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Retrouvez William Leymergie entouré d’experts, du lundi au vendredi en direct dès 12h30, pour une émission dédiée aux problématiques de notre quotidien.

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00:00Le 15 août 2021, les talibans prenaient Kaboul, 20 ans après avoir été chassés,
00:05mettant fin aux espoirs de paix et de démocratie en Afghanistan.
00:09Un Français a vécu cette prise de pouvoir historique de l'intérieur,
00:12c'est l'ambassadeur de France en Afghanistan.
00:14Bonjour David Martineau.
00:15Bonjour.
00:16Vous racontez ce moment de bascule historique
00:18et comment vous avez organisé la fuite des civils
00:21qui étaient réfugiés au sein de l'ambassade de France
00:23dans le documentaire Kaboul K.O. qui sera diffusé le 31 janvier sur Canal+.doc
00:28et qui est adapté de votre livre Les 15 jours qui ont fait basculer Kaboul.
00:32Quel souvenir vous gardez de ce jour historique de K.O. justement ?
00:39L'impression qu'en fait, dès 6h du matin,
00:42le moment où on se réveille, où on apprend la chute de la ville de Djalalabad
00:47qui est à 2h de Kaboul,
00:48qu'en fait à partir de ce moment-là,
00:50au fond presque jusqu'au moment où on décolle de Kaboul,
00:53définitivement le 27 août.
00:5512 jours plus tard.
00:56Exactement.
00:57En fait, ces 12 jours, c'est une seule journée.
00:59C'est-à-dire qu'on dormait par intermittence,
01:02on dormait mal, on dormait dans les bruits des détonations constantes
01:06et au fond, un enchaînement absolu sans pause.
01:10Avec cette obsession et cet enjeu qui est de permettre au maximum de civils
01:14de fuir le pays, on va regarder la bande-annonce du documentaire.
01:21Je suis à l'ambassade, je reçois un appel de l'OTAN
01:24qui me dit « part maintenant ».
01:28À ce moment-là, tout s'enchaîne.
01:33C'est l'enfer à l'aéroport.
01:35Les attentats sont très fréquents.
01:38Le monde était terrorisé.
01:40Et nous avons toujours 300 personnes bloquées à l'ambassade de France.
01:43Je ne sais pas comment on va faire pour sortir tout le monde.
01:46C'était la fin du monde en fait.
01:47Et donc il faut absolument trouver une solution.
01:49On doit traiter avec eux, on est obligés d'aller les voir.
01:53L'ambassade avait affrété des bus pour évacuer les gens vers l'aéroport.
02:01David Martineau sera le dernier ambassadeur étranger à quitter Kaboul.
02:05Création documentaire « Kaboul K.O. » sur Canal+.doc, disponible avec Canal+.
02:12Là vous étiez arrivé à Kaboul trois ans plus tôt, en 2018.
02:15La situation était déjà particulièrement dangereuse et tendue
02:18mais vous n'aviez pas imaginé cette fin de mission aussi chaotique ?
02:24Ce n'était pas l'option que je préférais.
02:26Quand je suis arrivé, j'y croyais encore.
02:28Je pensais qu'il y avait encore une voie pour contribuer à bâtir la démocratie afghane
02:35et asseoir son développement.
02:38Quelques mois après, j'ai compris que ça ne marcherait pas comme ça.
02:45Au moment où la classe politique républicaine aurait dû être la plus unie pour faire face aux talibans,
02:51ça a été aussi le moment où elle était la plus désunie.
02:53Et pourrant plus.
02:55Le moment où le président Trump donnait des instructions très pressantes à son négociateur
03:00qui consistait à laisser les clés du pays aux futurs vainqueurs.
03:06Je suis très vite arrivé à la conclusion que l'armée de la République
03:11ne tiendrait pas face aux talibans sans l'aide de l'OTAN et de la communauté internationale.
03:18Parce qu'il y a eu l'accord de Doha entre les Américains et les talibans,
03:21le retrait des troupes américaines.
03:23Et là, vous avez tout de suite envisagé quel danger ça représentait pour les civils,
03:27pour le personnel de l'ambassade ?
03:29Oui, parce qu'en Afghanistan, l'histoire est très prédictive.
03:33Ce que nous avons vécu, la chute de Kaboul presque comme un fruit mûr,
03:37c'était déjà arrivé dans le passé.
03:39Notamment au moment où les talibans ont pris le pouvoir pour la première fois en 1996.
03:43Et donc, en effet, je me suis dit que ma mission, à partir de la signature de l'accord de Doha,
03:49c'était de mettre en sécurité tous ceux qui travaillaient avec nous,
03:53parce que leur vie allait être en danger.
03:56Et malgré tout ça, malgré l'entraînement, on voit dans le documentaire comment votre équipe,
04:00le personnel de l'ambassade, se prépare.
04:02Eh bien, cette course contre la monde que vous engagez le 15 août 2021
04:06pour faire fuir le maximum de civils, c'est de l'improvisation.
04:08On ne peut pas faire autrement, il n'y a pas assez de moyens de transport,
04:11il faut sortir de l'ambassade, c'est à chaque minute de l'improvisation ?
04:17Nous étions très préparés, probablement les plus préparés.
04:21Nous avions déjà fait ce que nous devions faire presque contractuellement,
04:24c'est-à-dire que nous avions déjà évacué, avant la chute de Kaboul,
04:27tous nos collaborateurs afghans, tous mes collaborateurs afghans à l'ambassade.
04:31Mais le principe d'une crise, c'est en effet l'inattendu.
04:34Vous allez peut-être être très préparé, mais vous n'êtes jamais prêt.
04:37En revanche, l'aguerrissement, l'entraînement vous permet de réagir au mieux
04:42devant chaque situation, qui n'a jamais été forcément envisagée comme ça.
04:46Et de prendre la bonne décision.
04:47Et d'essayer de prendre la moins mauvaise des solutions.
04:49Et donc il y a un homme qui joue un rôle clé, il est franco-afghan,
04:52il s'appelle Wali, il est en vacances à Kaboul avec sa femme et ses enfants,
04:56et il va servir de négociateur, vous allez même le faire rester avec vous
04:59quelques jours supplémentaires.
05:01Oui, il n'a pas aimé à la fin, il voulait repartir avec sa femme et ses enfants,
05:04et il a été fait attraper par nos soldats des forces spéciales
05:07au moment où il allait monter dans l'avion, parce que j'avais besoin de lui
05:10pour continuer à négocier.
05:12Moi j'ai eu des négociations en direct avec les talibans, par téléphone après,
05:16mais quelqu'un qui avait la double culture et qui était capable de parler le Dari,
05:21qui est donc la langue persane, et de nous rapporter les choses,
05:25c'était très utile pour nous.
05:27Donc effectivement, il a joué un rôle absolument essentiel.
05:29Heureusement qu'il était là ce jour-là.
05:31Absolument, il a été très débrouillard.
05:32Alors que les talibans avaient tué son père 20 ans plus tôt,
05:35il avait déjà une histoire malheureuse avec les talibans.
05:40C'était une fuite très risquée.
05:42Vous avez, à chaque moment, eu peur de perdre des civils,
05:46que ça se termine mal ?
05:48Oui, parce qu'il y a eu des morts tous les jours, en réalité,
05:51autour de l'aéroport de Kaboul.
05:53Jusqu'à l'attentat le plus...
05:54Jusqu'à l'attentat final, qui a fait 200 morts, et dont...
05:58Et c'est là que vous allez partir ?
06:00C'est après ça, après cet attentat,
06:02on a eu une deuxième déflagration, quelques heures après, dans la nuit,
06:05que nous avons eu l'instruction de quitter l'Afghanistan, définitivement.
06:09Il nous reste quelques secondes,
06:10mais aujourd'hui, vous êtes ambassadeur de France en Afrique du Sud.
06:13J'imagine que vous gardez évidemment un œil
06:15sur l'évolution de la situation en Afghanistan,
06:17où les droits des femmes sont absolument inexistants.
06:21Quel est votre sentiment, votre analyse de l'avenir du pays ?
06:25C'est un sentiment de grande tristesse,
06:27parce que c'est un très beau pays
06:29et c'est un peuple qui m'a marqué.
06:34Je ne suis pas optimiste à court terme.
06:36Je ne suis pas du tout optimiste.
06:38Et en effet, ce qui se passe à l'endroit des femmes,
06:41je pense qu'il n'y a pas pire situation.
06:43C'est-à-dire que les talibans n'ont qu'une obsession,
06:46c'est de créer une sorte de Corée du Nord islamique.
06:50Et en niant totalement les droits des femmes,
06:52donc ce n'est pas de l'apartheid, c'est de l'esclavage, en fait.
06:55C'est un esclavage domestique.
06:57Et les femmes se voient nier tous leurs droits,
07:00et pardon d'expression, mais en fait,
07:02elles sont vues comme des ventres.
07:04Elles sont là pour perpétuer la population,
07:08sauf qu'elles ne sont plus dans l'espace public,
07:11elles ne travaillent plus, sauf à la maison,
07:13même quand elles sont chez elles.
07:15Il faut mûrer les fenêtres.
07:16Il faut mûrer les fenêtres,
07:17pour ne pas qu'elles puissent être vues d'extérieur.
07:19Et le pire du pire, dans la stupidité, l'absurdité,
07:23la brutalité et l'horreur,
07:25c'est qu'elles ne peuvent plus suivre d'études médicales.
07:30Les femmes ne peuvent plus être médecins,
07:32sages-femmes, infirmières.
07:34Or, en Afghanistan, seules les femmes peuvent soigner les femmes.
07:38Oui.
07:39Ce qui en dit long sur l'avenir qu'ils leur réservent.
07:42Merci beaucoup, David Martineau, d'être venu nous parler
07:44de ce documentaire Kaboul Kao,
07:46diffusé le 31 janvier prochain sur Canal+.doc
07:49et à retrouver, bien sûr, sur MyCanal.
07:55Sous-titrage Société Radio-Canada

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