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Anne Fulda reçoit Andreï Makine pour son livre «Prisonnier du rêve écarlate» dans #HDLivres

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Transcription
00:00Bienvenue à l'heure des livres, Andrei Maïkine, on est ravi de vous recevoir.
00:03Bon, on ne vous présente pas le concours pour le testament français.
00:07Membre de l'Académie française, vous êtes traduit et connu dans le monde entier.
00:11Parmi vos derniers livres, l'Ami arménien, l'Ancien calendrier d'un amour.
00:14Là, vous venez de publier Prisonnier du rêve écarlate, un livre qui est paru chez Grasset.
00:19Un livre qui est une forme de saga à travers le 20e siècle,
00:23qui pointe du doigt à la fois les utopies communistes,
00:28mais aussi les faux semblants de l'Occident, qui parle d'amour aussi, il faut le dire.
00:34Et un livre qui parle, vous, que l'on présente toujours peut-être un peu facilement
00:41comme le plus russe des Français ou le plus français des Russes.
00:43Mais en tout cas, là, vous avez choisi d'évoquer un héros qui est effectivement
00:49totalement français et totalement russe.
00:52Oui, qui est tout à fait français parce que c'est un jeune communiste français, n'est-ce pas ?
00:56Né à Douai, un jeune ouvrier.
01:00Finalement, sa vie se divise en deux parties, en quelque sorte.
01:04Oui, une partie russe, une partie française et puis le retour en France.
01:09En France, mais il ne reconnaît pas ce pays.
01:13Et puis aussi, ce qu'il y a peut-être, il faudrait insister, c'est que c'est une double aventure.
01:18C'est une aventure, bien sûr, existentielle.
01:20Oui, le goulag, la guerre, l'arrivée à Nurs et la chute, la perte de ses illusions.
01:27Mais vous avez évoqué l'amour.
01:30Vous avez bien fait parce que la rencontre avec cette femme blessée, c'est très important.
01:34Vous imaginez une femme.
01:35Et deux êtres blessés.
01:36Voilà, ces deux êtres détruits, carrément détruits.
01:39Et elles réussissent à reconstituer leur vie.
01:43Vous savez, on ne mentionne jamais le rôle de ces femmes qui recevaient ces étrangers.
01:48C'était des Espagnols, des Italiens, des Norvégiens, des Scandinaves.
01:54Il y avait de tout.
01:55Enfin, ces militants communistes qui arrivaient là-bas, qui passaient par le goulag, souvent, souvent.
02:00Et puis, ils se retrouvaient après plusieurs années passées dans un camp,
02:04complètement vidés de leur substance.
02:06Il y avait des femmes qui avaient le courage de les accueillir et de refaire leur vie.
02:11Alors, ce qu'il faut peut-être expliquer, c'est comment celui qui s'appelle initialement Lucien Barthes
02:16arrive en Union soviétique, il arrive en 1939, il arrive effectivement plein d'illusions.
02:21Il fait partie d'une délégation communiste.
02:24Lorsqu'il est en France, il s'est engagé dans les jeunesses communistes,
02:27notamment parce qu'il a vu son père, qu'il y a eu un accident du travail.
02:30Il connaît le B-A-B du communisme par cœur, il y croit.
02:37Et puis, il est oublié.
02:38Enfin, il est oublié sur place, il est pris pour un espion.
02:41Et suite à un engrenage terrible, il se retrouve dans le goulag.
02:46– Oui, quand vous dites, voyez-vous, il arrive tout candide en ours,
02:52c'est vrai qu'il est naïf un peu, mais il n'est pas nié.
02:55– Non, il n'est pas nié.
02:56– Parce que vous savez ce que le marxisme nous donne,
03:00ce que la théorie communiste nous donne, c'est l'art de démystifier.
03:04Voyez-vous, la propagande vous dit une guerre,
03:08le marxisme vous dit non, les intérêts financiers derrière.
03:11Comme en Ukraine aujourd'hui ou au Proche-Orient,
03:14toujours des grands groupes financiers qui sont derrière, n'est-ce pas ?
03:17On vous dit le travail, le marxisme vous dit non, l'exploitation et les profits.
03:23Et donc, il arrive avec, finalement, cette science de démystifier les choses,
03:28mais il commence à démystifier le système soviétique aussi.
03:31Ça ne concerne pas que l'Occident.
03:33– Une fois sur place.
03:34– Une fois sur place.
03:35Et ce qui est difficile en Urs, c'est que tout n'est pas faux.
03:38Dans la propagande, tout n'est pas faux parce qu'il y a le plein emploi,
03:41il y a la glorification à toute heure de la journée de la classe ouvrière, etc.
03:47Et ça flatte, ce jeune ouvrier français, ça le flatte beaucoup.
03:50Et puis il commence à voir les failles, les failles qui s'élargissent
03:55et finalement qui l'aspirent, en quelque sorte,
03:57dans ce système contracensionnaire, le système des camps du goulag.
04:04– D'ailleurs, à un moment, il cite cette phrase de Séline,
04:08où vous citez la grande prétention du bonheur,
04:09voilà l'énorme imposture soviétique, qui est une phrase assez magnifique.
04:14Et alors, ce qui est intéressant, c'est aussi la deuxième partie du roman.
04:18C'est-à-dire, lorsqu'il retourne suite à…
04:23Enfin, ce n'est pas la Glastos, c'est Khrouchov, on est en 1967,
04:27il retourne en France, il veut retrouver les siens.
04:29Et là aussi, il a une forme de désillusion sur cet Occident
04:33qu'il a probablement fantasmé.
04:36– C'est une autre utopie, tout à l'heure, je vous disais,
04:39mais qu'est-ce que nous avons, vous et moi,
04:41nous avons à proposer aujourd'hui à nos concitoyens,
04:44à ces jeunes français, moins jeunes français, n'est-ce pas,
04:47l'achat d'une nouvelle voiture, un nouveau portable, un voyage exotique.
04:53Nous n'avons pas de projet.
04:54À la limite, aujourd'hui, l'utopie est beaucoup plus puissante en ce sens,
04:58c'est beaucoup plus néfaste, parce que nous n'avons plus de projet
05:02dans le monde, pour l'humanité toute entière.
05:04Voyez-vous, nous avons seulement, vous voyez,
05:06quelques velléités à recréer un petit consommateur
05:12qui n'est jamais content, vous voyez.
05:14– Et d'ailleurs, ce qui est intéressant, c'est que finalement,
05:15à travers ça, on peut voir aussi une réflexion sur le bonheur
05:18et se dire que ces années de bonheur, il les a eues
05:21lorsqu'il était loin de tout avec Daria.
05:23– Il a su les reconstruire à la fin du livre,
05:25il a su les reconstruire à ce point qu'il dit à la fin du livre,
05:29mais finalement, le vrai communisme, je le retrouve maintenant,
05:32c'est-à-dire cette communion fraternelle des gens
05:37qui vivent simplement dans une sorte de frugalité matérielle
05:41et qui sont heureux.
05:43– En tout cas, vraiment, je vous conseille de lire ce livre,
05:46c'est absolument magnifique.
05:49C'est paru chez Grasset, ça s'appelle
05:52« Prisonnier du rêve et Carlotte ».
05:53Merci beaucoup André Maquin.
05:54– Merci à vous.

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