Category
🗞
NewsTranscription
00:00Bonjour Rochdy Zem.
00:01Avec ce prénom qui n'est pas sans rappeler l'acteur égyptien,
00:04ô combien un charismatique Roujdi Abaza disparu il y a plus de 40 ans,
00:07votre carrière semblait toute tracée.
00:09Au premier abord, votre vie semble avoir été un conte de fées.
00:13Oui, mais ça, c'est si on survole votre histoire finalement.
00:15La réalité est tout autre de par votre force de caractère,
00:18ce qu'on a appelé d'ailleurs au fil du temps votre force tranquille,
00:21votre résilience et votre passion pour le jeu.
00:23Le petit garçon que vous étiez, placé de 18 mois à 6 ans dans une
00:26famille d'accueil en Belgique, donc loin de sa famille, a continué
00:29à rêver grand, à croire en lui, en cette volonté de construire sa vie
00:33comme il l'entendait.
00:34Votre premier théâtre a été les plus de clignes en cours.
00:38C'est là finalement que vous avez suivi une jeune demoiselle et que vous
00:40avez poussé la porte de l'un d'entre eux.
00:42Je crois que c'était celui de Mogador.
00:43C'est André Téchinet ou plus exactement son assistant qui a cru en vous
00:47en premier avec les films J'embrasse pas et Ma saison préférée.
00:50C'est Xavier Beauvois qui vous a offert le rôle remarqué de Toxicoman
00:54dans N'oublie pas que tu vas mourir.
00:56Suivons Patrice Chéreau, Laetitia Masson, Desplechants.
00:58Je ne vais pas tous les citer.
01:00Des cinéastes en tout cas engagés et engageants qui vous ont permis
01:03d'en avoir ou pas.
01:04De quoi parle-t-on ?
01:05De rôles, d'aventures, de rencontres aussi, d'histoires racontées avec
01:10cet instinct et cette intelligence que vous possédez.
01:12Aujourd'hui, après plus de 37 ans de carrière, j'ai calculé.
01:15Je sais que le temps passe vite.
01:1790 longs métrages, 6 films réalisés.
01:19Vous êtes à l'affiche du film Hiver à Sokcho de Koya Kamura d'après
01:24le premier roman d'Elisa Chua du Sapin.
01:26Sokcho, c'est une ville balnéaire de Corée du Sud.
01:29C'est là que vit Soha, une jeune fille de 23 ans, aux côtés de sa
01:33mère marchande de poissons.
01:34Elle travaille dans une pension et un jour, il y a un Français qui
01:36débarque et qui va lui rappeler ses appartenances et ce père qui
01:41l'a abandonné avant qu'elle ne naisse.
01:44J'ai l'impression que ce film parle de choses qui vous tiennent à
01:49cœur et qui vous racontent aussi.
01:50Il y a comme ça une croisée des chemins qu'on n'appréhende pas
02:00forcément, mais qui se produit toujours à un moment précis de
02:03votre vie et de votre existence.
02:05Le film de Koya est arrivé à ce moment-là, à savoir à travers
02:09un personnage comme ça, un peu ours, ce genre d'homme qu'on
02:15fantasme d'être, c'est-à-dire ces personnalités qui ne cherchent
02:19pas à être aimées et qu'on aime forcément, et qui vivent de leur
02:26art, mais qui vivent avec leur art.
02:28Donc, il y a une grande sensibilité, il y a une grande fragilité et
02:32en même temps, une espèce de force tranquille, comme vous l'avez
02:34évoqué tout à l'heure à travers ce personnage.
02:36Et surtout, il y a beaucoup de douceur.
02:39Et petite parenthèse qui m'a aussi séduit à travers ce personnage,
02:45il est asexué.
02:46Il n'y a pas de séduction avec lui.
02:47Il est dans son monde et c'est très difficile d'y pénétrer.
02:52Et en même temps, il y a une sorte de personnage un peu seul,
02:58comme ça, qu'on a envie d'aider, qu'on a envie d'épauler,
03:00qu'on a envie d'accompagner parce qu'il est curieux, il est intéressant.
03:03Mystérieux aussi, comme vous.
03:04Mystérieux.
03:05Je ne sais pas si je suis mystérieux.
03:07Vous avez toujours su garder une part du mystère, en tout cas de
03:10pudeur, même eu égard à votre vie privée.
03:13On sent qu'il y a beaucoup de choses en vous et en même temps,
03:15vous parlez de cette pudeur et c'est là où on se rend compte à quel
03:17point ce film, il est important aujourd'hui pour vous.
03:19C'est que cette douceur, il y a un lâcher prise vous concernant,
03:22qui est assez bluffant.
03:24Oui, parce que j'arrive à un point aussi de mon existence et c'est
03:28une question d'âge aussi, où on s'efforce à retrouver et à
03:33rechercher ce qu'on n'a pas encore produit.
03:37Effectivement, j'ai peut-être été pendant très longtemps dans une
03:40forme de maîtrise de mon travail et de ma personne et il y a une
03:46volonté effectivement, j'ai l'impression d'avoir 80 ans quand
03:51je dis ça, mais une forme de barreau d'honneur à se dire,
03:53quitte à continuer ce métier, effectivement, lâchons tout et si
03:58on aille chercher, effectivement, peut-être ce qu'il y a de plus
04:01intime en soi et que j'ai peut-être retenu les années précédentes.
04:06On se rend compte à quel point pas perdu, votre récit autobiographique
04:10qui a donné naissance au film qui a suivi, à quel point il y a un avant
04:14et un après en fait, à quel point il s'est passé quelque chose,
04:17le fait de coucher sur le papier, ce que vous ressentiez de devoir
04:23expliquer un certain nombre de choses, même aux gens que vous aimez
04:26et qui ont partagé votre vie, à quel point ça a été extrêmement
04:29important pour vous ?
04:31Oui, c'était important et essentiel d'abord pour moi, forcément,
04:36c'est ma thérapie, je n'ai jamais été suivi, donc finalement,
04:40ce métier permet de faire sa propre thérapie à travers un récit,
04:43une histoire, un film, se raconter avec forcément sa propre
04:49interprétation des choses, mais après chacun analysera
04:52comme il lui plaira et raconter aussi ce que sont les siens,
04:57sa famille.
04:58C'est vrai que je suis issu d'une famille, comme beaucoup de gens
05:02issus de l'immigration, de déracinés et c'était intéressant de voir
05:0550 ans plus tard le résultat de tout ça.
05:09Qu'est-ce qui s'est passé ?
05:10Comment on a réussi, ou pas d'ailleurs, à s'adapter, à s'intégrer,
05:16on parle souvent d'intégration, à s'assimiler, des mots que je déteste.
05:20Mais voilà, toute une forme comme ça de critères et de facteurs auxquels
05:25il a fallu trouver sa place sans s'y perdre.
05:32Et ce film racontait ça, c'était une sorte de bilan de tout cela.
05:39Ce qui est étonnant, d'ailleurs, dans ce film-là,
05:40Hiver à Sokcho, c'est qu'il y a encore les liens du sang qui sont
05:44indéfectibles et cette histoire, on est tous construits par des secrets
05:49de famille, des choses qui sont plus ou moins sues finalement,
05:52et on doit se construire ou pas, ou réussir à se déconstruire de ce
05:56qu'on a vécu avec quelques blessures assassines.
05:59Ça aussi, ça a une caisse de résonance avec vous.
06:00Oui, c'est une résonance pour moi, mais c'est aussi une résonance
06:02pour le metteur en scène, Koya Kamura, qui est franco-japonais,
06:06donc il a aussi cette double culture.
06:07Je sais de quoi il parle et je pense que c'est aussi peut-être la raison
06:11pour laquelle il est venu me chercher, parce qu'on a une forme d'analogie
06:18dans nos parcours respectifs, même si on n'est pas tout à fait
06:20de la même génération.
06:21Mais cette chose-là de vivre dans un pays et en même temps avoir
06:28un visage qui nous emmène ailleurs, lui en Asie, moi en Afrique,
06:32c'est quelque chose avec lequel il faut vivre avec ça.
06:35Moi, j'en ai fait une force, mais on n'est pas tous parvenus
06:41à en faire quelque chose de positif.
06:43Certains ont tramallé ça comme un boulet, d'autres comme un obstacle.
06:48Et le film raconte ça, raconte comment trouver sa place,
06:52comment trouver son harmonie, surtout, et faire aussi,
06:56comment dirais-je, composer avec les autres.
06:58Parce qu'en fait, la réalité, le problème, on en revient toujours
07:01au même, c'est les autres, le problème.
07:03C'est à travers leur regard que vous développez des complexes.
07:07Comment vous l'avez vécu, le regard des autres enfants ?
07:12J'ai procédé par étapes.
07:13J'ai procédé par étapes, d'abord en rejetant complètement
07:18ce que j'étais, d'où je venais, comme si c'était quelque part.
07:24J'ai vécu ça, cette façon d'avoir un passé honteux, des parents illettrés.
07:30Voilà.
07:31Et puis, l'étape d'après, ça a été quelque chose de totalement opposé.
07:36Ça a été une espèce de fierté exagérée, revendicative.
07:42Et puis, le temps est dans l'expérience, les rencontres.
07:44On trouve sa place et finalement, comme tout à chacun,
07:49on a tous des parcours et à charge pour nous d'en faire une force,
07:54quelque chose de positif et de se projeter vers un avenir avec ce qu'on est.
07:59Et surtout, comme le personnage, et comme je le disais au début de cette interview,
08:04ne pas forcément chercher à plaire.
08:05On a le droit de ne pas plaire, ce n'est pas un problème.
08:07Et de toute façon, il y aura toujours des gens auxquels vous ne plairez pas.
08:11Ce n'est pas si grave.
08:13Mais surtout, essayer de rester soi-même, c'est un vrai challenge, c'est une gageur.
08:18Qu'est-ce qui a fait que vous êtes devenu l'homme que vous êtes devenu ?
08:21Est-ce que c'est l'imaginaire, justement ?
08:23Je me suis créé beaucoup un imaginaire.
08:25Et aujourd'hui, je suis dans un autre registre, en fait.
08:30Je suis plutôt, au contraire, je suis très tellurien.
08:36Et je regarde plutôt ce qui se passe autour de moi.
08:38Plutôt que d'aller chercher des histoires assez lointaines,
08:41que même parfois j'ai pu inventer.
08:43Là, je regarde autour de moi et souvent, l'histoire est là, juste à côté de vous.
08:49On l'a évoqué avec mon dernier film.
08:51Mais si je devais réfléchir à un prochain film,
08:54c'est vrai que je regarde plutôt dans mon entourage ou près de moi,
08:59autour de moi, le sujet à venir.