Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Mardi 10 décembre 2024 : le dessinateur Plantu publie "L'année de Plantu 2024. Merci qui?", en novembre chez Calmann-Lévy Graphic.
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00:00Bonjour Plantieu. Bonjour. Vous êtes de cette catégorie de dessinateurs qui aiment mettre le
00:05trait dessus sur ce qui pose question et même souvent problème. Caricaturiste est l'une des
00:10cordes à votre arc, celui que vous avez su affuter et qui depuis plus de 50 ans nous envoie des flèches
00:16en guise de balisage de terrain souvent déminé par vos soins. Votre arme, la seule et unique qui
00:21vous est toujours accompagné, le crayon avec lui, avec elle, vous aimez croquer, observer, analyser,
00:28nous faire sourire là où ça fait mal, au point de nous permettre d'avoir bonne mine dans ce monde
00:32de brut. Cette journal Le Monde, vous avez débuté en 72, 20 000 dessins plus tard, publié sur quatre
00:38décennies, force est de constater que votre plume reste ancrée dans cet engagement constant et ce
00:43besoin presque vital de raconter le monde, les guerres, le sport, la culture, la politique, notre
00:49quotidien. Aujourd'hui vous nous proposez votre regard sur l'année riche en désillusion, en
00:54tristesse, en joie aussi, notamment grâce au JO de Paris 2024. L'ouvrage s'intitule l'année de
01:00Plantu 2024. Merci qui ? Chez Calman Levy graphique. Vous le démarrez en posant une question, peut-on
01:06faire des dessins drôles tous les jours ? Je vous la pose du coup en direct.
01:11Oui on pourrait, on pourrait et j'aime ça, enfin j'aime déconner, j'aime déraper et le dérapage c'est un peu
01:20ce que je recherche tout le temps, mais à la fois il y a l'actualité et par exemple la première partie du
01:25bouquin commence avec le 7 octobre en Israël avec la tragédie en Israël et plus la tragédie suivante
01:35avec les Palestiniens, là je vois pas ce qu'on peut faire de très drôle là-dessus, mais c'est une,
01:42vous voyez, j'ai au bout des doigts, ça se voit pas, mais au bout des doigts il y a un crayon qui s'assure,
01:47j'ai l'impression d'avoir des crayons au bout des doigts et du coup on me laisse n'importe quoi, un bout de
01:52bureau, un bout de table, un bout de papier évidemment c'est mieux et ça y est, ça part parce que l'émotion
01:58qu'on ressent, elle se transforme en image et quand je vous vois là, vous avez bras croisés tout ça, je vois
02:04vos cheveux sur le côté, vous êtes toutes blondes et je vois tout de suite, c'est très fatigant, c'est pour ça
02:09j'ai arrêté mes études, c'est qu'en fait je vois tout le monde en image. Vous prenez la paix, plantu, mais
02:14ça fait dix ans qu'un homme vous accompagne, il est d'ailleurs au pied de ce studio pour assurer
02:19votre sécurité, votre protection, comment vous le vivez ça ? Alors moi pour faire mes dessins
02:24tranquillement, alors là je n'ai pas changé depuis 50 ans, c'est-à-dire que j'ai besoin des
02:30journalistes, j'ai besoin de parler, j'ai besoin de me nourrir en regardant la télé, en écoutant
02:36la radio, en lisant beaucoup d'articles en France et à l'étranger et puis il y a ma vie personnelle
02:42et alors là évidemment ça fait drôle de donner toujours qui je vais voir, alors elle s'appelle
02:47Elodie, j'ai son 06, voilà, et donc bah oui ça c'est un peu curieux de se retrouver dans cette
02:54situation où ma vie privée, elle en a pris un coup, mais le plus grave c'est pas tellement ma vie privée
03:01puisque dans un sens je vis ça avec très bien et je les remercie, même si j'ai honte pour l'idée
03:07que je me fais de ma démocratie, parce que j'ai vraiment honte.
03:10Est-ce que justement le manque de culture du monde actuel n'est pas ce qui engendre justement cette violence, ce rejet de l'autre ?
03:19Vous avez tout compris, c'est l'ignorance, l'ignorance et quand je vois bien qu'on a des moyens formidables,
03:27si on veut écouter France Info, on est vraiment au courant de ce qui se passe sur la planète,
03:32on veut savoir plus, on lit Le Monde, on lit Le Figaro, on lit Libé, Le Parisien, on a tout ce qu'il faut,
03:39mais en 2024, on est encore dans une situation où les gens sont moins bien informés parce qu'il y a des algorithmes qui flattent le nombril des citoyens
03:50et alors le gars, quand il est obnubilé par la F1, ce qui n'est pas du tout honteux, ou le tennis ou la Chine,
03:58il va ne lire que des choses sur la Chine, le tennis ou le foot.
04:02Oui, mais il y a d'autres choses. J'étais dans une école, il y a une petite jeune qui était africaine et elle me donne un dessin,
04:11elle me dit pourquoi vous ne parlez pas de ça ? Elle avait fait un dessin sur le Congo
04:14et du coup on s'est mis à parler pendant dix minutes de la guerre civile au Congo, elle dit mais pourquoi on n'en parle pas ?
04:20Je dis ben oui, bonne question et du coup toute la classe a écouté ce qui se passait au Congo grâce à cette petite jeune fille
04:26qui m'a interrompu dans la classe pour raconter qu'il y a d'autres choses qui se passent sur la planète.
04:33Vous posez vous-même des questions dans cet ouvrage, Plantu, et ça montre effectivement votre processus.
04:39Non mais en même temps vous gardez cet esprit d'élève, ce besoin d'apprendre, de vous nourrir des autres aussi.
04:48Vous vous dites d'ailleurs qui suis-je moi finalement en tant que dessinateur pour m'emparer, pour croquer des situations, des guerres ?
04:56C'est un dessin de base qui dessine, point, vraiment, et j'essaye de comprendre et j'aime aller dans les écoles,
05:05j'y vais très souvent et la magie du dessin fait que l'autre jour, un prof m'a, trois semaines après être allé dans une école,
05:12il m'a écrit, il m'a dit mais vous savez, il y avait un autiste dans ma classe et on a entendu le son de sa voix
05:19parce que du coup il voyait les dessins, il était dedans les dessins, voyez, et du coup il a posé une question,
05:24j'ai senti qu'il voulait se lever, alors je me suis amené avec le micro, et il a posé une question,
05:28tout le monde a entendu le son de sa voix pour la première fois, et ça c'est la magie du dessin.
05:33Moi je suis spécialiste, je ne suis pas médecin, je suis que dalle, je suis seulement un dessinateur qui fait des images,
05:39et en fait les images incitent à lever les doigts et à dire des choses qu'on n'aurait pas dites si on n'avait pas vu les images.
05:44Il y a un énorme chapitre qui est consacré à l'école dans cet ouvrage et qu'évidemment on a,
05:51vous avez mis en exergue la réalité de notre vie aujourd'hui depuis quelque temps,
05:55c'est Samuel Paty, Dominique Bernard, des profs qui ont été assassinés dans l'exercice de leur fonction
06:01pour justement transmettre quelque chose, apporter une culture, un regard, obliger les élèves à connaître finalement des choses
06:08pour pouvoir en débattre. Est-ce que cette laïcité elle existe et elle signifie quoi aujourd'hui ?
06:14En réalité, oui elle existe, mais ce n'est pas difficile, c'est si on s'endort, la laïcité elle est morte.
06:21Si on ne s'endort pas, il y a tout ce qu'il faut pour la protéger.
06:26Et la femme de Dominique Bernard, le professeur assassiné à Arras, m'avait dit que le Tchétchène s'était approché
06:34de celui qui est aujourd'hui, son mari il a été tué, mais un autre a été blessé,
06:39et il lui a dit cette phrase incroyable, il lui a dit tu vas voir ce que je vais en faire de ta Marianne.
06:43Et en fait, Marianne, pour nous, c'est un symbole tellement joli, en plus moi je la fais toute ronde,
06:49voilà, on l'adore cette petite Marianne, c'est notre République.
06:54Et en fait, il y a des gens qui détestent notre Marianne, qui détestent notre enseignement.
06:59Jusque-là, c'est à la fois dramatique et pas très grave parce que si on ne s'endort pas,
07:05on peut régler le problème assez facilement.
07:07Et quand je vous dis que je vais dans les écoles ou Cartooning for Peace,
07:10l'association que j'ai créée avec Ophéana il y a quelques années,
07:13on a plein de dessinatrices et des dessinateurs qui parcourent les écoles en France, en Belgique et ailleurs.
07:18Et là, j'étais à Atlanta il n'y a pas longtemps.
07:20En fait, si on fait le boulot partout, on va calmer les choses.
07:25Et il faut toujours dire, on a une loi qui permet le blasphème en France.
07:31Et moi, il ne faut pas y toucher, à cette loi.
07:33Cela dit, une fois qu'on a dit ça, il faut aussi savoir qu'on a en face de nous des gens qui ont d'autres cultures.
07:38Et donc, ça veut dire qu'il faut continuer à dialoguer tout en ayant quelque part dans notre petite cervelle l'idée que,
07:45attention, le gars d'où il vient, la fille d'où elle vient.
07:48Et à la fois, il faut dialoguer et ne rien lâcher sur, oui, nous défendons les musulmans, les juifs et les chrétiens.
07:56Il y a deux choses qui sont en fil rouge.
07:58C'est l'hypocrisie du système, des hommes politiques, de la société, finalement.
08:05Le mépris aussi, notre incapacité à prendre conscience d'un certain nombre de choses.
08:12Et vous nous obligez à nous poser des vraies questions.
08:15Il faut répéter calmement les choses.
08:17Il faut répéter doucement les choses.
08:20Il faut retourner en classe.
08:21Et moi, quand je fais une expo et qu'évidemment, toujours, je me retrouve là, il n'y a pas longtemps, j'étais à Poitiers, à la fac de droit.
08:31Il faut répéter, répéter, répéter.
08:33Montrer des dessins, montrer, essayer de montrer que j'espère qu'il peut y avoir de la bienveillance dans les dessins, mais de l'énervement aussi.
08:42Parce que je suis là aussi pour énerver.
08:44Il n'y a pas longtemps, j'ai fait un dessin sur un mec de l'extrême gauche qui ne voulait pas qu'il y ait de match de foot France-Israël.
08:54Bon, évidemment que j'énerve.
08:56Mon boulot, c'est aussi d'énerver.
08:58Il ne faut quand même pas...
08:59Et vous dites les choses, finalement, à travers ce crayon, à voix haute.
09:04Vous nous offrez un beau résumé de cette année 2024 en politique.
09:07Donc ça va d'Elisabeth Borne à Yvan Attal, même si on a quand même une image du dernier du Premier ministre.
09:14Je ne précise pas où c'est à vous de chercher.
09:16Elle a tout lu, elle a tout lu.
09:17Alors, je le dis à ceux qui nous écoutent, Elodie a tout lu.
09:23Ah oui, j'ai tout lu, bien sûr.
09:25Non, mais je vous dis ça parce que ce n'est pas toujours le cas.
09:27Des fois, les journalistes, ils n'ont pas ouvert le bouquin.
09:30En tout cas, j'ai tout lu.
09:31La manipulation, les mensonges, l'hypocrisie, les sorties de route comme celles avec le soutien d'Emmanuel Macron à Gérard Depardieu.
09:36Tout y est, la dissolution de l'Assemblée nationale, la dette de la France.
09:39Et dans tout ça, vous mettez en lumière les priorités des Français qui ne sont pas celles, finalement, des gouvernements,
09:45quand on regarde bien et qu'on, finalement, parcourt ce livre avec beaucoup d'attention.
09:49Oui, merci beaucoup.
09:51Et on a mis des couleurs différentes pour vraiment montrer à quel point ce sont des priorités.
09:56Les Français, c'est simple, il suffit d'aller leur poser des questions.
10:00Ils ont des priorités.
10:01Alors, ça peut être la santé.
10:03Ça peut être la sécurité.
10:05Ça peut être l'agriculture.
10:06Ça peut être le respect des uns et des autres et de la démocratie et de la laïcité.
10:12Et à la fois, je traduis en différents chapitres toutes ces priorités des Français.
10:18Et ça ne me paraît pas si compliqué à appliquer.
10:21Pour terminer, malgré la gravité des situations que vous nous offrez en dessin,
10:28vous arrivez toujours à apporter de la liberté et une source d'espoir.
10:35Je me suis amusée à regarder ce que signifiait plantureux dans le dictionnaire,
10:39puisque votre vrai nom, ce n'est pas Plantus, c'est Jean Plantureux.
10:42Ça signifie opulent, copieux, fertile, abondant.
10:46Et quand on regarde bien, votre crayon est effectivement très fertile.
10:49Il regorge d'humanité, de bienveillance, d'espoir.
10:52L'espoir fait vivre Plantus, il faut y croire.
10:54Alors, certainement, parce que je suis un horrible pessimiste.
10:58Quand j'écoute la radio, quand je lis les journaux, quand je regarde la télévision,
11:04vraiment, je suis un petit peu désespéré.
11:06Mais pourquoi je vais dans les écoles ?
11:08Mais pourquoi ? Pourquoi ?
11:09Je pourrais être tranquille.
11:10Moi, j'ai passé 50 ans au monde.
11:11Je pourrais boire du café, m'amuser à dessiner sur un coin de table.
11:17Non, je vais dans les écoles.
11:18C'est fatigant.
11:19Des fois, je reviens sur les genoux.
11:21Mais pourquoi je le fais ?
11:22Mais parce que j'ai une part d'optimisme, apparemment.
11:24Parce que je me dis, tiens, voilà, j'ai servi à quelque chose aujourd'hui.