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Art et designTranscription
00:00Bonjour à tous et toutes, je vous présente nos deux directrices éditoriales des presses
00:08de la Cité.
00:09J'ai nommé Bérengère Bauchet, Frédéric Pauley et par ailleurs, notre relation libraire
00:16que vous avez peut-être déjà croisée, Laura Carvalho, qui est là depuis un an.
00:22Voilà, et je vais laisser la parole évidemment aux éditrices pour parler de leur rentrée.
00:29Alors bonjour à tous et toutes, vous m'entendez bien ? Je vous présente « Flamboyante Zola »
00:36de Jean-Louis Milési qui nous revient de fait avec un deuxième roman, vous vous souvenez
00:41peut-être du précédent publié en 2023 aux presses de la Cité, « Au loin quelques chevaux
00:46deux plumes » qui avait remporté le prix littéraire de la ville de Vannes et qui avait
00:51été finaliste du Grand Prix des lectrices de Hell.
00:55Alors c'était de fait un roman très attendu et je dois dire qu'il est tout aussi réussi
00:59que le premier.
01:00Il est consacré cette fois-ci à une figure féminine, une femme complexe, paradoxale,
01:07amoureuse, passionnée, jalouse, combative, incandescente, et j'arrête là la liste
01:13des adjectifs, en un mot, flamboyante.
01:16Cette femme c'est Alexandrine Mélay, alors son nom ne vous dit peut-être rien, c'est
01:21normal.
01:22Et pourtant vous la connaissez sans le savoir à plus d'un titre, c'est elle qui a servi
01:26de modèle à Édouard Manet et à l'un des tableaux les plus connus au monde, « Le
01:31déjeuner sur l'herbe », c'est la baigneuse qu'on voit en arrière-plan.
01:34Alors une figure de l'ombre, Alexandrine Mélay est pourtant une femme de premier
01:40plan.
01:41En effet vous la connaissez aussi car elle est devenue la femme d'un de nos plus grands
01:44romanciers et intellectuels, Émile Zola.
01:47Le roman de Jean-Louis Mélazy n'est pas une biographie qui raconte sous la forme d'un
01:51biopic la vie d'Alexandrine Zola, qui soit dit en passant, et c'est très bien figuré
01:56par le roman, aurait pu être écrite par Émile Zola.
02:00Le roman de Jean-Louis Mélazy est un voyage, un voyage charnel, sanguin, qui s'ouvre
02:06en 1891.
02:07Émile et Alexandrine sont mariés depuis 21 ans et à leur grand désespoir ils n'ont
02:12pas pu avoir d'enfants.
02:13Madame Zola a alors 52 ans et sa vie bascule un matin alors qu'elle reçoit une lettre
02:19timbrée à 15 centimes qui lui balance en plein cœur la trahison de son mari.
02:24Émile Zola vient d'avoir un deuxième enfant, Jacques, avec Jeanne Rosereau, une ancienne
02:29domestique à eux congédie entre temps et qui a évidemment 27 ans de moins que lui.
02:33C'est un véritable coup de poignard, un choc, Madame Zola est foudroyée, d'autant
02:39plus qu'Émile, s'il continue à vivre avec sa femme, se rend quotidiennement chez
02:45Jeanne et auprès de ses enfants qui habitent à quelques encablures.
02:48Alors d'abord Alexandrine sombre dans la folie, dans la haine, elle a envie de se venger
02:56et puis elle s'abîme dans la tristesse, la douleur, le mutisme et progressivement
03:02elle renaît de ses cendres, elle se relève et elle va même s'épanouir dans l'acceptation
03:08de son sort, non pas par esprit de sacrifice mais vraiment par amour véritable pour cet
03:15homme, Émile Zola, dont elle admire tant le talent et l'intelligence, cet homme dont
03:21elle comprend que l'équilibre dépend de ses enfants, de cette famille qu'il a construite
03:27avec Jeanne Rosereau et dont il a besoin pour accomplir pleinement son destin d'homme
03:33de lettres et d'homme politique engagé.
03:36S'ouvre alors la deuxième moitié du roman qui prend en marche le train de l'histoire
03:41de France, nous sommes en 1894, l'affaire Dreyfus éclate.
03:45L'engagement de Zola décrit avec passion par Jean-Louis Milési leur vaudra, on le
03:51sait, le reniement de beaucoup d'amis, des menaces de mort qui proviennent d'antisémites,
03:55du clergé, des militaires, d'une grande partie de la population.
03:58Cet engagement leur vaudra aussi de nombreux procès et l'exil forcé à Londres où
04:05Zola va embarquer toute sa petite famille.
04:07Alors évidemment, cette épreuve est encore une épreuve effroyable pour Alexandrine qui
04:11va se tenir debout aux côtés de son mari.
04:14Et dans l'adversité, Madame Zola donne le meilleur d'elle-même et elle devient
04:18magnifique.
04:19Elle protège son mari, ses enfants, sa maîtresse qui sont la cible d'attaques, y compris
04:24d'agressions physiques, et il faut y imaginer à Londres, s'interposant entre Émile Zola,
04:30ses enfants et sa femme, face à des assaillants qu'elle chasse en pleine nuit de la maison
04:35de Jeanne Rosereau, tant et si bien qu'après le décès d'Émile Zola, qui vraisemblablement
04:42est mort, asphyxié, assassiné, elle lance une procédure pour que les deux enfants puissent
04:47prendre le nom de Zola et à la mort de Jeanne en 1914, c'est elle qui s'occupe encore
04:52une fois de ses deux enfants jusqu'à sa propre mort en 1925.
04:56Donc si le roman de Millési n'est pas une biographie, n'est pas un roman historique
05:01purement, il est pour moi le roman d'un amour fou, riche de correspondances inédites,
05:06exhumées par Jean-Louis Millési entre le désépoux, qui témoignent d'une passion
05:12vraiment partagée et sincère.
05:13C'est un roman comme un médaillon où deux portraits se font face, indissociables, le
05:19portrait d'une femme devenue dans la disgrâce une figure héroïque et le portrait en miroir
05:24du grand écrivain, pour un temps éclipsé par l'épouse, et dont on découvre la vie
05:30intime et les rouages secrets des grandes décisions publiques et politiques que furent
05:35les siennes.
05:36Le tout, et je finirai avec ça, servi par une écriture dotée du même élan cinématographique
05:43que le premier roman de Jean-Louis Millési, qui était porté par le souffle du grand
05:48ouest américain.
05:50On retrouve là encore ce génie du scénario, l'art du grand scénariste qu'est Jean-Louis
05:55Millési, qui est, je vous le rappelle, multiprimé pour ses scénarios des films de Robert Guédiguian.
06:00Je vous remercie.
06:05C'est à moi, donc on enchaîne, non, pas avec ceci, celui d'après, voilà, on enchaîne
06:12avec Carmen Bramli, toute jeune autrice, tu veux dire quelque chose ?
06:17Juste, désolée pour le primo-romancier, on s'est un petit peu trompé, c'est pas
06:20du tout une primo-romancière, c'est notre indication qui est fausse, vous la connaissez,
06:25Carmen Bramli, Frédéric va vous en parler.
06:27Oui, non, elle en est pas à son premier roman, elle en est même à son cinquième, c'est
06:31le premier au presse de la Cité, c'est pour ça que ça méritait d'être souligné,
06:35enfin pour nous, voilà.
06:36Donc Carmen Bramli fait une entrée fracassante sur la scène littéraire française à 15
06:41ans en 2010 avec un roman dont vous vous souvenez peut-être qui s'appelait Pastel Fauve, depuis
06:47elle publie régulièrement tous les deux ans.
06:49Sa patte, si je puis dire, c'est d'écrire des romans sociétaux, contemporains, avec
06:56le regard acéré d'une génération 2.0, la génération Z, et voilà, donc son roman,
07:04je vais parler aussi d'amour, mais plutôt d'amour ouf et pas d'amour fou, voilà, donc
07:09tout est chaos.
07:10Son cinquième roman est Le portrait d'une génération, son héroïne, Paloma, ressemble
07:15beaucoup à son autrice, elle a 24 ans dans le roman, elle vient d'intégrer une prestigieuse
07:21agence, pardon, je zote quand je suis émue, de publicité, une agence qui s'appelle
07:28ATK, donc une agence spécialisée dans la publicité, la promotion de marques de luxe,
07:33donc on ne peut pas plus superficielle comme milieu.
07:36Paloma est en étude de philosophie, mais elle a répondu à une annonce parce que la
07:43directrice de l'agence, Margot, voulait des gens disruptifs, ça aussi c'est très
07:47sociétal, donc on a choisi de la prendre, elle, pour ses bons mots et sa plume acerbe.
07:53Elle rentre dans cette agence et puis elle va y faire un peu son chez-soi, elle s'y
08:00sent bien, ça l'amuse, les relations entre les gens l'amusent, et puis surtout elle
08:04tombe pas amoureuse au départ, mais elle va avoir une forte amitié pour son mentor
08:10Benjamin, le beau et charismatique Benjamin, qui lui a la quarantaine bien tapée, il fait
08:15partie de ces pubs qu'ont beaucoup de leçons à donner, peut-être un peu has-been aussi,
08:20en tout cas aux yeux de la directrice il l'est, elle rêve que d'une chose, c'est de s'en
08:23débarrasser.
08:24Et justement, justement, elle va pouvoir s'en débarrasser parce que Benjamin est accusé
08:30d'harcèlement sexuel par une de ses stagiaires.
08:33Et là, notre Paloma, qui a une vie privée, intime, plutôt, on va dire, active, c'est-à-dire
08:43qu'elle a du mal, elle a du mal à éprouver des sentiments à part pour ce Benjamin, mais
08:50par contre, elle sait jouir chaque soir avec un homme différent et elle trouve dans ce
08:55vertige de l'amour une plénitude, voilà, mais elle a du mal à comprendre comment on
09:03tombe amoureux, en fait, et bref, donc Paloma, qui sait très bien ce qui s'est passé avec
09:10cette petite stagiaire, ne dit rien, en fait, et c'est là l'intérêt de ce roman, c'est
09:16qu'on voit que cette héroïne va rester passive et regarder son mentor, cet homme
09:24qu'elle aime finalement, sombrer en enfer.
09:27Donc, je ne vais pas vous raconter la suite de cette histoire, même si j'en ai envie,
09:33mais en tout cas, c'est un personnage d'anti-héroïne très attachant, ce qui est un peu, voilà,
09:44et c'est aussi le portrait, donc, d'un milieu, la publicité, donc extrêmement superficielle.
09:51On est un peu dans le bec-bédé 20 ans après, mais je trouve que d'avoir choisi ce milieu
09:57dans lequel elle travaille et dans lequel Carmen Bramey travaille aussi, et pas anodin
10:01puisqu'on ne pouvait pas plus superficiel que la publicité pour raconter, en fait,
10:06les vrais sentiments.
10:07Donc, évidemment, c'est un roman aussi, quand j'ai dit sociétal, ça rappelle toute
10:12une période balance ton porc, balance ton pub et c'est, donc en ça, c'est un roman
10:22d'actualité et, bon, je crois que je vais m'arrêter là, ce qui est l'écriture
10:28de Carmen, et je l'ai dit, acérée, elle est sans fioritures, il y a aussi beaucoup
10:34d'auto-dérision, un humour bien dosé et elle aborde, comme je vous l'ai dit, elle
10:39a fait des études de philosophie, donc elle aborde des vrais thèmes, des vrais thèmes
10:44sur la vie.
10:45Donc, on dirait aussi de ce roman que c'est ce qu'on appelle un cominovège ou un roman
10:50d'apprentissage, puisque, en fait, Benjamin fait figure de héros sacrifiés pour qu'elle,
10:59notre héroïne, puisse, en fait, mener son chemin jusqu'à une vie normale.
11:06Voilà.
11:07Alors, le dernier roman des Prises de la Cité s'appelle Pays à Mer.
11:14Son action se passe au Liban, qui est malheureusement au cœur de l'actualité.
11:18Le roman que je vous présente est une fiction librement inspirée de la première femme
11:23photographe libanaise, Marie Elkazène, qui est née en 1899 et morte en 1984.
11:29Figure largement méconnue que cette photographe est pourtant passionnante tant elle cristallise
11:36les passions et les élans contradictoires propres au Liban du début du XXe siècle.
11:42Et j'insiste d'emblée en vous disant que, vous l'avez sans doute remarqué, la production
11:47romanesque contemporaine sur le Liban est pléthorique, mais elle s'intéresse en général
11:52à la guerre civile qui a meurtri le pays dans les années 70-80 et très peu au début
11:59du siècle, ce qui est le cas de ce roman et je voudrais le souligner d'emblée.
12:02L'histoire entrelace deux récits à un siècle d'écart.
12:07Le premier est celui de Mona.
12:09Mona a la trentaine, elle est photographe, elle vit une jeunesse marginale dans le Beyrouth
12:15d'aujourd'hui.
12:16Un jour, elle part se promener dans la campagne, dans un village au nord du Liban et elle découvre
12:22une maison isolée, abandonnée, en ruines, qui figure d'ailleurs sur la couverture du
12:28livre.
12:29Elle apprend que l'ancienne propriétaire de cette maison est une certaine Marie Karam,
12:33elle-même photographe, qui est décrite comme une femme libre, solitaire et originale.
12:40Ça intrigue beaucoup Mona qui va mener l'enquête et qui va notamment consulter des archives
12:47au sein desquelles elle tombe sur les journaux intimes de Marie qu'elle récupère et dont
12:52une large part est retranscrite dans le roman.
12:56Ces journaux intimes s'accompagnent aussi de quantités de clichés photographiques qui
13:00témoignent d'un authentique talent artistique qui va passionner Mona.
13:05La lecture de ces journaux va ouvrir à Mona des pans inconnus de l'histoire du Liban et
13:11des pays arabes, en particulier de l'Égypte du début du XXe siècle, qui ont vu fleurir
13:16un féminisme hyperactif et bouillonnant.
13:19Et je dois dire que le lecteur lui-même, à l'image de Mona, va découvrir avec surprise
13:25combien cette époque a transformé l'image de la femme, ses codes de représentation,
13:32pour le meilleur.
13:33Je voudrais vous lire juste un tout petit extrait, je serai dans les temps, du journal
13:37de Marie.
13:38« Je photographie les femmes habillées en hommes, parfois même dans des costumes militaires,
13:42fumant des cigarettes, au volant de voiture ou à cheval.
13:45Je les prends aussi avec des fusils de chasse et des ceintures de cartouches, exactement
13:50comme les hommes qui sont d'à leur côté, ou encore stylo en main, entouré de livres
13:54en train de réfléchir ou d'écrire.
13:56Vous voyez le décalage désespérant entre justement les espoirs d'il y a un siècle
14:04et la terrible régression actuelle du Moyen-Orient.
14:07On est très touché à la lecture de ce roman par le destin de ce pays qui s'était mis
14:11en marche avec confiance dans les années 20-30, qui a longtemps d'ailleurs symbolisé
14:16le dialogue possible et fructueux entre l'Orient et l'Occident, qui a incarné une espèce
14:21de synthèse possible entre deux mondes, deux cultures différentes, mais qui traverse aujourd'hui
14:27une crise violente, sans perspective d'avenir, et que traduit la vie de Mona qui est prise
14:33en étau entre des errances et des incertitudes.
14:35La lecture de ces journaux dévoile aussi la vie de sa narratrice, Marie, dont l'enfance
14:42s'est passée en pension, mais qui demeura farouchement libre durant toute son existence.
14:48Marie, elle se singularise très tôt en refusant tous ses prétendants au mariage, en chassant
14:54elle-même comme un homme, à l'image de celle qu'elle photographie, en vivant entourée
14:58d'animaux qu'elle a ensuite empaillés, en pratiquant la photographie.
15:02Elle était suspectée d'entretenir des liaisons féminines, et de fait elle était
15:06bisexuelle, et pour cette raison, sa famille, sa propre famille, l'a internée, la fait
15:12internée.
15:13Et à l'asile, elle côtoie une femme de l'être exceptionnelle, qui est Maisiadeh,
15:19et qui a été l'amoureuse de Khalil Khibran, et qui va lui raconter, pendant cette captivité
15:26à l'asile, son douloureux mais illustre et passionnant destin.
15:30Entre Marie et Mona se dessine en fin de compte un double portrait du Liban, vu par leurs
15:37deux objectifs.
15:38Un pays en marche, qui regarde vers l'avenir avec espoir pour Marie, mais qui en paiera
15:44le prix fort, et un pays plongé dans une crise structurelle, profonde pour Mona, et
15:51pour laquelle l'histoire reste à écrire.
15:52Quelques mots pour finir sur Georgia Maclouf.
15:56Georgia Maclouf, elle est journaliste, critique littéraire, correspondante à Paris de l'Orient
16:02littéraire, elle est franco-libanaise, et elle signe ici son troisième roman, après
16:07une entrée remarquée en littérature.
16:09Son premier roman avait été publié chez Rivage en 2014, et il avait remporté deux
16:15prix, le prix Ulysse et le prix Senghor.
16:17Et tout comme ce premier roman, Pays à Mer, vous le découvrirez, est emprunt d'un vrai
16:23style et d'une quête, d'une recherche littéraire vraiment ambitieuse.
16:28Voilà, je vous remercie pour votre attention.