Pour son interview d’actualité, Télématin reçoit Victor Castanet, journaliste indépendant.
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00:00Vous retrouvez l'invité de 8h15.
00:02Maya, vous rejoignez le journaliste prix Albert Londres, Victor Castaner.
00:05Après avoir bouleversé le secteur des Ehpad,
00:07vous vous en souvenez avec son livre Les Faussoyeurs,
00:09il s'est intéressé aux crèches privées dans son livre Les Ogres,
00:12publié chez Flammarion.
00:14C'était en septembre et le livre a été une véritable déflagration.
00:18Bonjour Victor Castaner.
00:19Bonjour Maya, merci pour votre invitation.
00:21Merci à vous.
00:22Votre livre dénonce la voracité de certains acteurs privés
00:25qui font passer leur intérêt avant celui des bébés,
00:27parfois avec la complicité des pouvoirs publics.
00:29Deux mois après la sortie de l'enquête,
00:31est-ce que vous continuez à recevoir des témoignages ?
00:34Oui, tous les jours.
00:36Tous les jours par mail.
00:37Tous les jours, vous voyez,
00:38quand je fais beaucoup de salons, de librairies,
00:41de rencontres, de conférences.
00:43J'étais à Brive-la-Gaillarde ce week-end,
00:44qui est un des plus grands salons du livre en France.
00:47Et il y avait tous les jours des dizaines de salariés de la petite enfance
00:51qui venaient me voir d'un peu partout.
00:53Pour vous dire quoi ?
00:54Pour me raconter les dysfonctionnements dont elles aussi étaient victimes.
00:59Parce qu'on parle beaucoup, évidemment,
01:01des premières victimes que sont nos enfants.
01:04Mais évidemment, les professionnels de la petite enfance,
01:06elles sont victimes de ces systèmes.
01:08C'est-à-dire qu'elles ont trop d'enfants à gérer ?
01:11Il y a un certain nombre de groupes, People and Baby et l'un d'eux,
01:16qui jouaient notamment sur la capacité réglementaire des crèches.
01:19Vous avez droit à dix enfants,
01:22douze en accueil d'urgence,
01:24et puis on pousse les directrices à dépasser.
01:26Et donc, vous avez trop d'enfants.
01:29Et puis, il va manquer une professionnelle.
01:31On va jouer pareil sur un poste.
01:33Et c'est comme ça qu'on va dérégler la mécanique des crèches.
01:37Et c'est comme ça que vous vous retrouvez avec des professionnels
01:39qui sont constamment sous pression.
01:41Et maltraitantes malgré elles.
01:43Et qui peuvent se retrouver maltraitantes.
01:45En fait, quand vous êtes, c'est toujours pareil,
01:46dans les secteurs de la vulnérabilité,
01:48que ce soit pour les personnes âgées ou pour les enfants,
01:51le plus important, c'est la manière dont vous gérez vos salariés.
01:54S'ils sont bien formés, bien accompagnés,
01:57s'ils se sentent bien dans leur entreprise, en général,
01:59ils sont bien traitants.
02:00Mais lorsqu'ils sont dans une entreprise comme People & Baby,
02:04où il n'y a pas assez de personnel, où il n'y a pas assez de moyens,
02:06où on leur demande en permanence d'optimiser,
02:09qu'est-ce qu'on demandait à ces directrices et aux professionnels ?
02:12Eh bien, on leur demandait, par exemple,
02:13de faire de fausses déclarations d'heure de présence de bébé.
02:16Donc, elles devaient tricher pour toucher plus d'argent public.
02:19On leur demandait d'optimiser sur les coûts,
02:23sur les repas, sur les couches.
02:26Quand je dis maltraitance, ce n'est pas forcément être auteur de violence.
02:30Ça peut aussi simplement ne pas changer une couche quand c'est le moment.
02:35Est-ce que les professionnels vivent parfois comme de la maltraitance
02:39et disent, c'est nous qui sommes maltraitants ?
02:41Il y a ce qu'on appelle la maltraitance institutionnelle.
02:43En fait, c'est quand le système qui est mis en place
02:45vous pousse à être, malgré vous, maltraitante.
02:48Et puis, il y a évidemment, il ne faut pas le cacher,
02:50des faits de maltraitance quand les professionnels sont mal recrutés
02:54ou quand elles se retrouvent à bout.
02:56Et je dois dire que ces dernières semaines,
02:58j'en ai rencontré beaucoup, des infirmières
03:01et des auxiliaires de pluriculture qui sont à bout
03:04et qui sont de plus en plus nombreuses à dire qu'elles veulent quitter le secteur.
03:07Je pense qu'on ne se rend pas compte.
03:08Elles vont manifester mardi prochain.
03:10C'est un secteur qui est au bord de l'implosion, vous pensez-vous ?
03:12Je pense.
03:13Je pense pour plein de raisons.
03:15Déjà parce qu'il y a ces systèmes-là qui ont dérivé
03:18dans des groupes comme People and Baby, mais dans d'autres groupes.
03:21Je vais citer parce qu'il y a 470 000 places d'accueil en crèche aujourd'hui,
03:2450 % dans des établissements publics, 27 % dans le privé.
03:27Je vais citer les petits chaperons rouges,
03:29People and Baby, Babylou ou encore la Maison Bleue.
03:31Puis il y a 23 % de crèche associative.
03:34Juste pour être clair, vous, vous parlez de crèche privée dans le livre.
03:37Ça veut dire qu'il n'y a pas du tout de problème du côté associatif ou dans le public ?
03:40Si, alors.
03:41Moi, je raconte évidemment les dérives de certains groupes privés
03:44qui se sont développés extrêmement vite
03:47et qui ont mis l'argent sur le développement
03:50et pas sur la qualité de leur structure.
03:52Et il y a des points que j'ai essayé de développer ces dernières semaines
03:56qui sont essentiels et qui touchent aussi les crèches associatives
03:59et les crèches municipales, c'est notamment la question du low cost.
04:02En gros, pour faire très court,
04:03c'est qu'il y a de plus en plus de mères depuis 20 ans
04:06qui font appel pour la gestion de leur crèche municipale,
04:09c'est-à-dire vous, en tant que parent, vous allez voir votre mère
04:12pour qu'il vous trouve une place en crèche municipale.
04:14Bon, il y a de plus en plus de mères qui se sont dit
04:16« Nous, on ne sait pas faire, c'est compliqué.
04:18On va faire ça, on va déléguer à des opérateurs privés
04:22et les opérateurs privés avaient aussi l'énorme avantage d'être moins chers.
04:25C'est-à-dire en gestion directe, une place de crèche
04:28c'est environ 15 000 euros par an,
04:29c'est ce que ça coûte, notamment en masse salariale.
04:32Et dans les premières délégations de services publics,
04:35il y a 15 ans, ça coûtait 8 000 euros.
04:37Bon, ce que j'ai raconté et ce que j'ai pu détailler dans le livre,
04:40c'est à quel point les prix se sont effondrés.
04:42Alors qu'ils auraient dû monter parce qu'il y avait l'inflation,
04:46on est passé de 8 000 euros il y a 15 ans à 3 000 euros aujourd'hui.
04:50C'est ce que vous avez raconté quand vous avez été auditionné au Sénat.
04:54Certains élus locaux ont un peu tiqué quand vous avez raconté ce rôle des maires.
05:00Notamment, il y a le congrès des maires de France qui débute mardi prochain.
05:03Ils vous ont invité pour en discuter ?
05:04Non, ils ne m'ont pas invité mais je sais qu'il y a beaucoup de maires.
05:07Alors oui, effectivement, quand j'ai été auditionné au Sénat,
05:10les sénateurs sont des élus qui défendent le local
05:15et donc leurs maires, ce qui est normal.
05:17Est-ce que vous pensez que les maires ont conscience de la situation ?
05:21Je pense qu'il y a beaucoup de maires qui se retrouvent
05:24à être avec un budget municipal de plus en plus contraint,
05:27mais c'est aussi des choix politiques.
05:29C'est-à-dire que quand vous divisez les prix des berceaux par 3,
05:32vous ne pouvez pas imaginer que c'est sans incidence.
05:35Et ce qui s'est passé depuis 15 ans, c'est une baisse des dépenses publiques
05:42et donc une baisse des effectifs.
05:44Quand un groupe a 3 000 euros au lieu de 9 000 euros,
05:47il va trouver à économiser quelque part.
05:49Il y a un sujet majeur qui est celui…
05:52On ne peut pas juste dire que c'est de la faute du privé.
05:55C'est aussi quand les pouvoirs publics, l'État met de moins en moins d'argent.
05:59Je citais la crèche de Matignon qui, pour ses collaborateurs,
06:03dépense 3 000 euros quand elle devrait en dépenser trois fois plus.
06:07Oui, il y a un sujet de société là, sur ce qu'on fait de l'argent public.
06:11Et pour parler de la grève qui va arriver la semaine prochaine,
06:16ça va être un moment important.
06:17Et là encore, ça raconte la faiblesse de ce secteur.
06:21C'est qu'on ne sait pas s'il va y avoir beaucoup de mobilisation
06:23parce que c'est un secteur qui est peu syndiqué, avec beaucoup de femmes,
06:27très peu d'organisations syndicales, qui a du mal à se mobiliser.
06:30Et puis il faut bien dire une chose,
06:31et je m'en rends compte en rencontrant les professionnelles de ce secteur,
06:33elles sont tellement mal payées.
06:35Elles sont entre 1 350 et 1 500 net pour certaines.
06:38Et donc 50 euros quand vous allez faire grève,
06:41c'est ce qui vous met à découvert à la fin du mois.
06:43Donc parfois vous ne faites pas grève alors que vous aimeriez le faire.
06:45Merci beaucoup Victor Quatennay.
06:47Je précise aussi que l'association anticorruption Anticor
06:49a porté plainte contre la crèche que vous dénoncez ici
06:53pour escroquerie, détournement.
06:55Oui, ça raconte un point important,
06:57c'est que quand le gouvernement ne fait pas son travail,
06:59il y a la société civile qui s'organise.
07:01Et Anticor dénonce l'inaction des pouvoirs publics.
07:03On aura l'occasion d'en reparler. Merci beaucoup Victor Quatennay.
07:05Merci à vous.