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Pour son interview d’actualité, Télématin reçoit Caroline Du Saint, journaliste et réalisatrice et autrice de son livre-enquête "un déni français". 

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00:00C'est le moment de l'interview d'actualité et on accueille ce matin Caroline Dussain, bonjour.
00:04Bonjour.
00:05Vous êtes journaliste, réalisatrice et autrice de ce livre « Le déni français, enquête
00:09sur l'élevage industriel » qui vient de sortir aux éditions Récavier.
00:13C'est le prolongement d'un documentaire que vous avez signé en 2023, « L'usine
00:16des animaux », qui était un tour du monde des fermes-usines.
00:19Ce livre, finalement, il montre qu'on n'a pas besoin d'aller très très loin pour
00:23voir qu'on en a aussi.
00:24Voilà, j'étais un peu surprise à la sortie de mon documentaire, j'ai filmé absolument
00:27dans le monde entier, en Asie, aux États-Unis, en Pologne, en Allemagne, et je me suis rendue
00:32compte que les téléspectateurs français ont un peu mal compris l'objet puisque beaucoup
00:35sont sortis en disant « Oh là là, ils sont complètement tarés ces Américains, heureusement
00:39nous en France, on n'a pas d'immeubles à cochons comme en Chine, on a du terroir,
00:42de la gastronomie, des petites fermes familiales, bref, une exception française complètement
00:46unique quoi.
00:47» Et je me suis dit, bon, il y a peut-être quelque chose à aller creuser là-dedans,
00:51il y a l'expression d'un déni généralisé en France sur ce qu'est notre modèle d'élevage
00:56dominant, qui est en réalité celui de l'élevage industriel, et j'ai vraiment eu envie d'aller
01:00creuser en fait cette question-là.
01:02En mai 2024, le ministre de l'Agriculture de l'époque, Marc Fesneau, qui dit devant
01:07l'Assemblée nationale « Il n'y a pas d'élevage industriel en France. »
01:13Et il le dit vraiment en détachant ses mots et en le martelant.
01:15Ça n'est pas la réalité, et donc voilà, c'est vraiment ce que j'ai voulu aller chercher
01:19dans ce livre, aller chercher vraiment les racines d'un discours, d'un mythe, et creuser
01:24les ressorts de cet imaginaire en se demandant aussi pourquoi nous tous, on y croit tous
01:28quand même un petit peu.
01:29Est-ce qu'on appelle élevage intensif ?
01:31Alors l'élevage intensif, justement, effectivement, il faut le définir, et en France, on manque
01:35de définition puisque justement on a du mal à accepter le fait que c'est notre modèle.
01:39On peut le définir par un ensemble de pratiques, mais grosso modo, c'est un élevage qui a
01:44des visières industrielles, donc qui va être l'idée de produire le plus possible dans
01:48un temps réduit et sur un espace minimum.
01:50Donc par exemple, c'est un élevage qui va demander par exemple du hors-sol.
01:53Le bâtiment, c'est un marqueur très fort de l'élevage intensif.
01:55Le hors-sol, c'est la règle pour 95% de nos cochons en France.
01:5995% !
02:00Donc les animaux ne voient pas la lumière du jour.
02:02C'est des animaux qui vivent dans du bâtiment en béton, dans de la lumière électrique
02:05et qui ne sortent qu'une seule fois dans leur vie pour aller à l'abattoir.
02:07Les lapins, je crois que c'est 100%.
02:09Les lapins, par exemple, c'est 100%, alors que les Français ont une image très positive
02:12de leur filière avicole, et les poules, c'est 80%.
02:17Pour les poules, des poulets de chair.
02:19Voilà, et du coup, c'est quand même incroyable de se dire qu'on est aussi éloigné de cette image-là.
02:24Encore une fois, dans nos représentations, dans nos publicités,
02:27où on voit toujours des petites poules qui dansent, qui font des chorégraphies dans de la paille.
02:30Même au Salon de l'Agriculture, où on voit des races locales très rares,
02:34qui ont presque disparu pour la plupart,
02:36et avec des animaux qui ont tous un prénom alors que ce n'est pas vraiment la réalité.
02:39Et je précise, et vous le dites dans le livre, que vous mangez de la viande...
02:44Il n'y a absolument aucune perspective militante ou en amont.
02:48C'est vraiment celle de se dire qu'en fait, on s'en sortira mieux tout
02:51si on a des discours de réalité, en réalité, si on accepte les faits et si on part de ces faits.
02:55Parce que le problème, c'est quand on n'est pas sur les faits,
02:57s'il n'y a pas de problème, il n'y a pas de solution à aller chercher.
02:59Or, l'élevage industriel pose des problèmes en pagaille.
03:02On a la confiance d'énormément de soucis, qu'ils soient environnementaux, sociaux, sanitaires.
03:06Donc, il faut mieux peut-être accepter de voir les choses en face.
03:10Trois millions d'animaux tués chaque jour en France.
03:12Est-ce que tous les trois petits tests-là, vous aviez conscience que ce chiffre-là existait ?
03:17Absolument.
03:18Et en tant que consommateur, on a une vraie responsabilité.
03:22On va en parler après, mais d'abord, il vient d'où, Caroline, ce déni français ?
03:26C'est quoi ? C'est après la guerre, on a tellement manqué que...
03:28C'est aussi l'objet de ce livre, justement, c'est de se dire,
03:31bon, on va aller chercher aux racines historiques.
03:32Et c'est vrai qu'à la base, à la sortie de la Seconde Guerre mondiale,
03:35l'industrialisation de l'agriculture et l'industrialisation de l'élevage, c'est super.
03:40Enfin, c'est du progrès, c'est la modernisation, c'est les tracteurs, c'est le travail plus facile,
03:43c'est la souveraineté alimentaire.
03:45Et puis, c'est la fin des pénuries.
03:46La fin, ça a été vraiment une expérience partagée pendant la Seconde Guerre mondiale.
03:49Donc, il y a tout ce moment d'euphorie un peu généralisé qui se met en place.
03:54Mais après, les années passant, on se rend compte que, voilà,
03:57c'est peut-être de moins en moins au service de l'intérêt collectif.
03:59On a perdu 70 % de nos haies.
04:01On a un million de paysans qui sont partis travailler à l'usine.
04:04Il y a des problèmes sanitaires qui commencent à se mettre en place.
04:06Les éleveurs, c'est un métier qui est quand même sacrifié.
04:09Enfin, c'est des gens qui ont perdu aussi beaucoup, pour beaucoup, l'essence de leur travail.
04:13Et donc, on se rend compte qu'au final,
04:14on est en train de perdre un petit peu le sens de l'intérêt collectif
04:17pour aller au service de ceux qui en tirent le plus profit,
04:20c'est-à-dire les industries de la viande, de l'élevage en général,
04:22qui, elles, ont tout intérêt à aller chercher ces représentations nostalgiques,
04:27traditionnelles, de nos grands-parents,
04:29pour vendre un produit qu'on n'achèterait peut-être pas si on envoyait toutes les coulisses.
04:34Encore une fois, par exemple, sur la publicité, c'est très frappant.
04:37On ne tourne pas une publicité dans un élevage d'un sou de poulet.
04:40On entend toujours une petite musique, une jolie petite musique derrière, très sympathique.
04:43Et puis, les poulets, ils dansent.
04:44En général, ils sont toujours très, très contents d'être mangés.
04:46Il y a quelque chose dans les récits qui est quand même très édulcoré.
04:49Cela dit, on consomme de plus en plus d'œufs.
04:51On est aussi de gros consommateurs de porc en France.
04:54Est-ce que les agriculteurs ont le choix, finalement ?
04:56Il faut soutenir la demande, c'est ce qui peut vous objecter.
04:59Oui, oui. Alors, est-ce qu'on a le choix ?
05:01Je pense que oui, on l'a toujours.
05:03La question, c'est vraiment de comment on a orienté notre production, en réalité.
05:06Et aujourd'hui, la question qui est posée, c'est celle, oui, d'un système de production, justement.
05:11Alors qu'on parle de vivants, alors qu'on parle de sol, alors qu'on parle de terre, alors qu'on parle d'élèves.
05:14Et en réalité, on est sur des systèmes de production.
05:16À partir du moment où on veut manger des produits animaux tous les jours,
05:19au petit-déjeuner, au déjeuner et au dîner, ce que font la majorité des Français,
05:23eh bien, ces produits animaux seront produits dans des systèmes industriels.
05:26Ce n'est pas possible autrement.
05:27Il y a vraiment la question de la quantité qui se pose, en réalité.
05:30C'est-à-dire que, voilà, si vous voulez produire beaucoup,
05:33c'est valable aussi pour la fast fashion, c'est valable pour plein de systèmes industriels,
05:36il faudra le produire dans des usines.
05:38Avec quand même des agriculteurs et des éleveurs qui disent qu'on a des fermes familiales,
05:42c'est-à-dire qui n'appartiennent pas à des groupes industriels cotés en bourse.
05:46Et c'est là-dessus aussi qu'il faut défendre.
05:48Ça existe, en fait.
05:49C'est-à-dire que c'est évidemment qu'il y a en France aussi des fermes familiales
05:53et évidemment qu'il y a aussi des éleveurs qui s'interrogent sur leur métier, etc.
05:56Mais c'est vrai qu'il y a un petit point que je souligne dans le livre qui est important,
05:58qui est celui de notre ami la vache.
06:00J'ai appelé le chapitre la vache qui cache la forêt.
06:02C'est-à-dire qu'on a des billets à cause ou grâce aux vaches
06:06qu'on voit beaucoup de nos voitures.
06:07On voit des petits cheptels.
06:08C'est vrai que l'élevage bovin, c'est encore effectivement des petits cheptels.
06:11Et les animaux qui sont en extérieur sont plutôt des bovins.
06:14Mais ce qui est marrant, c'est que quand on regarde ces vaches quand on est dans le train,
06:16on ne se dit pas « Tiens, c'est marrant, je vois des vaches,
06:18mais je ne vois jamais de cochons, je ne vois jamais de poulets ».
06:21On se dit juste « Ah, c'est cool, il y a des vaches dehors ».
06:23Donc finalement, tout l'élevage français doit ressembler à l'élevage bovin.
06:26Et l'élevage bovin, il est très particulier en réalité,
06:28puisqu'il ne concerne que 0,5% des animaux abattus chaque jour.
06:33Il est minoritaire et pourtant, il représente aujourd'hui l'essentiel de notre imaginaire.
06:37C'est passionnant.
06:38C'est une enquête extrêmement rigoureuse.
06:42Ce n'est pas militant et vous mangerez sans doute différemment
06:45après avoir lu ce livre de Caroline Dussin,
06:47« Un déni français, enquête sur l'élevage industriel ».
06:49Merci beaucoup.
06:50Merci à vous.

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