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00:00Bonsoir à toutes et à tous, la COP 29 s'est ouverte ce matin à Bakou en Azerbaïdjan
00:09avec une liste d'absents longs comme le bras, commencée par les présidents français et
00:13américains, le chancelier allemand, le premier ministre canadien, bonsoir Christian Gaullier.
00:18Vous êtes économiste, spécialiste du climat, co-auteur des rapports du GIEC, le groupe
00:23d'études intergouvernementales sur le climat en 2007 et en 2013.
00:27Vous êtes à la tête de la Toulouse School of Economics.
00:31En toile de fond de cette COP 29, il y a évidemment le retour de Donald Trump à la maison blanche.
00:38Les Etats-Unis est le premier producteur de pétrole au monde, deuxième émetteur de
00:42CO2 derrière la Chine, Trump est un climato-sceptique avéré.
00:46Il avait fait sortir les Etats-Unis des accords de Paris lors de son premier mandat.
00:51Concrètement, est-ce qu'il faut craindre que les ambitions climatiques mondiales soient
00:55réduites à néant par sa victoire ?
00:57Non seulement l'arrivée de Trump va rendre l'ambition américaine elle-même beaucoup
01:03plus réduite qu'elle n'était sous l'administration précédente, mais en plus, elle va engager
01:08un processus qui peut être très destructeur, parce que si les Américains ne décarbonent
01:12pas, les autres vont se dire « mais pourquoi je vais faire des efforts pour des bénéfices
01:16de gens qui eux-mêmes refusent de contribuer à l'effort collectif ? ». En fait, il
01:20faut bien comprendre que la guerre mondiale contre le changement climatique nécessite
01:23une mobilisation générale de tous les pays, de tous les citoyens de cette planète et
01:28effectivement la défection des Etats-Unis peut être le départ d'un nouvel échec
01:34comme on a connu avec les accords de Kyoto.
01:37Rappelez-vous, les accords de Kyoto, les Américains ne ratifient pas le projet et ensuite les
01:42Européens, les Japonais décident eux aussi de laisser tomber parce que les Américains
01:47laissent tomber.
01:48Donc ça veut dire que si Trump met sa menace à exécution et s'il sort des accords de
01:54Paris…
01:55Il n'y a pas de « si », il va sortir.
01:57Et donc, qu'est-ce qui va se passer ?
01:58Qu'est-ce qui va se passer ? Je crains que si on ne crée pas une coalition des pays
02:05qui restent ambitieux sur le climat, il va y avoir un délitement comme on l'a connu
02:09avec le protocole de Kyoto.
02:11Et donc, ça veut dire qu'il n'y aura plus d'ambition mondiale de réduire la
02:14température d'un degré 5 ?
02:16Et donc, pendant 4 longues années, nous allons voir souffrir d'un pays leader mondial
02:22qui a construit un système mondial organisé autour de la coopération.
02:28On va transformer cet ordre mondial en un autre ordre chaotique dans lequel on va être
02:33dans le « chacun pour soi » et « tous contre tous ».
02:35Alors, il y a également les ambitions énergétiques de Trump qui posent question.
02:39Il veut reprendre la fracturation hydraulique, qu'est-ce que ça peut avoir comme conséquence
02:44concrètement ?
02:45Les Américains vont encore plus extraire du pétrole, vont encore plus extraire du
02:52gaz de schiste, vont encore plus réduire le prix de l'essence et du gaz naturel aux
02:57Etats-Unis.
02:58Ils vont être encore plus compétitifs par rapport à l'Europe et donc, si l'Europe
03:02persiste dans sa volonté, dans son ambition de pénaliser les industries les plus carbonées,
03:10on risque d'avoir une situation où, simplement, on va déplacer la production plus
03:15carbonée vers les Etats-Unis et vers la Chine pour une nouvelle désindustrialisation
03:19de l'Europe, pour un bénéfice écologique nul, parce qu'on aura simplement déplacé
03:23la production vers des pays qui sont moins disants sur le changement climatique.
03:26Avec des conséquences sur le réchauffement climatique également.
03:29Exactement.
03:30Là, on n'est plus dans un schéma 1,5°C, on n'est plus dans un schéma 2°C, on n'est
03:35peut-être même plus dans un schéma 3°C, mais on pourrait être à 4 ou 5°C si vraiment
03:39on ne parvient pas à maintenir une cohésion des pays qui sont ambitieux sur le climat.
03:45Mais vous êtes économiste, ça peut faire baisser le prix de l'énergie ?
03:47Bien sûr.
03:48Donc ça, c'est une bonne nouvelle, ce serait une bonne nouvelle pour le prix de l'énergie,
03:51une mauvaise nouvelle pour le climat ?
03:52On voudrait avoir que ce soit le prix des énergies décarbonées qui baisse.
03:55Là, rappelez-vous, le prix de l'essence à la pompe, c'est 89 centimes le litre
04:01d'essence aux Etats-Unis, donc on est déjà très bas.
04:03Donc oui, effectivement, on met la baisse du prix d'énergie parce qu'on va produire
04:08plus aux Etats-Unis.
04:09C'est une très mauvaise nouvelle.
04:10Oui, mais sauf que Christian Gaullier, on produira peut-être plus aux Etats-Unis de
04:15pétrole, de gaz, mais rien ne dit qu'on ne produira pas plus, en tout cas dans la
04:20même quantité en parallèle, de l'énergie décarbonée, solaire, notamment l'IAE.
04:25Personne ne dit que la politique menée par Joe Biden sera terminée par Trump.
04:33Parce que c'est une politique qui marche, et notamment dans des Etats républicains
04:36comme le Texas.
04:37Je pensais bien que si le prix des énergies fossiles baisse, la profitabilité des énergies
04:42renouvelables est plus problématique.
04:44Et donc, la baisse du prix du gaz naturel, du pétrole et du charbon implique que les
04:52industriels qui misent sur le verre vont être en difficulté, et on le voit depuis quelques
04:56années.
04:57Pour en revenir aux enjeux de cette COP29, l'un des enjeux, c'est le financement des
05:02pays en voie de développement pour que le ciel se développe, justement, sans pétrole
05:07et sans charbon.
05:08Pourquoi est-ce que c'est important, Christian Gaullier, de parvenir à un accord ?
05:11Parce que les pays en développement représentent une part très importante de la population
05:16mondiale, et si cette population mondiale accède au même niveau de vie que les pays
05:19occidentaux, avec les mêmes méthodes de production d'énergie avec des énergies
05:26fossiles, on sera là encore plus qu'à plus 4 degrés.
05:29Donc il faut absolument que le développement des pays en développement se fasse de façon
05:33la moins carbonée possible.
05:35Et donc, ce n'est pas faire la charité aux pays en voie de développement ?
05:39D'abord, attendez, parce que les pays occidentaux sont responsables du changement climatique.
05:43Depuis un siècle et demi, on a mis une quantité invraisemblable de CO2 dans le monde.
05:46Et donc, si vous voulez, on a imposé un accident à des victimes, les pays du Sud, et maintenant,
05:53ils nous demandent des comptes.
05:55Et nous, on ne veut pas indemniser la victime de notre accident dont nous avons la responsabilité.
06:01Et quel serait le bon montant ? L'ambition de départ, c'était d'atteindre 100 milliards
06:06d'aides par an.
06:07Est-ce que c'est suffisant ?
06:08Alors, les pays du Sud, aujourd'hui, mettent sur la table à bas coût une proposition
06:13où ils demanderaient plus de 1 000 milliards de dollars par an.
06:17Donc on a mis sur la table 100, 110 milliards par an, c'était l'accord de Copenhague
06:25en 2009, COP15, et aujourd'hui, effectivement, c'est très insuffisant.
06:30Alors, rien que chez nous, en France, il faudrait consacrer 60 milliards d'euros par an au
06:35changement climatique, selon le dernier rapport MAFUZ-PYZANIFERIE, dont la moitié d'argent public.
06:41Déjà, est-ce que vous êtes d'accord avec ce montant, Christian Gaullier ?
06:44Oui, oui, on est dans l'ordre de grandeur de 2-3-4% du PIB français.
06:49Donc ça, effectivement, 2-3-4%, ce n'est pas négligeable, quand même.
06:55A la fin du compte, c'est quand même les gens qui vont payer, soit à travers des impôts
06:59plus importants si c'est des subventions publiques, soit à travers des biens carbonés
07:03qui seront plus chers parce que les producteurs seront pénalisés pour continuer à utiliser
07:09des produits carbonés.
07:10Sauf qu'on voit qu'on en est loin, le fait de réduire, par exemple, de moitié l'enveloppe
07:14dédiée à l'achat d'un véhicule électrique dans le prochain budget, entre le bonus écologique,
07:18le leasing et la prime à la conversion, on voit bien qu'on est loin de ces 60 milliards
07:22par an consacrés au changement climatique.
07:24Il n'y a plus d'argent dans les caisses et il y a des priorités qui sont majeures
07:28dans l'éducation, dans la santé et ça, le gouvernement est en grande difficulté
07:33vis-à-vis de ça.
07:34Mais quel que soit le gouvernement, l'équation est extrêmement complexe et les gens ne veulent
07:37pas payer.
07:38Les gens, ils veulent d'abord la fin du mois avant la fin du monde.
07:42C'est vrai depuis un certain nombre d'années et c'est encore plus vrai aujourd'hui avec
07:45l'élection de Donald Trump, avec des vraies interrogations sur qu'est-ce que les politiques
07:49vont pouvoir réussir à imposer comme sacrifice à la population, aux citoyens, aux électeurs,
07:56pour réaliser des objectifs qu'on voudrait bien tous atteindre, mais dont on n'a pas
08:00complètement encore réalisé l'importance des coûts et vous venez de les rappeler,
08:0360 milliards d'euros par an en France, c'est important.
08:06Et donc on voit qu'on en est loin et qu'on n'est pas du tout à la hauteur de ces ambitions-là.
08:09Voilà, parce qu'il faut que les citoyens comprennent que chaque fois qu'ils émettent
08:13une tonne de CO2 dans l'atmosphère, ils sont responsables de plusieurs milliers d'euros
08:18de dommages qui seront portés par les générations futures.
08:20Tant que le citoyen n'a pas compris ça, il ne votera pas pour des politiciens qui
08:25mettront en place des stratégies de déréduction d'émissions de CO2, c'est-à-dire des
08:30sacrifices portés par les citoyens.
08:33Sachant que l'inaction climatique coûte beaucoup plus cher que l'action climatique.
08:37Merci beaucoup.
08:38Vous avez raison.
08:39Christian Gaullier, économiste spécialiste du climat, directeur général de la Toulouse
08:43School of Economics, vous étiez l'invité éco de France Info ce soir.
08:46Merci.